dimanche 4 novembre 2012

La fièvre


L'aigreur chaude et moite
La voilà de retour
Celle qui se tapit tout au fond,
Mesquine, lâche, malhonnête.
Le profond dégoût de se voir à nouveau
Terrassé, pris d'assaut, effacé.
Le feu s'élance et s'installe dans la poitrine,
Sans gêne et sans limites
Le monde tourne de l'intérieur
Il tourbillonne
Et s'il s'envolait tant il mouline ?
Les autres sont à côté
Ils se transforment, ils s'enfuient, ils s'effraient, ils sentent.
Les yeux sont à l'envers
On se regarde brûler sans se consumer
Yeux fascinés par le bûcher
Les flammes les ont piégés
Même les habitués y succombent.
Mal partout et ça grince
La fièvre apparaît
Elle lutte férocement
On a chaud, on fume de partout
Et on s'embrase tout d'un coup,
On avait chaud, on flambait
Du cœur et des viscères ;
Là, de toutes les pores on chauffe
Les joues, la tête puis les cheveux
Et le corps suit et commence de fondre.
Être de flammes.
La fièvre apaise,
Sans elle on ne serait plus qu'un
tas de cendres inertes et inutiles
Une flaque de peau morte.
La fièvre est l'alliée contre le feu.
Et avec elle, on reprend possession de soi.

jeudi 20 septembre 2012

Colère

Le sang bouillonne
Je suis en feu
Je leur en veux
Ils m'abandonnent 
 
Peu leur importe 
mes états d'âme
Ils ferment leur porte
Me laissent mon drame
 
Je fais demande
Je les déteste
Jusqu'à quémande !
Leur souhaite la peste.
 
Mais c'est bien moi
Mon pire ennemi
Et non pas toi
Qui vrai me nuis
 
J'attends j'attends 
d'être sauvée
Bien trop tentant !
Et d'accuser.
 
La colère passe,
J'ai l'impression
Plus de menace,
Belle illusion.
 
Elle se blottit
Bien contre moi
mon ennemie
Et se nourrit
Festin de roi.
 

jeudi 30 août 2012

Pourquoi VS Belles Personnes

Un de ces jours où je ne comprends pas.

Un de ces jours où revient lancinante la question, toujours la même : et pourquoi donc tout cela ? Cette question, quand elle est là, elle reste et on ne peut plus la déloger. Elle prend au piège. Elle se transforme. Se métamorphose. C'est un caméléon. Et je me demande alors :
Pourquoi travailler ? Pourquoi tous ces efforts si le soir je suis trop fatiguée pour aimer et sourire ?
Pourquoi expliquer ? Pourquoi se faire comprendre ? Ma vie comme celle des autres repose sur des centaines, des milliers de malentendus et je m'émerveille exceptionnellement, lors d'une discussion prévue, longue et sérieuse, d'un accordage d'une fugacité bouleversante et exaspérante. Pourquoi cela n'est-il pas plus souvent ? Pourquoi ? Quelle en est l'utilité, le bénéfice pour l'espèce ? En quoi cela nous aide-t-il à croire dominer le monde ?
Pourquoi apprendre ? Cela ne me fera ni vivre plus longtemps ni gagner en bien-être ? Une démence sénile, un AVC, me feront tout désapprendre en si peu de temps ? J'apprends tous les jours et je ne comprends toujours pas. J'apprends que je ne suis pas seule à ne pas comprendre.
Mais pourquoi personne ne dit-il qu'il ne comprend pas ? Pourquoi sommes-nous si nombreux à brandir nos compétences fiers de ce que nous savons et qui avec un peu de recul s'avère si ridicule ?
C'est l'un de ces jours où j'ai en tête l'immense tas de savoirs que j'ignore côtoyant les quelques feuillets de ce que j'ai appris, de l'immensité des mondes que je connaîtrai jamais, de toutes ces heures que je perds à 'ne rien faire' et dont l'humain a besoin paraît-il, de toutes ces vies que j'aurais voulu connaître juste pour savoir. Mais je suis là dans mon canapé à me demander pourquoi et à ne pas en faire davantage.
Pourquoi aimer ces gens qui m'ont fait du mal et ne pas arriver à aimer ceux-là qui me paraissent si bons ? Pourquoi ma tête et mon cœur ne se concertent-ils pas ? Un minimum de cohérence et on avancerait plus vite ! Oui mais pourquoi ? Gagner en pseudo suprématie intelligente ?
Et puis tous les pourquoi les plus banals s'ensuivent : pourquoi moi ici et maintenant telle que je suis ? Pourquoi comme ça ? Pourquoi la vie sur terre ? Pourquoi tout cela pour finalement mourir ?

Noyée dans tous ces pourquoi qui tourbillonnent et me blessent, je me raccroche aux belles personnes, celles qui me font oublier pourquoi, celles qui me font rire, celles qui me regardent dans les yeux, celles qui me demandent si ça va, celles qui me serrent dans leurs bras, celles qui aiment la vie et évincent les pourquoi parce qu'elles savent bien que les parce que n'existent pas, ces personnes qui brillent et auxquelles on pense très fort ou dont on dit le prénom pour se rassurer et se consoler quand on pleure seul dans son lit, celles qui convainquent qu'on en vaut la peine, celles qui prennent leur place dans ce monde et m'en donne le droit à mon tour, celles qui sourient même sans raison, celles qui regardent et rient sans se moquer, celles qui admettent qu'elles ne sont pas grand-chose, qui osent le dire et ne pas s'effondrer.

Les pourquoi sont là tout le temps, plus ou moins puissants, plus ou moins menaçants. Ces belles personnes aussi, partout où je suis passée, j'en ai trouvé de ces perles rares qui tout d'un coup éclairent une pièce et avec qui, parfois, on ne s'adresse jamais la parole. Mais je me rappelle face aux pourquoi que toujours il y aura ces personnes-là qui me protégeront de la terreur de mon incompréhension.

   

mardi 28 août 2012

Et la langue parla jusqu'à la mort

Ah ne rien dire !
Quitte à mourir.
Non non sans rire !

Ne pas moufter.
Et étouffer.
Nous protéger.

Se taire, se taire.
Rester amer.
Rester sous terre.

Fermer la bouche.
Ah non pas touche !
Comme ça ça marche.

Et puis un jour,
Un trop d'amour ?
Un trait d'humour ?
Et la langue parle
Elle se délie et déroule tout, sur un tapis, devant tout le monde, et on a honte, mais rien ne l'arrête, elle est partie, elle court elle court, personne contre elle, elle est plus forte, vomit les mots et égaillés autour du monde, enfin libres les mots, jusqu'à la mort.

samedi 25 août 2012

Hors de ses gonds

     En colère contre qui ? me demandes-tu. Contre qui, contre personne ! Tu ne comprends rien ! Mais il faut bien être en colère contre quelque chose à défaut de quelqu'un tout de même. Arrête de raisonner, ça ne sert à rien. En colère et c'est tout. Mais non, ce n'est pas tout, ce n'est pas possible. Si ! C'est possible et c'est même toujours comme ça. En colère contre tout et contre rien, à se battre contre le vent et le néant. Ça te convient comme réponse ? ... C'est une réponse oui mais je n'y comprends rien. Je sais que tu ne piges rien, tu es bouché, tu ne sais pas et tu veux comprendre avec ta tête. Lâche-la, pose-la à côté de toi et regarde moi m'agiter comme une hystérique en proie avec le diable. Non, je n'aime pas quand tu es comme ça. Ah ! Tu n'aimes pas quand je suis comme ça... Le voilà le vrai problème. Eh bien pourtant je suis comme ça et très souvent comme ça, la plupart de temps comme ça. Tu veux des exemples ? Tu veux comprendre ? Tu vas seulement imaginer : j'ai envie de te cracher dessus, j'ai envie de faire violemment tomber la vieille qui arrive triomphante, qui se croit tout permis et donne des leçons aux pauvres petits ignorants que nous sommes, j'ai envie de lui dire à ce connard qui prend deux places dans le bus qu'il n'est pas tout seul et de sauter sur ses pieds et de les lui écraser jusqu'à ce qu'il me supplie d'arrêter, j'ai envie de lui serrer la gorge à cette collègue qui jamais n'a répondu à mon salut, jusqu'à ce qu'elle devienne bleue, j'ai envie de la revoir cette petite peste et de lui demander si elle aime elle aussi être humiliée, j'ai envie de demander à Dieu ce qu'il fout à laisser des gens se traîner par terre dans la rue, mourant de ne plus être considérés comme humains, j'ai envie de lui dire qu'il ne sert à rien, j'ai envie de trouver ce putain de sens à ce foutoir que vous acceptez comme le quotidien, je me déteste de ne pas avoir l'énergie pour changer, de n'avoir aucun pouvoir, je voudrais être autre chose, un super héros, quelqu'un où quelque chose d'utile. Tu comprends mieux ? avec ton misérable cerveau ? C'est bien comme ça ? Hein ?! C'est ça que tu voulais ?

     J'essaye de la calmer mais elle gesticule en tout sens. Je comprends très bien ce qu'elle me dit, bien sûr, mais elle n'entend plus personne. Je peux à peine la toucher. Je sais pourtant que c'est la seule solution. Je l'attrape dans un mouvement reptilien alors qu'elle exécute dans l'espace une de ses fascinantes figures rageuses et je la serre contre moi aussi fort que je le peux. Elle est fluette mais quelle force dans ces moments-là ! J'en suis toujours stupéfait. Je la serre de tous mes bras et de toute mon âme. Elle crie et me tape autant qu'elle puisse bouger, c'est à dire très peu. Devant son impuissance, elle lève sur moi ses yeux de tueuse. Elle croise mon regard sûr et déterminé. J'ai l'habitude désormais mais j'ai eu peur les premiers fois : est-elle psychopathe ? Malade ? Elle éclate tout d'un coup en sanglots et se blottit contre moi et son corps se détend brusquement. Il est celui d'une agonisante, elle a tout perdu.

La rage, dernier rempart contre le désespoir.

mercredi 22 août 2012

Ma place

          La place est bondée, elle est grouillante de gens, de gens comme moi. C'est ce qu'il faut que je pense. Ils sont comme moi, ils sont comme moi, ILS SONT COMME MOI. Oui, je commence à m'agacer intérieurement. Je maintiens ce faux sourire absurde mais nécessaire puisque je ne peux pas faire confiance. Ils plaisantent à côté de moi, ils sont à l'aise. Ils sont inconscients. Cette foule va peut être se mettre à hurler, à ruer, à cavaler comme un troupeau de gnous et à écraser tout ce qui sera sur son chemin. Je sais que je ne ferai pas partie de ceux qui courent. J'aurais été congelée en une seconde à la vue de la catastrophe imminente. Et mon corps ne m'appartiendrait plus. Nous n'en sommes pas encore là et ces gens se comportent comme un groupe d'individus plutôt calmes, paissant tranquillement autour du buffet et partageant des signes d'affection ou de tolérance teintée d'une agressivité contrôlée. Pas de combat de chefs ici et maintenant ; il faut se plier aux règles, et tous les compromis sont de circonstance. Ce rassemblement me pétrifie. De quoi sont-ils capables, en aucun cas je ne ferai confiance ! Je n'oublie pas le troupeau de gnous qui dort en eux. Je ne me sens pas un de ces gens, je ne me sens pas un gnou en puissance ni un dominant soumis aux lois de la jungle. Je suis une dominée, une de ces bêtes que les autres agressent en premier, d'abord parce que je me laisse faire, et qui ont même du mal à trouver où se tenir et comment, debout, assise, allongée, à côté de qui, dans quel coin de la pièce... Je me sens illégitime, mon corps le leur dit, ils me pensent illégitimes et le clan s'unit dans cette pensée. S'il faut faire un sacrifice, je sais qui sera la victime et je sais que je ne lutterai pas. Les antilopes ont bien plus de courage que moi. Elles se battent jusqu'au bout, alors qu'elles sont cuites et recuites depuis déjà cinq minutes les belles. J'essaye de me frayer un chemin, et je ne suis pas même seule, nous sommes quatre, la route devrait s'ouvrir naturellement devant nous. Devant eux oui mais elle pourrait se refermer contre moi. On ne sait jamais de quoi les gens sont capables. Finalement, nous atteignons le buffet et parvenons à nous faire un trou. Moi y compris, pas moins que les autres, c'est surprenant. Mais après, il faudra trouver un siège ou une place dans un groupe, s'intégrer. Ou rester seule. Outre le mur à contempler le groupe. Je ne sais pas encore. Je me rassure déjà d'être arrivée à la nourriture et de ne pas avoir subi une seule agression. Pas un coup de dent, pas une griffure, même pas une bousculade, ou alors un petit coup d'épaule accompagné d'un aimable "excusez-moi". Je n'ai pas ouvert la bouche depuis que je suis entrée dans cette énorme salle, je pense et j'assure mes arrières, je ne peux pas tout faire en même temps. D'ailleurs, je ne pense pas que les gnous ou les antilopes dans la savane se prennent à parler pour le plaisir de la conversation alors qu'ils doivent échapper au lion. Ce serait aussi absurde que si je me mettais à être spontanée. Le faux sourire rassure tout le monde et le tour est joué. Je n'ai pas ma place non, mais je ne suis pas honnie. J'ai même pu me sustenter ! Je sais que je me répète mais c'est un peu miraculeux. Mes acolytes m'ont bien aidée sans doute. Je n'y ai pas vraiment prête attention. Ils font tout autant partie du troupeau imprévisible. Eux, ils sont spontanés et ils pourraient d'un coup partir au galop, tête baissée, sans états d'âme. Je me dirige vers une chaise libre à côté d'un gens connu. Il est sympathique et calme. Tout ce qu'il me faut. Ce n'est pas le chef, il ne me protégera pas mais tant mieux. Je n'y crois pas de toute façon. Et puis je ne veux pas avoir à faire de révérence. Je m'assieds. Il parle avec son autre voisin et n'a pas fini sa conversation. Je m'en doutais, il ne me sera d'aucun secours non plus lui. Je veux m'en aller, sortir d'ici. Mais je ne peux pas. Je dois attendre encore au moins 1h, c'est le temps réglementaire. Je me vois déjà compter les minutes, tremblotante et ridicule. Je les garde, ils se meuvent, rient, réfléchissent ensemble. Mon Dieu, je ne suis pas eux.

"Alors, comment vas-tu ? Excuse-moi, je n'arrivais pas a me défaire de ce gentil monsieur extrêmement bavard. Je t'avoue que je t'attendais. J'ai pris ces places pour toi et pour moi  comme observatoire. On va voir ce qui se passe ce soir, hein ma jolie ? Dis donc ! Je n'avais pas fait attention, tu es magnifique ce soir !"
Je suis magnifique ce soir... Ca alors !


mardi 21 août 2012

Rêver ?

     Pleine d'envies, de désirs et d'amour.
     Rêve de toutes ces vies imaginaires.
Doux voyage vers le Pourquoi Pas ?

     Une vague de doutes, charme brisé.
     Implacable comparaison avec le réel.
Angoissant voyage face au Jamais.

     Et puis un cœur qui bouillonne, des entrailles supplient,
     Une âme en feu qui harcèle.
 Inacceptable voyage contre l'Impossible.

     Le corps qui se lasse, se laisse perdre.
     L'esprit essaye encore, valeureux.
Voyage dans le Désespoir.

      Une rencontre, des yeux qui touchent.
      Une vraie personne, une vraie vivante.
Reprendrait-on le voyage vers le Pourquoi Pas ?

      Rêves, pays imaginés, aventures projetées.
      On ose refaire ce chemin à deux, doutes et feu apaisés.
Doux voyage vers le Futur.

   
   

jeudi 16 août 2012

Le mur

          Elle se réveille, un peu groggy, elle ne sait pas très bien où elle est. C'est qu'elle n'est pas chez elle, non. Elle a beau chercher des objets familiers, aucun ne vient à son secours. Elle tourne son regard de tout côté, pour l'instant calmement, mais elle sent que la fébrilité la rattrape et qu'elle va sentir monter en elle la terrible vague qui asphyxie et son acolyte à l'extérieur, le mur qui interdit et empêche. Elle se connaît, elle veut absolument éviter la noyade. Elle se lève. Elle n'en avait pas encore fait cas mais il y a bien quelqu'un qui dort dans le même lit, un homme, une femme, peu importe, elle doit sortir d'ici. Elle trouve ses affaires entassées dans un coin juste à côté du lit. Heureusement qu'elle n'a pas la fâcheuse habitude de lancer voluptueusement dans les airs son soutien gorge et sa culotte avant l'amour. Et elle sort aussi discrètement et doucement que possible. Elle s'habille en hâte. Elle ne veut qu'une chose, rentrer chez elle immédiatement ! Retrouver son univers, des choses qui lui parlent, une clef qui cliquète comme elle aime, un chat mécontent de son absence inopinée, un café dans sa vieille et laide cafetière prête à crever d'un jour à l'autre mais qu'elle n'euthanasierait pour rien au monde.
Elle est sortie, elle a réussi. Elle a bien entendu un petit bruit et quelques paroles venant de la chambre, elle en a été pétrifiée. Et puis plus rien. Elle a attendu, prudente, puis s'est faufilé jusqu'à la porte et s'est envolée le pus vite possible. Une fois dehors, c'est une autre histoire : elle ne reconnaît rien, elle ne sait pas où elle est, elle n'a pas de voiture, en somme elle est perdue. Elle court à tout hasard. Elle ne cache pas le bus qui pourrait la ramener près de chez elle, elle n'est sûrement pas si loin que cela. Elle court parce qu'elle ne peut pas faire ces choses inconnues que les gens font tous les jours. Courir elle sait, un bus au trajet inconnu, un chauffeur de mauvais poil, des passagers méfiants voire agressifs, elle ne sait pas faire. Un mur se dresse devant elle, elle n'a de choix que courir jusqu'à ce que ses forces l'abandonnent. Mais elle sait que l'angoisse qui sort, pour le moment, qui la menace de se répandre en elle, la ferait courir des heures durant. Elle court, elle ne sait pas combien de temps. Elle reconnaît peu à peu quelques rues, ça y est, elle peut se repérer. Peut-être qu'elle pourra sauter dans un bus habituel si elle en croise un et si le mur ne se dresse pas devant elle encore une fois pour l'empêcher d'agir. Ce mur contre lequel elle se bat depuis toujours et qu'elle fait tant d'efforts pour contourner pour avancer quand même. À force de stratagèmes ridicules parfois et honteux qu'elle se garde bien d'expliquer à un que ce soit.
       Elle arrive en bas de chez elle, un peu incrédule. Déjà ! Elle a couru très vite aujourd'hui. Elle monte et s'effondre dans son canapé. Qu'a-t-elle encore fait hier soir ? Elle se pose à elle-même cette question absurde dont elle connaît parfaitement la réponse : elle était à bout de lutter, le mur était plus fort que jamais, même dans ce qu'elle sait faire et à l'habitude de faire, il s'opposait à elle et elle se trouvait bloquée dans ses actions à chaque instant. Passer la journée au travail à faire semblant qu'on accomplit tranquillement le travail quotidien, on a l'expérience maintenant ! Mais non, une de ces journées où elle a dû louvoyer, contourner, sauter, courir, grimper pour exécuter les plus simples des tâches. Et ses collègues de s'émerveiller de sa régularité dans le travail... Elle les regarde en souriant ; triste ? dégoûtée ? méprisante ? agacée ? Un peu de tout cela oui.  Elle a puisé au fond du ballon d'énergie, elle a dû racler les bords jusqu'à se nourrir des miettes qui restaient pour l'aider à finir la journée sans imploser.  Et le soir, elle a passé les portes coulissantes du bureau et ça s'est mis à papillonner et virevolter dans sa tête et elle est partie pour son bar de consolation. Elle a bu, un peu. Elle était plus calme et le mur commençait à s'effriter. Mais ça n'était pas suffisant. Elle voulait la vraie sérénité, la mer d'huile. Alors elle a continué à boire jusqu'à sentir le monde s'étendre à perte de vue devant elle, accessible et accueillant. Puis, elle ne sait plus, elle a probablement perdu pied diront certains. C'est à dire que pour une fois elle a parlé sans peur à ceux qui lui semblaient sympathiques, elle s'est avancée vers eux naturellement, a échangé quelques phrases simples mais directes. Et puis, elle a oublié la suite. Elle a sans doute suivi l'un d'eux ou l'une d'elles sans s'imaginer que le plaisir et la douceur.


Elle s'est réveillée ce matin. Et voilà. Une énième fois la même histoire de mur, d'épuisement, de papillons dans la tête, d'alcool, de sexe et d'oubli.

dimanche 12 août 2012

Prise d'otage

  Je suis enceinte, comment ? pourquoi ? Je suis pleine d'un bébé qui n'est pas le mien, je suis prise d'assaut, je suis envahie par ce bébé. Je n'ai jamais demandé de bébé, rien a l'intérieur de moi, je n'ai jamais demandé. Je n'en veux pas, c'est une erreur, je ne suis pas la bonne femme. On s'est trompé sur la personne. À qui est ce bébé ? Aidez-moi à en retrouver la ou le propriétaire ! Je ne suis rien pour lui et il n'est rien pour moi. C'est un intrus, un importun qui se sert de moi. Je vous jure sur la Bible, je n'ai jamais voulu de Ça. Je n'ai jamais prié pour, toujours contre. Je continues de prier contre lui mais il grandit toujours davantage et prend possession de moi. Je sens qu'il me prend tout le corps ! Il est puissant et il me grignote. Il commence à atteindre les membres. Vous ne me croyez pas, vous avez besoin de le voir pour le croire ? C'est un bébé dans un corps, comment voulez-vous ? Vous ne pouvez pas le voir, c'est votre travail d'imaginer ces bébés qui se forment dans les ventres et qui sortent en hurlant. À moi de vous crier, de vous hurler que ce bébé est là et qu'il n'est pas mien. Vous êtes calmes, tranquilles, vous me voyez me débattre avec ce monstre et vous vous en entretenez, réfléchissant intensément à mon problème. Vous prenez des airs d'un sérieux déconcertants. Il vous suffirait de vous exciter, de paniquer un peu. Pas besoin de réfléchir ou de faire semblant. J'ai un bébé qui n'est pas a moi dans le corps et je. Oui conjure de me le retirer tout de suite, tout de suite. Aidez-moi ! Ne me parlez pas ! Je ne comprends pas, ça m'est égal ! ARRÊTEZ DE PARLER ! TAISEZ VOUS SOMBRES IDIOTS ! On vous a bercé trop près du mur ? On vous fini à la pisse ? Ouvrez-moi et enlevez-moi ce poulpe qui me tue ! Vous ne réagissez pas, vous croyez que votre calme me gagnera. Vous êtes attardés et reconnus comme supérieurs. Je n'y comprends rien. Vous n'êtes pas des hommes, je n'appartiens pas a votre espèce, vous êtes faux, vous vous masquez. Je vous dévoilerai, je vous désignerai. Vous pouvez en être sûrs, je ne vous oublierai pas. Vous êtes aussi monstres que celui qui m'habite. Il jouit de ce moment de victoire où vous l'approuvez et me diminuer. Il avance en moi, il prend mes membres. Je ne serai plus et il vous assaillira à votre tour. Vous serez sa proie. Retrouvez son propriétaire ! Sinon, je disparaitrai devant vos yeux hébétés de grands scientifiques, de médecins mille fois récompensés, d'infirmières si expérimentées et fières de l'être. ANIMAUX ! Ah ! Vous avez peur enfin. Enfin, mais peur de mes cris. De mes cris, non de ma douleur, non du vrai danger. Vous êtes absurdes.
MAMAN, OU ES-TU  ? MAMAN ! Tu es là, tu te montres derrière la vitre, tu étais là tout de temps ? Tu étais là ? Tu me souris... Tu oses me sourire. Me sourire... Tu ne me regardes même pas vraiment, juste en passant, comme si j'étais folle. C'est une mère ça ? Tu n'as plus de fille, Maman. Tu me dégoûtes. Tu n'es plus ma mère, je te renie, tu es aussi fausse qu'eux. Je ne suis pas de toi. Je n'ai plus rien, je suis perdue. Je vais mourir, bientôt, maintenant. Mon heure est venue.
Des yeux, des vrais qui me regardent, qui ne s'évadent pas, qui ne me fuient pas. Tu me parles mais je ne comprend rien de ce que tu me dis. Quel langage baragouines-tu ? Arrête ces sons et ces bruits sans queue ni tête, tu ne sers à rien en me parlant. Regarde-moi, c'est tout. Pourquoi continues-tu de me parler ? Tu es comme eux, tu fais partie des tortionnaires, tu es pire puisque tu me regardes en me faisant croire que nous sommes du même univers. Honte à toi ! ... Tu t'es tue. Tu as donc compris ? Pour combien de temps ? Tu me regardes toujours. Tu me regardes mieux que ma mère. Mais tu n'es pas ma mère. Je peux te faire confiance ? Je dois te faire confiance ?
Et eux, ils se sont écartés un peu, ils sont effrayés par ma vérité, ça y est. Quels couards ? Et ce sont des soignants comme on dit ? Des soignants ? Qui soignent-ils ? Eux-mêmes peut-être. Visiblement pas moi en tout cas. Il y a des gens qu'on soigne et d'autres non ? C'est cela que je n'avais pas encore compris ?
Il se passe quelque chose d'anormal. Je sens mon sang ralentir et mes jambes reposer sur le drap malgré quelques spasmes. J'ai cessé de frapper l'air, j'ai arrêté de hurler. Qu'est-ce que c'est ? Ils n'ont pas bougé. C'est Toi qui me regardes. Tu t'es approchée. Que me veux-tu ? Je peux encore crier tu sais. Il me reste des forces. Mais je me calme même si le bébé est toujours là. Il ne bouge plus. C'est moi qui me bouge. Tu me prends la main et nous me passons les doigts dans les cheveux, doucement mais fermement. Tu m'amènes à ma nuque. Nous la massons ensemble et nous m'apaisons peu à peu. Nos mains se fondent et ma tête redescend, tu me redonnes à moi-même, nous me redonnons à moi-même. Je redevenons humaine. 'Et le bébé ? Il est toujours là, je le sens.'
'Je sais, on va s'occuper de vous ma belle et vous guérirez de ce bébé.'


mardi 17 avril 2012

Cicatrices

   Par hasard, j'aperçois son bras droit. Je reste interdite : de l'épaule jusqu'au poignet, le membre est strié comme l'écorce d'un vieil arbre qui a vu un siècle s'écouler et qui affiche le nombre des années passées dans les crevasses de son écorce. Les blessures dessinent comme le plan d'une ville inconnue, les rues s'entrecroisant en tout sens et formant parfois même des arabesques élégantes. Ce n'est pas une écorce, ce n'est pas un plan, c'est une peau humaine qui se dévoile à moi. Et c'est celle d'une jeune femme qui n'a qu'à peine commencé sa vie. C'est du moins ce que je croyais. Elle sourit ; beaucoup ; souvent. Elle regarde droit dans les yeux, son regard est puissant et donne vie à ce qu'il touche. J'ai toujours eu cette impression en l'observant que les choses et les gens étaient plus intéressants une fois qu'elle les avait regardés, malgré son jeune âge. J'en avais conclu à une force intérieure que certaines personnes possèdent, on ne sait trop par quel miracle de la vie. Elle faisait pour moi partie de ce groupuscule de gens un peu extraordinaires ou que j'aime à penser hors du commun, ceux qui dégagent ce quelque chose d'indescriptible et incompréhensible. Je me laisse hypnotiser par leur pouvoir un moment, comme je me laisserais glisser dans le plaisir de la sensualité. Mais la limite de cet état survient toujours et mon cerveau reprend les rênes, outré de tant de laisser-aller. Et alors, je veux comprendre, je commence ma quête, je fouille les yeux de cet être spécial et je ne m'arrêterai que lorsque j'en aurais saisi l'essence. Avec elle, je n'en étais pas là. Je m'enivrais de sa présence suave qui me rassurait par sa densité et sa tranquillité.
    Je reste figée, je suis fascinée par cette immense douleur qui me frappe de plein fouet, que je ne prévoyais pas, qui était là et que j'ai magnifiquement ignorée ; il y a aussi la beauté de ces marques. Je ne me maîtrise pas, je n'essaye pas de jouer la comédie du socialement correct ; je fixe intensément son bras. Elle me voit, bien sûr. Devant ma réaction si vive, je la soupçonne de me laisser quelques secondes de plus face à cette intimité qu'elle a laissé paraître. Puis, elle rabaisse sa manche. Je mets quelques secondes avant de lever les yeux sur elle. Son regard n'est plus le même. Le bleu si serein de ses yeux s'est électrisé. Une tension est montée en elle et elle m'en fait part avec un sourire qui n'est pas malheureux ni plaintif. Elle me sourit avec un certain soulagement mêlé à une crainte qu'elle ne peut visiblement pas réprimée. Je ne l'ai jamais vue ainsi. Ma surprise l'amuse derrière ce passé qui surgit et la reprend à sa nouvelle existence. Un frisson la traverse. Je m'étonne de frissonner à mon tour comme en réponse à son corps qui parle. Mon intellect se remet en marche et une foultitude d'images s'associent pour faire naître en moi tous les scenarii possibles. Mes pires cauchemars me reviennent en tête et je pense à la potentielle réalité de ces terreurs nocturnes. J'en tressaille à nouveau.
   L'instantané d'une histoire m'a été livré. Je suis désormais dépositaire de cette mémoire. Je garde ce nouveau trésor dans le précieux coffre-fort de mon âme. Le quotidien reprend ses droits et nous partons chacune de notre côté vaquer à nos occupations.

   Après ce jour, notre relation ne fut plus jamais la même. J'ignore pourquoi elle m'avait laissée voir par une inconsciente imprudence. Peut-être n'était-ce pas involontaire, peut-être m'avait-elle fait cette inestimable confiance de m'offrir la clef de son univers. Nous nous rapprochâmes peu à peu et devînment amies puis amantes. Elle restait la personne calme et avenante que j'avais connue, la complicité de l'attachement en plus.

     Je me souviens du jour où elle se dénuda devant moi pour la première fois. Je savais pour son bras mais elle ne m'avait jamais rien expliqué. J'attendais qu'elle soit prête pour écouter l'histoire qu'avaient définitivement inscrite ces trous et ces sillons en elle, sur elle. Ce jour-là, je ne crois vraiment pas que je soupçonnais ce à quoi j'allais devoir résister. Elle s'assit lentement, avec une lenteur particulière et inhabituelle chez elle. Elle s'était écartée de moi et me disait à mi-mots de garder mes distances. Son attitude me dérouta de sa part mais je la mis d'abord sur le compte de la simple pudeur. Précautionneusement, elle souleva son pull puis son t-shirt ; elle dégrafa son soutien-gorge. J'ouvrais la bouche par réflexe et réprimai un mot, un souffle, un cri, je n'en sais rien. Je restai hébétée parcourant son torse, sa poitrine meurtris du regard. Elle continua de se dévêtir en douceur. Je ne bougeais plus. Elle se remit debout et se planta face à moi. J'inspectais maintenant ses longue jambes qui m'avaient tant séduites et qui étaient sauvagement lacérées. Je dus m'asseoir. Sa peau était entrecoupée de cicatrices en tout genre : coupures, brûlures, fractures, et toutes celles que je ne parvenais pas à décrypter. L'humanité de cet être qui se tenait debout devant moi avait été saccagée, mise à terre, écrasée, défoncée, arrachée, mise à feu et à sang. On avait voulu faire d'elle un chien, un déchet. Quelques parcelles de sa peau avaient été épargnées mais elles n'en étaient que plus surprenantes dans ce chaos de chair tant bien que mal réparée. Son visage intact perdait son sens au haut de ce corps déchiré.
Elle ne m'accorda pas de répit et ne céda pas à mon choc. Je lui en sus gré. Elle me fit la violence de ressentir une part de l'horreur qu'elle portait. Elle sut bien avant moi que je tiendrais bon et que j'accepterais de partager cela avec elle. Des larmes de révolte commencèrent à couler sur mes joues. Je les essuyais rageusement, en colère contre moi-même, contre les coupables, contre le monde entier, contre Dieu s'il m'entendait qui avait autorisé cela. Je me raidit de haine. J'aurais hurlé de fureur. Je ravalai mes sentiments, sachant que c'était précisément ce qui ne l'aiderait pas. Elle avait ressenti que je partageais sa douleur et la colère qui s'ensuit. Mais ces marques étaient celles de son histoire, elles lui appartenaient et il n'était pas question pour moi de les lui voler. Il s'agissait de sa douleur et de sa colère. Je m'avançai vers elle et la serrai dans mes bras. Puis je parcourais de mes doigts les sinuosités de sa peau détruite. 
Et elle se mit à rire et pleurer, libérée du secret de sa monstruosité que j'aimais.

   

jeudi 12 avril 2012

Attention ! elle attend.

Elle sort, non pas en courant comme la plupart. Elle ne se presse pas. Elle adopte la démarche craintive qui lui fait courber le dos et rentrer les pieds. Elle sourit à ceux et celles qu'elle connaît. Quelle belle maman elle a ! Elle a peur de la regarder d'un air idiot tellement elle l'admire et les envie elle et sa fille. La femme à les dents d'une blancheur presque brillante, ses cheveux sont soyeux et surtout blonds. Elle aimerait se pelotonner dans ses bras. Mais non ! C'est absurde. Elle a tout de suite honte de toute cette affection qu'elle rêve, de cette femme qui ne lui est liée par rien. Une étrangère, une parfaite étrangère. Elle la garde quand même au fond de ses pensées, au cas où.
Elle se hisse sur la rambarde. cela lui scie les fesses. Mais elle ne veut pas s'asseoir. Elle ne peut pas, son corps ne peut pas. Elle doit rester en suspension, ne pas reposer sur quoi que ce soit.pas avant son arrivée. Elle balance les jambes, doucement. Il y a encore du monde. Elle pourra s'agiter quand elle sera seule et que personne ne la regardera plus. Des femmes et des enfants passent devant elle, lui sourient ou continuent pris dans leur conversation. Elle n'est pas encore seule. D'ailleurs, elle ne le sera pas, non ! Elle observe les enfants, les parents qui restent : les grands discutent, ils prennent l'air sérieux ; les petits se poursuivent sur le bord de la route. Ils vont même sur la route. Il y a des voitures pourtant ici. Elle se dit qu'elle, elle n'aurait pas le droit de faire ça, que c'est dangereux. Elle s'étonne que ces parents ne disent rien. Elle reste vigilante aux véhicules qui débouleraient du virage, au cas où.
Puis, ils se séparent finalement. Ils se dépêchent de rentrer manger. Sinon, ils seront en retard pour le retour tout à l'heure. C'est malin, ils n'ont pas pensé à cela. Parfois, elle ne comprend rien aux parents.

Elle est la dernière. Elle est seule en fin de compte. Une vieille dame lit son journal sur un banc, sur la place. Elle l'observe quelques minutes. Elle a peur d'être vieille.
Et alors, elle se met à attendre ou à sentir combien elle attend. Elle tente de penser à ce qu'elle vient de voir, à sa matinée. Mais il est trop tard. La machine est lancée : son cœur s'emballe, son ventre se contracte indéfiniment,ses jambes qu'elle fixe consciencieusement se balancent de plus en plus vite. Elle ne sent plus ses fesses. Ça y est. Les questions la prennent, la tiennent et commencent leur grande fête autour du feu de joie de son attente. Elles étaient là depuis le début mais déguisées, c'est tout. Va-t-elle attendre 2h ici, jusqu'à ce que les portes rouvrent ? Que vont penser les gens en la voyant là ? Ils la trouveront stupide à attendre comme cela.
Elle se lève, s'avance sur le chemin de la maison et prie très fort que la rencontre survienne. Mais la rue est vide et bizarrement silencieuse. Peut-être que quelqu'un va venir lui poser des questions ? Elle ne veut parler à personne, elle veut disparaître. Elle revient à la barrière et se réinstalle Précisément à la même place. La vieille dame à lève les yeux sur elle et elle sent qu'elle est prête à venir lui demander qui elle attend et pourquoi. Elle baisse la tête d'un coup, sans appel et colle ses pupilles à ses rotules en action. Elle se berce de ce mouvement circulaire, si étrange, si fluide. Elle s'apaise un instant. Elle sent à nouveau la douleur dans ses fesses. Elle descend lestement, sautille sur place et se remet en position.
Au bout d'un long moment entrecoupé de regards jetés en arrière, elle se met debout et repart vers la maison. Comme la première fois, elle rebrousse chemin lorsque sa barrière disparaît.

Elle se rassied.
Elle attend.

Cela pourrait durer l'éternité. Elle ne voit pas le bout de son imaginations. Elle se perd dans le trou noir. Elle sombre. Elle transpire. Elle est sale. Elle a honte.

Elle scrute une fois encore : il arrive. Le trou se referme. Elle s'effondre à l'intérieur d'elle-même, épuisée. Le soulagement coule dans ses veines et elle revit. Ce qu'elle a mal ! Pourquoi être restée comme cela sur cette barrière ?
Et là, surgit la question : 'Il m'avait oubliée ?' elle a à peine le temps de la penser. Elle la jette loin, le plus loin possible, dans le coin des idées-ordures. Il arrive, gêné, prononce la phrase fatale. 'Je suis désolé ma chérie, je t'avais oubliée.' Elle ne peut pas s'effondrer davantage et ce n'est plus ce qui peut arriver, elle le sait désormais. Elle ne peut pas le regarder. Elle sent un sourire narquois se dessiner sur son visage. Ce qu'il est idiot ! Elle a honte pour lui de ne pas même avoir la décence de cacher sa petite omission. Je suis devenue son trou de mémoire, un petit trou de mémoire. Je le méprise de tout mon être. Même moi je sais qu'il ne faut pas dire ces choses-là. Et il est mon parent ? Laissez-moi rire. Officiellement, c'est vrai. Mais pas pour moi. Je sens monter en moi cette force sombre qui le tuerait. Je la laissé l'envahir quelques minutes tout en faisant semblant de m'intéresser à ce que je lui raconte. Puis, je la relègue elle aussi au deuxième plan. Elle est trop puissante pour lui, je ne peux pas la laisser voir. Il s'écroulerait comme un château de cartes. Elle le connaît. Elle ne doit pas laisser la force de colère la contrôler. Elle doit rester de marbre. Elle ne peut tout de même pas le regarder. Elle croit qu'elle ne pourra jamais plus d'ailleurs. La haine se mêle au mépris, elle met toute son énergie à l'amadouer et à l'endiguer. Du moins, à la faire taire. En réalité, elle ne fait que la nourrir encore plus.
Il l'a oubliée. Elle a honte de lui, elle a honte d'être ce qu'elle est elle voudrait se métamorphoser, transformer son univers comme par magie, ou tomber dans le coma et que tout le monde s'inquiète pour elle. Quelque part, au fond d'elle-même, elle sent qu'elle vaut la peine, qu'elle est plutôt gentille mais elle ne doit pas penser cela où elle ne pourra plus faire marche arrière et elle haïra, en face. Elle n'est qu'une enfant. Elle est faible. Elle ne peut rien faire, rien dire qui fasse le poids. Elle est face au mur. Elle déteste être une enfant. Elle se promet qu'elle se vengera quand on la verra comme une vraie personne qui en vaut la peine. Pour l'instant, elle l'aime parce qu'elle n'a pas le choix et elle n'y pense pas. Son cœur ne doit pas mourir maintenant. Elle tomberait définitivement dans le gouffre noir. Elle les aime de tout son cœur pour vivre, par instinct, on verra plus tard.
Heureusement pour lui que pour l'instant elle est trop faible. S'il savait ce qu'elle pourrait cracher, vomir, les horreurs qu'elle a au creux de la bouche, les coups bas qui animent ses poings qu'elle serre de toutes ses forces pour ne pas l'ecraser, le demanteler. Heureusement qu'il ne sait pas combien ce sourire est faux combien ces yeux pourraient lui hurler le massacre rêvé et le dégoût inhumain. Elle garde cela pour plus tard. Et là, il verra. Ils verront tous, les autres, les mêmes. On ne l'oubliera plus. Elle brûlera beaucoup trop haut.

samedi 31 mars 2012

La chute

    Elle les regarde parler et rire ensemble. Elle s'efforce de se sentir l'une d'entre eux. Elle y met toute son énergie, elle lutte contre cette détestable force qui la repousse toujours à l'orée du cercle. Elle ne veut pas se laisser reculer, se tapir dans sa grotte, loin d'eux, insaisissable. Elle veut vraiment les rejoindre et éprouver leur présence, s'ouvrir à eux et être comme eux. Elle veut faire partie de leur monde. Elle se répète inlassablement : "je suis comme eux", "je suis comme eux", "je suis comme eux". En vain. Elle n'est pas comme eux et cette contre-phrase l'assaille et s'insinue entre les mots de la première. Elle lutte, elle refuse de se laisser disparaître, une énième fois. Il ne faut pas, elle respire, elle essaye de s'asseoir en elle. Mais elle s'échappe à elle-même.
Et puis, au bout d'un moment, elle sent et sait bien que ce n'est pas aujourd'hui qu'elle se mêlera à leurs rires et qu'elle s'avancera dans la mêlée. Elle est irrésistiblement attirée en arrière, dans son propre et singulier univers, là où personne ne la connaît. Jamais elle ne les mènera jusqu'à elle dans cet endroit-là. Il n'est pas pour eux. Il n'est pas humain, elle doit le garder secret et ne surtout pas donner même un quelconque indice de son existence. Elle serait à jamais bannie, apatride. Elle l'est déjà en vérité. Se l'avouer signifie abandonner et tomber pour de bon mais parfois, cette vérité se dresse devant elle sans pitié, narquoise et fière d'avoir enfin pris le dessus et elle est contrainte de se soumettre à elle. Comme une méprisable esclave, une bête que l'idée de dignité n'effleure plus et qui n'a plus le choix que d'être faible et lâche. C'est bien ce qui lui arrive là, maintenant, avec eux qui ne se doutent de rien. Elle baisse les armes et se retire. Elle est prise et conquise ; participer à leur vie n'est plus qu'une stupide illusion qui la fait elle-même rire amèrement. Une fois encore, elle est dominée, elle est écrasée. Voilà son monde, voilà ce qu'elle ne peut évidemment pas leur laisser voir ou deviner. La misère humaine, la décadence absurde et révoltante, la plus répugnante des lâchetés. Elle n'a d'humain que l'apparence, que ce que le regard des autres lui prête pour ne pas faire face aux coulisses du spectacle.
Maintenant, elle est définitivement sortie du cercle. Elle sourit faussement, les écoute de loin, en prenant l'air très attentive. Ils n'ont pas entendu sa chute. Elle sait tomber sans bruit. Elle a appris. Le silence vaut toujours mieux. Se taire, ne pas crier, ne rien heurter. S'effondrer le sourire aux lèvres. C'est ridicule à dire et elle a honte de se cacher ainsi. Et pourtant elle sait combien elle les les protège, elle et eux. Elle est la seule à faire ça. Elle n'est pas comme eux.

mardi 13 mars 2012

Balance abusée

    Tout d'un coup, sans crier gare, une contradiction me revient à l'esprit, puis une autre et encore une. Une dizaine au final. J'arrête ma pensée, qu'elle ne me déborde pas, je l'arrête avant qu'elle ne me vole à moi-même. Ce jour-là, j'ai dit non de toute ma voix, j'ai refusé sans appel possible ce que mon esprit acceptait émerveillé. Mais voilà, il était émerveillé et je ne pouvais pas le laisser faire, je ne pouvais pas m'émerveiller. Je ne tenais pas face à cette force-là. Je pouvais assister aux pires rages, admettre en moi la plus injuste des colères, en toute conscience, cette volupté-là m'était insupportable, cette voluptué-là, comme mon esprit me le dicte aujourd'hui encore. Ce n'était rien, qu'un petit plaisir, une petite satisfaction. Je ne pouvais la diriger, j'aurais étouffé, remplie d'un bien-être mortifère. Je la regarde en face de moi me proposer un bout de douceur et se le voir refuser par mon non implacable. Convaincue, déçue mais convaincue, elle ne tente pas de me convaincre, elle n'essaye rien. Elle sent qu'il n'y aura pas d'autre réponse. Un mur se dresse devant elle, je dresse ce mur d'un claquement de doigt, d'une impulsion des profondeurs, d'un réflexe de survie. Elle croit sans doute que c'est devant elle que j'invoque cette dure et froide protection. Malgré mon sourire qui s'efforce de la détromper, elle entend la puissance animale de mon non. Elle s'y résigne. Combien j'aimerais qu'elle m'interroge ! qu'elle me regarde en plissant les yeux, contrariée et déterminée à comprendre ! non pas qu'elle se mette en colère mais qu'elle sente même de très loin cette monstrueuse contradiction que je camoufle et exhibe à la fois. Mais elle s'éloigne en restant sur sa déception ; je la sens repartir dans le monde de ceux qui savent embrasser et pleurer. Je demeure cloîtrée dans l'univers du Non, gris mais absolument propre, impeccablement organisé.
    Et puis je pense à toutes ces fois où j'ai accepté d'un léger signe de tête et d'un sourire crispé ou d'un grand sourire forcé, et où cela a suffi. "Comme je suis heureux ! J'étais sûr que tu dirais non ! J'ai hâte !" Pas moi, et je le sais déjà, mon corps le vocifère, mon froncement de sourcils immaîtrisable et les tremblements compulsifs qu'il m'impose et que je fais passer pour de l'agitation. "Oui, je suis nerveuse, c'est mon tempérament." Pourquoi ai-je dit oui ? Je ne peux même pas chercher tant Non s'agite. C'est la guerre, gérer l'ici et maintenant. Je sais que Non va me le faire payer, cher, très cher. J'avais peur de hurler, de frapper. J'avais peur, maintenant je ne rêve que de ça, de frapper, de déchirer et blesser pour ce oui répugnant. Mais c'était un oui qu'on attendait de moi. Et qui me cachait si bien. Et qui était si facile. Je le donnais, par habitude surtout, par précaution peut-être. Par un phénomène que je ne m'explique pas davantage aujourd'hui qu'alors, ce non bloqué en moi, au creux de mon ventre, hurlant et refusant de sortir. Et jusqu'à ce que mon engagement ait été mené à son terme, je regrettais ce oui de toutes mes forces, je le haïssais. Et souvent, en y repensant, je continue de les haïr tous ces faux oui qui m'ont arraché un morceau de moi-même et m'ont forcée à me réparer cahin caha, laidement mais à peu près solidement. C'est peut-être ça qui me sauve de tous ces coups que je me suis infligée, consentante. 
On ne peut pas porter plainte contre soi-même, sinon à l'intérieur. Oui et Non continuent de se battre et de se mépriser, avec toute la puissance qui leur appartient à chacun. Ils sont si forts. Je ne savais pas et ne sais toujours pas les amadouer. J'aime leur absolu mais je n'aime pas ce qu'ils m'engagent à faire. ON prend au piège, ils m'enferment, je suis pétrifiée par leur pouvoir, leur magie. Un temps, j'ai cru me protéger avec Non, j'aime aussi à le croire. Mais, pour être vraiment honnête, je me suis prostituée à Oui plus d'une fois, pour ne pas avoir à relever la tête et à oser mon non.




Le secret

        Elle les observe s'agiter, tournoyer autour d'elle. Elle ne comprend pas vraiment en quoi consiste cette danse, quelles en sont les règles, les interdits ni l'horizon. Elle a beau les observer, quand ils la laissent en paix, qu'elle peut enfin respirer un peu, soulager son corps et son esprit de leur regard, elle ne saisit pas. Elle enregistre et se repasse en boucle, le soir seule dans son lit, tous les pas de cette étrange chorégraphie. Elle se dit que peut-être en les répétant mille, dix mille, un million de fois, en les apprenant dans les moindres détails, elle comprendra. Elle n'a peut-être pas encore atteint les mille. Ca doit être pour cela que le brouillard ne se dissipe pas. C'est tous leurs gestes mais aussi leurs mots, leur manière de les agencer. Ils ont chacun leur voix mais il reste toujours quelque chose de commun derrière les mots que chacun aime et le ton que chacun prend. C'est ce point-là qui lui résiste. Alors, elle pose des questions, elle essaye de capter quelques informations. Elle sait maintenant qu'il y a une règle : ne pas trop poser de questions, les poser au bon moment, faire comme si on demandait une faveur, feindre la pauvrette aux yeux plaintifs. Voilà qui fonctionne bien. Mais, une fois la question posée, encore faut-il que la réponse vaille quelque chose. La plupart du temps, elle n'est que médiocre mais elle, elle s'en repaît quand même et la décortique pour essayer de trouver le coeur brillant, la pierre précieuse au creux de cet amas de mots. Elle sait bien que sa tâche est rude. Mais elle ne peut pas l'arrêter. Que ferait-elle si... Elle n'y pense pas, elle sent un vertige s'emparer d'elle.
     Malgré tout, elle a quelque chose d'harmonieux cette incompréhensible danse. Elle pense à un mystère, elle rêve à un mystère qui lui sera révélé quand elle sera adulte. Ca l'aide quand vraiment, tout s'embrouille dans sa tête et qu'elle se sent ballottée de-ci de-là par les grands.
     En fait, elle n'est pas sûre de vouloir devenir adulte. C'est gris un adulte. Mais ça danse et ça décide, même en gris. Valser, virevolter, refuser une danse, en proposer une, s'asseoir un moment... Elle, elle aimerait avoir tout ça mais rester colorée comme une enfant, et danser en robe rouge. Elle réfléchit : si tous les autres sont en gris ? Elle aura l'air bête.
      Un jour, elle a entendu parler de ces gens qui ne grandissent jamais, de ces enfants qui vivent dans la rue et qui restent des enfants. Tout le monde autour d'elle s'est exclamé d'horreur en voyant ça. Elle, c'était comme si elle avait trouvé la solution à son problème. Petite et grande à la fois. C'est ça qu'elle veut au fond. Elle sait bien que cela n'est pas possible malheureusement. Elle se demande bien si elle deviendra un jour adulte. Ca lui paraît absurde et impossible. C'est un autre monde. Elle s'imagine plus tard, elle essaye de s'imaginer plus tard parfois. Elle en arrive toujours à rire toute seule de l'univers farfelu qu'elle invente. Rien à voir avec ce qu'elle observe tous les jours. C'est un peu comme Alice au Pays des Merveilles ce qu'elle a dans la tête. Elle ne trouve pas les bonnes proportions. Mais ça, on en revient toujours au même, à ce secret qui règne chez les adultes et qu'elle n'arrive pas à briser.
     Certains sont différents. Elle jette son dévolu sur eux pour leur soutirer des informations. C'est grâce à eux qu'elle sait le peu qu'elle sait. Ils répondent à ses questions et même, il y en a avec lesquels les yeux de chien battu sont inutiles. Elle savoure ces petits moments où la porte s'entrouvre. Mais elle sent bien qu'elle ne peut pas aller jusqu'où elle veut. Les autres s'interposent et arrêtent le traître dans sa discussion avec elle. Ou alors, lui-même, dans un sursaut se reprend et rebondit sur un thème inutile et vain mais convenable avec les enfants.

Plus tard, si elle est adulte un jour, elle travaillera avec les enfants. Elle sera Traître.

dimanche 12 février 2012

Il y a quelque chose que je n'ai pas compris ?

Non, ce n'est pas là le réquisitoire d'une victime éplorée de cette méchante société que serait la nôtre ! Non, je ne ferai pas la concession de ces jérémiades insipides, ineptes et stériles. Trop facile d'accuser sans davantage d'explications ! Trop facile de s'en tenir là et de se lover dans son petit confort de victimes inoffensives et inutiles ! J'en ai fait partie et j'espère que cela n'arrivera plus jamais. Mais là n'est pas la question. La voici la question qui me taraude, qui me met en rage comme aucune autre et que je vous pose à tous : y a-t-il quelque chose à comprendre à l'humain qui recule devant tout miroir qui peut s'offrir à lui ? Y a-t-il quelque chose à comprendre, réellement ?
Enfant, adolescente, mon univers était peuplé de créatures, je dis bien créatures et non personnes, plus ou moins dangereuses. C'était en fonction du degré de méfiance que je devais adopter avec chaque humain que je croisais, quelque âge qu'il ait, quelle que soit sa fonction auprès de moi, que j'évaluais celui qui me faisait face et mon attitude en retour. Je me cachais sans cesse, personne ne savait ce qui m'habitait et certainement pas moi-même. Je savais une chose : j'avais peur, honte, souvent envie de disparaître et les autres faisaient peur et mal. C'était pire quand j'osais les aimer. Je ne pouvais évidemment pas m'en empêcher, heureusement, la survie n'épargne personne. J'attendais le drame, la prochaine erreur que j'allais commettre et qui me ferait me haïr un peu plus et me pousserait du bord de la falaise où je me tenais, dans le trou noir. Vous pourriez vous dire que l'enfant, l'adolescent s'imagine toujours des choses bien plus dramatiques qu'elles ne le sont en réalité. En réalité ? J'ignore ce que cela veut dire mais passons là-dessus. Eh bien, vous vous leurreriez : le drame arrivait toujours, plus ou moins rapidement mais mon rêve de me terrer dans les profondeurs chaudes d'un sous-sol se manifestait toujours un moment ou l'autre..
Ca a été comme ça et il n'est plus temps de s'en désespérer ni d'accuser. Cet univers était tenu par le fil de l'éclatant espoir de voir ma vie d'adulte s'attendrir grâce à l'intelligence humaine que j'attribuais aux adultes face à un autre adulte... N'est-ce pas mignon ? Cela m'a fait vivre, et tant mieux. Mais j'en ai longtemps souris amèrement. J'étais sûre, plus tard, de trouver le moyen de communiquer, de se comprendre et d'avancer sur un chemin commun.
J'ai mûri, vieilli, j'ai continué d'aimer malgré tout, bien sûr. Et puis, après avoir eu bien trop mal bien trop longtemps, j'ai arrêter d'aimer. J'approchais de l'âge que je considérais comme celui de l'adulte, qu'enfant j'avais arbitrairement fixé comme celui de l'adulte que je rêvais d'être, celui qui n'aurait plus peur, celui qui serait compris ; et rien ne changeait. Une fois que j'ai eu cet âge-là, l'enfant que j'avais violemment fait taire s'est retournée dans sa tombe et m'a tiraillée de plus belle. On ne me comprenait pas. J'étais accablée oui, mais une colère absolument incontrôlable m'animait aussi et c'est elle qui est devenue le moteur de ma pitoyable vie. De fait, je m'en suis tenue à une attitude face au monde qui m'entourait : haïr et mépriser. J'étais comme un élastique sur lequel on avait trop tiré, qui avait cédé, à bout. Je n'étais pas tout à fait consciente de ce que je faisais, se rassurera-t-on. Pas tout à fait inconsciente non plus, nous ne voilons pas la face, et pas insouciante du tout. Quelques rares trouées de tendresse se dessinaient de temps en temps, rares, fugitives mais parfaitement sûres et jusqu'à aujourd'hui, je ne les ai jamais oubliées, ni ceux avec qui je les ai partagées. Pour la première fois de ma vie, j'avais le sentiment d'obtenir ce vers quoi j'avais toujours tendu vainement. Ils me comprenaient. Et les autres, que faisaient-ils, cloués dans leur monde minable qu'ils chérissaient tant du simple fait qu'il était leur ? Je les méprisais de toute mon âme avec une méchanceté et une violence inacceptables, que je ne disais pas, bien entendu, puisque je n'avais plus aucune confiance en la moindre parole. Cette haine, appelons-là par son nom, je la montrais, je l'exhibais, j'étais la laideur qu'ils ne voulaient pas voir, la réalité de notre déchéance et de notre petitesse que je connaissais si bien et qu'ils semblaient se cacher si facilement à eux-mêmes. Je refusais non seulement de comprendre mais même, d'essayer de comprendre. A mon tour, je restais fixée et je regardais sans bouger, mi-goguenarde, mi-désespérée. J'attendais égoïstement qu'on vienne à moi, comme j'avais si souvent vu faire, croyant sans doute faire changer les choses, tout au fond de moi, loin derrière.
Je me suis insurgée encore et encore jusqu'à aujourd'hui contre ces gens qui ne comprennent pas, plus ou moins violemment. Ceux qui ne comprennent pas, qui avancent dans la vie à l'aveugle, qui parfois savent très bien qu'un miroir les attend à chaque tournant mais qui parviennent à toujours l'éviter, non sans dégâts collatéraux. Après m'être contentée de les mépriser, j'ai essayé de me mettre à leur place. J'ai bien vu, à mon grand désarroi, qu'ils ne m'étaient pas si étrangers. Ils étaient comme un repère pour moi ; facile de s'orienter grâce à ce qui nous révolte, beaucoup moins grâce à ce que l'on espère accomplir. J'ai changé, je me suis assouplie. Mon univers n'est plus le même, ses habitants changent,ses paysages changent, mon regard change, ma vie change et reste cet agacement quotidien, se muant en profonde colère, en blessure brûlante, en incompréhension muette, en larmes chargées de tous ces sentiments, au gré des événements et de mes vagues intérieures. Je ne peux pas admettre ce refus, pourtant si humain et parfois touchant il est vrai, de se regarder en face et de se mettre à nu volontairement même une seule petite seconde et d'oser regarder. Je ne peux pas l'admettre. J'en crèverai. Jusqu'au bout de mon existence, je sais que je tiendrai ce fil : lutter et me révolter même inutilement contre cette lâcheté qui me touche démesurément.
Pour qui est-il facile de se regarder, de voir combien il est fragile, combien il est humain ? Pour qui ? Pour personne, sans exception et ceux qui semblent à l'aise et qui le sont peut-être avec les affres de leur psyché, ne sont pas épargnés par cette douleur de voir. Que cette imbécillité de croire qu'il y a des gens qui sont faits pour se comprendre et comprendre soit abolie ! Qu'on ne me resserve pas ce réchauffé ! Il n'en est rien et je risque le pari que ceux qui le disent savent parfaitement de par la conscience que nous détenons tous, de par cette angoisse existentielle qui nous est commune, qu'ils ne font que fuir. Et gare au jour où la mort les surprendra sans aucune issue, ce jour où ils devront lever les yeux, lever la tête droit devant eux et regarder sans détours la noirceur, l'horreur, l'immonde qu'ils auront mis tant d'énergie à repousser ! Leur douleur n'en sera que plus vive. Sans m'en réjouir, ce jour-là, je ne m'attendrirai pas.
Je crois que le plus triste reste précisément le constat de toute cette énergie et ces efforts vains, de tout ce temps perdu. Pourquoi ne pas descendre dans l'arène et affronter la terrible brûlure de la lucidité et la surmonter, en hommes et femmes incroyablement résistants que nous sommes tous, et jouir enfin de l'apaisement de savoir qu'on n'en meurt pas, qu'on est plus fort que cette torture d'un moment et de pouvoir ensuite jouir de l'épanouissement du monde ? Toutes les réponses me convainquent, aucune ne me satisfait. Je continue de chercher dans tous les miroirs que je croise.

samedi 28 janvier 2012

La maladie

Ca y est, ça recommence, j'enfle, je gonfle. Je sens que dans quelques minutes, je serai la monstrueuse boule de graisse, visqueuse, flasque et tremblottante que je deviens quand Ca arrive. A l'intérieur, tout bouge, les clandestins qui habitent mon corps prépare leur fête. Ils aiment s'amuser, ils recommencent encore et encore. Je savais en me réveillant que cela arriverait, je le pressentais, c'est peut-être ça le pire : tenir, tenir jusqu'au moment où Ca va avoir le dessus et va s'étendre aussi facilement et rapidement que la peste et le choléra. Je suis malade de graisse, de chair dégoulinante.Une épidémie se répand à la vitesse de la douleur en moi. Je ne suis plus là. Je suis cette maladie, cette infection. Je ne suis plus qu'une chose, je ne ressemble plus à rien de respectable. Je suis une honte, un déchet qui se prend encore pour un humain, plutôt qui fait semblant de l'être encore. Je commence à paniquer. Aujourd'hui, je panique. Parfois, je peux laisser faire par habitude et j'arrive à me raisonner et à sourire des images complètement délirantes qui me viennent à l'esprit. J'y arrive, à quel prix... Après cela, la journée est quand même pourrie dans les moindres recoins. De toute façon, cette journée est perdue, elle est placée sous le signe de la perfide Faucheuse. C'est bien Elle qui préside à cette fête, à ce sacrifice. J'ai tenté de Lui parler, de La retenir, de comprendre ce qu'Elle me voulait. Mais Elle s'envole, se faufile malgré toute ma bonne volonté. Elle fuit comme une lâche, Elle ricane. Mais Elle ne me regarde jamais. La Mort me regarde m'évanouir de moi-même, me diviser, me démanteler comme une poupée en kit, retenant les larmes qui me soulageraient. Je ne peux pas pleurer, les autres sont là, ils me regardent. Je ne peux pas tout perdre, s'il reste une once de dignité à préserver, je continue de me battre pour elle, il m'est impossible de renoncer à cela. parfois, je déteste ce dernier mouvement de survie qui me pousse à ne jamais cesser de lutter. Dans ces heures noires, je voudrais pouvoir abandonner. mais c'est comme on ne peut mourir en s'empêchant de respirer. La vie ou ce qu'il en reste reprend le dessus sur ce que nous pensons être notre volonté et nous pousse malgré nous sur le chemin haï qui se dessine à l'infini. Je suis dans l'infini de la vie, de la honte de mon corps. Je suis maintenant parfaitement obèse. Parfaitement. Il y a quelque chose de parfait dans cette désespérance du corps et de l'âme. Je suis comme complète, je n'ai plus besoin de rien ni de personne, je me suffis à moi-même. Une énorme boule, parfaite tant on ne pouvait l'imaginer surgir ainsi, tant elle est puissante, tant elle nargue le monde des humains qui essaye de m'en débarrasser.
J'attends que les autres se tournent vers moi et reculent de dégoût, se récrient de cette puanteur et de cette obscénité. Elle a osé nous imposer cette vision ! Elle n'a peur de rien ! C'est cela que je prévois et qui ne vient jamais. Je me demande comment les gens osent m'approcher voire me toucher, je le leur interdis d'ailleurs alors, je ne veux pas qu'ils sentent Ca. Ils le voient, ou pourraient le voir. Je me dois de les éloigner de moi, de les tenir à distance, loin de ma maladie qui les ferait pourrir à leur tour et les feraient automatiquement entrer dans ce fracas mortel que je ne peux souhaiter à quiconque. Même à ceux que jamais je ne pardonnerai des blessures que j'ai reçues d'eux et qui ne se referment jamais définitivement. Ils ne doivent pas savoir. S'ils ne voient pas, c'est qu'ils peuvent ne pas comprendre ni savoir. C'est cela que je veux, fermer leurs yeux et leurs oreilles, les envelopper dans du coton pour qu'ils ne risquent pas l'invasion. Ils ne se rendent pas compte de ce qui les guettent. Qu'ils me prennent pour froide, distante, fermée ! Peu m'importe ! Ils ne doivent pas me connaître comme ça et découvrir que cela pourrait être eux. mais non seulement, on continue de me prendre en compte, de me laisser ma place, mais en plus, on m'aime. Les gens qui m'aimaient jusqu'alors ne changent pas d'attitude. Leur coeur ne fait pas volte-face comme je le guette. La pourriture et la forteresse que j'ai construite ne les fait pas fuir, eux. Et même ils me regardent dans les yeux. Ceux qui savent le faire. Ils voient. Et ils me sourient. Je les regarde très fort. Aussi fort que possible, je ne peux pas laisser s'échapper cette chance d'être regardée, d'être sauvée. La fête de mort s'arrête brutalement, je dégonfle instantanément. Et je peux enfin pleurer.

Ceux qui savent

Ils savent, elles savent ; ils, elles vous enseignent. On ne peut tout de même pas vous laisser dans une telle ignorance, ce serait trop égoïste. Se dévouer pour partager son savoir, la moindre des choses. Ils vous le diront. Sans doute. Mais peut-être qu'ils ne se rendent pas tous compte de ce qu'ils offrent. N'est-ce pas terriblement émouvant ? Ceux qui sont en pleine conscience sourient amoureusement devant la candeur de leurs collègues savants. Bientôt, ils sauront combien ils donnent ! Ce sera beau cet adoubement, cette entrée dans le précieux cercle fermé de ceux qui savent... Un événement pour tous ceux qui le vivent. S'adonnent-ils à un rituel officiel ou restent-ils discrets et humbles, réalisant ce baptême en toute simplicité dans la pudeur d'âmes supérieures qui se retrouvent et jouissent de se trouver enfin auprès de leurs égales ? Il est tout de même question de supporter, au jour le jour, tous ces congénères, que l'on aime, que l'on apprécie ou que l'on déteste, qui ne peuvent pas davantage que ce qu'ils font, qui ouvrent de grands yeux éblouis et s'émerveillent encore. Certains jours, les bons jours, on les accepte tels qu'ils sont, attendrissants et amusants. les autres jours, on est trop lucide et on est harcelé par leur bêtise et leur infériorité. Pas de langue de bois, pas de politiquement correct. Soyons honnêtes. Heureusement qu'on a nos pairs auxquels se raccrocher, on y pense très fort pour ne pas se sentir seul face à une masse trop ignare. Ça réchauffe malgré tout de les avoir dans sa tête et de pouvoir les appeler en cas de détresse. Comme les animaux qui se rassemblent et se collent les uns aux autres pour partager leur chaleur. On n'a pas une place facile ! Supporter cette solitude mais aussi devoir jongler pour ne pas devenir le bouc-émissaire, parce que c'est bien souvent ce qui arrive. Ils ne supportent pas de ne pas en être, d'en savoir moins. On les comprend mais on les aide à évoluer tout de même. La reconnaissance est bien rare. Elle ne vient que de ceux qui nous ressemblent. Voilà une chose à accepter. C'est une destinée.


Ce qui me met le plus en colère ? Vous voir grandir, grandir devant mes yeux, pousser comme une belle plante et vous écouter impressionnée. Vous avez du charme, vous êtes sûre et calme, vous nous regardez sans aucune agressivité, au contraire, vous vous montrez avenants et presque délicats. Vous souriez et je vous rends votre sourire et vos naturelles amabilités. je me dis que j'aimerais vous ressembler, je vous admire, je l'avoue. Vous m'ensorcelez, je m'oublie et je ne suis plus qu'avec vous. Ce que vous dites m'ouvre des horizons et je me mets à réfléchir dans votre sens. Vous êtes le prince charmant, la reine splendide, la fée prodigue. Et je jouis de cet instant. Oui, je suis comblée.
Puis, progressivement ou tout d'un coup, je reviens à moi. Je me réveille grâce au regard goguenard d'un voisin qui se retient tant bien que mal de partager les plaisanteries qui lui viennent à l'esprit, au sourire narquois de la femme à l'autre bout de la table qui attend patiemment la fin de votre intervention, grâce à une subite inattention de votre part où me prend à la gorge votre condescendance et votre mépris si bien voilés jusqu'alors. Et je prends conscience de votre stratégie. Celle de me convaincre que, quoi que vous disiez, vous le savez et que cela n'est pas discutable. Je suis formidablement en colère contre vous, vous n'êtes qu'un imposteur, vous me volez mon temps, vous me volez à moi-même ! Contre moi-même surtout. Je vous ai cru, vous m'avez fait rêver.
Je vous hais quand, face à moi, vous affirmez, vous vous aimez et nous enseignez avec votre regard de parent couvant son petit. Cette affreuse condescendance ! Peut-être que vous savez ce que vous dites et que vous êtes légitime pur expliquer comme vous le faites. Là n'est pas la question. Mais c'est bien votre fatuité et son pouvoirqui me donne envie de mettre toutes mes forces à vous faire taire, quel que soit le moyen employé, la force la première. Je pourrais me lever et vous haïr avec mes poings, jusqu'à ce que vous suplliiez. C'est vrai, dans ces cas-là, la rage prend le pas. Je mets toute mon énergie à vous insultez, à vous détester. Beaucoup trop d'énergie. Puis quand j'arrive enfin à me calmer ; ce n'est pas de mon propre fait, je n'en suis pas capable, seule. Vous avez ce pouvoir de susciter en moi une monstrueuse vague d'émotions que je ne peux contrôler avec mes seuls moyens. Je suis envahie, comme je me suis éprise de vous, je gonfle d'émotions à en éclater. Tout se mélange et je me perds une deuxième fois sous ce flot ininterrompu de sensations, de mots, d'images, de souvenirs. je me sens obèse de tout ce qui s'anime en moi et que je n'ai jamais convoqué. Je suis grosse, enceinte, de plus en plus énorme. j'ai honte et je voudrais me terrer le plus loin possible d'ici, là où personne ne me trouvera ni ne me verra plus. Je veux devenir aussi transparente que l'air, aussi impalpable que l'inhumain. Je me sens affreusement humaine. Je vomis mon humanité. Je sors de moi-même et je vois ce que je suis, faible, utilisée, perméable, facile, honteusement facile. Comment font-ils pour accepter d'être humain ? Comment aiment-ils cela ? Je n'ai plus notion d'aucune possibilité de valeur en moi. Je suis perdue, bonne à jeter. mais les autres aussi, comment ne le voient-ils pas ? pourquoi continuent-ils d'avancer dans cette condition répugnante. Nous sommes tous des bâtards, des hybrides informes qui ne finiront jamais d'être, toujours en sursis, jamais totalement vrais, jamais totalement conscients et capables, toujours affectés quelque part, toujours handicapés.  Je dois trouver celui ou celle dans l'assemblée ou dans mon être qui saura me faire revenir parmi les miens, que pour le moment je trouve aussi révoltants d'infériorité que moi. Un vieux visage visage strié de rides, au regard bleu perçant ou un tout jeune qui me sourit, confiant. Un visage qui me dit combien le savoir nous appartient peu et combien on peut se fourvoyer sur ceux qui le détiennent. Un visage qui me rappelle la valeur de chacun, la mienne comme celle de tout un chacun. C'est d'un banal ! Eh oui et ça me rassure ! Je remonte dans un monde où je peux vivre. Je n'en demande pas davantage. C'est là que je me rends compte que c'est finalement toujours ce que je cherche : trouver celui ou celle qui me fera sentir que j'ai le droit d'être là, que lui, elle aussi et nous tous. Celui qui sait, est-ce qu'il croit qu'il peut parvenir à cela tout seul ? Est-ce qu'il croit que savoir qu'on sait le sauvera de la honte et de la peur ?  Croit-il qu'il aura moins peur de mourir ? A moi de le dire : stupide animal !

mardi 10 janvier 2012

Carré

  Je le regarde sermonner son garçon : "Ca ne se fait pas. Laisse cette petite fille partir. Et puis, de toute façon, tu la connais depuis 10 minutes ! Tu auras oublié demain. Allez, arrête de  pleurer, ça sert à rien." Il le recadre, il le remet sur le droit chemin de la bienséance, à 5 ans, sur l'autoroute qui file prévisible et rassurante jusqu'au fond de l'horizon. Je les regarde tous les deux, le petit qui écoute, comprend, avale, digère et quitte finalement le chemin de traverse dans lequel il s'était aventuré. Oh malheureux ! Tu as failli te perdre ! Je voudrais que le lien se brise entre eux en ce moment, et que ce père se retrouve seul et pauvre sur sa belle autoroute et qu'il voit les deux enfants lui échapper sur le sentier qu'il ne prendra pas, qu'il ne veut pas prendre, qui s'éloigne tant du grondement tranquille de son autoroute. Garde-la toi ton autoroute !

Je regarde cette femme fatiguée qui sort du travail et court après son bus. Il est là, au feu rouge, juste à côté de son officiel arrêt. Elle toque à la porte vitrée ; c'est un non catégorique et agacé qu'elle se voit répondre. Pour 20 mètres ! pour un index appuyé sur un bouton ! pour une petite entorse au règlement, sans conséquences ! surtout, pour un minuscule acte personnel, individuel. Elle reste pantoise devant cette porte refusée, pourquoi ? Il a déjà détourné les yeux et surveille le feu, impassible. Je la regarde et je la vois, déçue et habituée, rejoindre l'arrêt réglementaire où elle attendra 15 minutes le bus suivant. Je hais ce chauffeur absurde, stupide et je fulmine. Je rêve que le feu ne passe jamais au vert. Il passe devant moi. Il poursuit son chemin, il a fait son travail.

"J'avais dit 'pas d'encre noire' ! Je vous ai enlevé 5 points, je vous avais prévenu, Je le répète depuis 6 mois !" Oui, elle avait prévenu, c'était la consigne. De l'encre bleue, jamais de noir ! Jamais ! C'était important, il le savait et c'est vrai, il l'avait oublié. Il me raconte cette anecdote, furieux mais s'en voulant de son inattention. Je le regarde, amèrement accusatrice. Surpris, il m'interroge. Que se passe-t-il ? Tu ris de ces choses-là d'habitude, c'est ce que j'attendais ! Pardon ! Ce n'est rien, rien contre toi.

Le monde ne tourne pas rond, sans aucun doute. Encore faudrait-il qu'il soit rond ! Et que nous le soyons nous aussi, humains, comme les êtres mythiques d'Aristote. Le monde ne tournera jamais rond et je l'en félicite, je nous en félicite, nous et lui, si plein de touchantes et fallacieuses anormalités, bosses, trous, falaises, pics... Il continuera de rouler cahin-caha au gré des obstacles, des échecs et des réussites de chacun.
Et par-dessus tout ! Jamais il ne sera carré !
   Longtemps, j'ai méprisé ces partisans d'un monde carré, d'une planète et d'une vie à angles droits et désespérément réguliers. J'ai perdu beaucoup d'énergie à les détester, invoquant leur étroitesse d'esprit et les œillères qu'ils maintenaient bien fixées. Ils freinaient le monde, les hommes, l'art, l'invention, l'évolution. Ils bloquaient tout.
   Je le pense toujours mais j'ai cessé de leur en vouloir. je me contente de les observer pour les comprendre toujours mieux, eux comme moi. J'aime l'univers quand il est échevelé, ahuri, hilare, amoureux, inconvenant, spontané, ébouriffant, absolu et indéchiffrable, si dur et si tendre à la fois. Et vous autres, vous l'aimez rangé, gominé, sans un pli, la démarche décemment rythmée et toujours digne. Bien sûr que je saisis cela, bien sûr que cela me rassure aussi et que nous en avons tous besoin. Bien sûr ! Je ne suis pas exceptionnelle, et certainement pas plus forte, certainement pas. Mais je refuse aujourd'hui et j'espère pour toujours une vie carrée, une Terre en cases. Je le refuse parce que oui, c'est reposant ; mais c'est aussi d'une tristesse et d'une pauvreté à crever. Je préfère mourir plutôt que de vivre dans votre carré monstrueux, c'est ce qu'il est. Ce que vous appelez monstrueux l'est bien moins à mes yeux que vos normes débilitantes et toujours plus handicapantes. Je ne suis pas une révolutionnaire, je n'en ai ni le courage ni l'aplomb. Je choisis pour moi une vie où je prends garde de ne pas passer à côté de l'immensément beau, du complètement fou, de l'infiniment drôle, de l'indicible émotion, de l'intolérable douleur et de la plus orgasmique des joies, aussi loin qu'elles me perdent, je l'accepte. Je refuse de ranger le monde, il se range tout seul. A moi d'en trouver l'ordre et de me laisser mener dans ses démentes et tortueuses richesse. Oui, il y a de la folie là-dedans. N'y en a-t-il pas davantage à vouloir embrasser et réduire ce qui nous dépasse de loin, d'inimaginablement loin ? Je l'ignore. Est-il fou de vouloir voir briller, exploser le monde, du dehors et du dedans ? Est-il fou de vouloir se sentir tranquille et de tout faire pour ? Est-il fou de passer pour 'fou' ?
Ma question demeure ; est-on plus serein en luttant pour la maîtrise et le respect de règles inhumaines ? Pour l'instant, ma réponse est non et non, je n'aime pas cette grisaille et la conviction intransigeante avec laquelle on me la présente. Je refuse cette grisaille, je m'en veux parfois, souvent, mais j'essaye de ne jamais oublier que je l'ai testée ; et détestée.