dimanche 31 décembre 2017

La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez, Ed. Grasset


            L'ange de la mort, un des nombreux nazis qui hantent les mémoires et surtout les imaginations. La disparition de Josef Mengele nous emmène tout le long de sa fuite à travers l'Amérique du Sud, de place en place, de terrier en terrier, de cave en mirador. S'il n'avait dès le départ été paranoïaque, il le serait devenu sans aucun doute ! La cavale de décennies entières, une folie en soi ; une hérésie. Cette vie ne sert à rien. Voilà ce qu'on peut en retenir. Cette vie est une fuite après avoir été une chasse, quelque temps, une vingtaine d'années. Tout le reste de la vie à se cacher, à se terrer comme une bête indigne. L'on suit cet homme, ce médecin, ce spécialiste du soin..., mais la connaissance de la médecine n'engage en rien la qualité humaine de ceux qui la pratiquent.
        Justement cette interrogation taraude : le soignant bourreau ; celui qu'on voudrait adorer, comme un surhomme, nombre des intéressés y croient eux-mêmes d'ailleurs, est un tortionnaire en puissance. La limite est ténue entre le soignant et le sadique. Allons même jusqu'à nous demander si le soignant n'est pas un sadique qui sublime sa pulsion et la renverse en son contraire ? Ce médecin-là est un sadique sans filtre, un sadique qui n'a pas fait l'effort de mettre un masque, de se fondre dans la masse, dans le socialement acceptable. Mais si ! Il s'est adapté au socialement acceptable de l'époque. Il est donc resté un simple sadique, archaïque.
          Les plus adaptables, les plus tourmentés, les plus fragiles. Les plus violents. Les plus victimes. Les plus bourreaux. Les plus maléfiques. Les plus naïfs. Ce sont les mêmes.
Cependant, l'on ne rentre jamais vraiment dans ses tripes. Comme si c'était là un sacrilège. Il y a peut-être une répugnance partagée à ne pas essayer de sentir réellement ce que sent cet homme qu'on appelle monstre. Mais aussi politiquement incorrect que cela puisse paraître, je crois que l'on peut comprendre n'importe quel être humain si l'on a commencé à en comprendre certains. Encore faut-il s'y autoriser et se jeter à l'eau, aussi profondément que nécessaire, quitte à toucher les pires démons qui nous habitent. Aurait-on peur de compatir avec celui qu'on appelle un monstre ? Aurait-on peur d'attraper sa maladie comme un vulgaire microbe ? N'est-ce pas exactement ce qui se passe avec les Messieurs et Dames les délirants à l'approche desquels tout le monde s'écarte ? Comprendre la folie est-il en soi une folie ? Quels si formidables risques y pressent-on qui nous rendent si précautionneux, même les plus aventureux ? Quoi qu'il en soit, ces risques semblent valoir la peine de se saisir de déjà-pensé, mâché-tout-cuit. Oui cela m'agace. Oui je le comprends parfaitement. Ce n'est que proprement humain. Jamais, tant que cette espèce existera, on ne pourra empêcher ce réflexe de proie. La folie est le pire prédateur de l'homme et même si l'on n'en dit rien, chacun le sait ou le sent. On la tait. On la dénie. On ne fait que la fuir. Et la fuite est un des fondements de la survie. Tous les animaux fuient à un moment, reculent, renoncent. Sans cela, la mort s'abat sans merci dès les premiers jours.
Bref, tout cela pour en venir à cet homme, Josef Mengele que le lecteur accompagne dans son exil, cinquante ans durant, et qui pourtant, une fois le livre fermé, reste un mystère. C'était un fou. C'était un parano. C'était un tyran. C'était un immense angoissé. C'était un raciste invétéré. C'était un enfant jaloux. Un frère hargneux. Un narcisse obnubilé par sa petite personne. Etc. Et donc ? Et puis ? Et alors ? Qu'en conclure ? UN MONSTRE ! Aaaaaaaaaah ! Et après ?
         Olivier Guez nous ouvre les portes de toutes les questions que posent tous les souverains et acolytes furieux de tous les temps. Les nazis sont près de nous les plus incroyables, et encore... il y a tous ceux qu'on connaît moins mais qui tout autant... L'on suit à la trace les pas de ce Mengele exaspérant et fascinant en même temps. Car oui il fascine. Ils fascinent tous. Alors il vaut mieux ne pas trop les comprendre. De peur de les aimer. Sûrement de peur de les aimer. On ne peut aimer Josef Mengele. Il est insupportable. Mais il demeure crypté. On ne l'observe que de l'extérieur. L'intérieur est affleuré. Peut-être est-ce mieux ainsi. Peut-être la lecture en reste par conséquent agréable et enivrante. Car Olivier Guez nous entraîne, sans aucun doute, et fait vivre cette évasion d'un demi-siècle. Il nous fait connaître mieux ce Docteur Maboul évincé par de plus cruelle figures. Sans doute pas plus sanguinolentes. Il nous donne envie de se renseigner, de savoir qui encore et encore plus loin derrière, et pourquoi. C'est toujours le bout de ce tunnel que l'on vise et que l'on atteint jamais, qui nous fait parcourir cette histoire et en attendre le fin mot. Mais l'on referme le dernier volet de cette aventure toujours aussi incrédule. Et l'on n'a toujours pas compris.
       Pourtant, l'on a tout de même approché, dans cette cavalcade déjantée un sacré nombre de timbrés, toqués, givrés de tout poil. Cet univers de jungle en devient irréel, déjanté oui, drolatique, clownesque. L'on n'oublie pas que ce sont nos pareils, nos frères et sœurs d'espèce, mais l'on rit de bon cœur parfois, ne pouvant nous y retrouver, ou nous retrouvant trop nous et nos proches au contraire. Le rire nous éloigne d'eux autant qu'il nous y lie. Le narrateur utilise cette fausse innocence réaliste qui suscite le rire de son lecteur abasourdi par cette marée de fous. Il n'y a plus qu'à en rire pour s'en défendre. Parce qu'on en vient toujours là. Vous savez, la survie...
       Bien sûr, voir se dresser le portrait de cet homme ouvre les yeux toujours plus grand, nous force à questionner sans arrêt, à ne jamais cesser de réfléchir, à ne jamais cesser de douter, le bon doute comme il y a le bon stress dit-on, n'est-ce pas ?, d 'explorer. Mais le danger d'une autopsie jusqu'aux plus puantes des muqueuses n'est pas couru. Cependant, le peut-on de nos jours ? De nos jours ou d'avant ? Je n'en sais rien, je ne suis que femme d'ici maintenant, avec tous les préjugés que je crois réflexions. Mais la sagesse vient à qui sait attendre. La vraie question est donc : peut-on de nos jours s'aventurer à comprendre de l'intérieur le nazi, le tortionnaire, le fou ? De l'intérieur le plus terrifiant ? Notre société libre de pensée ne l'est que dans les principes. La réelle liberté de pensée ne saurait avoir place dans une quelconque société. L'humain en est incapable. Sinon, il serait dieu. Mais il doit ne pas penser certaines choses et ceux qui affirment n'avoir peur de rien penser ne sont que de grands menteurs devant l'éternel. Ils y croient eux-mêmes ? Tant mieux, ils seront plus heureux ainsi. Le mensonge est un repos et chacun de nous en a besoin à tout moment, à propos de ceci ou cela, et surtout de soi-même.

            Après cette lecture de La disparition de Josef Mengele, le personnage s'agrippe à moi. Il me saute aux yeux dans la journée, brutalement, comme une conscience qui se réveille en hurlant. Et si je prends les choses en main, je reviens au tout début du roman. Je reviens à ce point-là et me retourne pour partir dans l'autre sens. Les quelques incursions vers le passé ont fait briller mes yeux mais une phrase ou deux et l'échappée continuait en avant. Je pars donc dans l'autre sens et je remonte le temps. J'imagine l'adolescent mais surtout l'enfant et le tout-petit. Je rêve du livre de sa naissance et les origines du mal. Je ne dirais pas le Mal. Mais le mal dans tous ses aspects. Non le Mal-valeur. Le mal-peine, le mal-faute, le mal-larme, le mal-arme, le mal-ravage, le mal-douleur. Le mal se décline en un kaléidoscope d'expériences que le Mal réduit stupidement. 

              Au commencement, il y a sans doute toujours un mal-aimé. Pas une excuse. Une explication. Un être qu'on hait, qui se hait, si fort qu'il en vient à haïr à mort.

vendredi 29 décembre 2017

"Solaar pleure", MC Solaar et le clan des Perdus Sans Stylo

Et puis, au-dessus de cette structure existentielle que vient appeler cette chanson de MC Solaar, il y a les mots et leur sens. Bien sûr que ce ne sont pas des mots jetés dans l'air à la va-vite, ce n'est pas le genre du bonhomme, quoi que certains élitistes étroits d'esprit puissent dire. Ils n'ont même jamais écouté une chanson jusqu'au bout. O mon Dieu ! ils ne supportent pas ce rythme de sauvage ! On se demande bien qui est le sauvage des deux mais la réponse... personne ne s'y aventurera, terrain glissant, sables mouvants.
Bref, cette surface qui est déjà une profondeur, à qui veut bien l'entendre bien sûr, rien de tout ça n'est du tout cuit, appelle la mort, l'après-mort, Dieu et Diable, la foi, le désespoir des bagnards éternels, les malentendus des vivants sourds aveugles. Il parle de la mort ; il parle de la vie, de nos croyances, de nos espoirs, de nos angoisses. Il dresse le tableau de l'Après, enfer et paradis, digne d'un Jérôme Bosch, les images les plus vives, les plus acérées, les plus colorées, les plus torturées, dans tous les sens, de tous les livres, de toutes les langues. Il y a de la langue toujours idoine, toujours correcte, guindée jamais, MC Solaar la respecte bien plus que cela, mais grammaticale pure. Je dis qu'il la respecte plus que cela car la langue chic et coincée du fion est celle de ceux qui n'osent pas la main à la pâte, dans la pâte, voire dans la merde. La langue est un être vivant qu'on bouscule, qui explose en pleines mains, dégoulinant, sale parfois, mais une sacrée dame ! Sacrée mais est-on donc obligé pour autant de la sacraliser ? D'en faire une vierge sacristique, effarouchée ? De la figer dans le marbre et de la préserver indemne de toute manipulation créatrice ? Question idiote ? Eh bien pourtant question patate chaude dans notre France toujours à vif sur cette Intouchable Vénérable. Arrêtez-moi si je me trompe mais, n'est-ce pas quand on attaque qu'on aime ? Quand on attaque qu'on peut défendre ? Quand on se coltine qu'on baise ? Solaar ne me semble pas lécher bêtement les pieds de la langue (malgré tout, veuillez excusez ce blasphème mais Marie-Madeleine et son lavage linguale des papattes du patron), les mots et leur immuabilité. Il choisit ici, là, tout au Nord, tout au Sud, passionnés ou rationnels, aristos ou blédards, d'Est en Ouest, les mots qui conviennent, ceux qui donnent le son juste, oreille absolue du langage, prêt à user de toute la tessiture du clavier du monde, de toutes les compositions imaginables.
Il en ressort ce tableau de Bosch bourré d'intertextualité, bourré comme un coing, sobre comme un chameau, à chaque coin de vers, une référence, une porte ouverte et une nouvelle piste à explorer. Il ouvre les portes. Il ouvre grand toutes les portes et tout prend sa place, juxtaposition baroque sans vergogne. Champagne !

« Une âme perdue sans stylo » qui « voulait faire de la vie une poésie ». Les mots dansent dans ma tête , des jours et des jours. Oui sans stylo, sans livre, sans le jonglage du verbe, il se perd. Il s'oublie. Il meurt. Sans stylo ou la mort. Cette case de gens qui palpent nuit et jour des mots, leurs points et leurs lignes. Ce sentiment, même si le talent n'a rien à voir là-dedans mais bien l'affaire de la survie, d'appartenir ensemble à ce petit (pas si petit sans doute mais de nombreux timides ne s'en déclarent pas, ou même s'en ignorent) clan des Perdus Sans Stylo, pas très normaux, pas trop fous non plus, mais souvent à côté, en contre-plongée, décalage plus ou moins heureux, plus ou moins fatal. Ces gens qu'on aime même inconnus, c'est complètement idiot, ça ne se dit pas, je ne le dis pas en tout cas, parce qu'ils nous ressemblent. Parce qu'il faut bien l'admettre, parfois, peut-être davantage même, l'on aime les miroirs de nous-mêmes, les miroirs mêmes autres. Parfois, il n'y a pas beaucoup plus loin à aller chercher et les nœuds au cerveau psychanalytiques, bien que passionnants et enrichissants, ne mènent pas à une conclusion plus complexe sinon dans sa formulation alambiquée. Faire partie du clan ; voir en l'autre son frère.
Et puis, aussi, ce que je n'aurais pas osé dire mais dont la pensée était au bord des lèvres : que l'on voudrait faire de chaque vie une poésie. Pas osé croire en cette pensée. Dangereuse ? Extrême ? Naïve ? Illusoire ? Oui tout cela. Mais il n'a pas eu peur de le dire, de l'écrire et le chanter. Une musique qui râpe, qui écorche, qui cingle, des notes de dernière onction, dramatique et rageuse, désespérée et guerrière. Une musique qui ne cajole pas et dans laquelle pourtant, Solaar risque à nouveau la vie comme une poésie, ce rêve que l'on ne peut reprendre en main qu'une fois que l'on a vu l'indifférence et le réalisme faire plus de dégâts que toute autre philosophie. A chaque individu correspond une philosophie mais les Perdus Sans Stylo meurent du pragmatisme Ikéa. Si le rêve d'une vie-poésie à dos de stylo est l'issue la plus sereine, alors ne perdons pas de temps à être concrets et tristes. Tout n'est qu'une question de point de vue.

jeudi 28 décembre 2017

« Solaar pleure », MC Solaar madeleine proustienne


           Une chanson conseillée, parmi tant d'autres me direz-vous à juste titre, parmi la myriade d'autres dont j'ai le choix. Cette chanson conseillée par un cher, et déjà elle prend place dans mon panthéon musical. Chacun le sien. Chacun son édifice, sa construction. Des années. Toute une histoire. Les souvenirs, les espoirs, les douleurs, les victoires. Tout. Précisément cette chanson, cette voix me fait bondir vingt ans en arrière. Cette voix sans même le reste, ce qui l'anime de sens, m'appelle. Pas moi telle que je suis aujourd'hui. Pas l'ici maintenant. Celle que je n'invoque jamais, que je laisse loin bien loin de moi, à sa place dans le sale passé. Mais cette voix est bien plus forte que moi et ma volonté, celle qu'on croit de fer et qui n'est qu'un rouage, pas tellement plus important qu'un autre, la partie émergée de l'iceberg pour ainsi dire, dans l'immense machine psychique. Cette voix devrait sans doute, si 'on suivait le raisonnement rationnellement, me déplaire, me faire fuir même. Mais au contraire, elle m'aimante.
          Et resurgissent alors les émois du début. Juste une voix, juste un timbre, et à force d'écouter la chanson en boucle, je n'entends plus qu'elle, son fin fonds, l'être qui s'exprime. Les paroles finissent par se perdre, par n'être plus que la surface, ces paroles qui font tinter toutes mes cloches ; elles pourraient me parler à moi, précisément, singulièrement, si j'oubliais l'humanité à laquelle j'appartiens et en premier lieu le cher qui me l'a fait découvrir. Mais sans aucun doute, à moi elle rouvre les portes anciennes, closes et recloses, l'univers qu'elles enferment, figé derrière dans l'image que j'en souhaite, qui 'arrange. Chacun s'arrange avec son histoire, n'est-ce pas, et la reconstruit à sa guise, en modifiant quelques éléments au fur et à mesure des événements de l'existence. Pragmatique en croyant être historien fidèle.
          Toujours est-il que cette voix, main de fer dans un gant de velours, qui mêle les paradoxes, rouvre non pas la plaie comme l'on aurait pu s'y attendre mais l'univers pourrissant derrière sa porte close et reclose des primes émois. J'y sens le premier amour, inévitablement, le premier amour et la découverte de sensations intérieures inédites. Cette vibration qui marque la fin de l'enfance et l'entrée sur la route vers l'âge adulte, s'il est atteint un jour, pas toujours évident, bien plus rare qu'on ne le croit ! La voix de MC Solaar et je me cogne à moi-même, 11 ans et il tend sa voix entre aujourd'hui et hier sans aucune hésitation. Je ne peux pas y échapper. Comme l'écrit mon Marcel avec sa madeleine, j'y retrouve cette continuité d'être, ce sentiment suprême d'existence dans la sensation et ses réminiscences, malgré les portes apparemment fermées à clef, les liens brisés avec force et fracas. Mais non, sous ce semblant de ruptures chaotiques, la voix de MC Solaar me dit que j'ai été sans arrêt, tout au fond, pas à l'identique mais été sans discontinuer. Quelle importance me direz-vous, encore une fois à juste titre ? Simplement, sans penser à la vanité de l'existence ni à sa brièveté désespérante à l'échelle du Temps, simplement l'assurance de ne pas avoir rêvé, d'avoir bien vécu tout cela et d'être réel. L'ancrage en vie.
       J'écoute deux fois, trois fois, quatre, cinq, six, encore davantage et je retrouve sans comprendre ce bien-être absolument confiant de l'enfant qu'on choie. Ce sont les voix noires qui me renvoient, si j'y suis prête (même si MC Solaar ne demande pas la permission et réveille tous mes morts, peut-être l'ai-je laissé faire sans m'en rendre compte), cette absolue confiance que je crois souvent ne jamais avoir expérimentée. Mais si ! Voilà que la nounou qui m'a choyée refait surface et que je lui sais gré de ce trésor qu'elle m'a offert de pouvoir faire confiance, comme le bébé que j'étais. Une seule chanson qui rime la mort, l'enfer et la fragilité de notre condition, et la vraie vie, presque à l'état pure, sans paroles, sans codes, le nouveau-né me saute à la gorge. Cette voix venu du sein des âges et qui peu à peu, au fil des écoutes, dresse les enfants que je fus.
Alors j'écoute encore et encore, et je m'apprends. Je me rappelle. Plus honnête. Apaisée d'avoir trouvé une madeleine proustienne et un fil de l'existence.


mercredi 27 décembre 2017

L'ordre du jour, Eric Vuillard (1)

Le livre n'est ni grand ni épais. Il tient dans une poche. Il est à la taille d'un carnet de chef obsessionnel travaillant et retravaillant ses ordres du jour. A chaque jour, sa liste, verticale, creusée à la limite de la tranche du livre, le plus droit possible. Le petit format le permet. Le grand PDG à angle droit peut espérer la perfection pour sa liste de grand homme du détail.
L'ordre du jour est d'autant plus fou qu'il est dans cette concentration, cette densité de petit livre, véritablement de poche celui-là, contrairement à tous ceux qui s'en disent mais ne tiennent effectivement pas du tout dans une poche. Il déborde de sens et pas un espace vide qui pourrait angoisser le grand directeur obsessionnel. Compact. Asphyxiant.
« Un mélange de ridicule et d'effroi » comme l'ultime page l'exprime si nettement. Pas de long fleuve tranquille, pas de répit. Ou l'on rit jaune, ou l'on se sidère puis s’écœure. L'un ou l'autre ne laisse pas de place à un quelconque chant de transition. Il n'y a pas de transition. Il n'y en a pas besoin. Un ordre de jour a-t-il enfin besoin de transitions ?
Le style est sec. Sans être froid. L'effroi n'est ni sec ni froid. C'est un frisson chaud qui traverse l'échine, comme un éclair et les mots et leur configuration lancent ces décharges, avec précision, sans fioritures. Pour autant, le texte est terriblement fluide. Sec mais pas saccadé. Sec, tranchant mais humain. Impitoyable le plus souvent mais pas inaccessible. Raide comme la justice ? Raide comme la folie raisonnante, résonnante, trompetteuse, trompeuse, trompée, mentie, menteuse, folle, affolante, mécanique ridicule et effrayante. Mécanique qui habilement, peut-être sans intention franche, se cache. Pudique, encore un peu. Et profondément humaine, encore une fois. Les rouages à l'état brut ne sont ni art ni folie : tout se déguise de l'un, de l'autre, de la banalité parfois. Des trois. L'artiste est celui qui le mieux écrira les fous. Ils se retrouvent aux limites du supportable. Loin, très loin de la banalité quotidienne.
Pourtant là, dans le noyau d'or de toute chose. Infinitésimal ou immensément grandiose. Ridicule ou effrayant.
Les mots sont ici un véritable sujet. Les mots dans leur sens perverti, sonnent faux, chantent comme des casseroles et tout le monde applaudit. Ils sont témoins mythomanes , brandissant leur statut et se laissant modeler à l'image du fou et de sa haine sans limites. Les mots, maniés si habilement par Eric Vuillard sont en fait des traîtres. Ils se sont, eux aussi, prêtés au jeu du Fürher. Ils ont collaboré. Les mots ont été salis, laids même à entendre, crachés par la voix rauque mais forte, écorcheuse vive, des chemises noires ou brunes, des soldats tous en rang d'oignons bien mignons, gentillets, prêts à toutes les horreurs pour cette suprême Voix du chef et de son ordre du jour, net, précis, sans ambiguïté. Les mots dépouillés de leur infinie polysémie. De simples outils qu'on repose à l'atelier après utilisation. Et qui s'endorment, sans infuser le charme provoqué habituellement par leur évocation respectueuse.
Et aujourd'hui, oui aujourd'hui, où en sont les mots, nous demande en filigrane Eric Vuillard ? L'image, le spectacle, plein les yeux ont pris le pas et les mots ne sont plus entendus en profondeur. Ils nagent en surface, au service des images et du grand cirque. Alors depuis cette satanée 39-45 dont on parle sans cesse, partout, on n'a toujours pas tiré la leçon ? On insiste, on rabâche mais les mots sont toujours aussi nus, enguenillés, maltraités, à la botte des tyrans en scène, acteurs narcissiques qui n'ouvrent la bouche que pour la forme mais qui appellent les yeux avec leurs facéties formidables et leurs couleurs attirantes. Les mots étaient et sont encore de monstrueuses victimes de la folie humaine, moins dangereuse, moins sanguinolente aujourd'hui, mais moins mortifère, peut-être pas... Le spectacle qui suit à la lettre l'ordre du jour, ce dernier encore l'endroit où ils ont le plus de sens.

Quand l'artiste n'est qu'un homme ; La Promesse de l'Aube, Romain Gary

L'on admire
l'artiste.
L'on salue
le talent.
L'on vénère
la main sûre
qui a écrit et frappe,
train sans arrêt,
les omnibus ne sont pas
pour cette main,
du premier coup,
direct,
K.O.,
Ok, je jette l'éponge,
le combat n'a plus de
sens,
on ne se bat pas contre ces
êtres-là,
magiciens,
faiseurs de rêves,
prometteurs du
nôtre,
de tous.

Et puis,
l'on réveille
l'homme,
l'on atteint
le réel,
l'on touche
la vraie vie.
Et le magicien,
non ne déchoit pas !,
on n'attend pas de lui qu'il
soit
aussi
magique
que ses
pouvoirs ;
le magicien est une
plaie,
béante.
Il accomplit sa
tâche,
lui-même sali
de la douleur des autres,
ceux qui l'ont élevé,
ceux qui l'ont planté dans
le grand jardin
des maux.


L'artiste est
un ennemi dévoué,
intime
de la folie.
Il porte
et ploie,
en meurt
parfois,
en hurle
toujours.
C'est un martyr,
qui fait de son sang
l'encre magique,
de sa plaie
la page et ses mots
gribouillés
incompris,
insondables,
le direct en pleine
face.

mardi 26 décembre 2017

La rage se range et la savane s'enchante

La rage cède du terrain,
son rictus douloureux sourit
maintenant
parfois.
La rage n'est plus reine en ma
demeure.
Elle n'est plus la
fürher
intouchable,
inatteignable,
hypnotiseuse de toutes les autres
émotions.
Pas de baguette magique.
Sa seule apparition,
sa seule présence
et toutes à ses pieds,
lui léchant
les bottes,
le cul,
la main qui pourtant
les frappe,
les tue.

La rage cède sa place omnipotente
et reprend,
soulagée,
finalement,
son banal siège,
une parmi d'autres.
Elle n'avait plus d'amis,
elle était la plus forte,
la première sans aucun
conteste,
pour se réveiller en pleine nuit
cauchemardant sa perte,
sa trahison,
la cabale
chevauchée piétineuse,
à tout galop
contre elle.

La rage cède son trône de malheur
et refont surface
ses paires,
toutes ses paires,
délivrées,
déchaînées,
grande bamboula
des jours durant.

La rage surgit de temps à autre,
apparitions nécessaires,
l'énergie du désespoir,
mais désormais a
remballé ses
diktats
quotidiens.
Elle s'assoit de côté
et regarde sous son arbre
les autres
débrider,
crier sans honte
qu'ils s'aiment,
qu'ils aiment,
en bonbons arlequins,
rien à foutre !,
que tout n'est pas à
jeter aux ordures,
que tout n'est pas à
reconstruire chaque jour,
que tout n'est pas à
renoncer encore.

Rage se repose
enfin.
Vieillissante.
Abîmée avant l'heure.
Tout donné dans la
jeunesse.
Une fin de vie à l'abri,
en bonne intelligence,
avec ses sœurs
arc-en-ciel,
licornes souriantes,
éléphants roses,
panthères bleues,
savane enchantée.
Plus de honte à se laisser
rêver et
plonger au cœur du
palpable
et des corps
chauds et humides.
Réels et partageurs.

L'endroit de l'envers

Tout ça est terriblement grave et dramatique. On peut pleurer sur son sort toute une vie, sans aucun doute. J'ai vécu en actrice tragique jusqu'à aujourd'hui. Je n'ai que 15 ans et je suis déjà vieille de cœur. Ridée. Moi qui croyais ne rien être, qui craignais disparaître tant le miroir des autres me reflétait peu. J'ai cru que ce qui me manquait était le miroir des autres alors que le mien faisait défaut. J'avais les mains liées, ou moignons impuissants qui s'agitent sous les yeux, stupides. Drôles parfois mais jamais seule ; dramatiques une fois seule, prenant une ampleur insensée, n'étant plus que ces membres atrophiés, obnubilée par leur présence, oubliant tout le reste, l'être entier se contorsionnant pour habiter ces bouts de bras tranchés. C'était mon propre miroir qui hurlait dans le vide intersidéral. Je l'avais perdu, d'entrée de jeu. Atrophiée non pas de mes membres, de mes mains, de mon corps ; atrophiée de mon reflet, m'accrochant sans comprendre à mon ombre. Leurrée par l'impuissance et artiste de ma propre amputation, attaqueuse de mon corps, haineuse et inventeuse de mon infirmité. Les mains et les yeux étaient vides. Mais ils ont toujours été là, impeccables, ils brillent aujourd'hui comme des sous neufs, sur l'endroit, sur la face claire. L'envers est lacéré, labouré en tous sens mais l'endroit ne peut-il pas faire greffe et laisser enfin l'envers convalescer tranquille ? Bien sûr que si ! Pas de nouveau drame à l'horizon. L'endroit s'est réveillé de son long sommeil de belle au bois dormant.
J'ai eu peur. J'ai eu peur de sa lumière. Je l'ai tant désiré et puis plus du tout pour éviter les déceptions et les deuils. J'ai fini par trembler de frayeur à l'idée qu'il puisse réellement survenir et prendre sa place en bonne et due forme, lumineux comme l'est la vie normale. J'ai préféré rester dos à l'endroit, agrippée à l'envers et à l'ombre, mes plus sûrs compagnons, fiables, toujours inéchappés. Les seuls qui suscitaient ma confiance, fragile confiance qui ne pouvait prendre corps que dans le monde de son contraire, confiance en la méfiance, en l'opacité du verso. Confiance en l'inconfiance, sûre de ne pas être bernée. Sûre aussi, après des années, de ne jouir de rien, de vivre pour rien.
J'ai eu peur de la lumière de l'endroit, de la norme, de ce que j'avais décidé n'être jamais de mon droit. Peur de voler leur bien aux légitimes propriétaires, convaincue fermement d'une propriété et d'un droit de naissance sur l'Endroit. J'ai préféré fuir l'aventure vivante et garder le silence et l'obscurité de l'envers pour me sentir exister. Vivoter mais mieux que survivre, affirmais-je en mon for intérieur.


Il est temps de rire désormais.
Rire jusqu'aux larmes, rire de tout, rire de tous, soi en primeur. Rire sans blesser, sans moquer. Rire de joie, d'amour, d'absurde, de folie. Rire ou sourire quand le rire n'est pas encore possible, pas encore de mise, parce que d'un coup l'on ne peut rire de tout. Me donner le temps d'apprendre à rire, à m'asseoir en tailleur, sage et calme, et regarder. Et pouvoir rire ou sourire. Pas débile, même si les autres pourront le croire. Ou bien, je pourrais croire qu'ils le croient. Et c'est un puits sans fonds qui s'ouvre alors où toutes les projections et plans sur les comètes sont envisageables et la chute dans l'abîme paranoïaque, dangereux abîme si cher à la modernité. Laisser les autres croire que l'on prend les choses comme elles viennent, qu'on est un peu planant, perché diront certains, et ne pas se battre contre cette douce déformation. Parce que le principal n'est pas là. Le principal est de pouvoir rire et sourire, jusqu'à la mort.
Rire et mourire.


dimanche 24 décembre 2017

À mes tendres écorchés vifs

Que la vie soit une pute,
Rien de neuf sous le soleil.
Que la vie soit une énorme salope,
Parfois,
Il faut bien l’admettre.
La naïveté,
L’innocence,
Sans jérémiades ni chialements geignards,
N’est pas de mise pour
Nombre des vivants.
Quel que soit l’âge,
Aussi jeune qu’elle ait été,
Elle ne connaît
Ne connaîtra
Pas,
Sans tambour bien fanfare
L’insouciance.
Tous ces possibles sont loin derrière
Ou bien trop loin devant...
À chaque jour suffit sa peine.
La lutte du quotidien,
L’insouciance est un luxe.
Luxe qu’on dit,
Crie,
Trompette
La belle innocence
De l’enfance.
La plus grosse connerie de
Tous les temps.
La plus grande complaisance du
Monde adulte.
On se réjouit
Par procuration du
Sans arrière-pensée du tout petit.
On se réjouit de ce
Q’on voudrait croire
Avoir été,
On s’y accroche.
On c’est beaucoup !
C’est humain.
C’est exaspérant...

Il y a donc tous ceux qui
Se taisent
Et s’échappent loin du
Brouhaha
Pour ne pas entendre ces
Inepties d’insouciance.
Ce sont mes préférés
Bien sûr.
Ce sont mes plus tendres
Amis.
Mes plus précieuses
personnes.
Pas parce qu’ils seraient
Lucides.
Plus pour cette raison-là.
Parce qu’ils ont dans le cœur
Pour tous les jours de
Leur pute de vie
Ce trou de rêves
Et de magie.
A la place quoi ?
Quoi ?
Réfléchissez...
La solitude.
La  solitude qui
Ne s’éteint
Pas.
Qui les étreint.
Les poursuit.
Leur gicle à la gueule
Combien elle seule leur
A été fidèle.
Elle explose en un
Feu d’amertume
Bien malgré eux,
Mais qui semble éternel.
Alors,
Quand un de ces tendres
Écorchés vifs,
Une de ces êtres exceptionnels
Cachés dans
La normalité rassurante à
Leurs congénères.
Quand un de ceux-là,
Adulte désormais,
Bien armé,
Clairvoyant,
Jamais résigné
Même s’il a tout pour,
Voit sa solitude et
L’enfant trop
Intelligent
Qu’il a dû être,
Lui sauter à la gorge,
Au visage,
Aveuglants,
Envahisseurs
Indécrottables,
Alors,
Une rage immense
Me prend,
Bien plus puissante
Que l’intestine qui étudie les
Plis et replis intra intérieur.
Une rage de débutant.
Une rage de toute jeune.
Celle des débuts de la révolte
Parce que la vie se comporte
Comme une pute,
Se prostitue sans vergogne
A la solitude
Et abandonne
l’être que j’aime
Comme déjà mille et mille fois.
Alors,
Quand cet être-là
Souffre encore,
Lui elle qu’on devrait
Admirer chaque jour d’être
Vivante et prête à,
Quand
Encore la pute de vie
Joue son énorme salope,
Alors j’ai
La rage de tout lui donner,
Tout réparer,
Pour lui offrir
Une once d’insouciance.
Mais je ne peux que
Manger mes tripes
Et offrir mes mots,
Les seuls à savoir
Résister
A la solitude bourrée
Bras dessus bras dessous avec
La vie.
Avec cette rage,
Je voudrais leur
soulever
Leurs montagnes.



jeudi 21 décembre 2017

Les mots défendus attendant Godot

Les mots,
les phrases,
patientent,
depuis des heure,
des jours,
sans manger sans boire,
campent comme
en attendant
l'artiste
magique
Godot,
tout pareil.
Ils sont là,
n'existent pas
vraiment,
n'existeront
que quand
proférés,
cartes sur table.
Ils sont aussi vivants
dedans que
dehors,
dans cette lente
queue leu-leu
qui leur donne tous les
espoirs.
Pourtant,
ils existent
bel et bien,
déjà,
forts et solides.
Mais ne valent rien
au fond d'une gorge
ou d'une poitrine
expectatives.
Ils savent qu'ils doivent pousser
non au crime,
peut-être de vérité s'il en est,
pousser,
pour entrer ?
Non pour sortir
de ce goulot
d'étranglement,
agonisant,
et trouver l'immense
scène
de l'existence
libre.
Libre, libre,
c'est un bien grand mot.
Sans aucun doute.
Mis l'impression
suffit.
Ils finissent par
trépigner,
s'agiter,
le bordel Messieurs Dames !
Je peux vous le dire.
Ils foutent le
bronx,
eh oui !
Ils prennent en otage toute la gorge et la
poitrine,
ils vont jusqu'au
bide tripes et tout les tuyaux.
C'est-à-dire qu'ils ont eu le temps de
copuler et de
procréer.
La queue leu-leu tout le long
des vrilles du gros
intestin.
Ils en viennent aux mains
et attaquent
l'intérieur.
Rien ne sert :
plainte,
main courante ou
autre.
Ils doivent s'extriper.
Et les yeux émerveillés
Stade de France ou
POPB,
assister
à leur
représentation.
Le spectacle de leurs rêves.

Les mots défendus.
Ils finiront par être
crachés,
bien ordonnés,
sécurité oblige,
aspirant de grandes bouffées
d'air frais,
ayant trouvé
leur God Liberty.

Mais où sont les vrais
évadés,
planqués comme de grands
criminels ?
Les mots qui ne s'extripent
jamais
et qui se cachent mieux que
tous les rats,
cape d'invisibilité
et entraînent dans
leur cavale
les plus modestes
qui se croient
aussi
pourchassés.
Les vrais
restent au fond du trou.
La prison est
impénétrable.

mercredi 20 décembre 2017

Envolez !

S'envoler
à tire d 'ailes
tout au bout
l'autre monde.

S'envoler
sans s'enfuir
et grandir
son histoire.

S'envoler
dévoiler
déveugler
l'existence.

S'envoler
et comprendre
et entendre
les vraies voix.

S'envoler
et ne plus
couper
aucune aile
aucune plume
aucun poil,
les antennes
aux aguets,
les radars
prêts à tout,
l'intuition
la conscience
sans barrières,
immense champ
libre et plein,
tous les vents
tous les sens
sous la dent,
tout d'un coup
l'air
l'espace
l'atmosphère
se colorent
de toutes les nuances
oubliées
tues muettes
occultées,
les interdits à tous les coins.
Alors,
s'envoler
et retrouver
l'univers.

mardi 19 décembre 2017

Va toucher tes étoiles

Répéter en son sein,
tout au cœur,

Je suis capable.
Pas coupable.
Rien à payer.
Capable de gagner.
Gagner ferme.
Gagner fort.
Je peux être
meilleure.
Je peux courir
devant.
Je peux m'envoler
vite et loin.
Très loin très vite.
Pas un péché.
Pas un lèse-majesté.
Pas de majesté dans le coin.
Ce temps-là révolu.
La Bastille est tombée.
Capable et légitime.
Pas moins qu'un autre.
Pas moins qu'une autre.
Liberté, Egalité, (Fraternité?).

Déploie tes pouvoirs
et gagne.
Vole aussi haut que
tes ailes te
poussent,
l'esprit libre de
timorages
paranoïaques.
Ne laisse pas
passer
ta chance.
Ne la regarde pas
se pavaner
sur le podium
et toi
les mains dans le dos
enroulées pour
ne pas risquer,
ô Dieu !
de la saisir.
Être trop.
Obèse d'ambitions.
Débordante :
cela n'est qu'une
foi toxique.
Le monde ne s'engloutira pas.
Les pairs ne se dissoudront pas ;
Vole vole
et va toucher tes
étoiles.



lundi 18 décembre 2017

L'Ordre du Jour, Éric Vuillard (1)

Dramatique et ridicule,
Comme une cantatrice qui
Se mettrait à raper.
Comme un hamster qui
Se changerait en ours.
Comme un très sérieux petit homme
Qui verrait des éléphants roses
Trompetteurs.

Dramatiquement ridicule,
Historiquement effroyable,
Humainement pitoyable,
À pleurer de rire,
L’ordre du jour,
La liste de courses,
La gentille recette.
Du pareil au même.
La même désinvolture,
Le même mépris pour
Sa propre espèce,
Sur un coin de table,
En quelques points.
Plus vite que ça !
Et que ça saute !
Pan pan cucul et ferme ta gueule.
L’ordre du jour a dit
Et il n’y a pas de mais !
Non mais...
C’est pas possible ces gosses
Enfin !
Quelques mots,
A la lettre
Et si ça ne veut rien dire,
Eh bien... Tant pis !
Qu’a cela ne tienne,
Je prends celui-là celui-ci,
Jolis ensemble
Et zou ! Voilà le suprême
Ordre du Jour,
L’ordre du prince
Et la cour vénère
Ces mots vides
Vains
Veules.
Ces mots qui trahissent
L’humanité.
Mais non trop facile d’accuser
Les autres.
Remarquez que certains
En font l’ordre d’une vie.
L’ordre d’une guerre
Et d’un monde parti en fumée.
Les mots qui,
Comme les bouches,
Peuvent été donnés en
Spectacle,
Tellement bien jouer les
Marioles
Que tout le public y
Croit
Et se laisse happer
Par leur factice toute-puissance.
Ils s’avèreront
N’être que des marionnettes
Dans les mains pataudes de
Cuistots asilaires.
De simples outils
Mais aussi
Fous
Qu’ils auraient pu
Etre témoins.
A l’image des bouches et des doigts
Qui les ordonnent.
Fermez les yeux ;
Sans spectacle pour une fois ;
Et écoutez l’air que font
Vibrer les mots.
L’air ne ment pas.
Trop impalpable ?
Trop invisible ?
Justement.
Justement !
Démasqueur professionnel,
Il vous dira bien plus
Clairement
Les grands fonds ténébreux,
Sublimes ou démoniaques,
Ou l’entre-deux,
Le plus souvent,
Derrière les
Mots vus et revus,
Même plus rêvés
En vrai.

dimanche 17 décembre 2017

L'amour de toujours

Tu n'es pas l'homme parfait,
l'homme idéal,
le prince charmant
dont on
voit rêver dans les films,
les livres (mais pas les vrais
parce que les vrais ne mentent pas
sur
l'amour)
les jeunes filles aux abois.
Je ne suis plus une jeune fille et je
m'en félicite ;
les années ont passé
et soulagé nombre de
peines.
Tu n'es pas

Tu es bien davantage que tout cela.
Tu es mon
homme parfait,
mon
idéal
mon
prince charmant.
Plus petit ?
Dans la forme,
sans aucun doute,
et seulement là,
et heureusement.
Tu es l'humain par excellence.
Tu n'es pas plus que
ta bonne place,
tu restes là où les
hommes,
humble et décent,
toujours décent,
toujours digne d'être homme
ni plus ni moins ;
tu ne cours pas comme un
furieux
après utopies
dévorantes,
ambitions
irréelles.
Tu fais de ta
condition simple,
sans froufrous
ni chichis,
jamais,
une profonde et fraîche
féérie.

Tu es
mon rêve-réalité.
L'énormité d'un rêve
toujours caressé,
tellement bercé
qu'il devient
soi,
qu'il est
fondu en chair.
L'énormité d'un rêve
que l'on oublie
tant il nous constitue.

Un jour,
j'écris,
je me souviens,
mais cette fois sans douleur
et sans comprendre
pourquoi,
des amours adolescentes,
blessures encore
amères.
Je ne sanguinole plus
comme une accidentée
fractures ouvertes dans tous les
sens,
car j'ai grandi,
oui bien sûr ;
car j'ai trouvé
à mes côtés
l'amour qui m'a
souvent
aspirée loin dans les ténèbres
et je hurlais
en esprit,
de toutes mes forces,
De Profundis Clamaui,
la mort tout près,
an main au cas où.
Je souris et je tends les mains,
pour la première fois plus sage qu'elle,
vers la jeune fille souffrante
pour lui tourner les
yeux
vers l'avenir.
Car elle doit savoir
qu'un jour,
quand
elle sera grande,
elle aura au cœur
l'être qu'elle rêve.
Son Rêveréalité.