lundi 31 mars 2014

Intrus

Sourire et pétillement
masques mesquins
mais efficaces.
Je tiens la barre,
envie de
sans les mains
haut les mains
c’est pas moi
je ne suis rien
si c’est moi !
menottez
ne demandez plus rien.
Je suis un fou
du roi
qui ambiance
la cour
sans racines
sans semelles,
une balle rebondissante
qui ricoche
ou rien.
Pas de vitesse de croisière
interne.
Je prends un air
clair
net
précis,
sourire apaisant
l’adversaire
sur le qui-vive,
comme l’animal
geint et sur le dos
pour
amadouer
le fort.
Pas tant que je serais une proie,
puisque c’est ce
que tous ceux
qui
analysent
les métaphores
diront ;
c’est surtout qu’ils sont forts,
pas franchement prédateurs.
Je n’ai pas besoin d’eux
pour craindre
un prédateur.
Il se nourrit
de moi
de l’intestin
de mon foie
chaque jour,
sans déployer ses ailes,
il est servi
sur place,
à domicile.
Pas de supplément.
L’enfant gâté
parmi les siens.
Probablement
qu’on l’envie
quand j’enrage.
Horripilée
par son arrogance.
D’aucuns diront
que
sans doute
des monstres
pas comme les autres
m’ont élue domicile.
Je répondrai
que
dites-moi donc,
quel monstre ressemble
à l’autre ?
Et qui donc
en est pur ?
mais non mais non !
pas moi,
je sais ce que je vaux
et qui je suis.
Bien bien,
jusqu’à quel point ?
Quel point quoi ?
La discussion s’arrête
puisque
l’interlocuteur
ne comprend déjà pas
la question,
c’est qu’il ne pourra pas
y
répondre.
Le cerveau
haché
de belles idées,
chevelure au vent chez L’Oréal,
vous savez quoi valoir,
et puis on se casse le nez
contre le
premier trottoir venu,
le lendemain.
La vie comme
des boucles
rondoyantes
dans la brise,
lourdes et
légères.
Bref, L’Oréal
dans la boîte
à images.
Je fais pareil,
Parade devant les démons
intérieurs
en robe de fée
et blondeur angélique.
Ca laisse accroire,
C’est tout ce qu’on désire.
alors, je me dis
que personne ne voit
le néant
juste derrière.
Quant à dire que
Néant
me remplit,
qu’imposture
égal don du Ciel.
Le raisonnement raccourci
Est risible.
C’est pourtant ça que
j’entends.
J’y rétorque
que le monde est mal fait !

vendredi 28 mars 2014

Enfance à travers corps (56)

Les fins de mois,
Anna pense
et tournicote
l’enfance dans ses mains et
ses pinces cérébrales,
celles qui avalent tout ce qui passe
Et la chaîne de la transformation
en quelque chose de soi.
Elle manipule
cul par-dessus tête
à l’horizontal
vertical
l’envers,
toutes les directions
positions.
L’enfance
s’épanouit à nouveau
dans ses pieds
d’abord,
Ce sont eux
qui se détendent les prem’s,
effet immédiat
de palmothérapie.
Mais les secondaires
sont presque
miraculeux.
La force du pied,
on l’ignore trop.
Anna n’a pas d’a priori
sur telle ou telle
partie
du corps.
Elle se fiche bien de
ce qui convient à ses congénères
et de ce qui les révulse
ou fait rire.
Elle les aime tendrement
ses pieds.
Elle leur sait gré
de leur pouvoir
et de leur coopération.
N’allez pas dire qu’elle est folle
et qu’elle les croit vivants.
Si vous ne comprenez pas,
Prenez-vous en à votre esprit
borné

à vos œillères
en angle mort.
Elle sait bien que c’est étrange de parler
en ces termes,
mais en son for intérieur
elle se le permet :
l’enfance lui sort des pieds.
Berceaux de sa jeunesse.
Ils gardent précieusement.
La mémoire sans exception.
Les légataires universels.
Les trésors de guerre.
Fantassins intrépides.
Une fois rassisse
Repuse
Tounée tournée dans le bureau,
Elle regurgite l’enfance,
En bonne bovine.
Cela existe-t-il des vaches rousses ?
à chercher ce soir
sur internet,
elle note dans son programme de la soirée.
Des pieds jusqu’au sommet,
L’enfance se répand.
Elle pense
toujours
alors
aux piqures
de désensibilisation
tous les printemps,
jusqu’à vingt ans.
Une maladie contre une autre.
Echange de bons procédés.
Prend ma place
Mets-y toi
Je prends ma retraite
Au désert
Sans pollen
Ni bitume.
Une année sur deux,
Anna allergique au pollen,
tranquillement banale,
une année allergique au bitume,
tragiquement incomprise.
Et puis cette alternance stupide
Et métronomique,
Ah oui !
Les docteurs n’y ont jamais rien entendu.
Ils l’ont accusée de simuler.
La mère a tenu bon contre eux,
Jusqu’aux infinies répétitions.
Et puis,
elle a lâché prise
et l’a laissée avec ses plaques
et ses bourgeons.
Enfin, disait-elle.
Le père a repris les rênes.
Anna pas idiote
a toujours su
que la mère acharnée
continuait
de mener la danse.
Elle tient la baguette
cette femme-là.
Le père
a fait sa sauce
quand même.
Et ils sont allés voir un
tout minuscule docteur,
aussi grand pas plus
qu’Anna. C’est dire !
Il avait un nom imprononçable
Dont elle se foutait éperdument.
Il a bien écouté
Pas tout compris,
Elle a pensé.
Et le père aussi, c’est vrai.
Il a fait sortir celui-là.
Parce qu’il a dit :
Allergies, c’est tout autour,
c’est tout ce qu’on touche.
Il faut seule demoiselle
pas parasite.
Le père a souri et est sorti.
Le Dr PHP
a regardé le corps allongé
d’Anna,
dirigé illico aux
pieds.
Et après,
Tous les lundis,
il a
roulé,
malaxé,
enfoncé,
frotté
etc.
Eh bien,
Ca s’est passé doucement.
L’année suivante,
Ça revenait et on y retournait
avec le Pater.
Il ne s’est jamais étonné
de pollen et bitume.
Il avait même
l’air de penser que ça allait
de pair.
Comme il a tout compris
quand il est venu
à l’hôpital psychiatrique.
Il n’avait pas l’air surpris
pour un sou.
Le seul des seuls.
Depuis, ce sont les pieds
qui trinquent
et soignent.
Ce sont les baromètres de
son âme.
Elle aime bien faire sa poétesse
avec les pieds.
Ca ne se fait pas,
elle le sait bien,
c’est ça qui l’amuse
en plus d’être vécu
senti.
Le Dr PHP
lui a vite appris,
elle en a gobé les mouches
de contentement,
à vibrer du sous-sol,
laisser descendre tout
le fatras du grenier
et des étages.
Même son rez-de-chaussée n’est pas net.
Mais les pieds restent sains,
ultime arme,
époustouflants.

Et donc,
elle laisse l’enfance
remonter son cours
le long des jambes. Le plus dur passage
les chevilles.
Premier et magistral obstacle.
Une fois dépassée,
coule et coule,
quelques courants
en vessie, 70 cm
en sternum, 1m
en glotte, 1m 30
qui dévie
la trajectoire.
Sans drames.
Les yeux finissent par
soulager
leurs muscles
qui cherchaient
flairaient
en tout point
l’issue
de cette énième fin
mensuelle.
Les coins retombent,
Les globes font la java
salto arrière
dans l’orbite.
Le vide s’est évanoui,
toutes les images sont là.
Ils vont pouvoir
scruter
et dégoter
l’explication
historique.
Les yeux et Anna
s’en vont en quête
d’une paire
pour les
ripatons
salvateurs.

jeudi 27 mars 2014

Outils grisgris et coeur bondi

On nous dit,
on se dit
les outils
sont brandis
contre
les grands bandits
de la psychose.

Une patiente et son courage, toujours battante contre la maladie et les voix qui l’insultent. Elle se relève toujours, elle est toujours présente, elle cherche heure après heure. Parfois je pense que peut-être elle n’a pas vraiment conscience de ce qui se passe. Peut-être que je ne veux pas admettre que la vie est parfois un calvaire, que certains doivent avaler la pilule et continuer quand même. Je ne suis pourtant pas née de la dernière pluie et à ma mesure, je sais quelle intensité peut recouvrir la douleur. En revanche, et ce n’est qu’une chance et rien d’autre, je ne connais pas ce que cette jeune femme vit, je me convaincs sans doute que je ne peux pas me mettre à sa place et je m’appuie avec rigueur et bienveillance sur la psychopathologie apprise. Comme tout un chacun qui côtoie celui et celle qui hallucine et délire, perd le fil, perd le Nord et toutes les directions, ne voit plus que son Nord que personne ne comprend. Sauf à tisser un lien de grande confiance et à démêler ensemble, à force de patience, l’écheveau englué.

On nous dit,
on se dit
les outils
sont brandis
contre
les grands bandits
de la psychose.
Pas de panique.
Non, pas de panique.
Mais l’ennui
Des outils
En ferraille
Gris ou gris.
Et surgit
L’émotion
Cœur bondi
Au plafond
Bien qu’en cage.
Rien ne bouge
Sur la face.
Seuls les yeux
Seuls honnêtes
S’embrument.
Et soupir.

Je sais gré à toutes ces idées et raisonnements de me soutenir dans mon travail avec elle, de me permettre de participer à un mieux-être, je l’espère. Et aussi à rester fiable et solide face à toutes les douleurs et colères et bizarreries qu’elle dépose.
J’ai bien sûr déjà expérimenté l’envahissement par les angoisses d’un patient fracassé, perclus de peurs et enragé de cette prison. On m’a beaucoup, souvent, parlé et je l’ai lu à maintes reprises, que les émotions aussi se diffusaient et contaminaient (le mot me semble d’ailleurs bien péjoratif ; cela me semble un phénomène fondateur de l’empathie et de l’éthique) l’entourage. Je suis là pour être en partie, ma partie professionnelle du moins, et cette jonction confuse entre personnel et confusionnel,  contaminée. Je me laisse envahir dans le cadre de mes limites. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est bien là le sentiment que j’éprouve et cela n’engage que moi. Je me laisse approcher et je l’avoue je suis toujours un peu tangente. J’accepte de me sentir pencher au-dessus du vide par moments, même si finalement cela reste assez rare.

Pas de panique.
Non, pas de panique.
Mais l’ennui
Des outils
En ferraille
Gris ou gris.
Et surgit
L’émotion
Cœur bondi
Au plafond
Bien qu’en cage.
Rien ne bouge
Sur la face.
Seuls les yeux
Seuls honnêtes
S’embrument.
Et soupir.

Concernant les émotions qui se répandent, je me suis dit, jusqu’à aujourd’hui, que je me fermais ou me défendais trop, surtout face à une patiente aussi désorganisée, que j’intellectualisais et que, malgré l’empathie forte que je ressentais, je ne me laissais pas atteindre, dans la mesure du gérable pour moi. Je ne sais toujours pas ce qu’il en est. A réfléchir dans les semaines à venir. En revanche, il s’est passé quelque chose.

Et surgit
L’émotion
Cœur bondi
Au plafond
Bien qu’en cage.
Rien ne bouge
Sur la face.
Et surgit
L’émotion
Cœur bondi
Au plafond
Bien qu’en cage.
Rien ne bouge
Sur la face.
Seuls les yeux
Seuls honnêtes
S’embrument.
Et soupir.

            La jeune femme arrive, un jour où je ne l’attends pas habituellement. Nous avons convenu le matin même de ce rendez-vous car elle est très mal. Son visage est inquiet, elle rougit, pâlit tour à tour, elle lève les sourcils au ciel, les fronce, alternativement, elle articule des mots sans les prononcer et sans que je puisse lire sur ses lèvres, elle rompt le contact de manière tout à fait inattendue, elle s’énerve comme secouée d’un décharge puis s’arrête net etc. Le cortège des symptômes que je répertorie sagement dans ma case « psychose » et autres sous-cases sur lesquelles je passe. D’un coup, elle se met à parler de sa mère avec une émotion intense. Jamais, elle n’a admiré qui ou quoi que ce soit pendant nos entretiens, jamais je n’ai senti l’affection qu’elle portait à ses proches ni une once de chaleur rassurante. Elle en parlait mais j’avais beau chercher l’attachement et le laisser me toucher, je n’y parvenais pas. Moi ou elle ? Nous deux ensemble ? Question que je continuerai à creuser même si je doute d’avoir un jour une réponse nette.
Elle finit, les larmes aux yeux. Le menton tremble bien entendu. Elle n’est pas triste, je crois. Je ne peux rien affirmer bien sûr. Elle est émue, elle aime sa mère de tout son cœur et elle est fière d’être sa fille.
Je la laisse réfléchir quelques instants et digérer son émotion. Je reprends la parole. Puis au bout d’une minute, j’en arrive à l’envelopper des mots qu’elle a employés, les mêmes mots, pour sa mère à l’instant. Parce qu’elle parlait de sa mère et qu’elle me parlait d’elle, que je la voyais elle et toutes ses immenses qualités de combattante dans tous les mots qu’elle prononçait. Je ne pouvais pas ne pas lui dire que oui bien sûr, je l’admirais moi aussi elle, comme elle-même admirait sa mère.

Seuls les yeux
Seuls honnêtes
S’embrument.
Et soupir.

Elle est interdite. Ce n’est pourtant pas la première fois que je lui dis. Mais c’est la première fois qu’elle perçoit autant d’authentique chez moi. Sans aucun doute, ici. J’espère qu’elle sent combien je crois à ce que je lui dis. Mes yeux pourraient me trahir parce que malgré tout je dois me cacher. La protéger, la jeune femme assise en face de moi.

Seuls les yeux
Seuls honnêtes
S’embrument.
Et soupir.

Oui, la valoriser, dirions-nous en vocabulaire officiel.
Désespérant
Gris et gris.
Mais c’est bien plus que cela qui se passe à ce moment-là. Elle a levé mon cœur, si blasé parfois, si résistant, si défendu, souvent cynique. Je le lui rends et c’est encore bien davantage que de l’entendre émue. Je lui donne quelque chose, de ces choses que d’autres quand j’en avais besoin, professionnels, m’avaient donné. Les quelques paroles qui ne périssent pas, qui s’accrochent et s’imprègnent à l’encre indélébile.

Peut-être aura-t-elle oublié la prochaine fois. Peu importe. Le moment était le bon.

La maison de Sugar Beach, Helen Cooper

Helen Cooper se lance dans un témoignage personnel et engagé. Non pas sur un plan politique puisqu’elle tente de garder le plus de recul possible et d’adopter une vision distanciée des événements qui ont marqué son parcours. Il ne semble pas question pour elle d’être objective à tout prix. A mon sens, c’est une grande qualité de ce livre. Le désir d’objectivité aurait brisé toute la valeur littéraire de l’ouvrage.
C’est le risque connu et reconnu de la littérature engagée comme on l’appelle. Je ne dirais pas qu’Helen Cooper s’inscrit dans ce style littéraire, elle jongle habilement entre les catégories, en écrivant de l’intérieur. J’avoue que j’ai eu peur en prenant connaissance du contenu de La maison de Sugar Beach. J’ai eu peur qu’il s’agisse une fois encore d’un de ces récits de vie où s’étalent des événements traumatisants sans plus de réflexion. Cette orgie de victimes et cette fascination du choc et de ses retentissements ne sont pas de la partie ici. Le récit est plus vrai, plus travaillé que cela.

            Plusieurs éléments m’ont particulièrement intéressée et touchée. Tout d’abord, l’Histoire du Liberia, qui m’était complètement inconnue, hormis les guerres civiles à répétition des dernières années. Helen Cooper est parvenue à raconter cette Histoire. Elle n’expose pas ni n’explique. Elle raconte, de son point de vue d’enfant et de jeune puis d’adulte meurtrie, l’Histoire de son pays. C’est une chronologie vivante, animée, remplie, pas une simple ligne horizontale parsemée de dates anniversaires, éclaboussée de temps en temps par l’expérience sèche du narrateur. Et elle aurait pu tomber dans cet écueil puisqu’elle retrace une grande partie de l’Histoire du Liberia sur un mode réaliste.
Cette qualité d’écriture qui mêle Histoire et témoignage m’a fait beaucoup pensée aux écrits des auteurs de la négritude. Un témoignage de l’Histoire mis en scène et en corps. Charnel et émouvant, plein d’humour et de souffrance. J’ignore si Helen Cooper a été influencé par ces écrivains et leurs manières, si spécifiques. Et ce n’est pas le thème de l’Afrique et de l’esclavage qui a suscité ce rapprochement. C’est davantage l’utilisation de la langue et la forme hybride du récit. Un métissage, un entrelacs de cultures mais aussi de langues, de domaines de réflexion et de création.
            Sur le fond, cet ouvrage invite à s’interroger sur les règles de l’identité, de l’appartenance à une terre, à une nation, sur la responsabilité de ce qui nous blesse en tant qu’humains. Il donne à voir également combien nous sommes modelés par notre histoire et l’Histoire qui finissent par être inextricables.

            Pour finir, je parlerai du style d’Helen Cooper. Elle n’est pas dans un travail de justesse du mot et de son sens. Ou alors j’ai été trop sensible à son travail sur les sonorités, le rythme, la personnalité de chaque langue et de ses variantes. La langue semble définir  chaque lieu et chaque personnage, une ambiance. Les phrases et leur chant ou cri ont un poids et un corps. La parole, l’oralité. Littérature de la modernité certes, et littérature de la négritude. Je pense ici à Patrick Chamoiseau. La narratrice se fait caméléon pour faire entendre la diversité et la confusion, chaos et incroyable richesse. Et chose plus rare, la traduction permet d’avoir accès à toutes ces subtilités de voix et langues.

            Lisez ce beau livre, où vous rirez, vous émouvrez, vous mettrez en colère, et vous assagirez au gré des tumultes de la vie qui nous est contée.


mercredi 26 mars 2014

Bricolage atypique

C'est un pieu
Qui me vient d'emblée
A l'esprit
Dans les yeux,
Du fond des yeux.
J'ai toujours frissonné
A l'idée
D'avoir une poutre
Aux yeux.
Je n'utilise jamais cette expression
Parce qu'elle transperce
Effondre
Mes barrières
Fragiles.
Je perds toutes mes virginités
Je redeviens un vieux croûton
Trainé au caniveau.
La poutre, le pieu
me pénètrent
Et explosent tous les fronts
Bâtis en invisible.
C'est un jouet
Impalpable,
Que seule je perçois.
Je ploie sous sa douleur
Sous son poids
Pour entendre
Que je me casserai le dos !
A continuer comme ça.

Après,
Je me dis,
Que non,
Le pieu ne convient pas.
Il ne peut pas se tordre
Comme celui qui
Surgit
Imaginaire.
Je vois un pieu
Qui ne se contente pas
D'assassiner ma face.
Il retourne sur lui-même
Et replonge dans le cœur,
En traître
Par le dos.
Il n'y va pas de main morte,
La chair n'est pas tendre
Les os tiennent le corps
A cette place-là.
Il plonge
Comme du haut des 10 mètres
Des compétiteurs.
Il doit effracter droit
Sans une éclaboussure.
Car autant il passe les murailles,
Autant ses conséquences
Giclent
Salement
Et tout le monde se récrie.
S'il veut poursuivre sa courbe,
Il doit rester discret.
Il perd de sa pieuserie.
Voilà que c'est plutôt,
Une grosse énorme
Vis
En escalier
Colimaçon,
Parfaitement démesurée.
Mais elle sait y faire
Avec les torsades
Au sein des plus coriaces.

Troisième dernière étape,
Apothéose
Une vis accomplie.
La queue va juste venir
S'enclencher
Dans le cul de la pupille.
Et la tête ?
Où donc va finir sa pirouette ?
Elle se délectera
De sacrifier
Le trou secret
D'où aurait pu
Pousser
La vie.
Elle remplit
Le vagin,
Jusqu'à butée
Et stoppe.
Repose et s'endort.

La démarche est
Lourde,
Tendue
Traversante
Renversée
Repliée
Repoussante.
Et au bout d'un moment,
On ne sent plus la vis.
C'est arrivé si tôt.
Comme les gens ont des
Broches.
Où donc la différence ?

Et là,
On ne sait pas comment,
Un jour un peu plus
Clairvoyant,
J'ai aperçu
L'enclume.
À la place du sternum,
Une imposante enclume,
Sans Merlin l'Enchanteur
Et chevalier charmant.
L'enclume face à moi-même.
Personne d'autre.
Face à moi-même,
C'est idiot.
Plantée en moi,
Au beau milieu du torse,
Là où tout passe
Et revient.
Vous me direz, celle-là,
Ils n'ont pas pu la manquer.
Tu mets des grands pulls noirs,
Tu marches en creux
Tu te sens grosse
Et le tour est joué.
Pas pour les plus malins.
Mais il faut avoir le temps.
Ce n'est facile pour personne.

Vissée, viciée, WC
(Le seul en majuscule, quelle ironie !)
Franchement,
Du pareil au même.
J'ai croisé dans la rue,
Le métro
Des infirmes
Atrophiés
Par la vie
Et son inadvertance.
Je me suis sentie
De leur monde.
Plus de bras, plus de jambes,
Glisse par terre,
Méthode limace.
Celui qui m'aurait fait
Reculer
Et l'observer,
Quai de Châtelet les Halles,
Était exactement tordu
Du haut du crâne
A sous les fesses
Comme ma visse et moi
Et notre enclume
Fixante.
Je n'ai rien dit,
Je n'ai pas parlé
Je n'ai pas voulu être indécente
avec ma souffrance de bourgeoise
Choyée.
J'ai pourtant bel et bien reconnu
Quelque chose
Quelque être
De ma personne.
Je suis libre de l'enclume.
Je dévisse bout par bout.
Elle est de ces outils
A sens unique.
Il faut la découper
Spirale par spirale.
Parfois certaines
Se détachent
A plusieurs.
Du bricolage en perspective.

Miroir méduse

On a été une petite
tellement longtemps,
une qui ne sait pas
encore
une qui comprendra
plus tard,
une je t’expliquerai
après,
une tu verras
quand tu seras grande.
Au bout d’un certain temps,
on ne le dit plus.
Mais c’est automatique,
insidieusement
et sans aucune malveillance,
On devient en bon petit dernier de fratrie,
celui qui en sait le moins,
qui doit apprendre
encore.
Et on se sent à la traîne,
on prend patience
ou bouffe ses doigts
on jure qu’on prendra sa revanche
parce que
tous les jours que Dieu fait,
on court comme
dératé
pour rattraper le convoi,
pourtant pas si rapide
mais parti avec telle
avance !
Il est irrattrapable
malgré les encouragements.
Est-ce qu’ils y croient vraiment ?
Est-ce que les têtes de peloton
croient vraiment
que bonne dernière,
on remontera le retard ?
Et ils ont furieusement l’air d’y croire
oui.
Et tout de même,
on nous maintient en place de
last
but not least
ne t’inquiète pas.
On n’y comprend rien.
Sauf que,
des années à se sentir lambine
et à avaler tous les savoirs possibles.
On se retrouve en tête de liste
d’un coup
sans avoir rien prévu.

Alors, on garde
quand même
cette idée fixe de
moins savoir
pas comprendre
être pas finie
(ce qui est une réalité oui oui mais encore moins que les autres)
moins évoluée
moins déclenchée
et tout ce qu’on veut
que les autres.
La réalité a beau le démentir
chaque jour
ou presque,
on a enregistré
on doit y trouver un
bénéfice
comme disent les psys…
Ce qui est sûr,
C’est qu’on choisit un métier où
avoir raison
amasser le savoir
sont
à leur tour
pour une fois
suppléants loin derrière.
On vire de bord vers un lieu où il est possible et même souhaité d’interroger encore et encore tous les savoirs, où cela n’est un secret pour personne, où l’on peut assurer qu’on a toujours des doutes et que cela est tout à notre honneur. On pourrait penser provocation et relativisme effréné. Non non non ! Vous finirez par ne plus être bienveillant si vous vous cramponnez à vos théories. Peut-être pas dit comme ça mais à peu près. Quel soulagement de ne plus avoir honte d’hésiter et mettre en balance en permanence. Mutation soudaine d’un vilain défaut et d’une tare, cataloguée ainsi en tout cas,  en solide base de progression et professionnalisme. Sans doute que c’est ainsi qu’on choisit bien son travail, quand il nous réconcilie et exploite nos failles ou ce qu’on croyait tel.
Ce qui n’empêche en rien de devoir savoir et choisir. Au contraire, Toutes ces contradictions sont à lier et chacun à sa manière, c’est une mission possible.

Tout ça pour en arriver où ? Faire face au handicap
C’est-à-dire ?
Concrètement ?
Les corps tordus
Les psychismes cosmiques
Les membres morts
Les neurones esseulés
Les organes capricieux
Les yeux vides
Les silences hébétés.
Oh ça doit être difficile, vous êtes courageuse !
Oh vous savez non
Et puis on ne sait pas trop quoi rajouter.
Parce que pourquoi n’est pas si difficile ? Est-ce vrai d’ailleurs ?
Oui, ce n’est pas si difficile comparé aux affres de l’angoisse et de la mélancolie.
Mais non ce n’est pas facile.
Alors, on répond
Que de toute façon toutes ces choses-là (on ne sait pas trop quoi mais on en parle comme si tout le monde avait compris la référence), on les a en nous et que ce n’est pas une violence qu’on se fait de les regarder en face tous les jours.
Bien présomptueux et pas exempt de vérité.
Oui, on a en soi ces choses-là,
La mort
La douleur
L’anormal
L’inacceptable
L’insupportable
L’inappartenance
L’insensé
L’innommable.
Comme tout le monde.
Mais ils se dressent sur notre route
peut-être
plus souvent
que pour d’autres.
Et hormis les regarder et leur donner une place,
on n’a pas eu de choix.
L’origine de la tare,
la défaillance incurable.
Et on se dit que
on l’utilise sans souffrir.
La mutation qu’on expliquait
Ii y a quelques lignes.
Mais ce n’est pas tout.
La violence est bien là
la mort rôde,
on croit qu’elle ne fait plus autant d’effet.
Oui mais elle s’y prend autrement pour agir.
Elle ne surgit pas,
on a l’habitude,
on a appris.
Elle ne frappe pas,
on est prêt à se défendre.
Elle n’asphyxie pas,
on est celle qui doit tenir le coup.
Mais elle ronge les nerfs,
elle grignote l’optimisme
elle atrophie la pensée.
Tout doucement
doucement
tout doux.
Un jour, on se surprend
à ne même plus avoir envie de réfléchir,
alors qu’on ne vivait que pour ça.
On n’a pas peur,
le cœur ne s’emballe pas,
on se dit que c’est bien confortable
de ne pas avoir peur.
Mais le confort, c’’est exactement ce qu’on dont on ne disposera
jamais
face aux situations de handicap.
Jamais de confort,
et c’est vrai,
on en a toujours eu l’habitude.
Pas pauvre petit poussin malheureux,
ne geignons pas.
C’est ainsi pour
la plupart
du monde.
On sautille
on gigote
on tourbillonne
pour échapper
au typhon
sous-terrain
qui pourrait
nous avaler.
On n’est jamais immobile,
c’est vrai.
C’est ça notre force ici même.
C’est aussi notre béance.
Chaque jour,
chaque matin,
repasser l’habit
inébranlable.
Obligatoire.
Même si on voudrait mieux,
sans protection.
Peut-être avec l’âge…