mardi 28 février 2017

Chez Petite Poisse



Patate décida que l'excursion suivante ne se ferait pas chez Carotte. Elle attendait que le père soit de retour pour pouvoir tout comprendre. Il ne rentrait que la semaine suivante de son voyage sur la Lune, Carotte étant quelque peu affabulatrice, Elle avait la chance d'avoir un père voyageur, presque explorateur, qui ramenait de rares richesses de ses aventures. Bien sûr, personne n'y croyait mais personne non plus ne disait rien. Peut-être parce que tout le monde en rêvait aussi. Et puis, tout simplement parce qu'on ne contredisait pas Carotte, on n'en avait pas le droit. Pas le droit d'où me direz-vous ? Pas le droit de cette foutue puissance maléfique qu'elle avait en elle et qui faisait d'elle une légumescente difforme et fière de l'être. Son aventure à elle, Patate, la suivant, se ferait chez Petite Poisse. C'était beaucoup moins loin que chez Piment, quelques 26 minutes à marcher si elle était fatiguée, 19 si elle avançait d'un bon pas. Elle était excitée à l'idée de cette nouvelle sortie nocturne. Alors, bien sûr que non elle ne traîna pas ; bien sûr que non elle n'était pas fatiguée. Elle n'était plus fatiguée. Elle se mit en marche 5 jours après la première expérience. Elle huma l'air encore plus froid que le soir de la semaine précédente et elle sourit, vrai sourire cette fois-ci de satisfaction. Elle avait prévu son petit en-cas. Pas dîné. Pas envie, pas le moment, pas drôle, beaucoup moins que de manger des sucreries dans un couloir sombre où elle s'assiérait en imposteur. Elle aimait sans doute que son éternelle place d'imposteur soit devenue un choix de cette manière. Qu'elle ne soit plus subie parce que les autres, eux, prenaient le parti de ne lui laisser que la place de ses pas physiques, de ses chaussures en effaçant tout le reste, comme si tout ce qui poursuivait les panards, jusqu'à la tête, n'existait pas, n'avait pas le droit, faisait chier en tous les cas. Les pieds et leurs chaussures parce qu'au fond ils n'avaient pas le choix eux non plus que de tolérer le minimum syndical. Mais elle aurait pu ne laisser venir au collège que cette partie d'elle-même sans que cela choque qui que ce soit. Elle aurait été arrangée mais paraît-il, cela n'est pas possible. Elle en doutait. Elle était prête à se briser en tous les morceaux qu'il faudrait pour affronter le moins possible ces petits cons dont elle attendait tant de reconnaissance. Imbécile ! Le soir, là, comme ça, elle optait pour la place de voleuse, de folle, d'intolérable. Et elle s'en sentait si confortable qu'elle avait l'impression de se lover en elle-même comme dans un grand coussin bleu lavande à mémoire de forme.

Elle arriva sans encombres et rapidement chez Petite Poisse. Elle devait être bien plus vigilante ici car la famille la connaissait au moins de vue.

Elle n'avait pourtant toujours pas peur.

Toujours pas peur.

Le bien-être qu'elle ressentait à simplement ne pas avoir peur et ne pas s'ennuyer non plus, puisque c'était son alternative, était presque ineffable. N'exagérons rien. Elle aurait pu vous l'expliquer, juste pour ne pas avouer que l'émotion était si forte. Un peu de dignité please ! Arrivée, elle se faufila dans les escaliers. Pas d’ascenseur dans ce petit immeuble dont on avait l'impression qu'on lui avait appuyé sur la tête pour qu'il ne monte pas trop haut. Elle n'avait pas d'option de repli au cas où. Elle s'en fichait, elle ne ressemblait pas à ce qu'elle était d'habitude et elle pouvait faire semblant d'être une autre, elle pouvait tout jouer désormais, elle n'avait plus de limites. Enfin. Elle retrouva sans difficultés l'appartement de Petite Poisse et toute sa petite famille. Elle s'assit dans le couloir et s'installa pour quelques heures peut-être ou juste une. Elle avait le choix. Elle aurait sans doute à faire avec le retour du père du travail, là encore. Mais elle pouvait se cacher dans le local poubelle au fond du couloir. Elle commença son guet. Elle tendit l'oreille et d'abord ne perçut que le silence. Elle espéra que cela s'animerait vite. Elle avait hâte. Hâte de comprendre oui mais aussi hâte de haïr. Elle n'avait aucune authentique sympathie pour Petite Poisse. Elle la savait fausse et imprévisible. Aussi lâche que tous ceux qui s'attaquent sans rougir au bouc-émissaire désigné. Elle n'avait pourtant rien de bien enviable ou plutôt justement, elle n'avait rien de bien enviable, et elle tentait de ressemblait à ceux qui, comme Carotte, se démarquait. Elle suivait son sillage et se persuadait certainement qu'elle était d'une véritable indépendance d'esprit. Elle n'était qu'un fantôme sadiquissime de Carotte et Patate avait hâte : de la haïr sans vergogne, à son tour sans rougir, seule dans son couloir, sans personne pour savoir qu'elle la haïssait.

Et Patate se rendit compte qu'elle pouvait être une sans pitié.

Elle aussi.

Enfin.

La vie à l'envers




La grand-mère est une tête brûlée, vieille comme Hérode, fripée de partout, on se demande d'ailleurs comment elle est encore vivante, si elle l'est vraiment, jusqu'à ce qu'on l'ait entendu parler. Elle se déplace avec son déambulateur et là, finalement, c'est pour presque tout un chacun le signe qu'elle est foutue, qu'elle n'a plus à vivre que des jours atrophiés, maladifs, épuisés. C'est ce qu'on croit quand on la voit et qu'on n'a jamais été vieux ou qu'on pense ne jamais l'avoir été parce que, qui nous dit qu'on n'a pas été dans une vie antérieure un vieux, très vieux tout déglingué, même alité des année ? Mais voilà des choses qu'on oublie, qu'on oublie et qui nous font croire que cette grand-mère en a fini avec la vie. Pourtant, répétons-le, c'est une tête brûlée, c'est une aventurière. Vous riez ? Parce qu'une aventurière n'a pas de déambulateur ? Eh bien détrompez-vous ! C'est au contraire bien plus aventurier que d'être un ado plein de fougue et de vivacité qui se fait raser les fesses par une voiture à toute berzingue. Un connard ! Qui ? Les deux d'ailleurs, le jeunot qui joue au Musclor alors qu'il ne prouvera certainement rien à personne puisqu'on sait qu'il peut éviter le danger de par sa jeunesse ou le chauffard stupide, connard au dernier degré qui croit que ses couilles vont gonfler et lui assurer une plus grande virilité en appuyant comme un furieux écervelé sur le champignon. Le pire, c'est qu'il vous dira qu'il ne fait pas ça pour ça et qu'il aime la vitesse. Bien sûr qu'il ne vous dira pas qu'il fait ça pour ça, il a un minimum de fierté sinon de bon sens. Ca, il n'en a pas un sou. Il faudrait qu'il soit moins préoccupé de son ptit cul et de ses biceps ridiculement gros sur ses jambes maigrelettes. Il dit qu'il aime la vitesse et c'est tout, il se vexe tout de suite comme un gamin pris en flag', à 45 ans. Il est d'une immaturité atterrante. On a envie de lui rire au nez mais pas sûr que cela soit bien prudent parce qu'encore une fois, le cerveau n'est pas au top... Bref, Revenons à notre petite vieille, qui fut peut-être une grande, qui fut peut-être importante ou même éblouissante mais qui, aujourd'hui, elle, n'a plus besoin de s'en vanter. Elle a fait tout ce qu'elle avait à faire. Elle a accompli ses rêves. Comment je le sais ? Ca se voit merde ! Elle sourit, elle se balade, elle observe le monde, les gens. Elle n'a besoin de rien. Elle ne pense pas à ce qui pourrait être encore mieux, encore plus. Elle n'en est pas ou plus effleurée. Peut-être, là encore, qu'elle a été une grande ambitieuse, qu'elle a voulu conquérir et tout gagner. Mais aujourd'hui, elle en est revenue et elle est sereine. Je ne dis pas que tous les vieux sont sages, loin de là. Parce que je vous vois venir à critiquer et dire que c'est pas parce qu'on est vieux qu'on est apaisé. Bien sûr que non ! N'empêche qu'il y a plus de gens sereins chez les vieux que chez les jeunes à fond la caisse. N'est-ce pas ?! Sûrement qu'elle a été beaucoup moins zen, avant. Evidemment. Bien évidemment. On ne peut être ainsi qu'à cet âge avancé. Le seul avantage. L'un des avantages. Tout dépend du point de vue.
Cette grand-mère-là est quand même une tête brûlée. Elle aime rire, provoquer. Elle aime, non véritablement le danger, mais quelque chose comme la sensation , de temps en temps. C'est pour ça que, sûrement, elle a été une ambitieuse. Plus on y pense et plus on y croit. Tout se tient. Les choses se tiennent quand on y regarde à deux fois. Et avec son déambulateur arc-en-ciel, elle nargue déjà nombre de ses concitoyens. Ils la regardent narquois, mais quand elle lève les yeux sur eux, ses yeux noirs ébène, ses yeux d'Africaine qu'elle n'est pas, ils remballent vite leur sourire et constatent qu'elle les coifferait au poteau s'il y avait une lutte, une vraie lutte, on s'entend, une lutte d'humain à humain, pas de biceps à pectoraux sans esprit et sans véritable dignité. Elle serait capable d'assassiner et il n'y a pas nécessité d'être un génie pour le comprendre en un éclair. Même les plus idiots la laissent tranquille.Voire ! Voire, la respectent. C'est dire !

Notre Monique, Simone, Jacqueline ou autre, se balade. Elle ne trottine pas, on s'en doute. Pas de jolie démarche, pas de courbettes souples. Une courbe dure, oui. Qui l'affaisse mais contre laquelle elle se bat comme un chien enragée. C'est une furie si elle le veut. Elle ne changera pas ça ! Sereine mais jamais sans se battre. Elle n'est pas jusqu'à recroquevillée. Mais elle pourrait, dans un avenir proche. Les médecins racontent pleins de choses, on le sait, pleins de belles choses, qui très souvent n'arrivent pas. Ils ont souvent raison aussi. Aussi souvent qu'ils ont tort. Alors, elle attend de voir. Une fois encore, bref. Monique-Simone-Jacqueline se balade et l'on fait des travaux par chez elle. Pas juste à côté, quoi que ce ne serait pas si grave, elle monte le son de la télé dans ces cas-là et zou ! Elle n'entend que ce qu'elle veut. Elle a eu 80 ans pour affûter ses filtres et ses barricades. Tout cela est magnifiquement efficace. Mais elle doit attendre un peu plus longtemps au feu. Bien plus longtemps pour être honnête. Il est devenu un peu interminable et voilà le seul point noir de la sérénité de notre petite vieille. Elle supporte très mal, même si mieux, l'attente aux feux rouges. En voiture, elle a fini depuis un bail, elle n'y voit plus que dalle. Mais même à pied. Elle trépigne et ça picote dans les jambes et tout le tralala. Elles commencent à danser toutes seules et c'est très agaçant, tout de même. Alors, ce jour-là, Monique-Simone-Jacqueline souffle et joue sa tête brûlée en riant sous cape. Pas besoin de se cacher de toute façon puisque le cou penche sérieusement sur le guidon du déambu. Elle a écouté et vérifié avant de se lancer, un petit peu, un tout petit peu, c'est suffisant. Il n'y a personne à cette heure-ci et elle poireaute comme une idiote alors elle descend le trottoir et la voilà sur la chaussée. Les flics, elle s'en contrefiche, ils ne disent jamais rien aux vieux. En plus aux femmes. La vieille femme est protégée par toutes ses faiblesses et vive la discrimination positive.
Sauf qu'un hic toque, vous vous en doutez, sinon cette histoire ne servirait à rien.
Ce n'est pas l'heure des travailleurs mais c'est l'heure des mecs bourrés. Les mecs, incluant hommes et femmes bien entendu. Une jeune femme arrive en trombe, dans cette longue ligne droite de ville, que personne ne craint, qu'on soit en déambu ou en béquilles. Elle arrive en trombe, a trop bu parce qu'elle est au bout du rouleau. Son mari s'en tape une autre, moins flétrie, même si elle n'est pas vieille, elle, et surtout moins vergeturée puisque pas d'enfants. Elle, elle est maman et puis c'est tout alors aujourd'hui elle est aussi bourrée. Et elle ne voit rien, elle pense à ses malheurs et elle entend un fracas de tous les diables avant même d'avoir vu quoi que ce soit, parce qu'en plus elle changeait la radio à ce moment-là. Elle était enfin au calme et ça n'était pas arrivée depuis des mois. Elle se sentait enfin moins dégueulasse et moins soumise. Pour la dernière fois de sa vie, malheureusement. Elle a renversé la vieille et son déambu. Elle pile. Elle n'a rien vu, putain ! Elle n'a rien vu !! Elle n'est pas si bourrée que ça quand même. Elle n'a rien vu.
Elle est criminelle.
Elle est crimin
Elle crinimel
elle vomit
elle s'évanouit
elle ne sert plus à rien.
Monique-Simone-Jacqueline a les deux jambes en équerre et les yeux furibards. Elle a hurlé au choc et elle a senti le bitume sous elle. Elle ne s'était jamais allongée sur le bitume, cette tête brûlée-là. Comme quoi, il n'y a pas d'âge pour faire des découvertes. Ce n'est pas agréable mais ce n'est pas affreux. Ca gratouille, c'est plutôt drôle. Le reste, pour être franche, elle ne le sent plus du tout. Elle essaye de regarder mais elle ne peut absolument pas bouger. En réalité, elle a les deux jambes en équerre, qui tracent un W ensemble. Elle verra les photos après et elle se dira que le sort est ironique. Elle n'a aimé personne tant que Wilfried, le frère qui meurt en plein vol. Elle a aussi volé peut-être. Mais sans doute pas, car le déambu est un déambu de compèt' et qu'il a amorti le choc. D'autant plus que le chauffard allait doucement, très doucement. C'est aussi pour ça qu'elle ne s'est pas méfiée. Peut-être qu'il dormait au volant.
Elle s'inquiète. Ca s'agite beaucoup autour de la voiture. Elle a entendu vomir. Elle, elle avait déjà vomi toutes ses insultes de Connard, Enculé, Va te faire foutre, Pauvre attardé etc. Elle avait fait rire les pompiers et passants mais quand ils avaient croisé son regard, ils avaient tout de suite repris leur sérieux. L'effet œil d'ébène furibard.
Quand même, Monique-Simone-Jacqueline se dit : « C'est la vieille qui attend gentiment sur son bitume, alors que le jeunot oh non ! C'est une jeune femme ! La jeunette est en train de clamser.  La vie est une pute. »
Et elle se met à chanter La vie en rose.

dimanche 26 février 2017

Tous les soirs

Tous les soirs, Patate se glissait dans ses draps. Glisser, pas autre chose. Elle aimait leur odeur et leur tendresse. Elle se frottait à eux, comme si elle nageait la brasse dans son lit. Ce n'était pas un spectacle bien rassurant mais dans la tête de Patate, cela n'avait rien de grave, elle qui s'imaginait toujours être une schizophrène en devenir. Et soyons honnêtes, en se couchant, en se levant, en dormant, tout le monde s'adonne à de bizarres rituels qui font rire ou pleurer. Qui font peur, qui donnent envie de s'enfuir à mille lieux quand on dort ensemble pour la première fois et qu'on découvre ça, malgré les apparences très propres du dehors. Donc, Patate se glissait dans ses draps, faisait son truc-là, puis commençait le plus dur. Commençait l'aventure immobile et terriblement intérieure de l'endormissement u plutôt devrais-je dire, du non-endormissement. L'attente les yeux fermés, qui se rouvraient parfois, de temps en temps dans le noir, d'exaspération, d'angoisses. Parce que la nuit passe incroyablement vite, une fois qu'on dort et que peut-être il vaut mieux très mal dormir ou ne pas dormir du tout pour être encore longuement séparé du jour à venir qu'on ne veut pas voir venir, qu'on voudrait reculer, tous les bras et jambes en avant en poussant dessus. Patate se recroquevillait et se retournait brusquement, se mettait à souffler au bout d'une heure, parfois, un coup dans le mur de colère. Mais au fond, elle savait qu'elle ne voulait pas dormir. Et tout se mélangeait alors, l'angoisse d'être épuisée et de se réveiller avant même quoi que ce soit avec les larmes aux yeux, comme un bébé fatigué, l'angoisse de sombrer dans le sommeil et de se réveiller si proche du jour peut-être pourri à venir. L'envie d'oublier et de se laisser aller et l'envie de remplir sa nuit de mille activités conjuratoires de la journée à venir, comme pour être , s'assurer sans les autres qu'elle était bien Patate et tout ce qu'elle aimait avant de voir ses propres miettes en tas devant ses yeux sans corps, sans tête en plein midi. Elle se retrouvait, oui, sans plus ni queue ni tête, ne ressemblant à rien, plus difforme encore que Carotte et surtout désespérée de l'être, se haïssant jusqu'à la dernière de ses molécules. Elle se voyait, entièrement démolie, ne laissant que les yeux accrochés à l'air, parce qu'eux ne meurent jamais. Elle aurait sans doute préféré qu'ils se brisent comme du verre et qu'elle perde alors la notion de ce qui l'entourait, qu'elle s'évanouisse dans un autre monde aveugle. Elle craignait ce moment où ses pairs s'avanceraient, le regard moqueur ou mauvais, ou ce qu'elle croyait l'être, et lui énuméreraient une fois de plus ses 4 vérités. Elle souriait toujours, même si les yeux s'assombrissaient sérieusement. Elle souriait pour faire croire. A elle et aux autres. On sait comment ça marche. Elle ravalait sa douleur et sa colère. Elle se contentait, bêtement, de se voir émietter sur la place publique, elle ne savait rien faire d'autre que d'attendre. Et l'angoisse de se voir accuser, mise au ban, exclue, salie l'enveloppait dès que les yeux se fermaient au creux de son lit si doux pourtant. Ce dernier ne compensait pas la peur de ces scènes et la peur de savoir les autres implacables et elle, incapable. Patate était en danger, du matin au soir, la vie était dangereuse. Pas vue de l'extérieur. Un danger qui ne se mesure pas tant il empoisonne une vie. Elle savait ce danger. Elle savait que chaque jour elle se risquait toujours davantage. Mais elle ignorait l'issue. Elle pensait qu'un jour, elle en mourrait.

Sourire ou mourir


            Patate en effet se réveille le lendemain, sentant venir le pourri. Pour qui pour quoi ? Elle n'en savait rien. Cela arrivait régulièrement et elle ne se trompait jamais, la journée finissait mal. Ou commençait mal. C'était pourtant plutôt en milieu fin de journée que les choses tournaient vinaigre, le pire à passer étant l'heure du déjeuner. C'était la meilleure et la pire, pleine de possibilités, de découvertes, de paroles et d'amitiés mais souvent de moqueries, de doutes et d'angoisses. Elle pouvait parfois se mettre à pleurer après s'être retenue des jours, mais même cela n'avait aucun effet. Oui, elle l'avouait, non, elle ne l'aurait jamais avoué, elle était déjà trop peu crédible, mais elle attendait quelque chose des larmes parce que les gens réagissent aux larmes, les gens s'adoucissent aux larmes. On les traitait de larmes de crocodile, systématiquement, trop facile, tout le monde peut jouer sa victime Patate ! Bats-toi un peu ! Du nerf ! Ton caractère allez ! Bouge-toi ! Où as-tu mis ta personnalité ? Tu l'as perdue en route n'est-ce pas ? Tu n'en as pas, tu es faible, endurcis-toi ou tu n'arriveras à rien, allez ! Quelle mollasse ! Patate !
Patate entendit ces mots ce qui lui parut des centaines de fois. Ce ne furent sans doute en réalité que quelques dizaines mais la répétition rouvrait chaque fois la plaie et multipliait en milliers de fois ce qui n'en était qu'une dans le réel qu'on appelle tel. Mais très vite, Patate avait compris que chacun n'avait pas le même réel. Que chacun était d'un autre monde. Elle avait commencé son deuil de partager quoi que ce soit avec ses pairs, elle avait compris, cru comprendre qu'elle serait seule à vie. Plus tard, elle sut grâce à Champinoir et d'autres, la douce Courgette jaune surtout, qu'on n'était pas vraiment seul mais un peu quand même mais pas vraiment mais un peu quand même. Un aller et retour incessant entre ces deux idées toutes deux aussi vraies l'une que l'autre pour Patate, vérifiées tout au long des années.
Aujourd'hui encore, Patate entend ces imbéciles dire qu'Untel ou Untel n'a pas de personnalité. C'est alors la Patate-ninja qui se met en marche, qui ronronne à toutes turbines d'un coup, qui se réveille comme un mort, qui ne se contente pas de se retourner dans sa tombe, qui se lève comme un zombie rageur et Patate prend son air le plus méprisant pour regarder celui qui a proféré cette insanité. Elle se plante devant lui, elle voudrait le mettre à terre, le tenir immobile sous son pied lourd et sans pitié sur sa poitrine, haletant par terre, elle voudrait le déglinguer comme Carotte, arracher son cerveau et en ôter toute une partie en guise de punition, celle qui ose croire que certains êtres humains n'ont pas de personnalité, qui osent leur ôter cette faculté, ce droit, cette compétence innée. Patate les flinguerait. Mais en pleine légumescence, on y croit et elle y croit à sa carence, sa béance d'être faible et sans caractère. Et devant sa glace, elle s'invective :
dépêche-toi d'oser Patate !
Dépêche-toi ou tu seras bouffée par tous,
même les plus inoffensifs.
Tu es le maillon faible,
la dernière,
la putréfiée,
dépêche-toi avant d'être véritablement finie
avant de n'être périmée à jamais,
flétrie à 15 ans.
Réveille-toi sale Patate !
Réveille-toi et résiste !
Montre-leur qui tu peux être
Bordel
Putain
Débile va !
Avance !
Toi tu ne sais que reculer
en souriant
comme une demeurée.
Tu veux t'enfuir ?
Eh bien fais-le enfin !
Loin et sans nouvelles !
Arrête de ne faire qu'en rêver,
dans ton lit,
dans tes draps roses,
tes draps à fleurs,
tes draps qui devraient être à
têtes
de mort,
squelettiques,
fantomatiques,
cauchemardesques,
comme ton sommeil,
bourré de rêves de haine.
Fais-leur peur !
Fais-les trembler !
Et arrête d'imaginer.
Arrête de croire que cela suffira.
Arrête les faux-semblants.
Arrête de sourire.
Arrête tout ce que tu n'es pas.
Tu veux faire couler ton sang ?
Eh bien lance-toi
au lieu de rester sans bouger
comme un lézard paralytique.
Fais couler ton sang.
Tombe.
Disparais.
Envole-toi.
Déteste ouvertement ce monde.

Encore trop tôt pour Patate.
Virées nocturnes
encapuchée.
Si le sang doit couler,
plus tard,
plus tard.
A 16 ans, adulte.
Elle pourra tout.
Aura l'âge du frère tant aimé,
libre,
rebelle,
adulé.
Aura l'âge de montrer les crocs.
Patate est un vampire
en gestation.
Attention les yeux !
Patience...

Patate finit de se regarder et va se coucher. Elle aime encore sa couette à fleurs roses et vertes. Elle n'aime pas encore les têtes de mort. Elle les admire. Elle rit avec ceux qui les aiment et leur tire son chapeau sans rien dire. Elle a appris à ne jamais exprimer son admiration. Le boomerang est fatal. Elle se contente de sourire.
Vous me direz combien sourit-elle cette Patate ! Ne cessera-t-elle donc jamais de sourire ? Eh bien, je vous réponds que non, sans doute jamais. Après, tout sera question de nuances. Plus ou moins mais toujours ce sourire qui éloigne. Il n'est pas fait pour aimer ni pour rapprocher. Ce n'est pas ce sourire-là que Patate utilise. Ce n'est pas le sourire des yeux. Ce n'est pas le sourire vrai. Le sien n'a rien d'authentique ni de senti. C'est le sourire facile. C'est une arme. C'est son fusil d'assaut. Elle n'a que cette arme-là. Emmerdée, elle sourit. Elle fait les yeux noirs en souriant. On ne sait plus qui croire des yeux ou de la bouche. Mais au final, à part la gêne personne n'a peur. Oui au fond, Patate est exténuée de ce sourire qui ne dit rien, qui remplace les mots qu'elle aimerait tant savoir dire mais qu'elle ne parvient pas à laisser sortir. Elle le crèverait lui aussi si elle le pouvait. Mais tout cela n'est pas encore possible. Pour le moment, elle pense que rien ne changera. Elle ne voit pas comment. Elle sourit, comme une poupée, automatique, elle n'est pas totalement sans défenses mais elle ravale toujours tout le reste et il ne demeure que ce sourire-là. Avec le recul, ce n'était pas une stratégie si inefficace, mais ce n'était pas une stratégie choisie. Et Patate suivait bêtement, pensait-elle, les principes familiaux du sourire qui excuse tout, et avant tout d'être un peu trop là.

vendredi 24 février 2017

Chant du bonheur

         Il a renié tout ce qu’il a entendu et tout ce qu’il pourrait encore entendre. Il n’entend plus rien que les mots bruts sans fond, sans forme, sans rien. Il n’écoute même plus. Il entend de loin. Mais les mélodies ne l’effleurent pas. Plus. On ne sait pas. Papa-Piment est de ceux qui ont cessé d’entendre, qui ont oui entendu, mais trop entendu peut-être et qui ont fermé les écoutilles au moment où. Tout le monde chante autour de lui mais il n’entend rien. L’humaine et sa capacité à ne pas entendre les chants des siens, les paroles sous les mots et les mélodies perdues. Capacité folle, de démesure, de bêtise, de mauvais sens. Capacité bluffante s’il en est à croire qu’on sait et qu’on comprend ce qu’on dit et fait. L’on croit dire cela, l’on en est sûr et certain, c’est ainsi que cela a été dit et pas autrement et cela veut dire cela ! Et c’est tout et les mots disent bien ce qu’ils veulent dire (oui merci bien, sinon ils n’existeraient pas, mais encore ?), on dit ce qu’on dit et on fait ce qu’on fait. Le pompon de la pomponnette ! Et puis « je sais ce que dis » ou mieux encore « moi je ne parle pas, j’agis ! » Alors là, on atteint le fond et Patate est noyée bien entendu, elle qui déteste les fonds, les cavités et autres grottes meurtrières et vertiginantes. Capacité incompétence, capacité compétence, je l’ignore. D’aucuns diront sans aucun doute que tout est mieux comme ça et que, de toute façon, entendre quoi ? Qui ? Écouter des mélodies inconnues derrière les mots ? Encore un truc d’artiste ou d’anarchiste perché, bref, de la connerie pour faire trembler l’homme scientifique. Parce qu’ils n’ont jamais rien entendu eux, on s’n doute. Ils rient de bon coeur d’ailleurs. Est-ce qu’on ne les voit pas même se bidonner ? Enfin, ils passent vite à autre chose et c’est mieux pour tout le monde.
Est-ce que Darwin a fait dans sa théorie de cette capacité d’ignorance une compétence ou une incompétence ? Qui quand où et pourquoi ? C’était incompréhensible, pour une Patate évidemment, mais elle n’était pas encore au fait de ce qui se dit, se partage et se sait. Elle croyait encore les gens qui disent qui savent ce qu’ils disent aussi calmement qu’une mer d’huile. A vous faire douter de votre propre existence, on s’en tâtonne le bras pour être sûr.

Patate écouta Piment chanter encore et encore. Elle ne s’arrêtait pas. Parce que Papa-Piment n’entendait que les mots et qu’il répondait sans la voix. Piment était une excellente chanteuse. C’était de notoriété publique au collège même si cela avait surpris tout le monde la première fois. On l’avait finalement admis, même si encore une fois cela ne collait pas au personnage. La, dans ce couloir noir, Patate recollait les morceaux et trouvait le chaînon manquant. Elle entendait Piment, la dure, la coléreuse et la chanteuse de toutes les mélodies qu’elle portait. Sans doute, Patate ne le pensa pas alors mais bien après, peut-être dix ans après, en découvrant d’autres idées et d’autres mondes, sans doute que Piment portait les mélodies de bon nombre de ceux qui l’entouraient, elle n’était pas comme eux. Elle avait une place à part. C’était évident.
Elle n’avait pas la même voix.
Elle n’avait pas le même timbre.
Elle ne vibrait pas dans l’air de la même manière.
Elle les supplantait tous.
Elle était un ton au-dessus.
Une voix qui jamais ne se défaussait.
Jamais criarde même dans les hurlements.
Une voix tripale.
Une voix chaude et entière.
Enorme.
Une voix de magicienne.
Il y avait la lâcheté des autres qui avaient balancé leur mélodie sur la petite dernière-née, ni vu ni connu. Parce que chacun son tour, ils avaient fait ça. Ils s’en étaient plus ou moins débrouillé chacun leur tour jusqu’a ce que la dernière arrive et qu’elle s’en saisisse sans se douter. Innocemment, Piment avait embrasser à pleines mains les chants de tous ceux qui la choyaient, croyant bien faire, croyant accepter leur amour, avalant leur fardeau, en réalité. Pourquoi aucun d’entre eux n’avait remis les pendules a l’heure et remis à chacun sa mélodie ? Pourquoi ? Parc que Papa-Piment le premier s’en était défait et l’avait jetée dans les airs. Il avait fallu que sa fille aînée se jette dessus quitte à crever pour qu’elle ne touche pas le sol et que la catastrophe arrive. Elle s’était sacrifiée. C’était maintenant la psychiatrie ad vitam eternam semblait-il. Elle ne sortait pas de ce plongeon précoce qui aurait pu lui été fatal. Elle ne s’en était jamais remise. Piment s’en tirait parfaitement à coté. Mais elle avait dû accepter d’être le réceptacle sinon rien. Elle l’avait accepté. Elle était devenue chef de clan, partout où elle passait. Même à la maison, même avec Papa-Piment. Mais Maman-Piment s’était désolidarisée de tout cela apparemment. L’objet d’une prochaine visite...
Patate se dit que plus tard, quand elle aurait des enfants, Piment leur chanterait des berceuses qui ne pourraient que les assoupir, des berceuses qui chanteraient toutes les mélodies de la famille, sans le savoir. Mais Patate se dit des années plus tard que Piment se rendait peut-être compte à l’heure qu’il était de tous les chants qu’elle détenait en elle et qu’elle transmettait, qu'elle donnait sans asservir. Patate, dix ans après, espéra que Piment saurait ce que c’était que ce qu’elle possédait, qu’elle avait réussi à en faire son propre chant et à en faire ces berceuses qu’elle rêvait pour ses enfants. Les berceuses qui chantent l’humanité, ou du moins des générations, qui ne chantent pas seulement le dodo d’un soir mais le repos de toutes les vies d’avant.
       Patate se dit quand Piment cessa ce chant des cavernes, trouble et assaillant, qu’il était temps pour elle de rentrer. Elle remit sa capuche en place. Elle était grisée par sa liberté, la nuit, sa réussite. Elle aurait pu se sentir un peu coupable de venir « fouiner » dans la vie des autres comme cela. Mais non, l’idée ne vint même pas car c’était si loin de son intention qu’elle ne s’imagina pas la trahison que certains auraient pu ressentir. Elle se promit de revenir malgré les 53 minutes de marche. Pour comprendre, encore mieux, encore plus, pour écouter toujours plus. Et puis, Maman-Piment avait échappé à sa véritable attention.
Elle redescendit par les escaliers. Elle galopa. Elle était presque heureuse. Elle agissait à sa guise. Personne ne lui interdisait quoi que ce soit. Personne ne lui en contait. Elle vivait là la vie qu’elle choisissait. Elle se jura, devant Dieu, qu’elle serait cette adulte.
Patate dans la nuit ne se voit pas. Elle se faufile. Elle est noire dans le noir. Elle marche d’un bon pas. Elle hume le vent froid. Elle n’a toujours pas peur. Elle se sent vivante et elle se glissera dans son lit, douce, même si le lendemain est un pourri.

mardi 21 février 2017

Les mélodies inconnues

Elle entend que Piment n'a pas digéré l'humiliation de tout à l'heure, qu'elle n'en restera pas là. Patate n'était pas surprise de ce changement de position. Elle avait été surprise d'une Piment qui se soumet oui, ça oui ! Mais pas du retour de la Piment conquérante. Patate entendit enfin derrière les cris de Piment une voix d'homme. Une voix d'homme harassé. Celui qu'on imagine revenir de la mine dans Germinal ou ou ou... et Patate se lance dans une série de scenarii imaginaires. Il est battu par sa femme et il rentre tête basse à la maison, il a peur, il a honte, il n'a pas assez travaillé, pas assez gagné, pourtant ce matin c'est à 6h qu'il est parti et à 23 qu'il revient mais ce n'est pas assez. Il se fait harponné dès son arrivée. Il le sait, Patate a bien senti que le pas traînait déjà dans le couloir. De fatigue seulement ? Sans doute pas non. Il a peut, son cœur se serre au fur et à mesure qu'il s'approche de la maison. Son cœur se serre tellement qu'il se roule en noyau de pêche, pas plus gros que cela et qu'il a du mal à respirer. Il avance à la force du poignet. En fait, l'expression est idiote, il n'utilise en rien ses poignets, il ne va pas chercher chaque jambe l'une après l'autre avec ses mains pour les faire marcher ; il ne se baisse pas jusque là, le grand gaillard, qui pourtant chie dans son froc de rentrer à la maison, comme quand il était gosse et que le père l'attendait, ou la mère d'ailleurs. Il n'avait jamais fait ce qu'il fallait. Rien n'avait vraiment changé. Il était plus grand, plus costaud, il avait cru que ça aiderait. Mais que dalle ! Il était toujours aussi rabougri à l'intérieur et sa revanche serait sans doute celle d'un autre monde. Il avait cru qu'il l'aurait une fois en âge de jouer à l'adulte. Mais toujours pas, toujours rien, il patinait dans sa merde, il continuait de remuer la même et il avait perdu courage. Plutôt espoir. Heureusement qu'on lui avait appris une seule chose utile : croire en Dieu coûte que coûte. Il n'avait jamais failli là-dedans parce que, souvent, il ne lui restait que ça, tout simplement. Il ne se faisait pas d'illusions sur sa foi. Il l'aimait mais c'était davantage elle qu'il aimait que ce qu'elle disait et promettait. Elle le faisait se raccrocher quoi qu'il arrive à quelque chose de stable et fiable. Le reste, il avait fini par le déplorer sans plus lutter vraiment contre. Mais il avait peur, quand même, du jour où la rage sortirait. Il était comme les autres. Il serait sûrement dépassé un jour. Et il tuerait tout le monde ? Et il assassinerait tous se proches ? Oui, il le sent, il sait qu'il n'aurait plus de pitié et que tout serait alors possible. Toutes ces années à ravaler et à ne pas digérer. Il préfère être sans pitié avec lui-même. Le sacrifice, il rit ironiquement, c'est quand même la meilleure solution. Jusqu'à ce que...
A peine la porte fermée derrière lui, sa grande, sa préférée, son amour, peut-être la seule qu'il épargnerait, Piment, lui saute à la gorge et crache son venin. Elle ne lui parle jamais en français. Il n'en est pas digne ? Il est trop blédard pour ça ? Elle lui exprime en tout cas son mépris dans cette langue des origines. C'est ce qu'il entend, c'est ce qui lui fracasse encore l'âme, quand même. Il n'est toujours pas assez cuirassé. Elle lui dit qu'elle déteste cette vie, chaque jour avec autre jour, mais elle lui dit ça. Et il la regarde sans répondre. Elle s'approche et ils sont nez à nez, elle le défie mais il ne bouge pas. Elle fait 40 kilos de moins que lui mais elle est la plus forte. Ils le croient tous les deux. Patate ne sait pas quoi en penser. Elle ne voit pas mais elle imagine très bien. Piment hurle et hurle encore sa rage et peut-être aussi leur rage. Patate est pétrifiée. Elle n'a pas peur. Ce n'est pas ça. C'est bien une première d'ailleurs de ne pas avoir peur, brave Patate. Elle est dans le couloir, elle ne les voit pas, elle dispose de ce grand avantage. Elle ferme les yeux et elle écoute les voix. Patate sait oublier les mots et écouter les voix parler derrière les mots, leurs chants. Même derrière les cris il y a un chant. Patate n'en parle pas, personne ne pige ce truc, on la prendrait pour encore plus inadaptée qu'on ne la croit déjà. Peut-être que la mère entendrait mais aussi, peut-être qu'elle veut garder ce don pour elle. Peut-être qu'elle ne veut pas qu'on sache. C'est sa magie à elle. Et ce qu'elle entend là en fermant les yeux la prend à la gorge Elle les rouvre très vite pour reprendre sa respiration. C'est un peu incroyable et inédit. Remarque, elle ne l'a jamais fait que dans des situations assez banales et connues. Là, c'est de l'inédit. L'aventure n'est pas seulement celle des 53 km. Patate se rend compte qu'elle découvre de nouvelles mélodies. Elle connaît bien celles de sa famille et elle finit d'ailleurs par ne plus les entendre d'ailleurs. Ce qui revient à ne plus détenir cette magie. Elle est lasse. Elle se sent impuissante. Et, entre nous, elle avait l'âge où l'on n'aime plus ces mélodies-là mais où l'on préfère celles des autres. Patate en était là comme tous ses pairs. Bref, ne nous égarons pas. Elle entend dans ce couloir assise en tailleur dans le noir ou presque, deux ou dix mélodies qui s'enchevêtrent en-dessous des cris d'une seule gamine en colère contre la vie. Elle se replonge dedans. Elle referme les yeux. Elle entend que Piment parle d'elle oui, parle de sa haine, parle de tout ce qu'elle est, qu'elle hurle sa détresse, Patate en a les larmes aux yeux, Patate qui a fini de pleurer il y a bien longtemps de cela puisque ça empire toujours les choses, on s'énerve encore plus ou on se fout de sa gueule, elle a fini de pleurer, elle baisse la tête, comme tout le monde, comme Papa-Piment, Patate pleure pourtant là de la douleur de la mélodie (Chopin et Maria Carey battus à plates coutures), elle n'a jamais entendu ça, sauf peut-être en elle-même, elle entend que Piment pleure son existence et qu'elle supplie son père de pleurer avec elle, de ne pas rester là à la regarder hagard et immobile, de partir au combat, et Patate finit par entendre que cette langue est faite, non pas pour humilier Papa-Piment mais pour le réveiller, pour réveiller sa douleur et sa rage, pour le faire revenir d'entre les morts, pour qu'il bouscule les choses, Patate a envie elle aussi de hurler et de lui expliquer tout ça à Papa-Piment, elle toujours en silence pourtant, là la voilà qui le secouerait bien aussi avec Piment pour qu'ensemble ils se battent. Piment parle en son nom à lui aussi, elle lui montre sa rage à lui et il ne la voit pas ou ne veut pas la voir. Il a peur, il est comme tout le monde se dit Patate. Mais elle aussi, elle lui en veut maintenant. Parce qu'il a trop peur. Elle rouvre les yeux à nouveau, elle a envie de vomir. Elle sent les palpitations la prendre. Il ne faut pas vomir, surtout pas. Ne vomis pas. Ne vomis pas. Ni là ni jamais. Respire et regarde fort devant toi. Elle finit par s'apaiser. Elle doit y retourner. Elle n'a pas tout entendu. Elle referme les yeux et elle repart dans ce monde de rancœurs. Il y a Piment et son père. Mais autour, il y a tout le monde, toute la famille qui murmure et chantonne, les ancêtres qui hurlent eux aussi la trahison. Tout le monde est là, des dizaines, un vrai brouhaha, une bousculade de mélodies. Des chants du fond des âges aussi. Des chants que Papa-Piment a renié mais sa fille et tous les autres les lui chantent encore et encore jusqu'à ce qu'il se réveille.

vendredi 17 février 2017

Amour

Dans mon monde,
il n'y a pas de licornes
enchanteresses,
arcs-en-ciel
sourire Colgate,
ou alors,
seulement dans mes rires.
Il n'y a pas de
douce magie
ni de
tendres fées.
Les mamans ne sont pas
de belles reines blanches et pures
et les papas
de bienveillants barbus forts et confiants.

Dans mon monde,
il ne fait pas souvent
bon vivre
pour qui n'a pas les clefs,
qui craint
labyrinthes
et
rocailles.
Gare aux
nauséeux
et
vertigineux.

Tu n'es ni l'un ni l'autre.
Tu n'as pas peur de ça.
Ni de grand-chose d'ailleurs.
Sauf de te perdre, toi.
Tu n'as pas peur quand tout m'inquiète.
Tu me regardes étonné
sans jamais juger
et tu me prends la main.
Tu me devances
dans mes propres
labyrinthes.
Parfois même,
tu te plantes devant eux
et les voilà qui
disparaissent.
Tu apaises les tempêtes
qui battent ces mystères
où je cogne.
Je demande et tu es là
sans faillir.
Parfois tu rêves,
tu t'évades,
je crois te perdre ;
mais tu reviens dès
qu'un appel
te vibre.
Et tu ouvres grand tes bras
beaucoup plus grand que
moi et mes
tortillons labyrinthes.

Toujours,
je ferai moi aussi mes bras
plus grands que
toi et tes douleurs.
Tu ne te perdras pas.
Tu ne te perdras plus.
Sans promettre,
(Ô Mon Dieu non pas ça !)
je te donne ma parole.
Si tu poussais trop loin
le silence,
ton dangereux silence,
mortel,
J'irai te chercher jusqu'au bout,
malgré les coups à prendre,
Même si je dois affronter
ta colère
et tes méchants démons.
J'ai peur de moi, parfois comme une enfant.
Jamais de toi, cette fois comme une terre ferme
sur laquelle tu peux
et pourras
te tenir fort debout
ou te laisser tomber
libre
accueilli quoi que quoi qui.
Si tel n'était plus le cas,
Fronce les sourcils.
Alors,
J'écouterai ton cœur
pour t'aimer
juste
mieux.

mercredi 15 février 2017

Les frères

Enfant unique gâté.
Ou pas.
De ne pas vivre
la fraternité.
Pas celle de la devise.
Pas celle qu'on choisit.
Pas ces frères et sœurs qu'on se construit.
Celle du sang
et qui laisse bée,
toujours ;
imposée,
contrainte,
ombilicale,
pourtant parfois
presque parfaite.
Pas de naïveté,
dites pas ça ou je vous casse la gueule !
Pas d'idéalisme,
on se connaît un peu maintenant,
c'est plutôt dark
dans mes grottes.
Un constat.
La vie parfois bien faite,
quand même.

Il y a le frère qui ne parle pas
mais qui fait resurgir le fin fond
des tripes.
Il ne dit rien,
il a les yeux noirs et profonds,
il regarde peu,
mais sa présence est celle du début du monde.
On a envie qu'il parle,
allez !
Et puis en fait,
est-ce la peine ?
Une éternelle blague
de 30 ans,
un sourire clin d’œil
et les deux enfants
se retrouvent.
C'est idiot.
C'est incompréhensible.
On a des rides
et des impôts.
Plus rien à voir.
Mais ce lien-là s'en tamponne.
C'est le lien qui survit.
La survie elle-même.
Le frère
qui ne parle pas et à qui on doit tant.

Il y a le frère qui parle
et qui parle la même langue.
Exactement la même,
comme absolument personne d'autre.
On pourrait presque s'échanger
nos paroles
parfois.
Il m'ôte les mots de la bouche.
Mais sans y mettre les doigts hein !
Sans les mains le mec !
Balèse...
Je crois qu'il peut aussi le faire pour le vélo.
Le frère qui rappelle
combien deux êtres
apparemment si dissemblables,
apparemment,
s'apparentent.
Personne n'y voit un frère et une sœur.
Tout le monde se laisse berner
par les couleurs opposées
et les traits divergents.
Au fond,
il y a deux noyaux qui s'entendent
par de longs regards
pleins de passé
et d'amour.

Les deux frères ont sauvé.
Chacun à leur manière,
chacun à leur moment.
Ils ont fait le relais,
bien bien organisés.
Ils ont sauvé
des gouffres
et des canyons.
Ils ont sauvé la vie.
Ils ont évité de tout détester
et d'avoir peur du monde.
Avec ou sans les mots,
les yeux noirs d'ébène ou verts émeraude.




Le grand rêve de Patate

Patate se réveille. Patate a cru vivre ce rêve. Patate jouissait, Patate était courtisée, Patate était libre mais elle n’était pas ce qu’elle croit. Elle se réveille mais elle a beaucoup plus mal que d’habitude. Elle se réveille le coeur douloureux. Le coeur en flammes. Et le rêve la poursuit comme une vérité.
Assise sur le bord du lit,
Le coeur pèse,
Il a trop travaillé,
Il a tout découvert.
Patate debout,
Chancelante,
Elle porte.
S’agiter et évaporer
Le rêve,
Alléger Cœur
L’étourdir
Pour oublier.
Revenir à l’ordinaire.
Impossible tâche.
Pour oublier doucement,
Pour chacun a sa place.
Reve dans la tête,
Pas dans la vie
Qui bouge.
Mais il ne décolle pas.
Patate suit le protocole.
Tout dans l’ordre.
Au garde à vous.
Celui des angoisses.
Rêve et Coeur ne bougent
Pas
D’un
Millimètre.
Elle se rasseoit
Et elle écoute.
Silence.
Nécessaire.
Un terrifiant verrou
A sauté.
Ils n’en démordent
pas,
Les deux-là,
Pour qu’elle entende,
Pour qu’elle se batte
Qu’elle voit
Putain
Ce qu'on lui dit !
Rêve et ses personnages
Parlent encore et encore.
Coeur s’en soulage.
Patate assume,
Pour une fois.
Coeur a les lombaires
En compote.
Ça va bien de porter son silence !
Rêve,
Pas par 4 chemins :
« Patate c’est fini maintenant !
Arrête de mentir !
Arrête de te taire !
Arrête de croire que tu
Contrôleras tes entrailles.
Je parle d’elles.
Arrête et mains en l’air.
Écoute mes images
Aussi longtemps
Qu’elles brilleront.
Qu’elles éblouissent ?
Seulement si tu n’ouvrent pas
Sincèrement tes yeux.
Ouvre grand tes
Yeux
D’amande,
Patate.
Ouvre et regarde
Avec Coeur. »
Et Patate pense :
Qui suis-je ?

dimanche 12 février 2017

Patate exploratrice

Elle traverse toute la ville. Non elle ne traverse pas toute la ville, elle ne le peut pas, elle a bien trop de tentacules aux arcanes cryptés jusqu'au cou. Elle a l'impression de traverser toute la ville et elle aime ça. Elle aime à se le dire et se croire randonneuse de minuit. Elle marche, elle avance, comme si elle avançait dans la vie, comme si elle avançait ses pions aussi. Comme si elle avait un certain pouvoir. Il se passe quelque chose. Il y a un événement. Ce n'est pas souvent qu'elle sent ce quelque chose. Est-ce déjà même arrivé ? A Noël, aux anniversaires. Les dates clés. Pas davantage, pas de son propre fait. Elle ne se sent jamais l'instigatrice de ces Evénements. Là, c'est bien elle qui marche, qui avance vers les découvertes qu'elle veut faire. Elle se prend à rêver qu'elle est une grande. Une importante personne dont on se souviendra.
Elle pense bien sûr en premier lieu à Christophe Colomb. Jamais, c'est certain, Christophe n'a été patate. Même patate-ninja. Mais il s'appelle quand même Colomb. Elle s'est toujours interrogée sur cela. Le grand explorateur, le grand combattant a le nom de l'oiseau blanc de la paix. Il s'appelle comme le plus inoffensif des oiseaux du monde, il est nommé comme le plus doux et le plus insipide aussi peut-être des volatiles. Pourtant il tient sans doute davantage dans la réalité du piranha ou du serpent à sonnettes. Elle a toujours buté sur ce nom, Patate. Le Christ et la colombe. Ca donne envie de chialer de niaiserie. Alors qu'il a fait mourir des dizaines d'hommes, qu'il y a risqué sa peau, avant et après, se mettant à dos des reines et princes et tout le tralala. Elle a toujours trouvé le sort bien ironique... Sauf qu'elle, elle s'appelle bien Patate et que cela lui va bien. Elle ne sait pas encore qu'elle deviendra ninja.
Elle part,
comme le Christ colombus,
pas encore crucifié,
elle l'est déjà,
elle,
sans crever pour autant,
pute de vie,
à la recherche d'une autre vie.
Ce monde,
son univers ne lui
suffit
pas.
Pas qu'elle soit si exigeante.
Pas qu'elle soit carnassière.
Comme Christophus,
ou peut-être ignorance.
Encore.
Peut-être qu'elle n'est pas seulement
matière à purée et que ses jambes
qui marchent
qui marchent
le savent mieux
qu'elle.
Peut-être que le vieux Colombe
deviendra un égal.
Mais tout cela,
elle ne l'a pas en
tête.
Ni nul par ailleurs.
Elle avance
et pour l'instant,
elle est heureuse
de n'être pas comme il faut,
d'être seule,
libre,
vers l'inconnu.
La double vie comme là.

Après avoir marché 53 minutes, elle arrive à bon port. Le grand immeuble laid gris, comme tant d'autres de Piment. Elle a fait ses recherches avant, elle savait tout avant d'entreprendre son expédition. Patate est une maligne sous ses airs de lourdaude. Elle s'arrête en bas de la grande tour. Elle a mis un jean noir, des baskets noires, un manteau noir. Finalement pas si loin de la tenue habituelle. Elle a une capuche. Elle ne la chausse pas d'habitude mais elle adore la mettre. Elle se sent protégée. Elle sent qu'elle risque moins, beaucoup moins. Elle attend en bas de l'immeuble, elle regarde autour d'elle. Ce n'est pas comme chez elle. Elle habite un petit quartier cossu. Ici, ce n'est pas cossu. C'est triste et gris. C'est dur. Ce n'est pas la mort mais c'est la bagarre pour la vie. Cela tourne dans l'air. Elle sent qu'ici, il faut se battre pour être quelqu'un. Chez elle aussi, Patate ne se laissera jamais dire le contraire. Mais pas de la me^me manière. Chez elle, elle existe. Mal et difforme mais elle existe. Une handicapée et puis voilà. C'est une place quand même. Ici, Piment, elle le comprend d'emblée, doit lutter pour exister. Juste pour exister. Elle se sent bien ici Patate. Elle sent que cette lutte-là ne lui est pas complètement inconnue, elle y retrouve des bribes de son être. Elle s'y sent moins mal que chez Carotte où elle aimerait seulement disparaître. Elle sent qu'ici, elle a le droit d'être plus que Patate. Piment le lui a déjà prouvé. La porte de l'immeuble s'ouvre et elle en profite pour s'engouffrer dans l'immeuble. Elle sait que Piment vit au 10ème étage. Elle monte. Personne ne fait attention à elle. Elle ressemble à ce qu'on voit ici ? C'est drôle. S'il y a bien une chose à laquelle elle ne s'attendait pas, c'est bien celle-là. Elle sort de l'ascenseur au 10. Elle trouve facilement l'appartement de Piment. Elle reconnaît sa voix à travers la mince porte. Elle sourit. Elle a gagné. Elle retire son sac à dos, le pose à terre et s'assoit en le plaçant entre ses jambes. Elle s'appuie au mur. Elle ferme les yeux et elle écoute. Tout s'entend et se comprend sauf quand la mère de Piment parle la langue du bout du monde. Piment lui répond quoi qu'il arrive en français. Patate finit donc toujours par deviner ce que la maman a dit.
Elles crient toutes les deux. Pendant une heure, elles crient. Pendant une heure, elles se détestent sans une once de retenue. Patate la froussarde n'a pas peur. Elle n'est plus ce qu'elle a toujours été. Elle se remplit de cette aventure. La maman est furieuse que Piment ne soit pas en tête de classe. Elle s'est battue pour qu'elle intègre un bon collège et voilà qu'elle ne fait pas tous les efforts qu'il faut. Piment se défend en criant mais elle n'est pas la plus forte. Loin de là. Patate sourit encore. Ce qu'on croit des vérités ne sont que des rôles. Et à chaque moment son rôle. Piment n'est pas la chef de clan. Piment est la petite dernière de la grande fratrie et la grande sœur s'y met aussi et la réprimande. Elle lui dit qu'elle n'est pas digne et qu'elle devrait avoir honte de tous les sacrifice des autres qu'elle ne respecte pas. C'est à ce moment-là que Piment s'effondre et que Patate ne l'entend plus. C'est là que Patate sent un verrou voler en éclat en elle pour ne plus jamais revenir la clouer.
Piment se tait.
Piment n'est pas la plus forte.
Piment s'est fait frapper.
Piment part dans sa chambre en pleurant.
Les sanglots traversent la paroi du mur.
Patate sourit à Dieu.

jeudi 9 février 2017

Petite souris armée jusqu'aux dents

Si notre Patate l'avait rencontrée,
Patate se serait fourvoyée.
Elle aurait vu la colère,
la rage,
la haine,
la douleur,
quand même !
ne la prenons pas pour une débile !
La force de se battre,
le poignard entre les dents,
les deux mains prises par de longs sabres
tranchants,
apparemment,
peut-être pas,
en réalité,
mais Patate ne s'en serait pas approchée,
elle aurait opté pour un
classique
Vade Retro Satanas.
Sans croire au Diable.
Mais à Dieu oui.
Allez comprendre...

La gamine est pleine de lames,
s'apprête
à tout tailler,
fendre
faucher
hacher
décapiter
faire tomber toutes les têtes.
Guillotiner à qui mieux mieux.
Elle est prête à la guerre la plus sanglante,
elle est armée jusqu'au cou,
même davantage,
je l'ai dit !
elle a le couteau entre les dents.
Elle est bien plus qu'un vulgaire pirate,
bien plus qu'un enfant révolté,
bien plus qu'un soldat engagé.

Elle n'a plus rien à perdre.
Elle n'a jamais rien eu à perdre.
Elle n'a que ça à gagner,
la lutte à mort.

Et quand elle finit par lâcher les lames
et pleurer,
oui prends-moi dans tes bras,
elle est cet être vidé
jamais rempli
qui attend de naître
depuis tout le temps qu'elle survit,
troué de partout,
parfois,
la chair à vif,
quand elle a mal manié ses armes,
qu'elle a eu affaire à plus fort qu'elle.
La chair à vif
comme un grand brûlé
qui ne cicatriserait pas.
Et elle reprend ses lames
et serre les dents,
malgré tout.

Elle a l'air d'une toute petite souris triste à crever.

mercredi 8 février 2017

Anti-purée


Pour le moment, revenons à nos moutons et Patate prend alors le parti ? La décision ? Non pas vraiment, tout cela vient tout seul, de, chaque soir, quand elle est seule et chacun lui fait confiance car Patate est sans danger, de partir découvrir où quand comment vivent chacune de ses paires. Elle ne fera pas de conneries, on le sait. Ce ne sont pas vraiment des conneries mais est-ce judicieux ? Est-ce prudent, dirait un parent ? Est-ce qu'on attend d'elle ? Certainement pas ce qu'on attend d'elle bien entendu. Mais pour une fois, elle agit tout de même. Elle agit tout court d'ailleurs et elle fait ce qui lui plaît. Elle, la sage petite Patate, un peu coucouille, part à l'aventure. Elle veut comprendre. Elle étouffe dans son monde qu'elle connaît comme sa poche, qui ne l'aide pas à devenir une anti-purée. Elle reste puréable à merci (bien sûr que cela se dit ! Ce que les lecteurs peuvent être normatifs parfois... Vous n'avez jamais été Patate ni une de la famille alors vous ne pouvez pas savoir. Laissez dire ceux qui savent, ceux qui se sont renseignés et qui ont fait témoigner. Un peu de confiance dans ce monde brutes !) , et chaque jour, finalement, elle s'y retrouve. Alors elle part pour trouver la solution anti-purée. Il y en a qui lutte sont anti-mines, anti-douleur, anti-taches. Ca revient au même ! Soyons intelligents. Sauf qu'être purée chaque jour qui passe, sans tomber dans le misérabilisme et pleurer sur Cosette et ses malheurs, c'est une vraie plaie. Au sens propre. Une plaie tout le long du corps qui se rouvre à un moment, plus ou moins tôt mais à un moment, comme s'il le fallait, comme si d'ailleurs c'était plus sûr, comme ça, on n'a pas à tenir ferme les sutures faiblardes faites par des médecins indifférents, purs techniciens. Patate est un cas à part, c'est ce qu'elle pense, c'est ce qu'elle sait. Pas un cas à part, une star qui brille, wouhou sur les podiums. Un cas à part. Et qui fait mal. Bref. Un soir où elle a été purée tout le jour et qu'elle n'en peut plus, disons les choses comme elles sont. Elle rentre chez elle. Elle tourne en rond. Elle a fini ses devoirs. Elle voudrait trouver quelque chose pour s'occuper l'esprit mais ce jour-là, impossible d'oublier. Elle ne peut pas faire semblant. La championne en la matière. Même seule avec soi-même, il faut faire semblant. N'allez pas me dire le contraire. Bien sûr qu'il faut se faire croire à soi-même de belles choses pour supporter les trucs du genre purée et mines anti-personnelles. Bien sûr ! Ce soir-là, elle est coincée, elle se rend purée elle-même et ça, c'est la fin des haricots. Elle sent qu'elle doit agir. Patate, je l'ai déjà dit, n'agit pas. Elle attend et elle pense. Mais là, il faut agir. Elle remet son manteau qu'elle n'a pas rangé. Qu'elle n'a pas rangé... Peut-être qu'elle savait déjà au fond... Elle rechausse ses baskets chéries. Elle sort et referme soigneusement derrière elle. Elle n'emmène pas Croquette le chien tout doux, le gros chien nounours qui l'enveloppe quand elle pleure. Elle ne doit pas se faire repérer. Elle n'a pas sorti le costume commando mais elle fait quand même attention. Elle est tout en noir. Il fait nuit de toute façon. Elle n'a pas peur de la nuit. Au contraire, on la voit moins, on vise moins bien, elle est moins susceptible de se puréifier. Elle sort et respire avec bonheur l'air froid qui pique le poumons. Où va-t-elle ? Par où commence-t-elle ? Elle ira chez Piment. Loin de chez elle. 45 minutes à pied. Elle s'en fiche. Elle veut voir, elle veut entendre et comprendre.

mardi 7 février 2017

Trop loin des yeux, trop près du coeur

Il manque dès qu'elle ne le voit plus,
dès qu'il est hors de portée,
pas au haut de l'escalier
tout de même,
pas de d'hystérie concon,
mais dès qu'il est parti.
Dès qu'elle est partie
aussi.
Elle sent que tout est plus dangereux
moins calme
et plus dur.
Elle a peur,
elle garde en ligne de mire le soir
et le retour
de l'un,
de l'autre.
Elle aime être seule.
Lui aussi.
Ils ne sont pas sangsues.
Pourtant,
elle ressent cette atroce douleur
du manque,
de la séparation,
quand elle part,
ou lui.
Elle ne le sent pas tout de suite.
Elle croit d'abord que
ouais salut je t'aime
et c'est parti.
Mais non.
Elle s'agite
un peu
beaucoup
à la folie
pour finalement comprendre
que c'est lui qu'elle veut juste à côté.
Elle sent un énorme trou dans sa poitrine.
Le corps parle.
Le corps se rebelle.
Le corps se raidit.
La poitrine est vidée et la respiration minimaliste
et enfantine.
Le ventre grouille et se remplit
tout seul.
Les proportions ne sont plus respectées.
Et elle pourrait perdre forme.
Le trou dans la poitrine
est aussi lourd qu'un rocher,
qui ne pique pas,
il est juste à sa taille.
Mais qui s'appuie sans conscience
en bonne pierre qu'il est.
Elle voudrait l'emmener,
lui,
dans sa poche,
jouer Merlin l'Enchanteur,
et rapetisser le bonhomme pour qu'il soit toujours là.
Qu'elle n'ait plus toujours besoin
d'être plus parfaite,
d'être mieux,
de faire mieux et plus,
toujours plus,
parce qu'elle se déteste de ne pas parvenir à davantage.

Mais peut-être que ce n'est pas que ça...
Peut-être qu'il y a autre chose.
Un autre gouffre derrière celui-là.
Peut-être qu'elle se souvient de cela
très fort
et qu'elle ne veut pas en parler.
Peut-être qu'elle se rappelle
si elle est courageuse,
si elle a les couilles un matin,
de sa mère qui s'en va
et ne se retourne pas.
Qui ne revient pas la chercher.
Ou beaucoup trop tard.
Qu'elle voudrait ne voir partir que
tout doucement.
Mais bien sûr,
elle se souvient de cette atroce douleur
d'enfant
qui laisse partir sa mère
impuissant et docile
aussi lucide,
parce que sinon
c'est encore plus long et pire
pour tout le monde.
Passer à autre chose
ou du moins y croire.
Elle se souvient de cette main qui glisse dans la sienne
et lâche l'étreinte.
Sans cruauté,
juste parce que c'est comme ça
mais qu'elle sent alors
qu'elle va devoir se battre
encore toute une journée
sans elle,
la peur au ventre,
les boyaux tordus,
la poitrine infirme.
Elle donnera le change,
elle rira même.
Parce qu'elle oubliera
par moments.
Pas le corps,
qui la fera souffrir
souvent jusqu'au soir,
même quand elle sera soulagée de voir la
délivrance arriver.
Lui, elle l'aime tellement
qu'elle se rappelle cette béance
folle.

Jour après jour.
Elle verra bien demain.

lundi 6 février 2017

Et plus tard, tout s'explique...

Peut-être qu'elle préférerait se désintégrer, tomber en poussière réellement pour que tout ça puisse se regarder aussi intense que cela se passe en elle. Mais elle rentre entière chez elle et rien n'apparaît.
Tout cela, c'est ce qu'elle croit elle, c'est ce dont elle est sûr, absolument sûre. Et il en faudra des démentis pour revenir sur ces idées qui grignotent...
Elle s'imagine rêvasse pour réparer tout ce quotidien. Elle imagine la vie des autres
La vie des autres.
La vie rêvée.
La vie des forts.
Elle connaît déjà celle de Carotte, parce qu'elle, elle l'étale et elle crie haut et fort qu'elle n'a rien à cacher. Patate a tout à cacher. Elle le sait et elle croit être la seule. Elle cache, elle fait semblant et ça se voit. Et on le lui reproche. On dit qu'elle n'est qu'une faux-cul et quand on est poli une hypocrite mais on se détourne d'elle quand même avec un regard de dédain qui sous-entend que soi, on est propre et sain, qu'on dit ce qu'on a sur le cœur au moment où il le faut. Tout cela à grands renforts de mots plus durs les uns que les autres... adressés aux plus fragiles... Mais on se rassure comme cela.
Ce sera comme cela toute la vie. Sauf que tout changera quand Patate s'apercevra qu'ils se rassurent ces autres qu'elle croit si forts. Qu'ils ne peuvent même pas se dire qu'ils ont quelque chose à cacher, qu'ils auraient trop honte d'avouer cela, ou qu'ils ne sont pas assez courageux. Elle emploiera la même méthode un jour, même si elle s'est toujours promis de ne pas le faire. Elle choisira parfois la facilité. Mais jamais elle n'enfoncera un Vulnérable. Plus tard, elle s'en fera la promesse. Jamais elle n'appuiera le talon cruellement sur un Vulné.
Elle trouvera cet ami-là, beaucoup plus tard, ce qui paraît beaucoup plus tard, quand elle sera devenue Patate-ninja, et il lui avouera combien il admire son intégrité. Elle rétorquera, Patate, que ça ne se choisit pas vraiment l'intégrité. Après n'avoir pas compris de quoi il parle. Après un authentique moment d'incrédulité. Qu'elle n'a pas vraiment le choix que de ne jamais s'attaquer au plus faible, parce que c'est une histoire de se trahir soi-même ou pas. Et qu'il y a une limite à ne pas franchir, c'est de se perdre dans ce qui nous a perdu. A son tour, à lui le grand ami qu'elle n'oubliera jamais, même si loin des yeux, d'être incrédule et de faire la moue. « Je ne crois pas Patate qu'on puisse ne pas choisir l'intégrité. Je crois que c'est une exigence à laquelle tu t'astreins qui n'est pas spontanée, pas dans la plupart des cas. » Il est sombre l'ami. Mais Patate est d'accord avec lui sur le fait que la plupart du temps, l'intégrité n'est pas la préoccupation qui fait loi. Pourtant elle continue de penser qu'elle se débrouille avec ses démons, même beaucoup plus tard, ce qui paraît beaucoup plus tard, et que l'intégrité la sauve encore davantage qu'elle ne protège les autres. Elle sauve sa peau. Quand on ne cloche encore que d'un pied, on ne choisit pas l'intégrité. « Parce que tu crois que je peux faire autrement ? » lui demande-t-elle. Elle est désagréable me direz-vous. Je vous le confirmerai. Les patates-ninjas ne sont pas des anges. Il faut se les farcir mais lui, l'ami qui restera jamais, il sourit. Il aime son côté ninja. Il rit. Ca le fait rire comme rien d'autre. Lui non plus n'est pas un rieur. Il ne rit que quand c'est nécessaire. Mais la danse ninja de Patate le fait rire. Elle ne se vexe pas. Elle sait combien il est bienveillant. Son rire à lui n'est jamais moqueur. Elle n'en doute pas. Elle ne doute pas de lui. Quoi que tous peuvent dire. Elle ne doute pas de lui parce qu'elle le voit admirer son « intégrité » et que ce ne sont que ceux qui y aspirent et font tout pour la toucher qui sont absolument dignes de confiance. A cet âge-là en tout cas. Elle en a fait un de ses principes alors. Où en Carotte à ce moment-là ? Elle n'en sait strictement rien. Elle l' oubliée. Ou plutôt fourrée loin dans ses pensées interdites tout derrière les autres. Si elle y pensait, elle penserait qu'elle n'aurait pas changé, qu'elle serait toujours aussi pédante et imbue d'elle-même. Mais elle, Patate, elle pourrait aussi la regarder de haut parce qu'elle aurait trouvé de plus belles choses et gens qui l'aiment et l'admirent.
L'ami, Champignon, un beau champignon un peu vénéneux, noir comme l'ébène à l'extérieur et blanc et doux sous la corolle. Vous savez bien le dessous de ce fameux chapeau, comme on dit aux enfants mais qui convient parfaitement aux adultes. Parce qu'on voit tous ça un chapeau. Soyons honnêtes. Adultes, on joue les fiers, moi je ne parle plus de chapeau pour les champignons mais c'est quand même bien plus pratique de voir les choses comme ça. Bref, cette nécessité d'omettre l'enfant qu'on a été pour se croire plus digne. Plus évolué. C'est déjà imaginer qu'un adulte serait plus évolué qu'un enfant. Chose extrêmement discutable n'est-ce pas ? Non pas que la vérité sorte de la bouche des enfants comme disent les imbéciles qui n'osent pas dire le visible. Ceci dit, une vérité sort de la bouche des enfants. Celle des fantasmes et de l'imaginaire. C'est une vérité comme une autre à laquelle, sans savoir pourquoi, non je mens, je sais très bien pourquoi, on n'accorde qu'une faible importance. Bref, elle est souvent plus esthétique que celle des Grands Légumes en haut de forme qui se croient au-dessus de toutes ces histoires de bébé. L'ami Champignon était le plus imprévisible des personnages. Mais avec Patate le plus doux et le plus respectueux. Il n'hésitait jamais à se découvrir et à montrer son vrai visage. Il se cache à ceux qui ne méritent pas, selon lui, son attention et sa véritable identité. Ils croient tous à Champignon noir et cassant. Ca fait rire Patate qui sait combien il est tendre et rassurant. Champignon est un sacré ami. Et on en parle, là, parce qu'il a son rôle dans toute cette histoire. Il répare toutes ces purées que Patate est devenue. Il lui dit que c'est du passé, sans le formuler vraiment, tout le monde est encore jeune. Mais il lui fait comprendre que les Carotte et compagnie sont des petites salopes dont il se détournerait. Lui qui peut briller quand il l'a décidé, de sa collerette et de son pied noirs, luir et ébahir certains de ses congénères, il ne croit pas ce que Patate raconte des furies du passé et de ses aventures merdeuses. Si, il la croit bien sûr ; Il est bien trop respectueux pour ne pas croire. Mais il n'a pas envie parce qu'il déclencherait instinctivement son venin et le leur cracherait à la tête, sans autre forme de procès. Champinoir défend ses amis contre vents et marées. Et Patate découvre cet amour-là avec lui.



mercredi 1 février 2017

Ne pas être des siens

Patate avait toujours eu peur des autres, peur de leur force, peur de leur assurance, peur de leurs rires.
Elle regardait partout autour d'elle.
Aurait voulu être une chouette.
Une mouche.
Un lynx.
Le monde a des yeux et des fusils
à tous les coins.
Le monde,
pas la terre Ducon !
le monde !
La foule !
La troupe !
Le clan !
Le gang !
de ses congénères.
Une congénère,
gènes communs,
gènes de cons,
paraît-il gènes de conscience,
pas souvent,
ou c'est pire alors,
et gènes de victimes, où sont-ils ?
Elle se tordait d'angoisses
lèvres scellées.
Gènes plus cons que communs,
moins bons que putains.
Prêts à tous,
vendre son pair
sa pair.
La peur de ne plus être rien,
pas même un chien,
moins digne qu'un pigeon,
plus bête que tous les pieds.
Elle ferme les yeux
et les voit sourire
les yeux flambants de moquerie.
Pas la peine de rire aux éclats.
Envie de les détester
mais non,
elle leur lécherait les pieds.
Finalement qui se vend ?
On ne sait plus.
Ils peuvent l'entourer
en cercles
concentriques
une danse du feu
mais elle n'est pas le totem.
Dommage...
L'enlacer et sortir leurs langues sifflantes,
la planter en elle,
chacun,
la violer en dansant
à coup de langue-harpon.
Elle est à leur merci,
ouverte à tous les vents.
Elle ne désintègre pourtant jamais.
Le monde se détourne
finalement.
Monstrueusement prosaïque,
elle rentre chez elle
au soir.