lundi 30 mars 2015

La faiblesse et la force

Déterminer
où est le bon
où est le faible ;
examiner
le viable
l’handicapé ;
fouiller les êtres
à la recherche
des plus
des moins ;
établir deux
jolies colonnes,
proprettes
idiotes
et calmes ;
coller des
sparadraps
pansements-étiquettes
mutifonctions ;
ranger
et entasser
du plus grand
au plus petit
pour un équilibre
parfait.

Ou alors,
on peut aussi…

être à terre
tant on se sent
fragile.
Moi et d’autres
nous sommes
roulés
dans la terre
et parfois les ordures.
Parce qu’au moins là
était un fond.
Jusqu’au jour où,
infortunés,
même les poubelles
et la planète
ont cédé
sous nos derrières
bourrés
de coups.
Moi comme les autres,
on n’a pas cru qu’on
pouvait
descendre plus bas.
Mais il n’y a pas de limite
si ce n’est celle fixée
en désespoir.
Alors l’ivraie et le bon
vin ne font qu’un.
Même soi,
on n’est sûr de rien
de ce qu’on est.

Passent les ans à se mettre
debout.

Et surgit un jour,
l’image de
l’escalier colimaçon,
on aurait bien
envie
aussi
de parler d’escargot.
Avec un peu d’orgueil quand
même.
L’escargot fier
et complexe.
On voit aussi une vis
qui s’enfonce
dans un meuble
le fend
et se fond.
On se voit
danseur étoile
pirouettant sur soi-
même
jusqu’à devenir
un tournoiement
indistinct.
Et surtout
l’escalier colimaçon,
comme dans les histoires
magiques
de
citrouilles cabanes
et arbres multicolores.
L’escalier colimaçon
fait d’écorces d’arbres
multicolores ;
a base de vert.
Une lourde écorce
malléable et
enveloppeuse.
De conte.
De lutins et
de fées.
De forêts enchantées.
Parce que voilà
pourquoi :

Au départ est
un être chétif,
malingre,
comme attendu,
malaimé
et honteux.
Son tableau
est entièrement
gris.
Avec de belles nuances
chaudes.
Mais toujours tristes.
Il pousse en lui,
de tous ses pores,
entre les orteils
et de tous les
trous,
une plante
maléfique.
c’est celle qui
l’empoisonne.
Il lutte
comme un
forcené
pour
l’éradiquer.
D’arrache-pied,
il élimine
la mauvaise
graine.
C’est un labeur
du jour et la nuit.
Il ne ménage
aucun effort.
Tout demeure
gris
et souris.

Cela dure des années qui
paraissent
des siècles.
Il pense
à l’Apocalypse,
il ne trouve pas
cela si
grave.

Imperceptiblement,
le tableau
laisse
entrer
quelques taches.
De plus en plus.
Très,
lentement.
Très,
lentement.
Mais cela ne s’arrêtera
plus.
Parallèlement,
il étudie
la plante.
La phase d’observation.
Sans les mains.
La phase des hypothèses.
La phase d’expérimentation.
Avec les gants.
A mains nues.
Jusqu’au jour
tout le spectre
lumineux
s’est invité au
tableau
et où
la plante a poussé
pour le
bercer
et l’ennoblir.
Peu à
peu,
il a viré de toutes les
couleurs,
habillé de son arbre
vert
en colimaçon
tout autour de son
être.
Il est de la forêt
magique,
il rit
et il éclaire.

Passent les ans à réfléchir
ce monde.

Puis,
il recommence
à griser.
Il s’éteint.
A nouveau.
Retourne à ses
démons.
L’arbre
devient ronchon
parfois.
Il avait pourtant
tout trouvé !

Passe une longue année
à se creuser
la tête.

La tête n’arrive à rien.
Un jour, il sent
que
définitivement,
il a laissé
entrer
la plante au tableau.
C’est la métamorphose.
il se va à lui-même.
Il a cru qu’ils
étaient
deux.
Il s’est trompé.
A eux deux,
ce n’est que lui
et il touche enfin
parfaitement
tous les creux
et rebords
de sa coquille,
la sienne
et la sienne seule.
Plus jamais,
il ne verra
son arbre.
Mais il sait qu’il
est là.
Lui, la plante maléfique
et les malheurs.
Ils sont là
et parfois
ils ressortent
pour un duel
ou une petite guerre
orchestrée.

Sa faiblesse
est sa force.
Il l’a laissée
fondre
comme un vieux
camembert.
Il l’a laissée
œuvrer.
Il a rouvert les yeux.
Le colimaçon est
désormais
à l’intérieur,
dans toutes ses artères.
Il a l’air d’un
lutin,
un vrai de vrai.
Et ses yeux noirs sont
bleus.

mardi 24 mars 2015

Regarde et écoute

Aujourd’hui,
Bonjour mais on ne rit pas.
Je souris,
c’est permis.
Bien Monsieur.
J’attends la suite.
Toujours à penser qu’il a
dix-huit wagons
de retard,
qu’il ne les rattrapera pas.
Qu’en tout cas,
il lambine
en route.
Il prend son temps.
J’ai trépigné
en mon for intérieur.
Puis j’ai arrêté de
m’impatienter.
J’ai attendu,
sans trop m’en
rendre compte.
Le voilà qui
se métamorphose.
Le voilà sérieux et grave.
Sans être une victime,
sans être un coupable.

Voilà ce qu’a été ma vie.
Regarde–moi ce gâchis !
Regarde comme j’ai le
droit
d’être
en colère !
Regarde ma colère !
Regarde ma douleur de minuscule
que personne ne console !
Regarde comme on
m’a attrapé
et bien jeté dehors !
Regarde comme on m’a empêché !
Regarde comme c’est injuste !
Regarde mes mains qui
t’expliquent
enfin
qu’on s’est moqué de moi !
On m’a dit :
Tu es bien un enfant,
oui, tu n’as que quatre ans alors tais-
toi donc !
Mais protège-nous adultes fragiles
et titubants.
Chut, ferme ta bouche !
serre tes lèvres !
Sois l’image qu’on attend
de toi !
Pas plus ni moins,
surtout pas moins !
mais jamais plus !
Fais ce qu’on te dit,
mais ne dis rien !
Parle quand il faut
et range ta chambre !
Suis trop petit,
Maman !
Ne m’appelle pas Maman !

Les mots ont fini par
s’épuiser
à force d’être
malmenés.
Le sens ne s’est plus invité
dans ce logis.
Il a avancé
jour après jour,
tête baissée,
sans trop grandir.
Pourtant, ses yeux
sont toujours rieurs.
Il veut rire
s’amuser
avec ses congénères.
rattraper tout ce temps
à pleurer
en silence
derrière
une commode sale.
Aujourd’hui,
les yeux ne plaisantent pas.
Ne plaisantent plus.
On ne plaisante plus
et cela se passe de mots.
Les yeux grand ouverts
appellent à ce qu’ils peuvent
avoir :
leurs semblables
se joignent à eux,
en face
et tiennent jusqu’à ce que
l’immense colère
ait fini
de beugler.
Le sourire,
toujours à moitié là,
s’est parfaitement
envolé.
La bouche tombe
et entraîne son menton.
Tout le visage s’allonge.
les phrases aussi.
Tout devient dense
et brûlant.
Le silence
est brisé.
La peur enveloppe tout.
Il n’a plus honte de
rien.
Il doit
se nettoyer.
C’est le grand ménage de
printemps.
Qu’on ne lui dicte plus
ces ordres impossibles !
Il n’y répondra plus.
Il suivra sa colère.
Plus sa peur.

Je suis grand aujourd’hui,
voilà ma chance
à partir
de maintenant.

lundi 23 mars 2015

Du haut de sa colline, elle

Elle dévale la colline, prête à entrer enfin sa vie et les autres. Elle part de tout en haut, là où rien n’advient, là où on attend le vent, ses folies, ses caresses. Elle a vécu toutes ces dernières dizaines (pas des mille et des cent mais bien trois tout de même) sur la crête, en girouette mais aussi en alerte de tous les murmures du monde. Le son monte et s’amplifie. Elle a perçu les moindres mouvements de l’univers à portée, tous les êtres à cinq kilomètres à la ronde, avant la prochaine colline ou quelconque barrière. Il y en a de toutes sortes. Mais elle s’est arrangée pour regarder du côté-là, celui des monts et vaux.

Elle dévale sa colline, prête à en découdre avec la mer et la terre. Elle a soupé du vent, elle veut changer de crèmerie. Elle devient familière, elle en a ras le pompon. Elle ne sera désormais plus correcte à travers toutes les tempêtes. Les premiers qu’elle claquera en pleine binette seront ceux qui ont dit, des siècles et des siècles durant, elle le jurerait sur tous les dieux, qu’il ne faut pas se laisser faire, révolte-toi et crie. Elle se dressera en premier contre eux parce qu’ils n’ont rien respecté. Ils ont prêché leur imbécile de bonne parole. Et ils n’ont fait que reculer le moment pour elle et ses mêmes de descendre du perchoir et d’entrer dans la ville.

Elle n’a plus peur d’être plus qu’assise, d’être trop grande. Elle se dresse en ce jour, ne marche pas sur l’eau puisqu’elle n’est pas biblique, mais se déplie entière. Elle a été jusqu’à présent un bloc compact en suspension toujours instable et prévisible. Le déséquilibre programmé. Elle en a fini avec ça.

Elle dévale et l’air s’engouffre dans tout ce qu’il trouve comme fissure et trouée. Le vent est resté tout en haut. Elle reviendra le voir sans aucun doute. Pour l’instant, elle s’en va, elle dévale la pente à perdre haleine. « Doucement, ne t’emballe pas ! » Elle les entend les précautionneux, qu’elle estime par ailleurs. Ils ont souvent raison. Ils ont même beaucoup trop raison. Mais pour vivre humainement, il ne faut pas les écouter. Dorénavant, elle s’en remettra aux statistiques ou autre science moins angoissée.

Elle courra dans les rues, elle cognera les passants, elle traversera la route et l’on s’arrêtera pour elle, pour ne pas l’écraser ou la blesser. Elle rougira sans doute mais elle rira aussi. On lui criera après ou on fera de grands gestes en pestant à l’inconscience, elle rira de plus belle. On ne l’aura jamais tant flattée. Elle continuera tout un jour de courir dans les rues, de bousculer les gens, sans renverser les vieux, elle n’est pas une sagouine !, de déraper en tournant, de glisser dans les flaques, d’éclabousser, pas trop quand même, de courir jusqu’à avoir marqué la terre. Elle ne s’arrêtera qu’une fois la nuit tombée, genoux au sol, cherchant l’oxygène dont elle n’a jamais manqué. Mais pour la première fois, elle respirera vraiment car elle aura sa place.

Le deuxième jour, elle aura dormi peu mais bien, elle se promènera doucement dans les mêmes rues, contournera les flaques et sentira en souriant ses muscles endoloris. Elle aura fait le marathon la veille, on n’en sort pas indemne. Surtout du marathon de sa vie. Personne ne la reconnaîtra parce qu’elle allait trop vite hier et que chacun a seulement pris ses jambes à son cou pour éviter la furie dans la ville. Elle se promènera toute la sainte journée, à visiter tous les trottoirs et les coins. Elle se promettra de recommencer le coup d’hier et de foncer comme une dératée. Même juste pour le plaisir d’y penser.

Pour l’instant, elle dévale dévale dévale sa chère colline. Elle mange le gouffre qui la sépare du monde. Elle brise l’immobilisme. Elle brise le charme de la naissance, de la famille et de la peur. Elle dévale sa colline de rage. Enfin, la rage.

Le troisième jour, elle écrira son livre.

La sirène de Paris

Ariel n'est pas une lessive.
Ariel est un homme, un vrai.
Ariel a une vie calme.
Quand dit-on que les gens ont une vie calme ?
Quand ils sont à crever d’ennui, voyons donc !
Ariel est un grand calme. Ariel est un immense ennui à lui tout seul.
Que dire d'Ariel ? Rien. Arrêtons-nous là d’ailleurs puisqu'il n'existe que si peu.
Je n'ai plus rien à vous mettre sous la dent.
 
Sauf que, sinon pourquoi en parler ?, Ariel a un talent. (Une parenthèse s'impose, celle qui explique l'origine d'Ariel en maillot de bain. Ariel est réincarné depuis 36 ans. À remonter ses vies depuis 1979, jusqu'à l'an 1407, le fil est aquatique. Une vie de nageur soviétique a succédé à une vie de maître d'hôtel sur un paquebot américain, qui succédait elle-même à un fou furieux poète assoiffé de cures thermales, etc etc etc jusqu'à tomber sur son incarnation animale : la carpe japonaise à rayures vert fluo. La parenthèse est close.)
 
Ariel le raseur est une sirène.
Il subjugue les foules, quand il disparaît dans l'eau chlorée de n'importe quelle piscine. Il ondule mieux qu'une contorsionniste.
Il se transforme.
Il est un mythe en plein Paris.
Un homme sans écailles pourtant.
On cherche la queue de poiscaille,
On n'y trouve que le velu sombre et tendre de l'homme moderne.
Il chavire tous les cœurs, tous les sexes y passent.
Ce n'est pas seulement tout doux roudoudou pour Ariel le barbant.
Il sourit bien entendu.
À pleines dents, oui oui !
Mais, tout le monde se retourne sur lui.
C'est gênant.
Comment nager correctement ?
Son programme en pâtit.
Il a donc pris le pli, malin comme un singe, de toujours se rendre au même établissement.
Il est connu comme le loup blanc.
Il y est comme dans son moulin.
Tranquille Bill.
Il n'est jamais bien énervé Ariel.
Ariel le calme.
Échoué sur son quotidien chaud et moelleux.
Ariel salue tout le monde et tout le monde le salue.
Il continue d'éberluer les nouveaux-venus.
Les autres jettent un coup d'œil de temps à autre.
Pour le plaisir.
Pour l'amour du travail bien fait.
Pour l'accomplissement esthétique.
Peut-être même que certains viendraient exprès pour contempler.
Ariel l'assommant n'y pense pas.
Il cligne de l'œil ou donne un signe de tête.
Il n'en tire pas de gloire.
Il est dans la droite lignée de tous ses êtres.
 
Ne pourrait-on pas croire que la pilosité d'Ariel brise le mythe d'une sirène parisienne ? On pourrait. Et croyez-moi, il n'en est rien. Ariel fait fureur comme il est.
 
Quand il repart chez lui, il sent un petit, gentil, vague-à-l'âme. La vie est trop parfaite.
Dans la rue, il marche. Personne ne le remarque. Personne ne le voit donc ? On a déjà oublié la sublime créature. Il se fait souvent écraser les souliers par les passants ou donner un coup d'épaule rageur.
Il se faufile,
alors.
Et chez lui, il dort, lit et rêve.
Solitaire.
Calme comme après l'amour.

samedi 21 mars 2015

Chuchotis chuchotas

Il se plante dans l'embrasure d'une porte. Il contemple le spectacle terrifiant de la folie.
Je dis folie ; il dit qu'elle s'oublie.
Elle n'est pas,folle.
Je dis que oui.
Il aurait immensément honte.
Je le plains de toutes mes prières.
Quoi qu'il dise, c'est bien le spectacle terrifiant de la folie auquel il assiste.
Elle ne le voit pas.
Il n'existe presque plus.
Son regard le traverse sans s'arrêter en aucun point de son être.
Son corps, sa voix. Alors, plus rien ne l'interpelle.
Elle est embourbée.
Il attendra le temps qu'elle s'extirpe de son marasme.

Il lui est arrivé de demeurer contre son chambranle.
A la regarder.
Fasciné.
Presque la bave aux lèvres.
Elle hypnotise l'être sain. Il ne bouge plus. Il n'a plus envie de bouger même un doigt.
Il faut qu'aucune molécule d'air ne bouge.
Elle pourrait exploser en un million de carreaux tranchants.
La douce Méline saignante et bouchère.

Quand il se plante et la regarde, elle répète.
Elle marmonne.
Elle lancine.
Elle balance.
Elle compte.
Recompte.
Tourne.
Retourne.
Se retourne.
Elle compte dans une langue inconnue.
Aux sonorités inquiétantes. Qu'elle n'a sans doute jamais apprise.
Elle grogne hongrois.
Dans son coin.
Elle ne le voit pas.
Il n'existe presque plus.
Son regard traverse le monde en jaune fluo.
Son monde à lui est comme une vieille télé.
Ils ne peuvent plus s'entrevoir même.
Elle est surréaliste.
Il a deux siècles de retard.
Ils sont séparés par une vitre infranchissable.

Aujourd'hui, depuis des mois, elle opéré la cérémonie dans la salle de bain. Auparavant, elle faisait ses tours dans la chambre, au coucher, au lever, en plein milieu. A deux, trois, quatre, quelque heure. Il ouvrait les yeux, les refermait sur ce qu'on désire ne pas voir. Il se réveillait la tête en sucre poussière. D'abord sans trop comprendre pourquoi. Il éconduisait toujours le même raisonnement.
Pourquoi la tête dans cet état ce matin ?
Hier soir, quelque chose ? Non, rien hier.
Et la nuit ? Non sans rêves, l'habitude.
Un réveil ? Elle tournicote sur elle-même et autour d l'armoire.
Ah oui c'est vrai ! C'est ça qui fait la tête en sucre poussière.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
Allons-y, il est temps. Et il se levait sans que forme de procès. Aujourd'hui, depuis des mois, elle opéré la cérémonie dans la salle de bain. Et le soir, il s'installe sur le chambranle. Il la regarde. Il n'est plus à la nuit. Il sait que c'est vrai.
Elle marmonne en hongrois. Il sent le sang descendre dans ses chaussettes.
Elle opère en stratège. Absolument méthodique. Absolument. La pièce est quadrillée en carrés cinq sur cinq qu'elle délimite un à un cent sur cent. Elle a devant elle une immense feuille d'architecte. Elle doit voir tous les carreaux sous les meubles, sous la baignoire. Elle voudrait sûrement soulever, arracher tout cela. Pour être au clair avec la surface. Durant les longs moments où il se fige au bord de sa grande feuille à carreaux, il ne l'a jamais vu tenter d'éclaircir son espace. Il aurait sans doute dû l'arrêter. Intervenir. Il ne sait pas comment. Jamais il ne pourra la serre dans ses bras et elle gesticulant comme un asticot hystérique. Il n'est pas un homme comme cela. Il prie de toute sa foi qu'elle n'exigera jamais cela de lui. Il ne s'est pas marié comme cela. La douce Méline qu'il faudrait attacher et bâillonner. Il craint toujours d'en arriver là. Peut être un jour; peut être de pire en pire. Chaque année rajoutant un être de folie. Non ! Pas folie. Elle n'est pas folle. Elle compte. Tout le monde compte. Lui aussi compte. Pas dans la salle de bain. Ls sous la baignoire. Et après tout, pourquoi pas ? Lui aussi aimé se bercer avec les chiffres. Il ne parle pas hongrois, c'est sûr. Une vague de panique trop lucide.
Méline, que fais-tu avec
tous ces mots incompréhensibles ?
Méline, pourquoi tout cela ?
Méline, explique-nous !
Il se retourne.
Va te coucher toi !
Tu n'as rien à faire là !
Dépêche-toi !
Mais Maman...
Il hurle, le petit bonhomme sage :
Va te coucher sale gosse !
L'enfant a du mal lui aussi à se mouvoir. Méline assomme l'atmosphère. Elle téléguide son gros nuage de plomb. Et les semelles et les pieds s'alourdissent. Chacun s'enfonce plus dans le sol. Et rapetisse.
Il ne faut pas qu'il en voit davantage, le petit gosse. Il ne faut pas qu'il puisse comprendre. Lui, le père, doit l'écarter de ce spectacle. Le protéger. Voilà le fin mot de l'histoire et des jurons. Lui qui ne hausse pas le ton pour une broutille, jure sur l'enfant aîné.
L'enfant repart, traînant la larme à l'œil. Et lui est repris dans la toupie des chiffres. Il pourrait glisser sur cette pente-là avec elle. Compter, comptine d'adultes, comptine sans émotions, chanson claire et nette. Berceuse des jours et nuits.
Ce qui l'effraie vraiment. Ce sont les chuchotements. Méline parle en hongrois. Elle en tient de longues conversations. Bien, accordons-nous sur l'existence d'une autre langue dans la vie de Méline. Une langue qui apaise parce qu'elle vient du fond de la gorge et qu'elle dit qu'elle est forte. Il comprend ainsi son hongrois.
      Mais les chuchotements sont fous.
Elle n'est pas folle !
Ses chuchotements soufflent le délire. Il ne peut pas même percevoir le langage qu'elle utilise. Les chuchotements se ressemblent tous et tournent tout autour d'elle. Ils créent un cône de vapeur jusqu'au-dessus d'elle. Tout au-dessus. T'es loin là-haut. Là où se tient les ficelles de l'esprit. Jusqu'où ? Jusqu'où. Les chuchotements annihilent toute communication. Il sait que leur présence exclut définitivement la sienne. Pour des jours, des semaines. Il devra être seul jusqu'à ce qu'elle cesse, non sans aide, les chuchotements.
Il a imaginé parfois, le duel, inégal d'emblée, entre lui et les chuchotements. C'est comme un très mauvais reve, où des milliers de lutins invisibles et facétieux puis diaboliques s'approchent, reculent, piquent, disparaissent puis se resserrent et l'étouffent finalement. Les chuchotements vont et viennent dans des allers retours nauséeux. Il les cherche quand il les perd, tend l'oreille, sur la pointe des pieds. Il se recroqueville les doigt enfoncé jusqu'au tympan et chantant quand ils fondent sur lui. Une nuée d'insectes.
Un banc de minuscules poissons.
Insaisissable.
Exaspérant.

     Et il oublie les yeux. Et les repas. Les abominables repas où tous, sans le savoir, luttent en silence pour ne pas être totalement aspirés par l'œil du cyclone. Ils sont en plein dans le mille. Ils ne peuvent pas faire semblant. C'est ainsi que le silence s'impose. Les cœurs battent pour survivre. Les têtes doivent les rejoindre et ils se rassemblent en pleine poitrine. Regarder le père, le fils, la soeur ou la mère n'est plus correct ou incorrect. Les elles du jeu sont celles de la jungle. Et dans la jungle, on ne parle pas. On ne se regarde pas. On se réfugie au repaire. Et on reprend des forces.
       Parfois, pas si souvent bien heureusement, les chuchotements surgissent. Elle a la courtoisie de les faire taire à table.
On ne chante pas à table.
Ni ne chicote.
Savoir-vivre de base.
Pas toujours.
Et le silence combatif qui règne, le beau silence de la survie, est griffé de chuchotements fous. Elle fait siffler l'air entre ses lèvres. Tout le monde longe plus profond dans la soupe. Il serre les dents. Il sent monter la rage. Il a honte d élus. Tout cela n'est pas digne.
La vie est monstrueusement indigne.
Elle chuchote.
Surtout, elle mange uniquement par couleur. Chaque semaine à sa couleur et ses aliments afférents. Ils doivent s'y soumettre. Ce n'est pas foncièrement, physiquement, esthétiquement douloureux. C'est que sa folie s'anime et prend corps dans la gorge de chacun des membres assis autour de la table familiale. Chacun doit avaler un bout de son mal. Chacun le sait. Et n'a d'autre choix que de l'admettre docilement. La deuxième fille se rebelle parfois. Elle dit que c'est dingue et qu'on ne peut pas laisser encore faire ça. Mais le père l'a fait taire d'un regard. Le seul échange de ce repas.
Un jour, la jeune femme qu'elle deviendra quittera la table quand
chuchotements
couleur hebdomadaire
et autres hérésies.
Affiché en clair sur le mur de la grande salle. Pour ne plus pourrir tous les soirs pendant quarante-cinq minutes d'alimentation en groupe obligatoire.

      Et il oublie encore les yeux. Ses grands yeux noirs sont vides. Il aurait moins peur de petits yeux bleus vides. Le bleu est toujours un peu vide, un peu saisissant, à moitié transparent, pas complètement colorié. Le noir est opaque même sur les corps vitreux. Méline est une noiraude. Elle n'est pas expansive. Elle a tout de même les yeux chauds.
En temps normal.
Quand elle retrouve sa voix haute.
Mais les grands yeux noirs vides le font frissonner. Il est traversé est déshabillé par leur inertie. Ils lui révèlent chaque seconde davantage que sa vie ne tient qu'à un fil.
Un fil, un élastique capricieux, logé, peut-être, au creux des pupilles.
Un élastique pour lequel les scientifiques et les médecins nOnt pas de pinces ni pansements.
Les grands yeux noirs vides le font pisser au froc.
       D'un coup, ils s'animent pour un autre qui se dresse derrière lui. Quelqu'un qu'il ne connaît pas. L'autre homme. Méline se mue en chatte mielleuse. Elle minaude comme la putain du village. Elle se tortille. Tout son corps se transforme. Elle surchauffe l'ambiance. Et l'homme invisible lui sourit, l'aime et la caresse, même en plein jour, même devant lui, le mari trompé. Elle est une chatte en chaleur qui minaude et veloute son être. A la limite du supportable, il sort de la pièce, il doit trouver un appui. Un mur. Insipide et inamovible. Il ne peut s'empêcher en mari jaloux d'écourter la conversation. Une conversation haute et forte. La phase des chuchotements a cédé. On ne se cache plus désormais.
Elle : " que veux-tu mon grand loup ?"
... Lui ? : "toi toute entière, mmmmh..."
Elle : "je suis à toi mon tout beau, mmmmh..."
... Lui ? : "il faut encore attendre."
Elle : "oui, il faut encore attendre que les enfants dorment, ce soir, tu auras tout en grand."
...Lui ? : mmmh... Tu me fais de l'effet..."
Elle : "garde-moi ça au chaud pour tout à l'heure. Nous nous ébattrons dans quelques heures."
Et elle se met à gémir tout de suite.
Il fuit. Les larmes sont au bord.
Il voudrait hurler et haïr Dieu.

jeudi 19 mars 2015

A l'affût

Elle parle, elle parle,
elle trottine sur les mots,
le sourire et la joie.
Elle est malhabile
et pourtant,
sautilleuse.
Elle marche en crabe et
la tête jamais vraiment
en place.
Elle est là et relà
pourtant
ensoleillée.

Aujourd’hui, la voilà,
là mais pas là.
Elle plisse les yeux,
observe de loin,
reste cachée
derrière une énorme forêt
qui a poussé en un éclair.
Je pointe les arbres
et l’interroge.
Elle reste à l’affut.
Suis-je la proie
ou
la prédatrice ?
L’oiseau guilleret
s’est mué
en tigresse en chasse.
je ris de mon
impression
absurde.
Pourtant,
les regards restent
à distance
et inquisiteurs.
Que penses-tu ?
Que veux-tu ?
Je ne me livrerai certainement
pas
comme ça.
Je ne suis
pas
une vulgaire viande.
Je suis la tigresse
et tu es la gazelle.
Ma pensée s’envole
quelque peu,
Je la ramène
à notre table
pour reprendre
son objectivité.
Elle ne sort pas les griffes,
elle ne montre pas les crocs.
Elle protège ses
trésors,
elle survit
dans la jungle.
Je lui assure
qu’il y a des lois,
et que je les respecte,
comme tous les autres
jours.
Elle n’entend pas.
Elle survit.
Elle est devenue
un animal
qu’on traque.
La confiance est
interdite.
La tigresse ne se fie à
personne.
Elle chasse pour
sa progéniture.
Elle chasse pour son cœur et
ses tripes.
Elle ne s’approche que
par gestes et
paroles
convenus.
Elle n’offre
rien gratuitement.

Pourtant,
elle se plie à l’examen,
comme elle s’est
sans doute
pliée et repliée
une bonne dizaine de
fois.
« Voir si tout va bien »
« Estimer ce qui pourrait te convenir »
« Te comprendre et t’aider au mieux ».
Elle hoche et
elle a
sans doute
hoché
une bonne dizaine de
fois
la tête.
« Oui oui. »
Mais peut-être
sans le savoir,
elle sent qu’elle
est
sur
la sellette.
Elle sort
les boucliers
referment
les pont-levis.
Elle décidera de ce qu’elle
peut
et
ne peut
pas.

Elle reste
souriante
mais son visage
est froid.
Figé.
Glacé.
Elle n’a ni chaud
ni froid.
Elle s’est arrêtée.
Elle surveillera et
suivra
tous
mes
faits et gestes
pour
ne pas
se perdre.
Je me transforme
en gros chien
bonhomme.
Elle ne déroge pas
à son règlement
intérieur
du jour.
Je m’affermis donc
à mon tour.
Je neutralise la chaleur
habituelle
qui lui va bien.
Je reste sage.
Aussi sage qu’elle.
L’enfant sage que d’aucuns
croit docile
et qui cache
sa douleur
et toutes
ses idées
révolutionnaires.
Elle me fait
irrésistiblement
penser à
l’enfant sage
qui résiste
en silence,
les lèvres
serrées,
ouvertes pour laisser sortir
les mots
corrects,
jamais les siens.
Il n’est pas docile,
l’enfant sage.
Il n’a pas besoin de
bruit
pour être quelqu’un.
Il avale
et digère.
Il parlera
plus tard.
Quand tout le monde
sera
coi.
Elle est
aujourd’hui
l’enfant sage
qu’on n’attrape
jamais.

mardi 17 mars 2015

Renaissance et Cie

Renaissance
résonance de vie en vie
résurgence
toutes les urgences
à avoir et sentir,
d’une station-essence à l’autre
toujours sur l’autoroute.

Renaissance
et réticence.
A condition de bien
tirer les traits
au scalpel,
recentrer le nez,
ressentir l’autre peau.

Renaissance
ressemblance honnie
révoltante
ressassant les passés
grattés jusqu’au sang
pourtant,
résistance de la matière
humaine.

Renaissance
à risques de
récidives.
Prévention accomplie
en recensement
des conséquences.
Renaissance non aboutie.
Fin du programme
Biiiiip

Renaissance
et rassemblement
des foules
en errance,
perdues dans les
coins tout rancis
du monde,
toutes les races
nées et renées
et ils naquirent heureux.