lundi 21 juillet 2014

Morte vivante

Plus jamais tu ne me
connaîtras
ni ne me
regarderas
jour après jour
tout doucement.

Plus jamais tu ne me
relèveras
ni ne me
berceras
les soirs et dimanches
angoissés.

Plus jamais tu ne me
souriras
ni ne m’a-
douciras
de mes colères
et duretés.

Cette fois-ci,
je dois
dire
plus jamais
jamais plus.
Quelque chose est mort.
Le roi est mort, vive le roi !
Sauf que dans nos
univers
intimes,
tout le monde est
irremplaçable

Une chose est morte
mais tu n’es pas morte,
je suis vivante aussi.
C’est une chose qui est morte.
Elle aussi animée
mais sans cœur.
C’est une chose à manivelle.
pas de circulation spontanée
et de coup
ou de foudre
C’est une chose
qu’on tient très fort à deux
dans nos creux
et rides
de mains.
On serre fort le poing
quand ça va mal
et qu’on y tient
plus qu’à tout.
On lâche et étend
les doigts
quand on en a soupé
et qu’on perd courage.
On pompe comme
la prise de sang
quand on y puise
son carburant.
On baisse les bras
et la chose s’évapore avant
de retomber
à terre
parce que bras ballants
ou mains en l’air,
elle n’est plus rien.

La chose est morte
mais tu es vivante
et je ne suis pas morte non plus.
La blessure saignera,
chaque fois qu’on y repensera,
toi et moi.
Et non !
ni toi ni moi
n’oublierons.
On s’arrêtera de rire
à se rappeler
au beau milieu
d’une conversation
la mort de la chose
Une crampe au cœur
qui suspend tout,
le temps dit-on,
l’espace aussi,
le corps et sa vérité,
les sons et les images,
tous les autres
et leur vie.

Notre chose est morte,
nous sommes vivantes.
N’oublie pas qui tu es
N’oublie pas ta valeur.
N’oublie jamais,
et je peux et dois dire jamais,
qui nous étions
et notre chose.

jeudi 10 juillet 2014

Jamais moi comme

Jamais moi comme ces
bienheureux !
J’ai crié haut et fort
des mois et des années,
pour être sûre,
sûre et certaine,
parce qu’il fallait pas
qu’on croit.
Hein ?!
Pas de blague hein !?
Un point d’interrogation,
bah oui !
parce que si on répète autant,
c’est qu’on a vraiment peur
qu’on croit
qu’on pourrait.
Jamais jamais jamais
et puis on ricane,
pour bien bien appuyer
que c’est pas nous ça !
Pas nous pas nous du tout !
Notre dignité, m’enfin !
Les bienheureux
qui se sourient
comme des idiots
hypnotisés
ou
un truc du genre
de gens qui ont le cerveau
en compote
tout mou du genou.
Biiiip
cérébral
lésion du jugement objectif
et fracture ouverte
dégoulinante de la capacité de raison.
Jamais jamais
je ne serais de ce
pain-là.
Je vis
de mes neurones
et de leur vapeur de travail,
je suis par
et pour
eux.
Je ne serais
jamais
une bienheureuse.
Quitte à être malheureuse,
eh oui !
J’étais prête à tout
pour ma fierté
de femme
érigée.
Je l’ai payée
le prix fort
et sérieux
d’années de crèverie
pourrie
et
vomissante.
Mais j’ai cru maintenir
ma dignité
belle et
grande.
je l’ai
on ne peut plus
bafouer.
J’ai cru
comme une imbécile,
c’était moi la stupide !,
que ma valeur était là.
Pfff pfff pfff !
Ma valeur
calculeuse
oui certes.
Ma valeur statistique.
Admirable valeur statistique.
Une rareté.
Absolument malheureuse
et stérile.
Une rareté glacée
et symétrique
imperturbablement.
Un être qui ovule
chaque mois
pour rien,
même pas
pour ressentir
le travail
des hormones.
Un être qui s’est mué
pour ne plus
s’avancer
sur aucune scène.
Un être caché
derrière sa pure blancheur
inquiétant
et
vide.
Un être que les autres
et lui et ses cellules
propres
se sont efforcés de construire
pas à pas
et qui laisse l’œuvre
en jachère.
En jachère indéfinie.
Pas de fin de contrat
en vue.
Un être autour duquel
on a rêvé
et
espéré,
qui se retire du monde
des vivants
pour ne plus y
participer.
Un être qu’on a aimé
chéri
bercé
et qui souffre
de tous les pores
s’il ressent
le plus petit
des frissons.
Un être qu’on a peut-être laissé
tomber
de peur
de tristesse
et aussi
d’amour
pour soi et pour lui.
Comme pour le protéger
de la
terrible
transmission.
Un être
à qui on a enjoint de
vivre
et d’être gaie
et aussi
à côté
de se tuer dans l’œuf
de respirer
sans
absolument
aucun bruit.
Personne n’a fait
exprès
de rien.
C’est comme ça parfois
la vie.
J’ai hurlé, pour
trouver
une solution
vivante
a minima,
que j’étais bien là
et affirmai
ne jouir de rien
sciemment.
Me voilà
bienheureuse
sans idiotie
ni
cécité.
Fière
et baignée
dans
ce que j’ai
si longtemps
cru
être
ma fin.
C’était ma faim
que
j’écrasais
et
fracassais.
La pousse
reprend
encore
et encore.

jeudi 3 juillet 2014

Amputations de routine

Pas un bras
pas une jambe
pas la bouche
pas un œil
qu’on laisse derrière soi.
Je suis entière,
palpation totale,
rien ne manque
à l’appel.
Le bon petit soldat est
au complet.
Pourtant
un gros morceau
s’arrache
peu à peu
sans que je sache
d’où il part
où il va
et comment le remplacer,
si même il est
à remplacer,
s’il faut laisser le trou
apparent
béant
pendant
s’engouffrant dans le vide
environnant
et bientôt disparu.
Comme une énorme bouche
à la lèvre inférieure
qui se déroule
jusqu’à la base de langue
et finit
par se replier
comme un haricot rabougri
par en dessous,
l’enfant qui pleure
et inverse sa lèvre.
Pour finalement se manger elle-même
et laisser
langue et supérieure
sans acolyte
sans leur repère.
Elles ne se laisseront pas
aller
pour autant,
elles savent que
leur maillon fort
est aussi leur faiblesse
et qu’il leur faut
s’attacher à d’autres.
Elles ne resteront pas seules
si longtemps
qu’elles en pourriraient.
Sinon, la lèpre
les attraperait.
Tout le monde sait
qu’ainsi va la vie.
Comme tous,
elles trouveront
une nouvelle
compagne
fidèle.
Mais pour l’instant,
on n’en est pas encore à
ce stade-là.
Je sens la bouche amputée,
l’âme boiteuse.
C’est toute une parole
tout un corps
qui s’arrêtent
en plein milieu
et qui doivent reprendre
autrement
dans un autre univers. Pas de regret,
pas de remords,
pas de désespoir
pas de cris.
Mais oui la douleur
de se séparer
et ne plus jamais
revenir
en arrière.
plus jamais
retrouver
l’exacte même chose.
Même si j’ai renoncé
sciemment
à cette exacte même chose,
je rampe en cul de jatte
quand le souvenir
me reprend,
ou me déplace
sur la tête.
Parce que d’un coup,
le monde tourbillonne
et je me trompe,
je dévale
ou je lambine à 2cm l’heure,
une jambe plus courte
que l’autre,
une lèvre déconfite et
la bouche immangeable.
La vie continue
et la douleur s’endort,
elle est douce
comme jamais.
Non qu’elle soit agréable,
Masoch n’aura pas tout
gagner.
Mais elle me laisse poursuivre
et inventer
déjà
les nouveaux mots
les nouveaux cieux.
Je ne l’aurais pas cru,
quelques années en
arrière,
si conciliante.
Je lui donne aujourd’hui
moins de pouvoir
sans doute.
Elle a cessé aussi
de s’arroger
tous les royaumes.
Parfois, elle ouvre un œil.
Parfois elle dit un mot.
Parfois elle mord brutale.
Parfois elle crame la face.
Piques imprévisibles.
J’ai l’impression
qu’elle joue seulement
son rôle,
sans zèle,
comme un vieux cadre
fatigué.
Pour la forme.
Là encore,
ce sentiment bouffon
roi de l’absurde
qui vient me dire que quelque chose
s’est
bel et bien
fini
il n’y a pas si longtemps.
Je sais que les immondes canyons
ne s’effaceront pas,
qu’un jour ou l’autre,
l’un d’eux
peut m’engouffrer.
Je n’y serai jamais
à l’abri,
comme chacun de nous.
Je le sais,
je ne l’oublie jamais.
C’est un bien,
c’est un mal,
je n’en sais rien.
C’est un fait.
Chaque jour,
je jouis
de ce non-désespoir
et de pouvoir
sourire.
L’époque des grands canyons,
et les autres repères,
qui chacun ont une fin.
Mutilations inévitables
que ces fins
enchaînées,
de relations
en
histoires
arrêtées.
Je jouis de mon
non-désespoir
et pourtant,
le cœur pince
à l’idée de cette fin
que je loue
si gaiement.
Les cycles infernaux
et sublimes
des ruptures
et renaissances
implacables.
Ou choisies ?