vendredi 25 avril 2014

Swanplandia, Karen Russel

C’est sans mièvreries, sans pleurnicheries que Karen Russel raconte les douleurs de son héroïne et de son frère. C’est avec beaucoup de tendresse et un point de vue qu’on entend peu qu’elle raconte l’entrée en folie de l’autre sœur. L’adolescent Kiwi se rend bien compte de ses difficultés et de celles de sa famille. La petite fille est beaucoup moins au clair avec sa propre souffrance et la combativité avec laquelle elle poursuit sa sœur et sa famille en décomposition m’interpelle. En effet, je trouve cela très fidèle à l’esprit de l’enfance qui se bat jusqu’au bout pour ne pas s’effondrer. Le regard de chaque enfant de cette tribu excentrique, chacun avec sa sensibilité, donne une impression d’achèvement. J’ai en tête l’image d’un triangle que Kiwi, Osceola et Ava forment, englobant la réalité de leurs expériences singulières. La raison, la folie, l’imaginaire. La fuite, l’amour, l’aventure. On pourrait les dénommer de mille façons différentes bien sûr. Et demeure le sentiment de complémentarité de ce triple point de vue.
La transition est toute faite vers le thème de la fraternité et de la sororité. Les relations que les deux sœurs entretiennent m’ont particulièrement touchées. Il émane de l’écriture de cette relation quelque chose d’une extrême tendresse, d’une affection indéfectible, sans que cela soit jamais dit en des termes explicites. Là encore, je trouve Karen Russel très juste. Cette pudeur entre frères et sœurs, celle de l’enfant en premier lieu, contrairement à ce qu’on croit souvent spontanément.
J’ai été très touchée, je reviens dessus, par la bienveillance avec laquelle est dressé le portrait de la sœur Osceola. Sans pitié pour autant. Ce monde que décrit L’auteur est un monde où l’on a le droit d’être incorrect et étonnant voire bizarre. Personne ne dit que c’est facile mais cela n’empêche pas de vivre et de grandir. De fait, dans cette idée de bizarrerie, certains personnages donnent véritablement le sentiment d’être tout droit sortis de contes de fées, contes cruels d’ailleurs. Des personnages haut en couleurs et contradictoires.

Les images de l’enfance, on en parle par nostalgie ou par habitude. On ne dit rien de soi, au creux d’une conversation bien impersonnelle ou superficielle mais on sursaute en évoquant ces mondes perdus. Cela ne veut souvent rien dire pour celui qui écoute. Et si l’on demandait d’expliquer plus avant, qui ne serait pas embarrassé pour partager ces flashs et impressions proustiennes ? Il y en a qui se lancent, le résultat est souvent assez malheureux. Des oreilles bienveillantes et curieuses se tendent mais qui entend vraiment quelque chose de cette puissance de l’émotion d’enfant ? de l’échelle de valeurs de cet enfant disparu ? des peurs et des joies du début de cette vie-là mise en mots ? Certains auteurs s’y sont plongés, sans aucun doute en connaissance de cause. Ceux qui ont opté pour un point de vue purement imaginaire s’en sont souvent bien sorti. Les littérateurs sérieux ont accouché d’œuvres plus laborieuses me semble-t-il. Non pas qu’il n’existe pas d’œuvres sur l’enfance réussie, là n’est pas mon propos. Mais cela me semble un exercice difficile auquel peu se sont distingués.
            Je suis toujours curieuse de voir comment un auteur va s’attaquer à cette tâche ardue de raconter l’enfance et son imaginaire. Je n’ai pas été déçue avec Swamplandia. J’ai été conquise par ce subtil équilibre entre la peinture d’un monde d’enfant dans sa subjectivité et l’écriture adulte assumée de cette immaturité. C’est ce paradoxe et sa tenue le long de quatre cents pages que j’ai appréciés tout particulièrement. Je me suis de fait, autorisée à m’immerger dans ce monde marécageux et trouble où les limites ne sont nettes en aucun domaine. Ce paradoxe, c’est celui d’une écriture travaillée, riche en sensations, dont les mots ouvrent l’esprit de l’adulte lecteur, écriture si juste du monde enfant.

mardi 22 avril 2014

Caché trouvé

Pouvoir se cacher, échapper à toute forme de surveillance, se glisser dans les mailles de chaque filet qui pourrait se tendre.
Pouvoir être seul à se voir et à se regarder, à jauger de la situation et de ses conséquences ou de son inconséquence.
Pouvoir agir caché sans représailles.
Jouir de cette liberté, enfant adulte ou vieux.
Et ne rendre de compte à quiconque.
Devrait être accessible à tout un chacun cette joie d’être entier et une volonté un désir qui ont le droit.
Je ne parle pas d’actes délictueux, même si jouissifs pour certains et libérateurs. Je parle de minuscules décisions et mises en œuvre, pas nécessairement visibles mais déterminantes. Elles ne sont rien pour les autres, elles valent comme actes intimes, comme pierre à l’édifice engoncé dans le corps de mammifère vertébré qui nous définit.
En général, on ne les dit pas ces toutes petites choses. En général, on ne s’aperçoit pas qu’elles sont si importantes pour notre cohérence et notre sentiment de vivre. Elles font partie de tout ce sur quoi on ne prend pas le temps de s’arrêter, ce sur quoi on n’a pas concrètement le temps de s’arrêter le plus souvent, à moins de passer pour un illuminé ou de négliger ses responsabilités d’adulte. C’est tout un travail d’administrateur que d’être un adulte digne et respectable. Organisation, connaissance des institutions, prévoyance et budget. Même si on n’aime que l’art et les sciences. Il faut s’y coller et on est mal vu quand on recule. Ne peut-on pas être adulte autrement qu’en payant ses impôts en tant et en heure ?
Ces toutes petites décisions et œuvres infinitésimales ne se ressentent que lorsqu’un autre sentiment plus piquant s’y mêle. La honte, la colère, l’envie etc. La jouissance n’en est que plus grande et leur valeur d’actes libres et conscients aussi. Si tant est que nous puissions accomplir une seule fois dans notre vie un acte librement. Tout dépend de la définition que l’on donne à la liberté me direz-vous. Cela ne concerne que moi mais je suis d’avis qu’à peu près rien n’est choisi librement. Je dis à peu près mais je pense rien du tout. Je me laisse peut-être une petite marge d’optimisme et d’auto-détermination réconfortante. Alors choisi oui mais dans un couloir étroit de potentialités qui me sont propres, que je partage en partie avec mes pairs mais dont la combinaison n’appartient qu’à moi.
Revenons-en à ce qui nous intéresse : ces toutes petites décisions qui, l’espace d’un instant, entre deux portes vite refermées, élèvent et enracinent en même temps. Les mouvements se contredisent et somme toute sont assez banals. Mais j’insiste sur ces deux sensations. Je m’élève parce que d’un coup brutal, je me sens exister fermement, je suis légère mais beaucoup plus ancrée, plus intense et mieux cousue du haut jusqu’en bas. Comme quand les veines apparaissent sur la peau les jours de chaleur. On le sait que le sang circule sans cesse, sans notre intervention, pendant nos décennies de vie, sans discontinuer une seule seconde. Mais ces jours de chaleur où l’on s’aperçoit qu’il est là, qu’il est partout sous les airs de rien que se donne la peau, qu’il est battant et frémissant, on le voit sans s’y tromper, ces jours-là, j’éprouve toujours un sursaut de vie.
Comme si je m’apercevais du tourbillon qui s’anime nuit et jour en moi.
Comme si je tenais sous mes yeux, sur le dos de mes mains, les preuves d’un corps vivant, pourtant si régulier, presque dormant.
Comme si je détenais enfin la preuve que je cherche par tant d’actions et créations tout en volutes.
Et je me calme à observer frémir mes veines, frémir sans bouillir, sans angoisse, sans cataclysme.
Comme quand je prends de minuscules décisions, sans personne, seule au monde et que je me sens impérialement vivante, impérieusement, impérative. Je me sens exister moi et moi-même, moi en moi-même, les nœuds s’enroulent comme fait les uns pour les autres. Tout glisse pour s’emboîter.

            Et je pense à tous ceux emprisonnés dans leurs maladies qui jamais ne jouissent d’un simple moment sans regard et sans voix. Toujours un commentaire, une moquerie, un jugement, une sanction, un dieu ou un diable, pour livrer la sentence.
Leur tête a des griffes intérieures, des filets d’où on ne sort jamais, des labyrinthes construits pour y rester toujours.

            Je veux croire que je participe à cette immense tâche de libération des esprits. Pas de prosélytisme intolérant, ni de secte à payer ; chacun peut réclamer l’apaisement d’un instant, de temps en temps, le sentiment d’être quelqu’un. Tout le monde ne peut pas prétendre à cette chance. Ne l’oublions pas.

lundi 21 avril 2014

Jour clochard

Jour clochard
Jour cafard
Noir broyé.

Des années sombres et froides,
Maigres et sèches,
Sèches sans envie.
Des souvenirs qui donnent la moue de dégoût,
Celle des mêmes tout petits
A peine nés
Que traverse l'amertume.

Des années à courir derrière les grands marathoniens
De la vie,
Ceux qui courent sans penser
Ni réaliser
Leur talent.
Pas plus que le quotidien sec et mietteux,
Sans garniture
Sans fioritures.

Des années ennuyées frustrées saignées
Pas pour autant reniées
Mais pourvu qu'elles demeurent en arrière du convoi !
En quelques jours,
Les années folles réapparaissent
Beaucoup plus tendres
Beaucoup moins vives
Mais là quand même.

Et je retrouve cette rudesse,
Cette tâche infinie
Ces désespoirs
Ce cœur qui tient aux veines
Et plus à l'âme,
Cet esprit qui s'écarte
Et se désintéresse
Ces jambes qui voudraient replier
Leurs muscles
Tous qui voudraient s'arrêter
Reprendre leur souffle
Pleurer
Pleurer
Pleurer
Sans autre mission
Qu'être encore là.

Une overdose d'humains
Un immense trou de soi
Un rêve de solitude
Une grotte qui mange le ventre.

Jour clochard
Jour cafard
Noir broyé.

Et le corps est en pierre,
L'esprit suinte ce qui lui reste de candeur
Et autres petits nœuds.
Tout disjoncte
Rien ne redémarre
Toutes les alarmes clignotent
En silence.

Je suis un corps
Une pierre pas assez grande pèse
Dans le fond des tripes
Et a roulé les bons vivants
Sur son passage.
Je remplis l'espace vide
De nourriture rassurante
Inopérante
Je me sens
Après cela
Plein et vide
Gonflée sans être
Gonflée d'une pierre et ses satellites ingérés
Toujours entiers
Gonflée de plaisirs
En souffrance
Qui pourrissent
Et nourrissent
La sale pierre.

Jour clochard.
Jour cafard
Noir broyé.

samedi 19 avril 2014

Flaque de soleil

Je lis "la flaque de soleil". Pas de contexte poétique évocateur. Un récit et une expression parmi d'autres à un moment qui fait sens par les obscurs labyrinthes de la mémoire et de l'inconscient. Toues ces illuminations, j'aimerais les éclairer, les écrire, les graver. Toutes ces richesses quotidiennes perdues. C'est le lot de la normalité !

"La flaque de soleil" et apparaît comme un paradis, un rond liquide humide et chaud, jaune dOr. Pas un rond, un ovale, un ovale parfait. Comme dans les film se science-fiction et leurs portes du temps qui aspirent le héros.

"La flaque de soleil" et le film vu hier où une flaque de sables mouvants oniriques ouvre sur un monde sous-terrain.

"La flaque de soleil" et je me remémore toutes ces fois, dernièrement, où je me suis promis de tirer les vers aux nez et à la barbe de tous les mots qui cognent, qui m'éveillent, dans le même ennui quotidien. Je n'ai pas noté cette importance à accorder absolument à ces instants d'incohérence, de décalages, ces tout petits moments psychotiques, délirants, délicieux, qui me font font sentir moi comme une madeleine pour Marcel, une fugacité cohésive, je ne suis personne d'autre que moi, au lieu de tous les autres longs moments de conscience où je suis un peu de tous ceux qui m'entourent dans un même sac qui est censé dire je, un sac trop grand trop petit, trop étanche ou trop fin, un sac jamais exactement comme il faut, comme je voudrais, comme le noyau moteur de mon être le dicte, ces tout petits moments qu'on efface rapidement pour poursuivre sa tâche. Ils sont pléthores en une longue journée, dans tous les paysages que je traverse, dans toutes les températures, humidités, odeurs, émotions. Ces idées absurdes qui viennent au ton d'une voix, au rire d'un collègue, à un mot plus haut qu'un autre, à la lecture du livre de la semaine, en plein milieu d'une réunion, à la montée du bus, en s'habillant le matin. Incroyablement fertile que ces courtes secondes d'intimité avec le corps qui ponctuent la vie. La douche et son cortège d'inquiétudes et agréables fantasmagories. L'habillage et l'inlassable retour sur le passé, toutes les étapes de l'immense processus de transformations formidables jusqu'à nos jours. Et je passe comme tout le monde une grande partie de mon temps vécu au travail, à faire, à accomplir, à ordonner, à organiser (le moins possible, c'est déjà trop !), à tuer pour atteindre le soir, la fin, presque la mort dans le sommeil, non pas parce que je suis une irrattrapable dépressive, mais parce que ce sera enfin ma vie que j'aurais le droit de penser. Ma vraie vie, pas celle qu'on me vole à faire, à construire du vent. D'aucuns diront que c'est beau de penser, de rêver, de s'aventurer dans les mots et toutes leurs sinuosités, de s'émouvoir d'art et d'histoire, mais que ça ne fait pas avancer. Je leur répondrais que c'est bien la seule chose qui me fait avancer et que je serais honorée et heureuse d'y consacrer mes jours ouvrés ou non.

Et "La flaque de soleil" dans son contexte refait surface. Une mère baignée dans ses pieds jaunes éclatants qui font blondir ses cheveux noirs. Ce n'est en aucun cas la mère de l'héroïne que je vois là mais bien la mienne et sa blondeur, et sa longue place au soleil, le temps pour moi de grandir et décoller.

"La flaque de soleil" que j'aurais envie d'abréger en dessins d'étudiante pressée qui schématise les strates et formes du langage. Ces 🌑 de ☀️dans toutes les notes prises à l'université, le regard de ma voisine et amie qui déchiffre ma polyphonie solitaire. Cette complicité entre nous, ce regard souriant, bienveillant comme peu, qu'elle m'adresse à la vue des mes hiéroglyphes.

Cette flaque de soleil, expression innocente, image lue et relue, pas pour autant flétrie, est un de ces moments de folle et fou.
Plus longue, plus intense et plus vraie, ma flaque de soleil serait attrapée comme un symptôme par les savants docteurs et je serais malade, une patiente qui délire.

mardi 15 avril 2014

ma vie mon temps mon vent

Temps volé
Minutes dérobées ;
Dérobée
Dénudée
Désarmée
De mon temps.

Heures cédées
Secondes soupirées ;
Soupirée
soutirée
Spoliée
De mes heures.

Instants perdus
Manœuvre suspendue
Les autres
Aux commandes
De mon temps.
Le navire avance
Ne s’arrête
jamais
Je regarde filer
La route
Sous ma coque
Impuissante,
Obligée.
Attendre le soir
Prévoir le matin
Pour préserver
Ma vie
Mon temps
Mon vent,

Bâtir
Lentement
Sûrement
Blottie
En moi
Sans coup
Sans trou
Sans crainte.

Blottie
En moi
Moi seule
Que personne
N’approche
Ne touche
Ne tache
Ne triche
Et gâche
Mes répits
Les heures
Le temps
Gagnés
Grattés
Glanés
Raclés
Dans les moindres
Recoins
De toutes les secondes.

Ma vie
Mon temps
Mon vent,
Dans ma toute petite atmosphère
Mes couleurs
Mes lumières
Inconnues
Secrètes
Ecrites
Jamais vraiment dites
Pudiques.

Qu’on me laisse
Qu’on me lâche
Partez
Ou taisez-vous
Ne me demandez rien
Vous ne me voyez plus
Ne me retenez plus
Effacez-moi
Jusqu’à demain
Je ne suis plus des vôtres
Je ne suis plus la vôtre ;
Je rattrape
Ma vie
Mon temps
Mon vent.

lundi 14 avril 2014

Voix intime

            Quelques entretiens. Apprivoisement mutuel. Analyse du terrain. Bons moments. Une certaine chaleur de cet enfant et son sourire, de sa langue vivante et solide. Il est parfaitement silencieux, à part les claquements de langue, bruits de lèvres et de souffle. Je n’entends pas un son pendant les trois premières séances. Il laisse ses mains faire l’affaire sans y ajouter de sons redondants. C’est du moins ainsi que je perçois son discours purement signé. A vrai dire, je ne suis même pas sûre que je me fasse la remarque de son silence sonore et non discursif, sur le moment. C’est comme souvent avec les sourds signants à l’aise et communicatifs un silence de l’ouïe et de la voix que j’oublie puisque l’espace est habité par les signes. L’espace ne vibre pas, ne résonne pas, certes. Mais il se peuple d’images et constructions, de maquettes à la minutie chirurgicale.

            Ce jour-là, j’attends la continuité tranquille de notre début de confiance et d’alliance. Mais j’ignore encore que j’ai affaire à un enfant rapide et surprenant. Je n’ignore pas que l’humain ne se prévoit pas. A force de côtoyer le handicap intellectuel, j’attends tout de même et je me prépare à de nombreuses répétitions nécessaires et semble-t-il libératrices, malgré mon sentiment de morbidité et de stagnation. Bien entendu, je ne me rends pas compte de mon implication dans ce mécanisme huilé. Ou plus précisément, je ne me rends pas compte avec cet enfant-là de son inadéquation. Je m’adapte depuis le début à sa vivacité d’esprit, cela va de soi. Mais j’oublie qu’il s’agit d’un enfant en bonne santé psychologique et qu’il est sans doute animé de la même vivacité psychique qu’intellectuelle. Je ne peux pas le deviner me rétorquerez-vous peut-être. J’e ne peux pas le deviner, non, mais je peux penser cette hypothèse. Je crois que j’ai senti cette souplesse et j’ai parlé à mes collègues des ressources dont disposais ce jeune. Mais je n’ai pas imaginé concrètement qu’il y aurait modification en quelques heures ensemble.
            A me lire, on pourrait s’imaginer un changement fabuleux. Ca n’est pas le cas. Il n’y a rien de magique et il n’y aurait rien eu d’inattendu si je m’étais laissée convaincre par les qualités évidentes de cet enfant et que je ne m’étais pas réenclenchée sur mon mécanisme ronronnant, protecteur mais un peu découragé, il faut l’avouer.

            Nous nous installons au bureau comme d’habitude maintenant. Un moment d’échange et il dirige l’entretien vers ses goûts de jeune adolescent. Il souhaite me montrer des images sur l’ordinateur. Nous nous mettons en place. Pendant ce temps-là, je me mets à entendre sa voix que je ne connaissais pas. Il est souriant, un peu excité, le corps se met en mouvement, les yeux déjà très présents, deviennent pétillants. Ce sont des mots qui sont rajoutés sur des signes, et surtout des mots à grande valeur phatique. Il m’appelle, m’interpelle, m’inclut dans son intérêt.
            Je ne peux pas me rappeler de ce qu’il a dit précisément, de quels sons et mots il s’est saisi pour s’exprimer pour la première fois avec la voix. J’ai été happée, à vrai dire, pas le langage intime qu’il représentait, un peu aussi par l’émotion des corps qui vibrent. Lorsqu’on parle, on vibre, on sait que l’autre occupe l’espace plus ou moins fort avec sa voix mais physiquement. Et non, on ne le sait pas vraiment mais on le sent intuitivement. Quelque chose de proprement physique et charnel se joue dans la voix et sa projection, son timbre, sa mélodie et son adéquation avec les termes employés. Avec un Sourd qui n’utilise pour ainsi dire pas sa voix, le corps est très présent également et de manière beaucoup plus évidente. On croit de prime abord, j’ai cru plus précisément, que je mettais enfin mon corps en question dans la langue et l’expression grâce à la langue des signes. Je m’étais trompée lourdement. La langue des signes montre avec le corps et de fait, montre le corps. La langue orale ne montre pas le corps, elle en extrait une profondeur. C’est une véritable intimité que la voix, une expression de notre chair et des désirs qui l’animent. Les grands timides ne s’y trompent pas en la baissant et l’utilisant si peu. Un Sourd qui pour la première fois utilise se voix, nous autorise un accès à son intimité, il nous ouvre une porte de plus sur sa vie intérieure. On pourrait dire qu’il est simplement plus fatigué ce jour-là. Je ne suis certainement pas de cet avis : un loquet s’est défait et une couche de profondeur plus intime s’est donnée à nous.
Avec cet enfant, je l’ai d’emblée interprété comme une marque de confiance, comme un signe de bien-être dans ce lieu-là face à moi. Et son corps a été beaucoup moins immobile et passif qu’au cours des entretiens précédents. L’ordinateur faisait tiers entre nous, à ce que je crois, et le jeune a lâché du leste et a décroché la voix et un bout du noyau intime.

jeudi 10 avril 2014

Tête à l'envers du parano

La faire taire
Lui clouer le bec
Lui écarquiller les paupières
Et exhauster l’odeur
Les couleurs
La matière
Toute qualité
Intangible
Interprétable
Intolérable
Apparemment
Car inversé
Projeté
Propulsé
derrière le mur du son
et des images
dans le chaos intime
d’où tout resurgit
sens dessus dessous
échevelé
la femme est homme
la victime est bourreau
l’insulte est compliment
le coup est retourné
plus le piment des
à-côtés
multiples condiments
inventés.
On écoute
L’univers se retourner dans sa tombe
Pourtant
Habitué
des mensonges humains.
Mon univers
Se rétracte
Crispe
Tend
A l’extrême
Pour ne pas
Rire narquoise
Ou sourire méchamment
Ou me moquer...
Impossible moquerie,
Degré zéro du discours
Du signifié
Ejectés toutes les subtilités
De langue et troc de mots.
Degré zéro
Plus tôt que nourrisson
Rien dessous
Rien derrière
Les mots abrupts.
J’allais dire
Vides
Vidés
Evidés
Emondés
Mais aussi
J’allais oublier
Noués
Fermés à l’éclair
Bouche cousue
Les bavards.
Une position
Rocambolesque,
On n’en perd tous son latin,
Une position
Simiesque,
Non toujours pas !
Une position
Arabesque
Sans art,
Une position
Burlesque.
Nous y voilà.
La tête sur les épaules
Mais le regard tourné
Vers l’horizon du dos,
Le tronc qui ne dévisse pas
De son axe planté,
Le cou va se casser !
Mais non, l’humain solide.
Les jambes en tailleur
En fakir,
Sans clous
Et encore, c’est une affirmation
Sans preuves,
Les clous sont peut-être
En invisibilité
Mais bien piquants.
Se cachent
Sous les lettres
Et leurs grappes
Absolument opaques
La machinerie qui
détourne
Retourne
Entourloupe
Sans mauvaise intention
Instrument de survie
Exaspérant.
Je voudrais
La fouler aux pieds
L’éradiquer
Qu’elle stoppe
l’infernal
isolement
aveuglement
l’immense
malentendu
qui pourrait
chauffer
mon propre réseau
jusqu’à sauter les plombs.
Je me perds
Face à face,
Je ne vois qu’un cou tordu
Un torse en mal
D’air
Et d’ordre ;
Le bas est inerte
Tout faux mouvement
serait fatal.

            J’écoute, j’entends, je recule sur ma chaise, je tournicote sur son pied, je me berce, je ne peux pas rester immobile en place. J’ai accueilli la jeune femme comme les autres, relativement apaisée, tentant d’écouter la plainte, la demande, la douleur et les tripes. J’attendais davantage de patience de ma part. Rapidement, est montée une rage contrôlable mais puissante. Je ne l’ai pas pensée, je l’ai contenue, incapable de plus sur le moment. La rage et sa cohorte de nervosités m’enveloppent et rit de mon calme hypocrite. Bienveillance nécessaire, je n’ai pas le choix, pas le droit de lui claquer la porte au nez, je m’en réjouis. Je pourrais me faire peur. Je pourrais dépasser mes limites. Je pourrais sortir les griffes et tout l’épic, avec venin porc-épic de l’Himalya, infecteur sans bouger. J’aurais plutôt envie de la secouer, par les bras et que les lentilles, les couches accumulées de lentilles rouges jaunes vertes à petit pois qui masquent sa vue tombent à mes pieds, forment un petit tas mesquin mais inutile désormais et que je les jette brusquement dans les toilettes adjacentes.
            Cette obscurité, cet obscurantisme, pourraient me rendre folle, pourraient m’épilepser. Je suis la saine d’esprit, ou la représentante, à défaut d’un être humain réellement sain d’esprit existant sur cette terre. Elle me demande mon avis, elle veut que je défende son point de vus obtus et absolument égocentré.
Elle est la victime, me dit-elle et je vois une furie qui agresse tout ce qui l’approche par n’importe quel bord.
Elle est la droiture et l’honnêteté, me dit-elle, alors qu’elle se glisse dans un minuscule couloir qui ne concerne qu’elle, qui ne prend que sa forme, à elle, singulière et unique.
Elle a compris le jeu, me dit-elle, alors qu’elle a inventé le sien.
Elle veut venir en aide, me dit-elle, alors qu’elle creuse dans les blessures.
Les autres sont bizarres, me dit-elle, alors qu’elle délire à plein tube.
Se taire et attendre.

Tête à l’envers du monde paranoïaque.

mercredi 9 avril 2014

Touche pas à mon pote !

Faible d'esprit
Faible de cœur
Tu cours les rues
Cache-toi et pleure
Ou bats-toi et gagne !
Honte au faible !

Faible d'esprit
Faible de cœur
Tu brasses ton air
Rumine et pleure
Ou sors et vis !
Honte au faible !

Faible d'esprit
Faible de cœur
Tu bois tes plaintes
Saoule-toi et pleure
Ou cesse et vainc !
Honte aux faibles !

Faible d'esprit
Faible de cœur
Tu mâches ta langue
Saigne-toi et creuse,
Ou dis et passe !
Honte aux faibles !

Les braillards
Ceux qui appuient
Sur le crâne
Du noyé
En beuglant
Leur mépris.

Les fortiches
qui se croient
Si faciles
Si tranquilles
Dans leur vie
De coton.

Les toquards
Ceux qui vantent
Les mérites
Du bonheur
Des amis
Et des fleurs.

Les postiches
Qui déglinguent
Le réel
Et ses règles
En brillant
Jusqu'aux dents.

Si une fée marraine
m'avait couvée
et proposé
Trois voeux
chaque mois,
J'aurais hurlé
Haut et tonnante
A l'injustice.
J'aurais exigé
Sans appel
Ma part du gâteau.
J'aurais détruit
Sans retour
Mon immonde monde.
J'aurais aussi massacré
Impunie
les impies
Mécréants
Sceptiques
et autres hérétiques
De la souffrance
Invisible.
Je les aurais
Regardés
Se répandre
en supplications
et larmes brûlantes.
Je n'aurais pas bougé,
Je n'aurais pas été coupable.
La fée
Ni les massacres
N'ont existé.
De tout mon cœur
Je l'avoue
Je les ai rêvés
En robe de
princesse
Déchue.
Je les laisse
aujourd'hui
A ceux qui restent.
Je n'en ai plus besoin.
J'ai trouvé ma baguette.
J'ai trouvé ma magie.
Je suis ma propre fée.
Et chaque jour
qui se passe,
Je remercie
Dieu
et les autres
et toutes les providences
de vivre sans massacres
Et sans fée.

Mais les imbéciles
et sans cœur
vivent  toujours
Ça et là
Et partout.
Ce sont des proches parfois,
De gens que j'aime
et ils entonnent le refrain
Du
Faible d'esprit
Faible de cœur
Honte aux faibles !
Je me tais
Ou presque
Si je peux.
Pas souvent
Mais.
Je me change
en Erynie
Folle de rages
si l'accusation est
portée.
Une vraie folle
si la victime
danse dans mon cœur.

De quel droit ?
Tu fais donc partie des forts ?
Non tu ne le mérites pas.
Tu as seulement une chance inouïe.
Ça a toujours été ?
Tu n'as pas fait grand chose pour,
donc.
Tais-toi !
Incline-toi !
Face à ceux qui s'ébouillantent
à chaque respiration.
Tu leur dois le respect,
Le plus grand respect.
Celui qui t'impose le silence.
Implore-les de t'apprendre !
Soumets-toi à leurs douleurs !
Traverse tout seul cet enfer !
Et tu pourras parler.
Et tu cesseras
Alors,
par enchantement,
n'est-ce pas ?
de trier
Faibles et forts.
Tu serais un vrai fou
de maintenir
ta théorie.
Et si tel était le cas,
fou aliéné,
Tu béniras
le jour venu,
Ceux qui t'auront
Pansé.

De quel droit
Sentences-tu ?
Sermonnes-tu ?
Tu es pauvre d'esprit.
Ravale tes sales paroles
et écoute
mon amie
mon être cher
qui se bat sans relâche
et que tu désignes de
Faible.
Ferme ta grande et bovine
bouche !
Tu n'as jamais rien entendu.
Tu n'as jamais rien écouté.
Certainement
tes propres entrailles,
les premières.
Tu auras peur.
Et déjà,
tu saisiras
l'ampleur
de ta bêtise.
Et tu penseras peut-être
à admirer
les indigents
les délirants
les loqueteux
tous sanguinolents,
qui continuent
De se réveiller
et de t'aimer.












lundi 7 avril 2014

Le fantasmeur et fou du roi

Empêcheur de tourner en rond
Dogmatique
Détrôneur d’idées reçues
Relativiste
Sensible intellectuel
Muré dans son secret professionnel
M. et Mme Je-sais-tout
Donneur de leçon
Ecouteur professionnel
Bienveillant et neutre
Inspiré silencieux
Cosmique farfelu
Poubelle à fantasmes
Arbitre incorruptible
Fantôme exaspérant
Insipide indolore
Provocateur invétéré
Sans affinités
Retrait spatio-temporel
Désincarné
Grande gueule
Syndicaliste
Ne jamais rire
Comique sans public
Médecin raté
Faux philosophe
Somnoleux justifié
Scientifique intuitif
Paradoxes sur pattes
Patate sur allumettes
Solide et friable
Alcoolique abstinent
Tortueux synthétique
Ressource ultime
Messie vite déchu
Autodestructeur de son mythe
Ancré au plancher
Etiré de théories
Purgatoire sans torture
Mais pas sans conflit
Artiste du kaléidoscope
Amphibie polybie
Myriadeur d’émotions
Psychologue en institution.



Un échantillon des milliards de fantasmes portés et véhiculés par le psychologue, ceux des collègues d’autres professions, ceux des autres psychologues, ceux des cadres, ceux du psychologue lui-même.

Que fais-je toute la journée dans mon bureau et en réunion ? Je fantasme. « Tous des pervers ces psychologues ! » qui n’a pas entendu cette phrase, le plus souvent sur le ton de l’humour et sans mauvaise intention ? La phrase qui résume tout : je la crédite d’une grande vérité sur notre exercice. Sans plaisanterie. Non pas que nous soyons tous des pervers, l’angoisse de l’autre ne nous est pas jouissive et nous ne décelons pas du sexe bestial à tous les coins de mots. (Qu’est-ce qu’un pervers d’ailleurs dans la bouche de ceux qui emploient ce terme ? Toujours cet écart de vocabulaire à combler avec des liens bancals et dont on se satisfait parce qu’on n’a pas le choix. Et que sinon, on crève.) Je reviens donc à cette histoire de pervers. Ce que j’entends personnellement dans cette exclamation, c’est qu’en effet le psychologue et autres psys bien entendu, écoutent les fantasmes qu’il y a derrière les discours et les actes des gens. Pas en pleine soirée arrosée entre amis, qu’on arrête ce fantasme ! parce que oui, vous aussi fantasmez amis anti-psy. Il ne faut pas le dire à tout le monde, on ne voudrait pas se faire des ennemis dans tous les cercles. On fait bien attention à être terre-à-terre voire simpliste en début de relation pour montrer qu’on n’est pas une turbine à fantasmes. Chose bien entendu fausse et irréaliste. Mais si ça réconforte les méfiants, ma foi, ça amuse un moment. Se passe-t-il la même chose en institution médico-sociale ? On penserait que non, on a l’habitude du psychologue. Mais franchement, qui a vraiment l’habitude de dialoguer avec ses fantasmes ? A part les psychologues, psychanalystes, psychiatres ? D’ailleurs, il faut se faire payer pour ça pour ne pas devenir fou. Donc, qu’il s’agisse d’une institution ou d’un monde tout autre, le psychologue est une corbeille à fantasmes, il suscite des envolées parfois très surprenantes, très authentiques, très agressives, très douloureuses. Des mots et des saillies que personne n’avait prévus. Parfois, cela fait rire, parfois, cela inquiète, parfois, cela gêne, toujours cela interroge. On passe dessus et on organise ensemble le travail.
Les remarques les plus fréquentes auxquelles j’ai affaire sont : « Moi j’ai jamais rencontré de psy sympa » et me prenant à parti : « tu avoueras qu’ils sont étranges », « le psy j’y suis jamais allé et c’est pas demain la veille » « Je me suis toujours débrouillé seul », « moi ça me pose pas de problème d’aller voir un psy mais je n’en ai jamais eu besoin donc je n’y suis jamais allé », « j’ai pas les moyens » etc. Et tout ceux que je n’oublie pas qui ont déjà consulté un psy et en parlent tranquillement. Ce sont souvent des occasions de rire avec les collègues parce qu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils viennent de dire avant de constater que je ne réponds rien mais que je trouve ça drôle. Ou alors, c’est agaçant, pour de multiples raisons et on se tait, on passe à la question suivante.

Moi, quoi qu’il en soit, je rumine au sens propre les mots et j’en extrais la sève, je pourrais ne jamais m’ennuyer. Il y a toujours une parole qui sonne plus haut que les autres, ou qui fait frissonner. Ni de peur ni de dégoût. Rien de tout ça. Je frissonne, je m’allume. Dans la mélodie habituelle des mots, il y en a quelques-uns ou une phrase qui brisent la ligne qui flotte doucement.
Le mot qui
Coince
Couine
Claque
Craque
Coupe
Et
Pique
Tique
Le cerveau qui s’agite.
Coup de pétard
Starting blocks éjectés,
Piste chauffée
Flambée de neurones
Emotifs.
Il se passe toutes ces choses, en quelques millisecondes et je m’efforce, peut-être à tort, que personne ne s’en rende compte. Pour pouvoir mieux réfléchir et prendre le temps qu’il me faut, décider si c’est maintenant ou plus tard que je réagirai, préserver l’intimité de ma réflexion. Qu’il me reste au moins cette intimité-là. Je me laisse toucher et parfois remplir par des émotions fortes et vivantes, elles m’aident à vivre, même les plus dures, je ne m’en cache pas, mais mon univers de pensées est ma chasse gardée et personne ne me prendra cet endroit-là. Personne ne percera ces murailles-là. Une rigidité qui me protège et je sens qu’il s’agit de mesures de survie. Non pas que je sois en danger vital, quoi que si je me perds dans les dédales de leurs psychismes à tous ceux qui m’entourent, mais justement je dois tenir et je me cache dans mon havre douillet de pensées et arguments à tout allure.
Est-ce qu’ainsi je ne suscite pas une foule de fantasmes chez les autres ? Sans doute, mais surtout je nous protège tous du flot d’idées et d’interprétations qui me viennent en un instant. J’ai ce sentiment, parfois pénible parfois enivrant jusqu’à un peu mégalomane les jours de reconnaissance, de devoir fantasmer pour pouvoir mener à bien ce travail mais de devoir surtout me taire. Que ce soit en réunion ou en entretien individuel, mieux vaut que je me taise, la coïncidence entre le moment de l’image et idée et le moment de l’expression correcte et adaptée de ces éléments n’existe pour ainsi dire pas. Beaucoup de retenue, beaucoup d’attente et de patience, un peu d’impulsivité quand elle peut servir (déjà moins impulsive si j’ai eu le temps de la trouver utile à ce moment-là !). Voilà ce qu’on voit et que je donne à voir, à côté de la spontanéité qui brise l’image du psychologue professoral. Derrière, vous l’aurez compris, cela bourgeonne, fleurit en une seconde, comme dans les films, éclot et fane d’un coup, jaillit et devient torrent parfois. Mais le jardin est clôt et bien clôt. Il est mon paradis, je l’aime, je l’adore, il colore, il parfume tout. Mais on ne doit en connaître autour de moi, au travail, que ce qui convient à un moment précis. Est-ce vraiment possible ? Non pas vraiment, ou pas encore. C’est un bel et ambitieux objectif.

            Et puis, il y a les moments de détente, de rire, où, en tant que fou du roi, moi psychologue, je peux dépasser le rationnel de loin. Ca dérange et tant mieux. Même si cela ne me convient pas sur le moment. Je ne fais pas la fière à l’intérieur. Mais je garde le cap. « Elle est timbrée la psy ! » toujours sur le ton de l’humour et sans mauvaise intention mais complètement impensé. On ne dit pas ça impunément. Et je le prends comme tel, et je le prends bien. Parce que l’une de mes missions dans cette équipe de l’institution médico-sociale, c’est de montrer à tous qu’on peut approcher la souffrance psychique et le handicap, et la maladie et la violence sans être contaminé. Ou même mieux, que je suis peut-être un peu contaminée (à chacun de fantasmer ce qu’il veut et peut), et que cela ne fait pas de moi une anormale. Et aussi, qu’on a le droit de lâcher prise et de ne pas être absolument dans les clous. Je sous-entends sans jamais le dire clairement que si l’on travaille dans le médico-social, il y a des chances qu’on soit déjà un peu excentré voire nettement excentré du minuscule chemin de la norme. Tant mieux, sinon personne ne ferait ces métiers de l’humain et de la souffrance. Ce que la plupart des gens ne voit que comme souffrance, que j’appellerai davantage richesse. Et puis souffrance pourquoi pas ? Il n’y a rien de mal à cela. Qui peut se targuer de ne pas souffrir, de rien, jamais ?
Certains disent qu’on est masochiste à faire les métiers du social. Sans doute un peu ou beaucoup. Moi, je dirais un peu brutalement que ceux qui disent cela avec hauteur sont aveugles. Chacun sa merde comme on dit.
En tout cas, le psychologue peut aussi aider à soulager ce masochisme inconscient et cette culpabilité qui plane, inhérente à notre culture avouons-le, chez les professionnels. Jamais exprimé en ces termes, je me transforme en fou du roi pour repousser les étouffantes règlementations. Et puis chacun son tour avec son chapeau à grelots du rire aux larmes.

dimanche 6 avril 2014

Gladiateur de l'esprit : guerrier de la psychose

Soldat
Qui-vive
Que voix cruelles
Tracassent
Fracassent
Enlacent
Diaboliquement
Quotidiennement
Enchâssent
Pour qu'il
Trépasse.

Soldat
En chasse
Que voix cruelles
Tracent
Menacent
D'éternel châtiment
Enlacent
Diaboliquement
Quotidiennement
Chaque heure qui passe
Embrassent
Pour qu'il
Tarisse.

Soldat
Trahi transi
Que voix cruelles
Terrassent
De cris
Crispés
Craqués
Croqueurs
De vie
Et castrent
Diaboliquement
Quotidiennement
Tous les jours que Dieu crée
Encrassent
Pour qu'il
Crevasse.

Soldat
Creusé
Que voix cruelles
Caressent
Immondes sirènes
Entressent
Dépècent
Impudiques
Illégales
En fesses
Pétasses
Pelotent
Diaboliquement
Quotidiennement
Empestent
Pour qu'on le fuie.

Soldat
aux voix cruelles
aux yeux troublés
qu'on fuie
Renie
Honnit
On rit de lui
De sa folie
De ses lubies.
Soldat de l'ombre
Méprisé
Éloigné
Étiqueté
Fou furieux.

C'est le soldat
Par excellence,
Celui qui ne perd pas courage
Celui qui se battra jusqu'à la fin
Pour une simple survie
Celui en guerre civile
Invisible
Jour et nuit
Qui souffrira
Jusqu'à la solution
La vieille solution
Deshormonée
Fripée
Mais enfin un peu calme.
Ou celui-là qui ne parviendra pas
A abolir les filtres qui le brisent
Et l'isolent
Son monde jusqu'à la fin des temps
Sera rouge sang ou vert.
Hommage sans faille à ces soldats
A l'esprit
Ébouillanté.
Rien de palpable
Pas de feu flambant
Une monstrueuse bataille
A mort
Dans le cœur.
Gladiateurs
Méconnus.




vendredi 4 avril 2014

Lézard contre cafard (58)

Boulot dodo
entre les deux
passe au lézard.
Pas un café,
toujours rituel
animalerie
les soirs
vingt-huitards
& Co.
Durée variable
de l’épisode
entre trois et quatre jours
et surtout nuits.
Elle connaît ça
la Samantha
derrière son comptoir,
que vous connaissez
vous aussi.
A chaque jour
sa bestiole.
les chats,
déjà vus.
Vient parfois
comme aujourd’hui
le tour
du lézard.
Y en a toujours un
en rayon.
Pas que ça pullule
mais un par mois
rien que pour
la gosse
qu’elle se régénère.
Sûre qu’elle sait pas même
que Samantha
la chérit
et dorlote.
Peut-être qu’elle existe.
Pas besoin
Samantha
passé l’âge
des gratitudes
et révérences.
Elle lui fait bien
un petit signe
en entrant
sans succès.
Ca dépend,
Imprévisible.
Les mêmes
Samantha
et Anna.
Mais
sans tâches
sans flammes
qui sortent du crâne.

Aujourd’hui,
Se dirige
sans réfléchir
comme automate
Vers les
griffes
Poils
Plumes
truffe.
Pour mademoiselle,
(jamais madame
bien trop menue)
ce sera … ?
de l’écaille
et sang froid.
Elle ging gling
le carillon d’entrée.
Ca va ce soir,
mais sablonneux
c’est ça qu’on dit ?
Siphonné ?
Savonneux ?
Peut-être plus.
Ca glisse
Et c’est pentu
Bossu
aussi.
Un petit coup
de nanimal,
et bonne santé
mentale.
C’est idiot comme phrase
mais ça marche.
Elle s’abreuve
Pas du sang
Elle est pas folle
Totale
quand même.
Elle touche
et siffle
les vapeurs
de
lézard
aujourd’hui.
C’est le remède
idoine.
Elle ne trouve pas ça
banal,
sait
qu’il n’y a qu’elle
pour faire
ça.
Elle s’en balance,
elle fait ce qu’il faut
savoir ce qu’on veut
vraiment guérir
ou pas
demander son reste.
Les autres
n’aiment pas
le lézard.
Elle l’aime parce qu’il rime à
hasard
bazar
falzar (un drôle de mot)
blizzard.
Tous des bizarres.
Ca l’amuse
et rassure.

Elle pose sa main
sur son dos
sans bouger
sans rien. Elle ferme les yeux.
Elle s’imprègne
De sa vie
De reptile.
Samantha aime pas bien
Les croco et compères.
Elle
réconcilie avec eux.
Cette douceur
et plaisir
qu’elle a
à les sentir.
Je sais pas ce que ça vaut
mais vivarium
leur boîte
c’est vrai.
Ca regonfle
en un mot.

Et elle repart
sans transe
sans chichis.
Jeune femme
flamboyante.