dimanche 30 août 2015

Iraz, BOOMERANG

            Iraz dort peu. Mange peu. Parle peu.
            Iraz n’est pas, comment dire, l’être social que l’on attend de nous tous.
Elle ne sourit que si elle en a véritablement l’envie et l’intention.
Iraz est une dure, une guerrière. On le lui dit, le lui reproche lorsque l’ambiance est à la fête, l’admire quand elle est la seule à se lever droite comme un i.
Iraz prend les choses au sérieux.
Iraz elle-même ne se sent pas soldat dans l’âme, ni justicière ou autre cliché facile. Iraz abhorre le gnagnan et la cucuterie et les larmes de crocodile. Elle pleure parfois, comme tout le monde. Alors, ce sont de lourdes, très lourdes larmes qu’elle sent rouler et tomber en gros plouf dans son cou. Quand elle pleure, Iraz sert les dents. Sa mâchoire se contracte pour devenir aussi forte que celle d’un caïman guyanais (pourquoi pas ? C’est bien la jungle impitoyable là-bas n’est-ce pas ?) Non, Iraz n’est pas impitoyable. Elle n’est pas stupide ni aveuglée par le désir de vengeance. Elle déteste être assimilée à ces êtres imbéciles, du genre néo-nazi ou autre extrémiste mus par la haine.
Iraz est susceptible.
Iraz est rancunière.
Iraz n’oublie jamais une pique, une moquerie, une injuste critique.
Elle n’oublie jamais. Malgré tout. Tout. Elle reste raide dans sa colère. La colère la redresse. La fait vivre et marcher.
Ira aurait tendance à s’éfloupir, pas si rarement, plutôt assez facilement même. Elle le sait.  Elle le croit. Elle s’en cache. C’est sa honte. Elle garde cette béance pour elle et son miroir. Devant son miroir, elle l’admet. Elle peut s’effondrer. Mais sous son seul regard. Personne d’autre.
Personne.
            Bien heureusement, Iraz a accumulé de nombreux griefs. Elle les empile. Non, elle les collectionne. Très précautionneusement. Les ordonne par couleur et intensité. Elle pioche. Mais pas tant que cela. Parce qu’elle ne maîtrise pas si bien la situation qu’elle l’aimerait. Le quotidien pioche dans sa collection. Cela est plus juste. Plus fidèle à la réalité de le dire ainsi.
            Iraz est à cheval sur la fidélité. Loyauté lui convient mieux. Fidélité est toujours connoté conjugale et elle parle, elle, d‘un engagement existentiel bien plus profond. Ceux qui suivent ce qu’ils croient, avec tout leur cœur, toute leur foi, être le vrai, le seul vrai, suscitent immanquablement ses foudres. Elle hait les religions. Tout le monde a sa religion et elle se bat contre ça. La religion et la foi qui va avec sont une pure malhonnêteté. Voilà sa pensée brute.
Iraz n’est pas dupe ni des autres ni surtout d’elle-même. C’est cela qui fait pleurer. Elle raisonne le plus froidement possible. Ca aussi ça fait pleurer après coup. Vous avancerez contre les phrases précédentes que la colère est plus chaude que froide. Il n’y a rien à redire là-dessus. Mais il y a les colères qui ont des raisons, qui ont raison. Iraz sait faire la différence. Et d’autres qui ne sont que tours de sang et ébullition. Elle se sait d’autant plus légitime que ses colères sont raisonnables et sensées. Elle laisse donc libre cours à la puissance qu’elles génèrent. Iraz pourrait dans ces cas-là, soulever des montagnes.
Elle est plus forte qu’un homme, que le père, l’amant, la loi.
Non pas la Loi. Pour ne pas s’y perdre complètement quand même. Peut-être parce que c’est La Loi et qu’elle lui accorde une indulgence féminine. Les règles ne jouissent pas auprès d’Iraz de la même indulgence. Pour de vastes motifs que nous ne développerons pas ici même par respect pour l’intimité de notre personnage.
Iraz est pudique, bien entendu. Extrêmement.
Et celui qui écrit respecte chacun. Il a déjà bien trop de pouvoirs.

Plus jeune, elle a eu du mal à faire quelque chose de ses colères. Elle a eu peur de tuer son prochain tellement elle se sentait lui en vouloir. Pouvoir exploser en bombe nucléaire. Fatale. Elle l’a été, plus d’une fois. Avec fierté en observant les yeux des autres. Avec une totale incompréhension intérieure. Tout cela sans commune mesure avec son impression d’immense faiblesse. L’immense colère tient certainement de l’immense faiblesse. Un énorme trou au fond du froc. L’humiliation assurée. Qu’elle a dû ou rafistoler ou masquer par l’autour. Changer de froc ? On n’en change pas comme de chemise. Ce n’est pas aussi simple, voyons. Aujourd’hui, elle ne craint plus grand-chose. Elle reste pourtant vigilante. Elle vérifie. Plus elle vérifie, plus elle se sent happée. Plus il faut qu’elle trouve sa colère, salvatrice.
Plus jeune,
Souvent,
L’envie de cogner,
Renverser,
Cul par-dessus tête,
Sa semelle au visage de l’adversaire
A terre.
L’envie d’un magistral coup de poing
Et les vertèbres qui craquent.
Elle ne nie pas qu’elle a parfois envie de cogner encore aujourd’hui. Elle se sourit à elle-même et elle fonce au sport, sans froc, nue comme un ver, seulement en mouvements, en efforts.
Boxe.
Judo.
Courir.
Sauter.
A perdre haleine.
Il lui est arrivé de frapper les arbres de la forêt. E leur hurler ce qui lui foutait le cul à l’air. Elle avait du sang plein les mains. Qui a goutté sur ses pieds. Elle n’a rien senti. Jusqu’à ce que la nuit vienne et que change la donne.
C’est comme ça.

Plus jeune, c’est elle qu’elle a cognée pour ne pas finir ligotée. Ce n’était pas réellement une stratégie peaufinée. Mais elle savait ne pas pouvoir, vouloir ?, ravaler tout ce feu et ses brûlures. Sous peine de… sans doute s’auto-détruire avant la vingtaine atteinte.

Iraz aime sa collection de colères. Elle a peut-être un peu divisée pour mieux régner parmi elles. Plusieurs petites ou moyennes, plein de plein contre une énorme qui terrasse. Elle a fait son choix. Il a d’abord fallu comprendre. Comprendre comment s’y prendre. Et la jeunesse essuie toutes les premières fois ratées, pour Iraz, douloureusement.
Elle a tenté la surveillance 24h/24, 7j/7, service continu, l’auto-tyrannie pour éviter des mises à mort : et aller simple chez les dingues.
Iraz aime bien les dingues. Ils lui adressent la parole dans la rue, le métro. Elle les regarde dans les yeux, sans une once de défi. Il n’est absolument plus question de pouvoir avec eux et elle se laisse tout le leste qu’elle a appris à brider pour vivre correctement en société. Les dingues reconnaissent une des leurs. Elle leur accorde cela. Elle approuve cet état de colère folle.
Folle.
Furieuse.
Faramineuse.
Elle taille un bout de bavette avec les allumés qui n’ont pas réussi à briller moins fort, eux. A peine ouvre-t-elle la bouche pour leur parler qu’elle s’adoucit u fond de ses entrailles. Pas un soi-disant instinct maternel. Le sentiment inestimable de pouvoir ne rien craindre, d’être dans une relation d’entière égalité. Sans doute que malheureusement, celui ou celle d’en face ne la sent pas comme elle cette égalité. C’est presque sûr ; Ca l’attriste. Mais elle se réjouit pour elle de cet apaisement franc. Elle n’éprouve aucune colère. Elle a les idées parfaitement en place pour chercher dans sa collection une colère qui l’animerait. Ce stratagème artificiel est toujours inefficace. Face au dingue, Iraz n’a plus de gaz. Plus de carburant. Elle est à plat, les pieds tranquillement au sol. La tête haute et simplement humaine.
Iraz, peu s’y frottent.
Ceux qui n’ont peur de rien et finissent par rejeter la faute sur l’autre. Les sans-miroir, elle les surnomme. Ils lui tournent le dos au bout de quelques minutes. « Qu’est-ce que c’est que ces gens qui se croient au-dessus des autres et qui ne daignent pas sourire ? Moi, ça me défrise ! Elle doit pas collectionner les amis cette pimbèche. » Iraz, vous vous en doutez, n’a certainement pas l’air d’une pimbèche. Bien plutôt d’une sportive de haut niveau ou d’un grand chien très haut sur pattes  qui penche la tête quand un roquet s’essouffle à lui aboyer dessus. Iraz leur sourit dans le dos. Ils se retournent toujours. Elle sourit de plus belle. Des dents parfaitement blanches au milieu de sa peau brune.
Ceux qui aiment le risque. Ceux qui sautent en parachute et lâchent tout pour monter leur affaire. Ils ont perçu qu’il y avait de l’adrénaline en puissance à s’approcher d’Iraz. Ils l’amusent et ils rient ensemble, le plus souvent. Les autres en sont comme deux ronds de flan.
Ses pairs, bien entendu. Les coléreux. Une tendresse particulière, oui. Les autres aussi, les haineux, qui croient qu’ils vont pouvoir l’embarquer dans leur lutte éculée.

Dans la collection d’Iraz, la plus grande colère c’est le mépris. Le mépris qu’on lui claque en pleine tête, qu’on lui a claqué, et qu’elle n’a jamais digéré. Pas le mépris pour une parole ou un acte idiot, maladroit, c’est vrai. Le Mépris. Celui qui dit
« Tu n’existes pas u si peu que tu n’en vaux pas la peine.
 Je sais. Tu ne sais rien.
Tu n’es rien.
Ecoute et tais-toi.
Obéis comme un brave clébard bien dressé. »
Le Mépris dans toute sa saleté, lui, elle qui se veut propre, entièrement hygiénique et beau ; Le mépris qui fait, qui a fait et ne fait presque plus, devenir escargot. La coquille grossit jusqu’à ce que le corps, dont l’âme tremble tout au creux, puisse se lover loin au dernier tourbillon. Le Mépris de l’être, de cet être-là qu’elle incarne.
            Avant, plus jeune, elle y croyait. Elle se laissait faire par les gens du mépris. Elle baissait la tête et l’histoire de l’escargot expliquée ci-dessus. Elle pensait comme eux au fond. Elle n’en valait pas la peine. Et elle se demandait, Iraz, ce qu’elle pouvait bien foutre sur cette planète. Et recroquevillée, elle se remplissait jusqu’à en dégouliner de partout, de rage contre ceux qui régissaient la vie. Elle se trompait d’ennemi. Elle était trop impuissante, trop enragée pour relever les yeux et faire se retourner les gens du mépris.
Tenue en échec par la rage.
Impuissante de rage. Paradoxe indéchiffrable en début de vie.
Elle en a craché de la bile, le corps traversé de spasmes hargneux, avant de comprendre. De jouer avec quand l’énergie est au plein. Iraz n’est pas joueuse de nature. Elle a appris sur le tard. Vraiment récemment. On ne peut pas jouer quand on est en colère. On n’a aucune légèreté, aucune insouciance, aucune place à partager et rire. Iraz rit de bon cœur depuis peu aussi. Elle a toujours ri. Comme pleurer. Mais doucement. Parce que le rire endort la conscience. Et la colère redouble dans l’après-coup et on est embringué dans un ouragan. Digne des Etats-Unis hein ! Du coup, Iraz n’est pas une rigolote d’emblée, ni par la suite. Ce n’est pas là son domaine d’excellence. Elle n’y est pas même passable. Elle n’est pas pour autant antipathique. Nous l’avons déjà dit, Iraz joue dans la cour de la loyauté, de la fiabilité, de la justice. Malgré tout pas justicière, attention ! Mais l’injustice n’est en aucun cas acceptable.

            Iraz, avec son épais chignon noir, toujours tiré à quatre épingles (le chignon). Comme une noble asiatique. Avec cet étrange prénom à consonance hébraïque. Elle ne sait pas d‘où il sort. L’ascendance n’a pas eu le temps d’expliquer, disparue avant les mots. Iraz en a fait toute un roman de ce prénom. Et elle en porte quelque chose d’universel. Ca abat sa solitude et ça lui convient. Même si en réalité elle ne le désire pas sciemment. Jamais elle ne se vante de ce genre de grandes idées. Pas le genre. En général, Iraz ne va pas fourrager aussi loin dans ses tripailles. Sinon, elle pourrait se transformer en une armée de scorpions lancée en plein paris en plein été sur les sandales es innocents touristes et des Parisiennes pieds au vent. Elle, Iraz, ne montrera jamais ses pieds. Cela lui semble très indécent cette habitude des sandales, tongs et autres chaussures ouvertes. Ouvertes sur la porte de l’intimité. Iraz a pourtant des pieds de magazine. Elle ne s’en plaint pas. Là n’est pas la question.
            Oui iraz est dans l’ensemble catégorique. De prime abord en tout cas. Elle prévient l’interlocuteur. Elle le protège aussi. Elle sait qu’elle peut fuser. Elle maintient le vivant à distance raisonnable. Sécurité.
Peut-être qu’elle aurait dû faire l’armée ? Elle pouffe de rire à cette idée. L’armée, où classe donc t-elle les colères ? Au trou, eh oui ! Et Iraz, sa colère, elle ne peut pas s’en passer. Elle l’éveille et l’embellit.

            Iraz n’a pas que l’air asiatique. Elle a voyagé là-bas. Traversé ces nombreux pays aux yeux bridés. Pas toujours si bridés d’ailleurs. Iraz y a appris presque tout ce qu’elle sait. Tout ce qui l’ancre, c’est sûr. Elle y a appris à ne plus s’éparpiller en mouvements brusques et inutiles. Elle y a appris à se taire dans le calme. Sans révolte. Sans moue dégoûtée. Le silence qui apaise. Iraz jusqu’alors s’était tue pour que les mots qui disent exactement sa pensée ne s’échappent pas pour aller se planter dans un cœur, pas si coupable ; Qui paye pour les autres. C’est toujours comme ça la colère folle. Ce ne sont pas tant les remords qui la rongeaient. Ce sont les sentiments d’injustice et d’inexactitude, d’énergie perdue, tout ça pour rien. Pas de soulagement. Bref, Iraz n’est pas du style psy, donc elle a cherché des moyens. Pas des explications qui laissent baba et sur place. Et elle a trouvé ses moyens. Iraz est un tank militaire oui, quand il s’agit de résoudre un problème.

            Aujourd’hui, Iraz transmet ce qui lui a été offert comme solutions et qui a fait d’elle une meilleure personne. Elle enseigne l’aïkido et le self défense pour les femmes. Seulement pour les femmes. Tout le monde a droit a petite lubie. Avec les arts martiaux, elle va chercher l’énergie de l’autre, et sa force, autrement dit en occidental, sa colère. Elle l’additionne à la sienne qu’elle soustrait adroitement à son partenaire de combat. Autant que possible. Elle en ressort invincible et impeccable. Pour Iraz, quoi qu’il arrive, qui que ce soit, l’énergie humaine est d’abord une rage. Peut-être pas perçue comme telle mais bel et bien rage premièrement de vivre. Car Iraz n’en dit rien mais la vie est une survie puis, si on a de la chance, une vie tout court. La vie est un luxe. Elle est pour ainsi dire paradisiaque quand le carburant n’en est plus la rage.
Et il y a tous ceux qui vous diront que c’est n’importe quoi. Peut-être vous.


lundi 24 août 2015

Angie, CRASH

Voilà Angie.
Pas enjouée.
Pas jolie.
En danger.
Plutôt rangée
Mais agitée.
Giflée. 
Jetée.
Rangée très loin au fond du placard. Au noir total. Angie, la vieille chaussette oubliée, crue perdue certaines fois, retrouvée puis égarée à nouveau. Qui tremble à chaque jour qui se fait dans le placard, trois quatre cinq fois par 24 heures. Qui ne finit aucune phrase pour ne pas être immobile, jamais immobile. Jamais arrêtée. Car la proie est toujours susceptible d’être prise et déchiquetée. La chaussette, quitte à être sale et oubliée au fond du placard. Tout vaut mieux que l’épreuve de la chausse et du monde. Et la mort sans inconscience. La mort vécue en direct, le cœur encore plus battant qu’à l’ordinaire. Le cœur d’Angie est toujours en chamade. Le cœur d’Angie est une vraie fournaise. Elle brûle, elle trépigne. Elle et son cœur jamais immobiles. Toujours en flammes. Elle a déjà rêvé les petites braises apaisées de fin de soirée. Elle sent la mort dans la quiétude. Elle ne peut pas s’en empêcher. Elle n’est tranquille que dans le fond du placard. Le plus seul possible.  Le plus loin possible.
Angie n’aime pas tout spécialement les puanteurs et poubelles, poussières et pourritures. Mais elle s’y sait tranquille. Personne ne s’en approche. Tous sont écœurés et elle y demeure sans intrusion. C’est un nid. Les SDF se font un nid tout pareil. Avec du sale mais c’est leur lieu et on ne s’en approche pas. Angie ne s’arrête pas pour autant puisqu’on vous a déjà dit qu’elle ne doit pas rencontrer. Il y a bien une vie, une génération où on parlait de fréquenter. Quelle hypocrisie ! C’est rencontrer le vrai problème. Tout comme il ne fallait pas fréquenter, Angie ne doit pas rencontrer. A la différence près qu’elle ne reçoit cet interdit d’aucune autorité et qu’il ne s’agit de rien de plus que de saluer et regarder tout au plus.
C’est la Cosette des livres. Celle dont on a envie de se moquer quand on ne la connaît pas. Celle qu’on pousse bien au-delà de nos limites, par sécurité. Par peur de la contagion. Celle qui pourtant quand on se penche dessus, la vraie, la vraie misérable, fend le cœur et force l’admiration. Celle sur laquelle toutes les épreuves pleuvent. On se défend en avançant qu’Hugo est un satané Romantique et qu’il dépeint ses personnages avec l’émotion qui déborde. N’empêche ! Le plus simple parisien qu’on croisera nous dira que les cosettes, il en voit tous les jours dans son métro et dans ses rues. Sauf s’il ne sort pas de l’extrême ouest de la cité. Elles se plaignent, elles quémandent, elles agacent. Et parfois quand on se prend à planter courageusement le regard dans le sien, parce qu’on a moins honte, parce qu’on a donné une pièce, une bonne pièce, on voit des yeux qu’on aimerait qu’ils n’existent pas, qui donnent envie de porter tout, même ce qui dépasse nos forces, et puis aussi, ces yeux-là résonnent comme d’immenses gongs coréens avec les douleurs qui sont là cachés dans nos grenier et cave respectifs. Qui n’en possède pas ? 
-Ben moi moi moi
-Je n’attendez pas de réponse, il n’y a pas de réponse à cette question, c’est une fausse question Messieurs Dames. Vous avez comme tout un chacun votre cave et grenier mais rencontrer Angie et les araignées et leur pets nauséabonds vous insupportent tellement que vous les méconnaissez, sciemment ?

Envie de provoquer les dénigreurs d’Angie. Parce qu’elle n’est pas ragoûtante Angie mais elle a le mérite d’être toujours là à se battre contre les démons. Elle, elle n’a pas le choix de s’y confronter et elle essaye.
On a vite changé de sujet n’est-ce pas, précédemment ? On a vite abandonné Angie. Oui, Angie est de celle qu’on ignore et oublie. Pour le ‘bien de tous’.
?
Pour le bien de tous en partie.
Pour beaucoup de mal parfois.
Pour le bien la plupart du temps pour la plupart des gens.
Angie est parfaitement anormale.
Sans bien ni mal. Ainsi va la vie.
Vous me direz que les précédentes ne sont pas mieux. Eh bien je vous dirais que si, elles le sont parce qu’elles ne vivent pas au fond d’un placard et que leur vie n’est pas un cœur en  chamade souillé et mariné au jus de panique. Je vous dirais qu’elles ressemblent toutes à d’autres qu’on a croisés. Pas Angie, sauf si on a poursuivi une psychanalyse ou approfondi la philosophie, ce qui n’est qu’une minuscule part de la minime part privilégiée des gens de ce pays.
Angie survit à un cœur qui, pense-t-elle, pourrait lâcher à chaque sprint et elle supplie les cieux pour qu’il n’explose pas en mille morceaux. Elle sait que cela n’est pas possible. Elle croit parce qu’on n’a jamais entendu de mémoire d’homme un cœur qui éclaterai en mille morceaux. Même en deux. Et qui tomberait dans le gros colon pour finir dans les eaux usées parisiennes avec les rats et les crocodiles anacondas mygales abandonnés des bobos citadins en mal de sauvagerie. Pourtant, voilà une ville des plus sauvages. Mais il y a cette habitude des grises mines, insultes, doigts bien haut levés et bousculades, moins sauvages paraîtrait-il qu’un animal jungleux. Bref, son cœur se retrouverait donc parmi ces animaux féroces sans aucun recours, ni eux ni lui. Il serait déjà mort mais conscient, je l’ai déjà bien expliqué pour Angie elle-même. Sa moitié de cœur courant après sa pareille, presque pareille, les artères en vrac dans les tourbillons. Et tout cela, sans qu’Angie ne bouge d’un pouce. Le monde fracassant se meut sous une énorme cloche teintée, lisse et douce, chic et pleine.
            Angie ne se regarde plus dans un quelconque miroir. En possède-t-elle encore d’ailleurs ?  Elle ne sait même pas. Elle ne perçoit plus la moindre surface réflexive. Elle y est aveugle. Aveuglée ? Elle n’y pense pas. Elle survit au jour le jour, aux crashs cardiaques.
Après ces événements foudroyants (pluriquotidiens, je le rappelle et je ne suis pas romantique ou autres à larmoyer sur son sort et faire pleurer le lecteur qui a bien assez à faire avec ses emmerdes de fric et d’ados en pleine période de shit),
elle se met en tailleur parce que cela lui rappelle la première école et toutes ses solutions.
Elle se met en tailleur parce que cela lui fait venir le sang de petite fille au corps, elle le connaît, elle le maîtrise et son cœur s’y retrouve. Elle s’y repose quelques millisecondes.
Elle se met en tailleur parce qu’elle a vu les sages asiatiques en tailleur, les vieux messieurs qui n’ont peur de rien, leur image seule la rassure.
Elle se met en tailleur parce qu’elle s’enveloppe avec elle-même et qu’elle se sent capable de se recoudre dans ses chirurgies incessantes. Elle se sent capable. C’est la position où elle est quelqu’un qui (re)deviendra vivant un jour.
Elle se met en tailleur parce qu’elle peut s’enrouler dans sa coquille, la tête entre les jambes et trouver une entièreté, comme les êtres premiers androgynes d’Aristophane.
Elle se met en tailleur pour mettre au jour la plante des pieds et y lire l’avenir. Toucher leur douceur et leur presque pureté. La plante des pieds comme au premier jour, n’ayant pour ainsi dire jamais touché la terre et les hommes.
            Le premier jour est-il enviable ? Peut-être y a-t-il eu asphyxie et cœur affolé dès ce premier jour. Pourtant, Angie tient à croire comme une foi que ce premier jour fut une belle chose. Maman dit que oui, ce le fut pour elle et pour le père. Elle tient sans y réfléchir à y croire. Pas de crashs cardiaques à ce propos. Sans doute la clef du mystère de la poursuite de son existence à elle, Angie.
            Il y en a, quand elle est forcée de rencontrer, qui comprennent mal et qui comprennent qu’elle s’appelle Angèle, Ange, Angélique (ceux qui pensent aux diminutifs). Elle remet illico presto les choses à leur place : ANGIE, qu’elle prononce ANGUIE pour leur faire entendre qu’elle n’a pas de plume, ne vole pas aux côtés de Dieu le père et que celui-là l’a plutôt laissée tomber. Angie comme une anguille. (C’est le mot le plus proche ; elle aurait bien envie d’en dire d’autres mais les blancs dans les conversations forcées sont encore bien pires que les malentendus). Bien sûr qu’elle est la seule en ce bas monde à le prononcer de cette manière. Mais Angie, Annji, (Ninja ?) entre nous, elle ne s’y reconnaît pas. Elle n’est pas cette personne-là. Lourdauds allez !
Quant à ceux qui restent persuadés que c’est un diminutif, un prénom castré ou amputé, elle ne s’y coltine pas. Elle est d’accord avec cette idée. Sauf que l’on sait que, eux, ils croient que c’est de la tendresse, de la proximité, de l’humanité. Enfin, c’est quand même quelque chose qu’on casse et dont on laisse sans aucun souci pendouiller le demi-corps au-dessus du vide.
           
            Angie a aimé l’école comme rien d’autre dans la vie. Elle sortait du placard sans atroce naufrage. Pas sans naufrage, bien entendu. Puisque c’est Angie et que sa vie est une tempête, une salope de tempête. Il fallait apparaître et cela est demeuré le plus ardu. Mais après, elle pouvait oublier son cœur et toutes les catastrophes. On lui demandait d’être avec la tête et elle avait le droit de n’être que cela. A partir de là, elle a coupé soigneusement la tête du corps et elle a trouvé une voie, une première issue. Elle a toujours eu l’impression d’avoir voulu être sa tête, vivre en tête, sans corps. Aussi loin que vont ses souvenirs, Angie est gênée par le toucher, le mouvement, les peaux, les mains, les organes les plus engagés, les trop engagées, les intrépides. Elle les fourre dans ses poches tout le long de sa scolarité. Elle les lace et les enjoint de ne pas tenter le plus petit pas vers l’autre. La bouche et les yeux sont bien plus aisément contrôlables. Cela n’empêche pas une veille permanente sur leurs éventuelles échappées. Ils restent des animaux, domestiqués, pas davantage. Pas de belles âmes comme chacun aimerait croire. Angie fait confiance à sa tour de contrôle. C’est tout.
Sur la fin du lycée, deuxième issue, elle a réussi à y soumettre tout le monde. Plus personne n’a bronché. Angie a eu moins honte, elle a même tenté de rencontrer. Pas d’elle-même. Elle a laissé les autres s’approcher. Elle est restée de marbre, la mitraillette au front mais elle ne s’est plus systématiquement carapatée dans le fond moisi du placard. Elle a eu un certain succès. Parfaitement inattendu bien qu’espéré. Ne nous cachons le profond et lancinant espoir qui anime Angie. Aussi infernale que soient ses jours, elle en entrevoit de meilleurs. Quitte à s’endormir infiniment au placard.

            Ce que tout cela semble pathétique, n’est-ce pas ?!
C’est en même temps ridicule et poignant si l’on y plonge. Presque drôle, comme quand on rit d’un énième malheur qui arrive à une personne déjà assommée de toutes parts. On rit, non par méchanceté, non par plaisir, ni par bêtise. On rit de nervosité à l’idée qu’une telle pluie puisse s’abattre sur la même personne. On rit pour ne pas y croire. Pour faire comme si c’était une histoire racontée en grossissant  grossièrement les traits d’un gros garçon.
Pour
finalement
conjurer le sort.

Angie ne pleure pas. Presque jamais. Ce n’est pas celle qui pleure. Elle, c’est la peur. Viendra par la suite celle qui pleure, qui avoue et se livre. Angie est bien en-deça de cette femme-là. Non qu’elle lui soit inférieure. Elle est comme en-dessous du seuil de pauvreté. La pleureuse n’est pas millionnaire. Mais elle peut vivre sans calculer chaque miette et jouer au mirador toute la sainte journée. Angie pourrait être un de ces personnages de peinture au corps d’homme et à la tête d’objet. Mais à l’inverse. Une tête d’homme et un corps-objet, variable selon le contexte, diverses armes, plus ou moins importantes, divers dispositifs de surveillance, divers véhicules de guerre. La tête ne bouge pas, elle est immuable.
A Angie (quelques personnes s’adressent régulièrement à elle tout de même, la famille notamment), on dit qu’elle est une femme. Qu’elle a plus de 30 ans. Qu’elle est vraiment pas mal. Qu’elle devrait décidément se tenir plus droite et lever ce beau visage si régulier. Angie reste toujours ébahie de ces mots-là. C’est vrai, elle ne se regarde pas dans les miroirs. Cela n’aide pas à faire concorder l’image qu’elle pourrait avoir et celle des autres, des quelques autres. Bien sûr, presque inutile de le souligner, Angie sourit après l’étonnement mais devant l’absurdité de ce que les gens croient voir. Elle ne peut que se dire qu’ils disent cela parce qu’ils l’aiment.
Ils l’aiment.
Elle ne les aime pas. Elle a besoin d’eux. Besoin. De certains. De Maman surtout. Maintenant qu’elle est une adulte, … , elle se tait sur ce point. Il faut se taire. Mais dix fois par jour, quinze fois, parce que le cœur menace sans crasher parfois, elle prie Maman d’être là, de la bercer, de la serrer dans ses bras, parce qu’il n’y aura qu’elle pour pouvoir l’apaiser elle et son cœur fou. Elle ne doit plus le dire. Elle ne doit plus. Elle ne devrait plus le sentir. Elle devrait trouver ses propres solutions. Mais elle est absolument coincée dans ses catastrophes sans fin.
Et vous, qui appelleriez-vous en cas de crise mortel ? Qui appelle-t-on quand on se sent crever ? Pas sa mère ? Pas son père ? Pas son grand amour ? Qui donc ? Personne ? Jugez, jugez l’Angie qui rêve de voir sa mère apparaître à chaque AVC. Jugez l’incontrôlable anxieuse et le noble schizophrène ! Jugez leur douleur comme une faiblesse ou une folie qui vous est étrangère. Le jour où, vous appellerez votre mère, sans aucun doute. Nous nous y retrouverons alors. 
Parfois Angie est en colère.
Elle appelle sa mère, ne pas dire Maman !, la voix qui lui redonne du courage, même si elle ne dit rien, pour ne pas l’inquiéter, par fierté aussi, pour ne pas tout perdre, parce qu’une autre voix lui conseille de compter sur elle, de se retourner sur elle-même, de plonger dans sa poitrine, de regarder ce satané cœur en face et d’avancer par elle-même. Elle se retient et elle crie Au secours Maman ! quand elle est seule et que plus rien ne l’attache, que tout autre sentiment que la mort imminente a disparu méchamment.

Elle n’a jamais su si elle était femme ou homme, même déjà fille ou garçon. Elle est un cœur qui crashe et qui s’obstine à voler de nuit en haute montagne.
Elle n’a jamais eu un beau visage. Entre ses énormes dents et son nez pointu, les oreilles minuscules de bébé singe et les yeux de dessin animé japonais, elle perçoit mal le beau visage qu’on lui décrit.
Et elle ne tient pas à se tenir plus droite, plus grande, plus là. Le cœur le lui fait toujours payer cher. Elle ne se pliera pas à cette belle règle de stature en société : tête haute, port altier. Jamais elle ne s’y pliera, c’est dit.
Quant à être une adulte, l’égale de ceux qui ont des enfants, dirigent des équipes ou même gagnent des trophées, tout simplement de ceux qui ont un compte en banque bien géré et une maison bien rangée, elle ouvre encore plus grand ses yeux de fausse japonaise.
            Angie est maintenue à terre, au fond, en boule. Dans la plus grande invisibilité. Le handicap parmi d’autres invisible. Elle ne voit et ne sent que lui et personne ne le soupçonne, sauf le médecin, le pourvoyeur de bonbons anti-crash.
Peut-être qu’elle pourrait crier Pierrot ! Lance-moi ta Lune, que je respire un coup !
Maman ne serait qu’en deuxième.
Mais Pierrot c’est son travail. Alors, à 2h du matin et le dimanche, c’est MAMANNNNN !

            Angie est malade. Est-elle malade ou la maladie même ? Elle est difforme et métamorphosable à souhait. Elle ne sait pas, malade ou maladie, elle n’a pas le temps de, détricoter cette énigme-là. Toujours est-il qu’elle est la peureuse. Elle ne se situe pas loin de celles qui pleure, qui crache le feu, qui kamikaze.
Angie est condamnée à vie. C’est une chronique. Son cœur est un chieur, il ne cessera pas, sauf sous X….ine ou Z….ex ou autre. Il ne s’abandonne que sous produits. Elle s’y est pliée, là. Et la tête se relève.
La poitrine se rouvre.
La pièce est une chambre.
Le corps est entier.
Les battements réguliers.
Alors, elle change de nom : Gina par exemple, comme Regina, ou Génia, comme un nom de fleur. Parce que sans Madame l’impériale Reine Noire, Mangustia, qui te croque peu à peu à coups de coeur, mange ta vie sans en avoir l’air en AVC imperceptibles à l’EEG, tous les jours du monde, elle n’est plus Angie. Elle est comme un gant retourné, le cœur du côté droit.

Angoisses,
Bandits de grand chemin,
je vous bannis!
Mon cœur est de diamants,
désormais.
Vous vous y grifferez
entaillerez,
Il vous jettera la pierre.
Vous reviendrez,
encore et encore,
Sales folies obsédantes,
mais sachez !
Angoisses,
et votre Reine Mangustia
Qu’Angie se battra jusqu’au bout.
Pierrot, ses lunes,
Maman,
Et d’autres encore
La sortira de sa chaussette
Répugnante.
Pas pour toujours.
Pas parfaitement.
Mais toujours plus.







vendredi 14 août 2015

Mane, AIR


Mane la douce. Mane l’entière. Mane les bras ouverts. Mane ne supporte pas les manèges. Ils prennent le corps et l’esprit. Ils empêchent d’être davantage. Ils clouent à l’ici maintenant et l’envie de vomir. Vomir, il n’en est pas question pour Mane. Rien ne sort d’aussi loin, d’elle. Et ce qu’elle donne n’a que l’odeur et la saveur que désire son destinataire. Souvent, les autres lui parlent de sacrifice, de se livrer à la merci des profiteurs. Mane leur répond qu’on pense à ces idées-là quand on est soi-même un profiteur. Elle répond qu’elle se fiche bien de cette éventualité. Qu’elle en prend le risque sans aucun regret. Qu’à penser en ces termes, on ne sort plus de chez soi. Ce sont les seuls moments où Mane sourit un peu amèrement.

Mane n’est pas amère.

Elle refuse de se laisser aller à ce penchant si facile, si pratique, tant utilisé par ses congénères en manque d’humilité et d’introspection. Dire que le monde est mauvais et l’homme un profiteur n’est qu’une tranquillité de plus pour le spectateur de sa société.

La passivité.

Et pourtant, elle en a l’air d’être passive. C’est ce qu’elle exècre le plus au monde. C’est ce qu’elle n’est jamais. C’est là la seule colère de Mane. Mais c’est une sacrée colère. Gare à celui qui s’y coltine !

Mane n’est pas originale, n’est pas non plus conventionnelle. Ces choses-là veulent bien dire qu’on se préoccupe de la norme. Mane ne s’y intéresse pas. Elle est peut-être un peu étrange. Elle parle, rit et pleure comme tous pourtant. D’aucuns lui affirment qu’on ne peut faire fi de la norme. Qu’on veut toujours d’une certaine manière se distinguer ou ressembler à ses pairs. S’inclure dans un groupe ou s’en exclure. Elle dit que « beuh non… » avec une moue un peu indécise. Elle est vraiment sceptique sur le sujet. Elle ne sent rien. Elle ignore vraiment quelle place elle prend dans le débat.

            Bref, avant d’aborder l’unique colère et le débat infini, nous aurions dû expliquer tout le reste qui s’ancre si solidement dans la vie de Mane. Revenons donc quelques pas en arrière.

            Mane est née, vit et vivra à Paris. A l’intérieur. Dans l’enceinte de la cité. Au cœur du grand organe. Elle vit dans un appartement, grand pour un parisien, minuscule pour l’homme de campagne. Et elle l’aime comme une véritable personne. Elle sent ses poumons s’ouvrir quand elle y rentre le soir ou la nuit. Après une dure journée, après une douce journée, elle y est comme dans un ventre. Elle l’appelle son Antre. Elle devait sans doute être aussi bien au creux du liquide amniotique. Elle ne parle pas beaucoup de la mère. De son ventre et voilà. Mane n’est pas de celles qui téléphonent tous les soirs à leur mère et se confient à elle en premier lieu. C’est une mère. Ni un confesseur ni un psy. Elle la prend comme mère et pas au-delà. La situation se compliquerait de manière inextricable et peut-être Mane pourrait perdre son sang-froid. Elle évite soigneusement l’expérience. Pas intéressée et no comment. Elle referme doucement la porte derrière elle, s’y appuie et respire en souriant.

            Oh ! Mon Dieu pardonnez-moi ! Encore un satané oubli ! A quoi ressemble donc Mane ? A personne. Cela ne fait aucun doute. Premièrement, quand on s’appelle comme personne, on ne ressemble à personne. L’adage se vérifie. (L’adage s’invente à la guise de chacun, n’est-ce pas ? Il peut exister ou pas. Mais là n’est pas la question.) La décrire est un défi ensoi. Personne ne s’accorde sur ce physique atypique. Banal pour d’autres.

Les yeux bleus fous.

Les yeux verts chauds. Ce qui, accordons-nous, est une contradiction en soi,. Pourtant, nombreux parlent de verts chauds.


La bouche est pincée.

La bouche est subtile. Qui laisse à l’autre la parole.

La bouche est mangée.


Le menton est aigu. Tout le monde s’y retrouve. Sans parler d’un attribut de sorcière pour autant.


Le front trop grand.

Ou intelligent. C’est selon.


Les oreilles invisibles.

Les cheveux informes. Dans un sens ou un autre. Informes. Cheveux révoltés, jamais domptés. Car jamais

au même degré

à la même taille

au même volume,

d’un jour jusqu’au suivant.

Des cheveux allumés d’un feu vivant. La même couleur innommable elle aussi, châtain, roux, blond foncé vénitien. Elle n’obtiendra jamais la même version pour asseoir ses observations, elle change de salon de coiffure à chaque passage sous les cisailles. Elle note après pour rie des commentaires capillaires professionnels qu’elle a récoltés religieusement.


            Mane est de celles qui parfois font penser qu’elles ont loupé le coche. Raté leur vie. Raté le plaisir. C’est surtout cela qui subjugue et énerve ses congénères. Ils ne trouvent pas le lieu de son plaisir. Elle ne le livre pas. Jamais. Elle se contente de sourire. Niaisement ou moqueuse. C’est selon.


            Mane est seule. C’est ce qui se dit. Elle est avec elle-même et voilà quelque chose qui remplit sérieusement un être et son existence. Mane ne veut personne dans son Antre. Personne qui puisse lui parler. Quand elle rentre chez elle, elle aspire au silence. Se taire des heures entières sans s’ennuyer. Mane sait faire cela. Elle le sait comme l’énorme majorité des autres ne le savent pas. Mais elle ne s’en enorgueillit pas. Elle laisse certains s’approcher d’eux-mêmes. Elle ne les laisse jamais s’introduire chez elle. Pas un seul mot humain ne doit salir. Pas un seul pas ne doit tacher.

            Mane aime son prochain comme quelques rares personnes de notre monde. Dans cet univers-ci, elle est la seule. Elle n’a de pitié dédaigneuse et rassurante pour personne. Elle se rappelle qui quand où comment et puis elle fait le nécessaire pour que les choses s’arrangent pour lui elle. Elle contacte, elle parlemente, elle sourit. Elle ne lâche prise sous aucun prétexte. Elle ne révèle aucun secret. Elle n’en a pas le droit. Quoi qu’il arrive. Mais elle n’en a pas même l’envie. Mane est une tombe.

Malheureusement, elle en a aussi enterré beaucoup.

Quand elle en croise un ou une, dans la rue, dans le métro, sans plus aucune dignité, aviné au-delà du pensable, inconscient souvent, elle s’arrête. Elle secoue pour voir si la poitrine se soulève, si un œil regarde.

            Mane se rend tous les jours à l’hôpital. Pas pour sa perfusion ou sa dialyse (ce n’est même pas tous les jours les dialyses !). Elle est pneumologue. Elle aide à respirer. Elle y parvient ou pas. Beaucoup ne s’en sortent pas. Beaucoup la remercient. Elle s’en sort elle, bien. Elle aime chaque jour qui passe. Et rien à voir avec le Bon Dieu et petit jésus. Les jours sont tous bons et mauvais. Le tout est de savoir les prendre. Rentrée chez elle, Mane sait retourner les choses comme elles lui conviennent le mieux.

On dit : elle aime chaque jour qui passe même les mauvais. Elle n’est pas idiote ! Parce que pour sûr c’est un peu ce que vous vous dites là ! Et ne vous exclamez pas que vous ne l’avez pas pensé une seconde ! oh non ! main sur le cœur… Vous avez pensé comme tout le monde que Mane est une sacrée vieille fille nunuche. Je lis dans votre vos âmes. Cette méchanceté pour ceux qui ne paradent pas et se donnent. Vous avez bien été surpris que la nunuche soit médecin hein ?! En tout cas, pensez ce que vous voulez. Elle vaut bien plus que mille autres d’entre vous !

Je m’énerve. Voilà qui est bien inutile. J’imagine Mane me regardant de travers devant cet accès rageux inadéquat.

Quoi qu’il en soit, Mane est pneumologue et elle s’y connaît en crachats et affaires de bronches. Elle n’a pas peur des éructations. Elle en connaît toutes les variantes. Ne concluons pas pour autant qu’elle aime ça. C’est le résultat des divagations d’air. Elle sent les poitrines et leurs cavités. Elle sent à quel niveau en est la cuve. Elle peut comparer à elle ; Elle se pose en mesure maximale. Elle est devenue très intuitive à ce test-là. Elle ne joue pas. Elle essaye de faire au plus vite pour soulager. Sans angoisse mais avec enthousiasme. 

D’ailleurs, Mane s’en remet à Dieu, cela arrive. Pas tous les jours ni tous les deux jours. Ponctuellement. L’air s’y régule mieux. Il lui redonne un rythme quand elle se précipite. Dieu est là pour ça. C’est son avis. Elle n’en a jamais vraiment parlé. Jamais du tout d’ailleurs. Soyons clair. Les autres oui, Esméralda, Anna. Chacune avec leurs questions ou convictions. Mane n’est pas pour les convictions. Elle croit en Dieu. Pas tout à fait tout le temps. Elle croit en l’Air. C’est sa puissance à elle.  

Mane n’est ni idiote ni niaise ni sainte. Elle a trouvé son équilibre. Sans trop de mouvements mais jamais immobile. Ses gestes et ses actes sont parfois aussi invisibles que ses oreilles. Elle a trouvé comment elle pouvait abreuver les autres de son air et s’en débarrasser, sous peine d’étouffer. Elle a toujours eu trop d’air, dans la poitrine, encombrée. Désormais, elle sait comment y faire. Et se fiche éperdument de ce que les autres en comprennent. Plutôt rien de juste, ce qu’ils comprennent. Elle le sait et ne s’en formalise pas. Elle avance, lâchant son air partout où elle le peut. Elle clôt hermétiquement ses fenêtres. Trop d’air et elle se noiera. Là encore, souvent, on interprète ça fermeture d’esprit et vie de grenier. Rapace asocial. Elle a trouvé ses solutions et s’en félicitent. Mane n’a jamais eu les mêmes problèmes que les autres. Même les psys de toutes directions n’y ont pas su démêler la douleur de ses causes et effets. Elle ne leur en tient pas rigueur. Plus maintenant.  

Elle marche en sens inverse.

Tout ce qui a précédé les solutions, elle n’en parle pas. Elle est beaucoup plus pragmatique qu’elle ne le laisse paraître : les ennuis sont derrière elle.

De toute façon, à qui pourrait-elle bien en parler ? A qui aurait-elle envie d’en parler ? Vous vous le demandez, je le vois bien à votre air soupçonneux. Eh bien détrompez-vous ! Mane n’est pas un ermite. Ses collègues ont appris à la connaître et à reconnaître cet inconnu. Ils ont beau être des médecins et scientifiques rationnels pour la plupart, ils travaillent eux aussi avec l’air et les quatre éléments. Ils laissent Mane réfléchir aux équilibres et les éclairer et sont bien satisfaits de ne pas s’y frotter. Peut-être qu’ils la remercieraient.

Elle, préfère les infirmiers, souvent bien plus drôles et tolérants de ses singularités. Elle ne rentre pas dans les statistiques, elle agace les grands pontes matheux. Les autres ont moins à perdre qu’eux.  

Elle a des amis aussi, aux quatre coins du monde.

Elle a tellement voyagé. Elle a tellement aimé l’Asie. Elle a marché. Elle a zigzagué sur des tas de routes. Elle a pu recracher tout l’air en surplus, s’en défaire dans d’immenses espaces ou si bizarres, en Mongolie ou au fond du japon. Personne pour l’empêcher et cela, avec une facilité déconcertante.

Mane est toujours prête à rire. Pour ceux qui la penseraient, là encore ennuyeuse. Elle a le rire franc de ceux qui se connaissent et ne se méprisent pas malgré tout. Elle plaisante peu d’elle-même mais elle rebondit. Et très souvent, elle rebondit en silence. Parce qu’il y a une sacrée balle rebondissante dans sa tête. Pas que d’ailleurs. Elle se balade, sans chatouiller tout de même. Ce serait gênant. Ce ne serait plus drôle. Mais ce que je vous disais, tous ces gestes-là, ces mouvements, personne ne les voit. En fait, elle pourrait rebondir sur tout. Rebondir de toutes les manières, dans un sens ou un autre. En arc-en-ciel aussi, ou kaléidoscope. Mais c’est un don qu’elle doit bien préserver. Il fait trop fou. Il est trop indigeste. Elle s’amuse seule. Elle s’en délecte. Elle garde l’air bien impassible du bon docteur auquel on peut accorder toute confiance. C’est vrai qu’on peut lui faire confiance. Mais les gens s’imaginent un peu trop. En tout cas, ils n’y pensent pas à la balle rebondissante, elle en est sûre. Elle rêve quelquefois que ses organes sont sur ressorts ou qu’elle n’est qu’un grand trampoline. Si chacun pouvait un jour pensait cela, se dit-elle de temps à autre, par un petit coup de nostalgie, le monde en serait plus sage. L’incongru est la clé du mystère.  

Mane est toujours prête à rire ; sauf le jour de son anniversaire. Elle n’y travaille jamais. Elle attend que les heures passent. Le trampoline est en général bien flapi. Et la question se pose : 

Naître fut-elle une bonne idée ?

Ah bah oui, mais si tout le monde commence à se lamenter sur son sort, on ne s’en sort pas ! Bien sûr que la vie est belle et qu’il faut naître. Et tralala.  Je vous laisse à vos sornettes.

Mane est née sous toutes les mauvaises étoiles. La mère est une mère pourvoyeuse des soins de survie et vie correcte. La mère est beaucoup trop jeune. La mère est toxicomane. C’en est presque désolant de banalité. La mère relâche vite l’amour. Ce n’est pas son truc. La grand-mère ou une sorte de grand-mère prend le relais. Quel genre de filiation les lie ? Incongrue sans doute. Elle n’est pas dupe, Mane ; mais elle ne peut résister à ce flot d’apathie du jour anniversaire. Elle dort. Elle mange. Elle regarde la télé. Elle met son jogging large. Elle joue l’Américaine. Elle a prévu le pot de glace. Et ce sera terminé demain. Allez comprendre. Elle se dit ces jours-là que la vie d’escargot doit être bien pénible. Bien oui ! car elle a l’impression de marcher avec sa maison sur le dos. Il ne faudrait pas qu’elle ait l’air plus malade que les vrais malades.

Mane, les autres jours, les 364 autres jours, ou 365 les années bissextiles, est un véritable masque à oxygène. Elle ne peut pas ne pas donner. C’est ce que je vous explique depuis tout à l’heure. Avez-vous donc compris ? Elle doit se débarrasser du trop-plein. Elle a une théorie sur le sujet en rapport avec son histoire. Savoir si elle l’a élaborée seule ou de concert avec ses psys multiples, beuh… sais pas. Mais voilà le topo : la mère n’a pas trouvé la clé de l’incongruité et elle a manqué d’air toute sa courte vie. Elle s’essoufflait au premier pas. Et elle, Mane, s’est coltinée double dose d’air. Alors, pourtant, souvent les professionnels disent que plus on manque, plus on manque. Mais elle a bien l’impression du contraire. Qu’à force de – (moins), ils se sont tous annulés pour donner une tonne de + (plus). Elle se tient droite dans ses baskets avec ce roman-là. Elle l’a saisi au premier vol et ne sort ni ne s’endort jamais sans.

Mane mourra en positif. La ligne du cœur stable mais tout au haut du tableau.

mardi 11 août 2015

Voleurs de sens



L’absolue nécessité de ne pas finir la
journée
sans
un labeur achevé.
L’absolue nécessité que ce jour ne serve pas
à rien.
Ne pas avoir respiré douze quatorze seize longues
heures
sans
but.
Ne pas s’être nourrie
seulement pour
digérer.

Sur la route du jour,
il y a forcément
les voleurs.
Qu’on me vole mon sac
et mes chaussures.
Quoi que…
Qu’on me vole mes cheveux
et mes bijoux.
Qu’on me vole
ce qu’on croit m’être le plus précieux.
Qu’on vole mon logis
et mon confort.
Ce qu’on croit l’être
avec d’autres yeux.
Qu’on ne me vole
jamais
mon sens.

Mon sens,
mon temps,
mes mots,
mon stylo
et mes livres.
Que personne
en ce monde
ne s’arroge
jamais
ce droit
ignoble.
Qu’on ne m’interdise
rien du langage
et ses sens.

Si,
par malheur,
il arrivait,
qu’un homme,
une femme,
s’attribue,
sans complexe,
pavaneur,
le pouvoir,
de me retirer
mon sens
et tous ses
attributs,
alors,
je n’aurai plus
ni foi ni loi.
Je deviendrai  tigresse
sans aucune limite,
la folle la plus folle
qu’on n'ait jamais vue
de mémoire d’asile.

Les gens parlent de
cette métamorphose d’une mère
dont on attaque les petits.
J’ignore cet état.
Je l’ai constaté
chez certaines.
J’en ai sacrément
entendu parler.
Méfiez-vous de la mère dont on touche
la progéniture !
Méfiez-vous…
Ça a toujours l’air très
sérieux,
comme une catastrophe qui
nous pend
au nez
à tous.
Je hausse les épaules.
Je leur laisse leurs petits,
sans regret.

L’enfer pend au
nez
des voleurs
de sens.
Je n’hésiterai pas
à me ranger aux côtés des grands psychopathes,
des pires énergumènes dont le monde ait
accouché.
Je n’hésiterai pas
à déchirer les chairs
et les âmes
pour retrouver
mes balises
et ma terre.
Je n’hésiterai pas
à user des stratagèmes
les plus abjects,
les plus manipulateurs,
pour retrouver mon
trésor.

Je n’hésiterai à
rien,
puisque
presque,
je ne serai
plus
rien.