lundi 28 août 2017

L'univers se découvre

Et le monde peut éclore.
la pire des prisons,
celle du corps, dit-elle,
celle de l'âme, rétorque-t-il,
celle de leur désunion
platonicienne
pure
et
dure.
Philosophie de la
guerre intestine,
elle était assiégée,
entre mer et feu.
Elle ne pouvait pas
s'entendre.
Mais voilà qu'elle
ne fait qu'une
et qu'elle a droit,
se sent le don
non d'ubiquité,
elle n'en rêve
même
plus,
le don de se
promener
autour
du monde,
au cœur
des langues
et des idées,
munie toujours
d'un ou deux,
parfois trois,
sait-on jamais,
livres,
découvrir l'univers,
par tous les moyens,
avion train grand navire
et
pages noircies d'une écriture,
d'un autre regard,
d'un autre langage,
d'une autre histoire,
ou de la sienne
propre
peut-être,
quand elle sera
correctement
abreuvée.
Le droit
aux yeux de mouche,
tout autour de la tête,
dans tous les sens,
pôle nord,
pôle sud,
isthmes et caps,
îles enneigées et brûlantes,
et se remplir,
apprendre,
comprendre,
juste en étant
autre part,
avec d'autres yeux,
dans un autre sens.

dimanche 27 août 2017

Violence, vivance

Elle lâche la bête. Elle ne sent plus son corps se mouvoir. Plus comme d'habitude. Elle ne sent plus l'effort et l'intention qu'elle met chaque jour dans chaque geste ou presque. Parce qu'elle a peur de son corps et de toutes ses maladresses. Elle le contrôle durement, en permanence. Il a trop failli, il lui a fait trop honte. Elle doit lui serrer la ceinture. Patate en a essuyé du dur, du douloureux avec ce corps impraticable, presque pas le sien, ce corps, depuis toujours, toute petite, qui ne lui obéissait pas, même quand elle est largement en âge de le tenir en respect. Mais son corps à elle ne se tient pas en respect. Son corps à elle est un sauvage qui traîne où il veut et saute ou s'abat quand il le sent lui-même, sans lui demander si cela est admis convenable, conforme à ses désirs à elle. Soyons vulgaire ! Il s'en branle le coco de ce qu'elle pense elle. Il s'en branle et rebranle ! Il fait ce qu'il veut, il veut qu'on lui lâche la grappe. Patate a dû supporter cela, croyant, toujours la foi, en une fatalité contre laquelle elle n'était pas de taille. Foutaises ! Elle y croyait dur comme fer. Bien sur, est-ce la peine de le préciser ? Patate a fait avec et a crevé de dégoût. Mais Pitay n'est pas prête aux mêmes sacrifices. Elle ne laissera pas son corps être un autre. Ils seront un, il sera son bon toutou si besoin. Mais en réalité, dès qu'elle a laissé Patate derrière elle, Le corps s'est entremêlé à ses désirs et à sa vérité invisible. Pitay est d'un seul bloc et les ailes lui poussent. Elle ne s'en était pas rendu compte jusqu'à cet instant-là ou plutôt jusqu'à après ce moment-là. Parce que là, elle perd pied tout de même. Et elle laisse le corps et sa violence, celle qu'elle a toujours crainte, prendre la main.
Elle ne voit plus que le corps de Patrick, de tous les autres, en gros, comme sous une loupe. Ils sont énormes. Ils l’écœurent. Ils méritent de disparaître, d'être battus pour leur énorme facilité, leur nullité, vanité.
Elle sent son corps s'agiter et sortir ce qu'elle n'avait jamais vu auparavant : cette force, celle de la colère, ou même de la haine. Elle s'acharne mais elle ne le sait pas. Piment a la tête sur les épaules et elle finit par la maintenir pour l'écarter du corps du bonhomme. Elle est bien, elle est libre. Elle se sent libre, être quelqu'un. Elle est quelqu'un, là maintenant. Elle existe et personne ne peut l'en empêcher. Elle est plus forte que ceux qui voudraient l'en empêcher. Elle se débat d'abord quand Piment la coince en l'éloignant. Puis elle se clame. Piment lui ordonne de respirer. Vite, elle reprend ses esprits. Mais elle est groggy. Comme beurrée.
Patpat est dans un sale état. Et Pitay n'éprouve aucun remords. Il a eu ce qu'il méritait. Et surtout elle s'est sentie vivante, elle dans son corps, tous les deux en un seul, vraiment, sans faux-semblant. Il n'y avait plus aucun faux-semblant. La pureté.

vendredi 25 août 2017

Mister C., le premier fou

Et puis, il y a ce prof, ce fou, celui dont on a parlé pendant des soirées entières ou presque quand on avait 17 ans. Il nous faisait parler, rire, pleurer, rager, il pouvait susciter toutes les émotions possibles. Il nous a terrifiés mais il nous a aussi fascinés. Il a ouvert une porte que peut-être nous ne voulions pas ouvrir de nous-mêmes jusqu'alors. Sans même l'ouvrir, on entend des cris derrière et des flashs de lumière s'aperçoivent dans l'espace du bas. C'est une mauvaise porte. Mal foutue, mal fagotée. Elle ne donne envie à personne. Mais parfois, souvent l'on n'a pas le choix que d'en passer par elle.
Un jour, nous ne le connaissions pas encore bien, pas assez pour ne pas être surpris, il est monté sur une table et il a gesticulé comme en transe. Il a mimé la vieille en furie du texte que nous analysions bien sagement. Il s'est tordu dans tous les sens pour qu'on entende la frayeur qu'elle avait faite aux autres personnages, la vieille dingue. Il ne s'est pas tout de suite arrêté. Cela a duré au moins une minute. J'avais peur que le bureau cède sous son corps de bœuf mais non. Le matériel de l'Education Nationale, laid comme aucun autre, a cela de bon qu'il tient même les plus grands délires de ses enseignants. Il était à jeun, aucun doute là-dessus. Il était bien avec nous. Il nous parlait à nous. Il s'adressait à nous, il nous regardait. Nous ne pouvions détacher notre regard de lui. Il ne nous l'aurait pas permis. Il nous aurait interpellés, individuellement. "Untel, tu as peur ? Regarde ce que tu n'as pas compris pauvre idiot !" Il parlait comme ça et tout le monde savait qu'il était prêt à dépasser toutes les limites, à aller beaucoup plus loin, à humilier jusqu'au fond du cœur. Alors la porte de la folie, elle était ouverte depuis belle lurette pour lui. Il est redescendu de son bureau, en sueur. Mon premier soulagement a été de le voir redescendre sans s'être fracassé la tête et être tombé sur le premier rang à quelques centimètres de lui. Les deux filles seraient mortes sur le coup. Mon deuxième soulagement a été de le voir reprendre le fil de son explication de texte. J'étais soulagée. J'étais aussi abasourdie. Il était revenue à un ton de voix parfaitement habituel, en tout cas le concernant, et poursuivait son plan de cours. Comme si de rien n'était. Nous n'osions pas nous regarder. Il aurait vu la stupéfaction face à la furie qu'il nous avait donné à voir. Il aurait commenté, attaqué et finalement hurlé, rouge comme un porc qu'on égorge celui qui aurait osé. Certains s'en fichaient et avaient envie de rire. Certains ont pouffé. Mais je crois qu'il n'a pas entendu car il se remettait de sa prestation. 
Il était toujours en sueur, quelque température qu'il fasse, il suait, il dégoulinait, il s'évaporait. Mais il était tellement imposant, dense, puissant, d'apparence qu'on se disait que c'était plutôt du trop-plein qui se dégageait de lui. Des sortes d'excréments liquides. Sûre et certaine qu'il abhorrait cette tare. Mais il ne s'en cachait pas. Pour s'en cacher, il aurait fallu qu'il se déshabille. Je me demandais s'il se déshabillait, même pour dormir. Il était de ces gens qui paraissent masquer l'horreur sous leurs vêtements et ne pouvoir jamais s'en défaire. Pas son genre de nous faire un strip-tease à tel point que même le dernier bouton de la chemise qu'il devait mettre quelques minutes à fermer était toujours impeccablement alignés avec ceux du dessous. En effet, il avait un cou gros comme mes deux cuisses l'une contre l'autre. Il avait le cou qui dépassait presque de sa tête. Et pourtant, Dieu sait que la tête était grosse elle aussi. Tout cela ne faisait pas de lui quelqu'un de gros proprement dit. C'était bien plus subtil que cela. Il était rempli. Et la sueur faisait partie de ce cycle de remplissage et désemplissage.
A la sortie du cours, ce jour-là, nous étions incertains. Nous étions jeunes. Nous n'avions pas toutes les clés. Mais nous en avons vite conclu tout de même qu'il n'était pas moins qu'un fou furieux. Moi si prudente à l'époque, je me joignais aux autres pour affirmer ce jugement. Il n'était pas des nôtres. Mais n'étions qu'en novembre et plusieurs mois restaient à vivre des heures dans la même pièce que lui.
Des épisodes comme celui de la vieille sur son bureau habitée par le diable, il y en eu d'autres. Bien sûr. Nous nous sommes habitués. Je ne me suis jamais habituée à l'épouvante qu'il déclenchait en moi quand je sentais monter sa colère. J'avais senti, en bonne adolescente fragile, qu'il irait où bon lui semblerait et qu'il ne s'embarrasserait pas des règles. Des siennes oui. Mais non pas celles du respect des autres. L'autre n'était qu'un danger pour lui, un enfer. Il nous craignait comme la peste. Il nous détestait. Nous de même. Je le craignais beaucoup plus que je ne le détestais. Je cherchais à comprendre ce qui avait mené là, à ce point de non retour, cet homme en sueur. J'avais imaginé une théorie selon laquelle il avait un père militaire qui l'avait ignominieusement maltraité sans que personne n'intervienne et ce pendant des années. Qu'il avait fait quelques séjours à l'hôpital psychiatrique avant de se lancer dans sa brillante carrière d'enseignant. Restait en suspens la question de savoir pourquoi il était enseignant, au contact de ses congénères en permanence, qui plus est, pas des plus abordables. La vengeance ? Je n'y croyais pas. Quelque chose de beaucoup plus complexe. Un cadre, malgré tout, qui l'empêcherait de faire n'importe quoi. Peut-être. Une institution reconnue et claire. Des règles à imposer et un savoir dont il était fier. A vrai dire, cet homme-là n'aurait été accepté dans aucune autre institution ou entreprise digne de ce nom. Il avait le savoir et l'Education Nationale s'en est contentée. Elle n'a pas vu le fou tapi en lui. J'avais aussi la théorie de l'homosexuel refoulé qui se hait à en vomir chaque soir. Peut-être suait-il son homosexualité, dans l'espoir de s'en "débarrasser". Cette théorie n'a jamais eu grand succès auprès de mes pairs, mais je ne m'en suis pas défaite. Encore aujourd'hui, je lui trouve un sens. Elle se combine d'ailleurs à merveille avec la précédente. Le tout est de l'articuler de manière subtile.
       Il fut sans doute le premier à me mettre face au miroir de la folie sans que je ne puisse l'éviter. J'avais toujours voulu croire que les gens avaient leurs raisons pour faire ceci ou cela, des raisons raisonnables et compréhensibles par tous. Il fut le premier à m'obliger à admettre que certains d'entre nous ne peuvent pas partager leur univers. Et qu'ils se défendent comme des tigres pour se faire respecter disent-ils ou font ils savoir, sans doute plutôt pour se respecter eux-mêmes. Ou alors ils s'effondrent et ne sont plus que poussière. J'ai cru le haïr. J'ignorais encore la folie et ses tourments, voilà tout. Je l'avais toujours esquivée, même si je l'avais déjà beaucoup croisée, j'avais réussi à ne pas la regarder. Avec lui, Mister C., je n'ai plus eu le choix et j'ai ouvert grand la porte branlante qui ouvre le monde que nous connaissons tous sans le savoir, sans le vouloir surtout : la maladie de l'esprit.


Enfin dans le vrai !

Elle s'arrête dans la rue. Elle est debout, elle se pousse près du mur parce qu'immobile comme ça, elle dérange ceux qui veulent marcher vite, ceux qui vont au travail, en fait. Un réflexe. Elle ne veut pas faire chier le monde pour le plaisir. Elle ne dit pas qu'il n'y a pas de plaisir dans le fait de faire chier. Mais pas tout le monde. Seulement ceux qui sont allés trop loin. C'est violemment subjectif que cette évaluation-là. Mais désormais, elle ne pense plus à être rationnelle, intéressante et intelligente comme Patate. Elle ne veut pas être juste, être précise et nuancée à l'aune de la réalité et de la foutue complexité humaine. Elle veut agir et suivre ce qu'elle ressent. Elle laisse ce qu'elle ressent prendre le dessus et la guider. Elle n'avait jamais osé. Mais elle y plonge. C'est véritablement délectable. Bien sûr qu'elle ne laisse pas tomber les désirs de comprendre et d'aller jusqu'au cœur des choses, avec toute la perplexité qui en résulte, inévitable et désespérante souvent. Peut-être fascinante aussi. Qui fait se sentir petit, en tous les cas, et la légumescence n'aime pas ce sentiment-là. Patpat n'est pas le pire qu'elle ait rencontré. De loin pas le pire. Mais il faut bien commencer par un. Elle ne peut plus supporter. Elle suffoque à l'idée d'avaler encore toutes ces couleuvres. Elle en vomirait aujourd'hui. Elle n'est plus de taille. Elle s'aperçoit pour l'absolue première fois que Patate détenait cette force incroyable. La force du sacrifice, de la patience infinie. Et parfois, c'est un don qui paye. Pitay n'a tout de même pas perdu tous ses neurones, elle sait que ce don-là évite aussi les grosses conneries. Elle n'est plus Patate et ce don. Elle explose. Elle passe à l'acte. Elle n'a plus de compassion ni de bienveillance. Il en manque beaucoup trop cruellement en face d'elle.
Elle passe la journée à ne rien faire réellement. Elle n'a ni froid, ni faim, ni soif. Elle attend le soir.
A 22h exactes, Piment est là, à côté d'elle. Elle ne l'a pas entendue arriver. Piment est féline. C'est encore plus flagrant de nuit. Elles se sourient sans un mot. Elle savent comment faire sortir de son trou ces gros lourdauds-là. Ils ont la hargne facile. Elles vont le harceler et il descendra de son petit nid douillet. Elles montent à pas feutrées. Pitay montre la porte à Piment et redescend. Deux dans l'escalier à courir en trombe, c'est bêtement risqué. Pitay attend de voir Pitay tout en bas. Elle sonne et dévale l'escalier. Elle court comme la féline dont elle a l'air. Aussi bien. Aussi beau. Pitay lui ouvre la porte. Elles entendent quelqu'un ouvrir la porte en haut et dire « Ben y a personne Papa ! » Elles attendent qu'il rapplique mais non. Ce n'est que partie remise. Elles attendent 5 minutes. Et rebelote. Cette fois, c'est Madame qui ouvre et râle un peu. Patrick qui a déjà accusé sa fille la fois précédente d'être une imbécile, n'hésite pas à insulter sa femme de la même manière. « La prochaine fois, c'est moi qui irai et ils verront ces p'tits cons ! », les deux filles crient et rient en bas de l'immeuble pour qu'il les entende. Il semble, mais elles n'entendent pas bien cachées à l'entrée dehors, qu'il peste et commence à s'échauffer en effet. Elles commencent à rire vraiment. Pitay est prise d'un fou rire, fou. Irrépressible. L'excitation, le sentiment de puissance, la tension de toutes ces années-Patate qui éclate dans ce fou-rire fou. Piment la regarde d'abord incrédule. Patate n'était pas du genre expansive. Elle ne l'a jamais vue comme ça. Elle se contient mais c'est trop contagieux et les deux filles s'y mettent ensemble. 5 autres minutes, Piment dit qu'il faut qu'elle retourne au charbon. Pitay a passé là, l'un des meilleurs moments de sa vie. Jamais elle ne l'oubliera, ni ce moment, ni Piment, ni la reconnaissance. Mais la reconnaissance n'est pas un sentiment très à la mode dans cette époque. L'une des seules choses sur lesquelles elle tienne bon est celle-ci : la reconnaissance. Elle ne dit rien mais, autant elle garde rancune des années, autant elle préserve aussi sa reconnaissance les mêmes années. Il n'y a pas de jalouse. Piment est remontée et après avoir sonné, entendant le pas plus lourd de l'homme s'approcher de la porte, elle reste à peine mais suffisamment visible comme une silhouette disparaissant dans l'escalier. Il ouvre et gueule : « Espèce de ptits connards, vous allez arrêter de nous emmerder à cette heure ! Sinon je vous attrape et vous verrez. » Les deux filles éclatent d'un rire sonore et ressortent se cacher. Elle se serrent l'une contre l'autre. Sans peur. Juste par précaution. La dernière, sans doute. Elle ne se parlent pas pendant 5 minutes. Elles se préparent pour la descente. Piment remonte invisible inaudible. Et resonne. Patrick est hors de lui. Il court presque, autant qu'il peut jusqu'à la porte et cette fois-ci dévale lui aussi les escaliers en chaussons. Mais il s'en fout tellement il est en colère. Il sort sur le pas de l'immeuble. Les deux filles sont là. Elles lui font face. Il n'en croit pas ses yeux. Il baisse la garde et sourit. Il ne voit pas leur visage, il fait trop sombre mais il ne peut que voir que ce sont des filles. Du moins l'une. L'autre c'est moins sûre. Mais dans l'ensemble, Patrick est un mec sûr de lui alors le doute fait long feu dans sa tête et la conclusion presque instantanée n'est autre que deux filles je ne crains rien. Ils restent tous les trois à se regarder sans rien dire. Puis Pitay se met à rire. Il ne le supporte pas. Il s'avance vers elle. Piment lui fait une balayette recherchée et férocement efficace. Il tombe à terre de son gros poids de tyran à deux francs. Il ne comprend plus rien d'un coup. Il est perdu. Le monde tourbillonne. « Ben oui mon gros, les filles aussi savent se battre. 
  • Petites garces.
Elles rient de plus belle. Il s'apprête à se relever mais Pitay lui assène un coup sans appel dans ses parties intimes pendant que Piment lui écrase la main en sautant à pieds joints dessus. Il crie de douleur. Il s'en mord les doigts et les lèvres. Du sang coule de sa bouche tellement il a mordu fort pour ne pas se faire entendre. C'est qu'il a une dignité notre homme ! Ce n'est que le début gros !
Et Pitay est alors prise d'une fureur incontrôlable. Elle ne rit plus. Elle le roue de coups. Elle frappe de toutes ses forces. Elle n'a jamais été gracieuse mais forte oui. Elle sait qu'il faut frapper au reins, au foie, au thorax. Elle lâche la bête.

mardi 22 août 2017

Pitay avance

Le lendemain, elle ne se rend certainement pas en cours. Elle aime apprendre. Plus que tout. C'est même sans doute la seule chose qui la fait tenir : apprendre, comprendre toujours davantage. Elle si peu émotive, si refroidie pour les émotions chaudes, elle est très au point sur la douleur, la déception, le sentiment d'humiliation ou de culpabilité. Pas de problème pour elle de ce côté-là. Elle est réceptive à 150%. c'est l'émotion qui fait joli qu'elle n'a pas. Elle n'a pas les bons boutons, pas les bons protocoles internes. Le n'a pas le logiciel qu'il faut pour ça. Le film où l'on pleure, la cadeau qui émeut, la joie incontrôlable de revoir un cher, tout cela lui est étranger. Désire-t-elle qu'il le reste ? Sans doute mais elle ne se l'avoue pas. C'est peut-être l'une de ses seules fiertés puisque c'est l'une de ses seules froideurs, là où les autres voient de la force, de la puissance. Elle se plie à ce diktat légumescent sans le penser, sans le regarder réellement. Elle doit s'y soumettre, elle a dû, du moins. Pitay, Pitayak feront-elles de même ? Parce qu'au fond, elle est en parfait désaccord avec cette idée qu'il fut être fort ou le laisser croire, ou pire !, se le faire croire à soi-même, propension, devrais-je dire, don, proprement humain et parfois, souvent stupéfiant. Elle sait au fond que ce ne sont pas les plus costauds apparemment qui seront les plus riches. Peut-être pour certains les plus sereins. Sûrement pas pour tous puisque, comme chacun sait, il y a aussi cette fabuleuse capacité à faire semblant. L'homme légumescent est un acteur hors pair. Elle ne détient pas ces émotions du bonheur donc, sauf ! Sauf quand elle comprend quelque chose de jamais pigé, ou compris tout à l'envers, comme un enfant qui ne sait pas encore lire et qui juste comprend une expression à l'oreille, sans même distinguer les mots au bon endroit.
Conclusion, elle n'ira pas au collège aujourd'hui. Elle se prépare bien plus tôt que nécessaire pour pouvoir s'enfuir sans rencontrer personne. Dans la nuit, elle a entendu son père entrer doucement dans sa chambre, sans doute s'assurer que sa femme n'avait pas déraillé et que leur fille était bien rentrée. Il avait juste vérifié sans un bruit et était reparti aussi furtif qu'arrivé. Mais lui non plus elle n'a aucune envie de le voir. Personne. Elle ne veut pas leur parler, pas rencontrer leurs yeux humides ou nerveux. Leurs yeux de pauvres petits parents chéris meurtris. Elle ne veut pas se sentir coupable, être la méchante, la sale gosse. Elle n'a pas de solution pour eux et on dirait que c'est ça qu'ils attendent d'elle. Des solutions d'une gamine de quinze ans. Ou alors elle rêve. Mais elle ne veut pas parler de leur amour pour elle qui l’écœure, mais qui entre nous est la seule chose véritablement à l’œuvre là. Ils ne savent qu'aimer laborieusement, sans être jamais là, et sans la connaître. Ils ne savent pas qui elle est. Ils croient ce qu'ils veulent et construisent leur fille à leur image. Ils se prennent pour Dieu avec cette enfant. Elle n'est aujourd'hui plus leur poupée ni leur chose. Elle a fini d'être de pâte à modeler. Elle est d'acier désormais et ils devront l'aimer ainsi ou pas. Elle s'en fiche. Elle se fiche de leur amour. Elle ne se fiche pas de se sentir la coupable. Elle se fiche de ce qu'ils l'aiment. Elle peut vivre sans eux. Elle le fait déjà non ? Sa mère n'a rien dit hier soir. Elle s'est tue. Elle n'a absolument pas ouvert la bouche. Tout de même, Patate n'a pas complètement disparu. Elle s'interroge : Pitay n'en a pas envie mais elle sait que Patate a raison ici, que la question mérite d'être posée. Elle se laisse réfléchir : sa mère était-elle sidérée, tellement en colère qu'elle a dû se taire pour ne pas la frapper aussi fort qu'elle avait eu peur, incrédule, désespérée de perdre sa fille peu à peu ? Etait-elle interdite devant son corps recroquevillé, les yeux bouffis, le visage pâle comme la mort ? L'a-t-elle crue morte . L'a-t-elle crue morte ? Voilà la véritable question.
Voilà le sens de ce silence.
De tous les silences ?
Alors la vie a mal commencé pour elle.
Elle va aujourd'hui préparer ce qu'il faut pour faire payer notre ami Patpat tyran de pacotille. Elle sait déjà ce qu'elle veut et sait comment.
Elle sort de chez elle, il est très tôt. Elle ne perd plus son temps. C'est fini. Elle prend le temps et elle fuit, enfin. Affronter est un combat idiot et sans fin, surtout sans issue pour les gens comme elle . Attention !! elle pense en Patate ! Bref, elle se dirige, non vers le collège mais vers l'arrêt de bus de Piment, chaque matin. Elle le sait, elle a étudié le réseau. Elle ne peut prendre que celui-là. Elle l'atteint à 7h30. Elle doit encore attendre 30 minutes au bas mot. Elle sourit. Elle observe les gens pressés qui passent partout autour d'elle. Elle est heureuse. Putain ! Elle est heureuse. Elle aime le matin comme rien d'autre. Là, elle voit les vrais gens, là elle a de vrais yeux. Qui qu'elle soit, Patate, Pitay et l'à-venir Pitayak.
Quand elle l'aperçoit, Piment tique. Elle fronce les sourcils. Elle n'apprécie visiblement pas qu'on s'approche de son territoire. Elle se défie et s'approche, prédatrice : « Qu'est-ce que tu fais là ? 
  • Je voulais te parler, seule à seule.
  • Pourquoi ? Et puis, où t'étais ces jours-ci ? Pas en cours en tout cas. C'est pas ton genre. Tu nous fais quoi là ?
  • Je fais ce qu'il faut.
Piment sourit.
  • Ok. Bref, tu veux quoi ?
  • Un service.
  • Un service ? Ouh là !...
  • Un peu spécial.
  • En plus !
  • Oui.
  • Vas-y, demande toujours. On verra ensuite.
  • Un connard de mec qui terrorise sa famille et qui comprend que dalle à sa connerie.
  • Aaaaah ! Pas mal comme profil... Et ?
  • Et on s'occupe de lui.
  • On s'occupe de lui. Et pourquoi ?
  • Parce que c'est un enculé et que je commence à saturer des enculés.
  • Ca me va. On s'en occupe comment ?
  • Bien.
  • Arrête, sérieusement ! Comment ?
  • A ta manière Piment. Je te suis. J'ai mes idées mais pas l'expérience. Et toi ?
  • J'ai les deux. Pourquoi moi ?
  • Parce que toi, c'est tout.Pas une autre.
  • Ok.
  • Autre chose : c'est le père de quelqu'un qu'on connaît. Alors on se tait et on tient.
  • C'est mon registre.
  • Je sais.
Le bus arrive. Piment fait un signe de tête à Pitay pour qu'elle monte avec elle.
  • Tu vas m'expliquer tout ça.
  • Juste un avant-goût et tu sauras tout ce qu'il faut.
Elles s'assoient. Un silence, endormi. Et elle se met à raconter la scène à laquelle elle a assisté le vendredi précédent.
  • Ca me suffit. Pauvre con !
  • Haricotte ne doit rien savoir.
  • Tu me prends pour une conne non ?
Pitay sourit à son tour. Elles se regardent complices et finissent le trajet sans un mot. Pitay s'apprête à descendre avant l'arrêt du collège.
  • Ton numéro Piment !
  • Pas besoin. On se retrouve ce soir 22h. Je connais l'adresse.
  • Tu connais... ?
  • Allez vas-y sors, c'est bon.
  • Salut.
Pitay descend. Elle n'en croit pas ses yeux ni ses oreilles. Elle est une lionne. Elle est une vengeresse. Elle ne laissera plus faire. Et Piment est l'alliée idéale.

dimanche 20 août 2017

Le monde cruel des choses

Lorsqu'elle rentre chez elle, au bout de ses deux nuits deux jours dehors, Pitay est seule chez elle. La vie n'a pas bougé d'un pouce. Il est l'heure à laquelle elle aurait dû rentrer du collège. Elle rentre dans une maison trop froide et inhabitée. La vie continue. Elle est soulagée et déçue. Elle est soulagée, pas de drame, pas de déferlement de haine, de honte, de cris. Elle est soulagée car tout est à sa place. Elle est affreusement déçue, bien sûr. Elle voulait susciter ce séisme. Elle voulait que tout s'écroule et soit enfin clair et net, sans cran de sûreté, à nu, à poil, pur, dur, fou. Vrai. Mais rien n'a l'air d'avoir changé. Les objets sont les mêmes. Ils la narguent. Ils paraissent hurler PATATE ! Ils se détournent d'elles. Pas en baissant les yeux, pas avec compassion, pas avec gêne. Rien de tout cela. Les meubles lui disent que tout ce qu'elle a fait ne sert à rien, que le monde restera tel quel, de quelque manière qu'elle tente d'agir dessus. Ils lui hurlent son impuissance, sa débile humanité, sa folie, sa vanité de croire qu'elle a fait la révolution en s'enfuyant deux jours, que tout le monde s'en fiche, qu'ils s'en contrebalancent eux les premiers. Elle est face à sa minuscule vie. Elle les hait. Elle n'a jamais aimé les objets, jamais ceux-là surtout, ils sont immuables, sclérosés, cryptés et méprisants. Depuis toujours, sans concession. Elle ne sait ni ne veut les aimer. Elle les briserait tous si elle en avait la force. Mais cela n'en vaut même pas la peine. C'est eux-mêmes qui la ligotent. Non, c'est elle-même qui ne sait pas se défaire de ses liens. Même les meubles, les objets sont plus forts qu'elle. Elle n'aurait jamais dû revenir. Elle sent la mort ici. Elle s'assoit par terre en tailleur, pas comme une sage asiatique, pas comme une yogi prête à la méditation. Elle prépare la bagarre. Elle est sur le lourd tapis, doux et tendre. Lui, elle l'aime. Il accueille quoi qu'il arrive. Elle est assise et elle se demande comment va finir tout cela. Elle s'agite, ne sent cette position calme lui convenir. Elle a envie de tous les projeter en l'air, les faire voler et se fracasser contre les murs. Alors non, elle ne va pas rester sagement en tailleur. Elle s'assoit finalement sur ses talons et d'un coup, se relève légèrement et se met à frapper le sol de ses poings, les fesses en l'air, juste pour vomir l'impuissance. Le tapis accueille. Elle frappe comme une dératée, elle se fait mal, elle ne le sait pas encore. Elle verra demain. Elle sent enfin quelque chose se passer, elle résiste, elle ne reste pas sans rien faire là à attendre que la vie pourrisse. Elle frappe et elle crie, elle la taiseuse. Elle insulte le monde entier « Enculés de vos races ! Vous êtes tous des sales ! Nous ne valons rien, ni vous ni moi, nous sommes des milliards de pauvres cons qui croient qu'ils peuvent. Tous des connards ! »
Elle finit par se recroqueviller en sueur, la tête contre les genoux, et s'endort.
Deux heures plus tard, sa mère rentre. Pitay se relève, endolorie, elle peine à déplier ses membres. Sa mère est là, debout dans l'encadrement de la porte et la regarde, en silence bien sûr. La famille du silence. Personne n'est sourd pourtant. Elle regarde sa fille se débattre avec son corps. Elle ne peut pas l'aider. Pitay n'en veut pas de toute façon. Elle arrive enfin à se remettre debout. Mais elle n'a pas envie d'être debout. Elle veut s'allonger, se lover, fidèle à son impuissance. Soumise au poids des choses. Elle croise le regard de sa mère. Elle y lit tout ce qu'elle ne veut ni voir ni entendre, qui n'ajouteront que souffrance à son sentiment de nullité. Elle passe à côté d'elle et commence à monter les marches de l'escalier, courbée comme la Grand-Mère. Elle entend dans son dos : «Pourquoi nous fais-tu ça ? » Pitay ne répond pas. Elle s'arrête dans l'escalier. Elle n'a pas envie d'un quelconque courage. Et la mère n'est même pas en colère, pas assez en tout cas. Tout est immobile quelques secondes. Puis, Pitay recommence son ascension vers le lit qui la réfugiera. Aucun bruit, aucune parole, aucun désir. Jusqu'au lendemain. La vie refera surface, comme toujours, même menteuse et illusionniste. Pitay a compris qu'elle était bernée. Elle s'en contente. Les vengeances l'animeront désormais.

samedi 19 août 2017

La mauvaise blague, nous tous !

Déchirer
Se desquamer
Couche après couche
Pas soigneusement,
Non,
Comme une sauvage,
Comme de la vulgaire viande,
Parce qu’on n’est rien d’autre que de
La bidoche
Et de l’animal qui se croit intelligent,
Plus intelligent que tout le
Monde,
Couche après couche
Et enfin atteindre
Le noeud du vivant,
Le palpitant,
Le noyau d’or et d’argent,
L’infrangible
Et enfin se frotter les
Mains,
Avec un sourire ironique,
Sadique sans doute,
Et satisfait,
Délicieux d’avance,
La torture,
Soyons honnête
Pour une fois,
Ce que l’homme si intelligent sait si mal faire,
Lui si formidable.
Et ce noyau innocent,
A l’amende,
Sur une chaise
Attaché
Pieds et poings liés
Impuissant comme jamais,
Celui qui régit ma vie,
Et lui hurler dessus,
Inquisition en bonne et due forme :
«Tu n’as aucune chance,
Tu es pris,
Tu n’es plus rien.
Alors parle,
Traitre intestin !
Tu fausses le jeu,
Un infiltré,
Tu sais faire croire
Tous tes boniments
D’espion sans âme. »
Il ne répond rien,
Il n’a rien à répondre.
Il est cloué.
Il ne sait pas parler
Cet imbécile.
Meme pas parler.
Et c’est ce qui doit faire de moi
Un homme ?
Plaisanterie de
Tres
Mauvais goût
De l’univers
Qui n’est qu’un gros lourdaud
Sans humour.
« Alors ?
Je n’ai plus qu’à
Hein ?!
C’est bien ca !?
Comme toujours,
Le fond de l’être
Est dénué
D’issue
Digne de ce nom.
Il ne te propose que
De te taire
Et d’attendre.
« Remets les couches ma pauvre,
Tout cela est inutile.
Oublie et joue.
Tu mourras sans avoir
Vécu. »


mercredi 16 août 2017

Les larmes de la liberté

Il ne sait plus se battre. Le sait-il vraiment quand il y en a besoin ? A-t-il jamais su ? Il attaque quand il n'y a rien à affronter. Quand il est seul à lutter, quand l'adversaire n'en est pas un et est pris au dépourvu. Là, il a un ennemi invisible, il est poignardé dans le dos, dans son sommeil, il est trahi. Il est impuissant. Il ne sait rien faire face à ça. Il ne sait que s'asseoir et respirer bruyamment. Il est seul, heureusement. Pitay est cachée derrière une autre voiture. Il lui fait presque de la peine. Le tyran de pacotille à terre. Le tyran de papier. Qui tout de même blesse et tue à petit feu son entourage, pour se rassurer, pour son confort. Il n'imagine rien de ce qu'il fait subir. Il trouve ça anodin. Il ne comprend rien, comme tous ces petits empereurs impunis. Ils finissent par tout perdre en général, quand le dernier enfant quitte le foyer familial et que la femme soulagée fait ses valises et le laisse à son ego tourmenté. Souvent, un des enfants se sacrifie, le sensible de la fratrie, le loyal, le coupable, la victime. Il revient, il ne laisse pas complètement seul le vieux perdu. Mais c'est une épreuve que d'être avec lui. Il s'éplore sur le monde et sa cruauté. Il se déverse en jérémiades. On ne peut pas le lancer sur un autre sujet. Il est en boucle. Il n'en sort pas. L'enfant sait qu'un jour, ça finira mal mais il n'en parle pas. Tout le monde passe à côté et construit sa vie sainement, sans le vieux fou. Il ne pourra jamais rien faire de plus pour son père. Ce sera Haricotte, Poireautte, Navette ou le petit Flageolet encore minus. On ne sait pas d'avance. On ne peut pas deviner celui des enfants qui prendra les choses à cœur, qui ne pourra pas laisser faire, lâcher prise, qui y croira et espérera malgré tout. Haricotte sera plus forte que cela. Pitay sent qu'elle ne sera pas celle qui passera tous les dimanches voir le vieux. Elle sera peut-être même loin, à l'étranger. En attendant, le Patrick est par terre parce que ses pneus sont morts eux.
Pitay a obtenu ce qu'elle voulait Mais elle sait aussi que ça ne l'arrêtera pas, le pauvre mec. Elle a autre chose en tête pour lui mettre du plomb dans la sienne. Elle y viendra en temps voulu. Pour l'instant, elle attend de voir ce que Patpat va faire. Elle attend. Lui aussi. Il est perdu. Presque il ferait peine à voir. Il sort enfin de son hébétude et passe les coups de fils salvateurs. Ca n'est plus intéressant. Elle s'en va.
Pitay marche dans la rue, sans se cacher. Pourquoi faire ? Il est bientôt 8h, à peu près, et samedi, il n'y a que les petits vieux pour sortir à cette heure encore nocturne d'hiver. Elle est libre comme l'air, elle fait ce qu'elle veut, elle a suffisamment d'argent sur elle (pas folle la guêpe !) pour manger et même se faire des petits plaisirs. Mais elle n'en a pas envie. Elle n'a envie de rien. Elle est entièrement libre. Elle l'est en apparence. Elle croyait que cela tenait à cela. Elle n'avait pas tort, elle se sent libre. Mais le cœur est serré et bel et bien prisonnier. Elle se demande ce qui lui manque, ce qui la troue là. Ce ne peuvent pas être ses parents qui manquent. Elle en a déjà fait le deuil. Presque, ils sont morts. Elle pense sans jamais le dire que là ou pas, ça ne changerait rien. Elle est seule et prisonnière avec ou sans eux. La preuve !
Pitay se met à pleurer.
Elle s'arrête au milieu du trottoir.
Elle pleure peu.
Elle ne pleure jamais.
Elle n'y arrive pas.
Patate ne savait que se détester.
Pitay n'a encore jamais pleuré.
Cela fait des mois.
Patate, Pitay, sont des déserts sans concession.
Elle s'assoit sur le muret qui longe le trottoir.
Les larmes sont chaudes.
Brûlent.
Piquent comme la mer.
Il ne faut pas ouvrir les yeux sous l'eau.
Il ne faut pas fermer les yeux devant la vérité.
Les larmes débordent.
Tsunami.
Pas de secousse sismique annonciatrice.
Pas reçue
du moins.
Les larmes prennent toute la place
dans les yeux.
Pas besoin de savoir s'il faut
ouvrir ou
fermer.
Elles ont pris la main.
Elles flottent,
affluent refluent,
elles surfent sur les globes,
jouissives.
Elles jouent aux arabesques
finissent par tomber
tout de même.
Elles roulent
sans vergogne.
Elles sont comme un poisson dans l'eau.
Pitay ne sert à rien.
Elle attend.
Elle observe le spectacle.
Elle a chaud.
Les rouleaux roulent
encore et encore.
Toutes les larmes qu'elle n'a pas
pu
avant.
Elle sera peut-être
libre
après.

dimanche 13 août 2017

Jamais tu n'aurais cru

Tu ne pensais
pas
que tu
pouvais
aimer
autant.
Tu te croyais
moins
tendre.
Tu te croyais plus
égoïste
plus
solitaire
plus
individuelle,
sans les autres
s'il le faut,
même si ça
blesse.
Soi ne pas s'écrouler
et soi seul.
Pas parce que tu n'as
pas
besoin des autres,
des chers,
pas parce que tu te
crois
si fort,
mais parce que la survie est
une lutte de soi à soi,
qu'on ne peut pas
demander
délivrance
à d'autres,
aussi vrais et sûrs qu'ils soient,
grands et tendres,
honnêtes et lucides.
On ne se délivre que
soi
seul.
Ta prison est
en toi.
Bien sûr,
tu as appris à te saisir
du bon.
Mais ce n'est pas lui qui
dénoue
et
délivre.
Bien sûr que
seul
tu n'es
rien,
ni toi ni personne.
Bien sûr !
Mais le fond t'appartient et
tu en es certain.
Tu as pensé,
tellement pensé que
tu sais
aujourd'hui.
Et ça apaise.

Sauf que,
tu découvres
que
tu aimes
tellement
que
tu n'es plus seul
dans ton fond.
Si oui évidemment,
le tout petit fond indéchiffrable.
Mais le fond que tu croyais
devoir travailler
seul
n'est plus seulement le tien.
Tu t'étais promis de
jamais
ô grand jamais
ne te laisser berner par
le cœur.
Les tripes suffisent
à la douleur.
Mais tu t'es laissé glisser
et ton fond
aussi,
ton creux,
ton refuge,
aussi,
est accroché à cet autre
que tu aimes.
Il ne te sauvera pas.
Il n'est pas là pour ça.
En revanche il,
est entré très loin,
il,
s'est avancé tout près,
et tu ne l'a pas vu
s'approcher
tant.
Tout à l'intérieur.
Et tu n'as
ni
peur
ni
honte.
Tu n'aurais jamais
cru.
Tu n'étais pas
de ceux-là.
Pourtant,
tu sais aimer
enfin,
car il
n'est pas là,
et tu n'es plus assez
toi seul.

Tyran de pacotille

Pitay veut être là le lendemain matin pour assister au drame. Elle se découvre un goût pour la colère, la sienne et celle des autres. Elle va rire. Peut-être un plaisir tout à fait sadique à cela, mais sans se l'avouer, elle ne se le reproche pas. Le Patrick ne mérite que cela. Il ne reste plus beaucoup d'heures à attendre. Elle n'est pas adepte du camping ni bien habituée aux installations de fortune, mais elle peut dormir un peu n'importe où. Ce n'est jamais un sommeil bien lourd mais elle dort. Ca reste le principal. Pitay a l'habitude de ne pas trop en demander à la vie, elle a moins de chances d'être déçue et blessée. Mais Pitayak saura peut-être se montrer gourmande, sait-on jamais. Elle va s'installer sur le dernier palier de l'immeuble, sans appartement desservi. Elle y sera tranquille. Elle n'a qu'à se rouler en boule pour se sentir confortablement installée. Elle n'a pas besoin de coussin ou de couette de plumes de canard. Se pelotonner lui suffit à sentir la chaleur se faire et s'étendre en elle, l'habiter et l'assoupir tout doucement, sans la trahir pour autant. S'il le faut, elle pourra s'alerter. De toute façon, elle se réveillera dès qu'elle entendra une porte claquer. Elle le sait. Elle sera excitée comme une puce, aussi, il faut bien le dire. Elle n'a jamais rien vandalisé ni détruit, ni même cassé sciemment. Patate n'a jamais pu faire ça. Patate retenait tous ses gestes. Tout était modéré. C'était avant. Elle va pouvoir se frayer son chemin désormais. Et la fin justifiera les moyens.
Elle ouvre brusquement les yeux. Il est déjà 7h00. Elle se lève sans bruit, reste accroupie et regarde par-dessus l'escalier. Pas de Patrick Grosse Nique. Elle le pense tout net comme ça. Elle a envie de lui nique sa journée, c'est ça. Elle ne pourrait pas exprimer les choses autrement. Elle doit être vulgaire pour le dire. C'est précisément lui niquer sa journée qu'elle veut, et quelques-unes des suivantes aussi sans doute, par là même. C'est jamais perdu. Elle sourit. Elle est vraiment sans pitié. Elle n'éprouve aucune honte, aucun remords. Elle fait payer les tyrans. Elle veut les mettre à terre, les faire baver de rage et de désespoir. Ceux qui abusent de leur pouvoir de petits humains ridicules et qui se font prendre pour des rois etc des dieux parce qu'ils sont trop lâches pour admettre leur fragilité. Pour admettre qu'ils vont mourir un jour, peut-être demain et que c'est impensable, que ce n'est pas possible. Mais si mon pote ! Demain, peut-être tu ne seras plus qu'un tas de boyaux. Peut-être. Pas plus valeureux ni admirable que le SDF que tu méprises tous les matins. Elle ne sait pas, Pitay, ce que pense Patrick des SDF. Mais les hommes comme lui sont des simplistes. Forts versus faibles et hop ! On est parti pour la vie. Elle se rend compte à quel point elle hait ces faux puissants, plus lâches que tous les autres, qui profitent d'un pouvoir
indu. Elle les tuerait. Ils énoncent haut et fort leur suprématie, ils l'exercent, ils finissent par y croire vraiment. Ils se sourient à eux-mêmes dans le miroir. Ils s'aiment. Ils ont réussi. Ils se sont hissés au-dessus de leur condition. Ils sont de vrais hommes, eux. Ils ont ce droit de veto qu'ils appliquent autant comme autant. Ils en sont dignes. Mais ce ne sont que de plus petits hommes que les autres, de plus fragiles encore, que la mort terrorise et qui sont incapables de jouer ce jeu. Le jeu de l'animal qui vit et meurt, et qui malgré tout ce qu'il s'évertuera à construire, ne laissera presque rien derrière lui.
Mais il s'agit seulement aujourd'hui de pneus crevés.
Elle attend.
Elle est heureuse.
Elle ne sait pas pourquoi.
Elle est libre. Elle n'attend personne ni rien. Et réciproquement. Le monde est vide et encore plus plein.
Ca y est ! Patrick sort. Il bougonne déjà. Ce n'est qu'un début. Elle le suit jusqu'à sa voiture. Il est fatigué. Il râle : « Et en plus se taper des consult' le samedi matin, merde ! Je suis con quand même ! Ah faites des gosses ! »
Il monte dans sa voiture et démarre. Il enclenche la marche arrière. Elle ne bouge pas. Il sent qu'elle se déplace de quelques centimètres. Il la sent lourde. Il sort en gueulant. « C'est quoi encore cette chiasse ! » Il fait le tour, de plus en plus lentement. Il finit désespéré devant le 4ème pneu.
Il est à terre, assis contre sa voiture. Il ne bouge plus. Il est comme mort.

samedi 12 août 2017

CHez Haricotte (suite)

Haricotte habite au rez-de-chaussée d'un petit immeuble, résidence sans charme, sans danger, sans vie. Pitay s'en fout complètement de tout ça. Elle observe et passe à autre chose. L'important c'est ce qui se passe à l'intérieur, dans le foyer. Elle va devoir sans doute rester dehors. Aucune importance. Elle n'a plus froid. Patate avait froid. Pitay n'a déjà plus froid. Pitayak sera chaude, peut-être... La chaleur. A voir...Pitay s'installe dans un petit coin, entre le mur et un fourré, fourré genre planque de pervers et exhibitionnistes. Il est vide pour le moment. Elle éjectera quiconque voudra lui voler sa place. Elle frappera. Elle n'a plus peur de frappera. Elle dégagera avec forces et fracas, tout ce qu'elle n'a jamais osé faire, en plus avec avec un de ces dégueulasses libidineux pourris de la moelle au plus petit noyau du cerveau.
Pitay, tiède, se cale très confortablement dans son petit coin. Elle est bien. Pas seulement l'excitation et l'envie de savoir, de comprendre. Aussi, un vrai bien-être. Un confort presque et c'est une sacrée découverte pour Pitay. Pas d'insoutenable tension, pas de crispation latente parfaitement continue, pas de douleur, le ventre, le dos la tête sont tranquilles. Elle est assise et respire profondément l'air froid de la nuit. Elle fait partie du monde. Elle appuie sa tête contre le mur et attend. Là aussi, elle est juste en-dessous d'une fenêtre. Elle ferme les yeux et écoute. Elle a l'oreille fine. Tant mieux. Mais de toute façon, elle n'en aura pas tant besoin que cela, le père est une grande gueule, de bac à sable mais grande gueule quand il est entourée de ses femmes. Parce qu'il n'a que des femmes autour de lui. Il aime ça, il se sent fort. Il n'a pas besoin de le dire. Le ton de sa voix le crie à tue-tête. Toute la famille regarde la télé ce soir. Pitay suppose que personne n'a vraiment le choix. Il n'y a pas beaucoup de paroles mais elle sent une pression exaspérante qui se dégage du peu qui se dit. Patate l'avait déjà observé. Un truc malsain, pas normal. Elle a du mal à contenir sa colère. Eh ou, elle monte déjà. Elle ne va pas être déçue...
« Bon, les gonzesses là, on regarde quoi maintenant ?
  • Sais pas.
  • Ben non, toi tu sais pas, tu sais jamais. Et toi Navette ?
  • Je suis fatiguée. Envie d'aller dormir.
  • Oh ! Sympa pour nous. Tu t'ennuies avec nous ?
  • Non, je suis fatiguée Papa. Le collège toute la semaine, j'avais pleins de contrôles.
  • Oh pauvre bichon ! Ceux qui bossent ici c'est Maman et moi hein. Il faudrait pas inverser les choses quand même ! T'es en 6ème. Il va falloir t'aguerrir un peu hein !
  • Bref, et toi Poireautte ?
  • Moi je veux encore la télé !
  • Bon, en voilà une enthousiaste au moins. Mais pas tes trucs débiles hein ?!
  • C'est pas débile.
  • C'est débile, tout le monde est d'accord.
  • Arrête chérie, c'est de son âge.
  • Eh ben c'est débile quand même. Peut-être que son âge est débile. Arrête de toujours les défendre tes petites chéries.
  • Je relativise ;
  • C'est ça, tu relativises. Super !
  • Bon, on n'est pas plus avancé. Tiens, mmmmh, ça c'est très bien.
  • C'est interdit aux moins de 12 ans Patrick.
  • Oh hé ! C'est pas des chochottes. Et puis, de toute façon l'autre elle va s'endormir et la petite elle apprendra plus vite comme ça. C'est pas le mieux ok mais j'ai envie de ça ce soir. Je suis crevé.
  • Franchement Papa, moi j'aime pas du tout ce truc.
  • Et pourtant tu es la seule qui a l'âge de le regarder Haricotte. C'est le monde à l'envers. Les enfants sont étranges quand même.
  • Bon, on met ça et basta.
  • Je vais me prendre un bouquin et rester à côté de vous ok ?, demande timidement la mère de Haricotte.
  • Oh mais vous le faites exprès ou quoi !? On ne peut pas être bien tous ensemble ! Ces bonnes femmes !
  • N'exagère pas !
  • J'exagère pas. C'est chiant !
  • Patrick !
  • Oh c'est bon, elle a déjà entendu ça 100 fois à l'école la petite.
  • Oui mais tu es son père.
  • Et ?
  • Montrer l'exemple, ça te parle ?
  • Oh oh ! Tu me parles sur un autre ton. L'exemple de quoi ?
  • Bon, tu veux pas discuter, c'est ton problème.
  • Allez les filles, c'est parti.
Des pleurs se font entendre au loin.
  • Encore ton fils qui chouine. J'y vais.
  • Non c'est bon, j'y vais, tu es fatigué.
  • Tu veux pas que je m'en occupe oui ! Tu as peur que je fasse les choses mal.Ne me prends pas pour plus bête que je ne suis. Après tu diras que je ne fais rien à la maison.
  • Je ne dis jamais ça. J'y vais.
  • Haricotte ?
  • Oui
  • Tu as eu combien à ton contrôle de maths de la semaine dernière finalement ? Maman m'a dit que ça avait été dur. Des exercices jamais vus.
  • Oui
Haricotte est en confiance.
  • et alors raconte ?
  • Eh ben j'ai fait ce que j'ai pu. Le prof nous l'a rendu hier. J'ai eu 10.
  • 10 !
  • Tu ne pouvais pas faire mieux ?
  • Vraiment c'était dur. La meilleure note c'était 11 et même le prof a dit qu'il avait vu un peu trop haut.
  • Pas de ça ! Si tu veux tu peux et c'est tout. 10 ! non mais c'est nul ! Et pourquoi tu n'as pas eu la meilleure note ? Pourquoi ?
  • J'ai fait le max Papa. J'ai pas réussi. Mais je t'avais prévenu.
  • Eh ben, si c'est ça ton max, t'es pas sortir dans la vie toi ! Allez va travailler, je ne veux plus te voir sur ce canapé. Et demain et dimanche aussi.
  • Mais...
  • Dépêche-toi !
  • ...
  • Savent pas travailler ces gosses.
La mère revient.
  • Où est Haricotte ?
  • Tu savais qu'elle a eu 10 à son contrôle de math ?
  • Oui.
  • Et tu ne m'as rien dit ?
  • Parce que tu te serais dans cet état alors que ce n'est qu'un 10. Elle est toujours au-dessus de 15. Elle a flanché, ça nous arrive à tous.
  • Et puis après, elle devient vraiment nulle et ne fait rien de sa vie, bonniche à la maison avec un mari débile ;
  • Elle est où ?
  • Dans sa chambre, elle travaille ses maths jusqu'à dimanche soir.
  • Patrick !
  • Pauvre Cocotte...
Poireautte pleure.
  • Pas tes oignons toi. Tu es trop petite pour comprendre alors tais-toi.
  • Calme-toi un peu Patrick.
  • De toute façon, tu dis toujours le contraire de moi, j'ai l'habitude. Je suis le méchant qui a toujours tort. Bientôt, je maltraiterai mes enfants. Non mais !
Pitay est effarée. Elle ne l'avait jamais vue comme ça. Il est kiné. Elle est déjà allée à son cabinet et il a été très bien avec elle. Elle n'était pas à l'aise mais il n'y était pour rien. Il a fait son job. Il avait été plutôt rigolard d'ailleurs. Et elle avait moins mal après. Il l'avait bien aidée. Mais là, l'enculé ! Elle ne trouve pas d'autre mot. Elle est outrée. Elle a envie de le défoncer. Mais il est très costaud.
Elle ne pourra pas garder ça pour elle. Elle ne pourra tout simplement pas. Elle devra en toucher un mot à Haricotte. Elle devra prendre son courage à deux mains mais elle devra le faire. Elle le fera d'ailleurs même sans le vouloir. Ca sortira tout seul. On ne laisse pas faire ça. Patate aurait sans doute laisser faire même si elle se serait débrouiller pour faire comprendre qu'elle était là pour aider et écouter. Pitay ne s'en tiendra certainement pas là. Elle va agir. Elle a déjà deux bonnes idées en tête.
Elle sort de son buisson et cherche sur le parking la voiture de Patrick, l'enculé du jour. Elle devient décidément vulgaire ! Enfin sans doute. Elle est là ! La plus laide de toutes. Ridicule. Elle aurait dû se douter avec une bagnole pareille qu'il y avait quelque chose qui clochait chez cet homme. Elle se dit qu'elle n'a qu'entrevu la partie émergée de l'iceberg. Il doit pouvoir aller loin, à l'abri de tous les regards. Elle s'accroupit, sort son couteau suisse et le plante soigneusement dans un premier pneu. Le plaisir est intense. Presque une jouissance. Elle a chaud Pitayak. Elle se prend au jeu. Il va payer. Et de deux ! Trois ! Quatre ! Il va devoir payer. Cher. Et demain, il va tomber de fureur. Espérons que tout le monde soit hors de portée. Pitayak est en marche. Prochaine étape dans quelques jours. Tu n'en as pas fini avec elle, Patrick Connard.
Elle repart, le cœur franchement lourd. Patate et Haricotte fait parti du même lot. Elles ne se le disent pas, bien évidemment. On ne fait pas de clan de victimes légumescentes. On demeure dans l'idée que le lendemain sera meilleur, plus réussi, plus costaud et qu'on saura répondre ou moins encore que cela, qu'on ne fera aucun faux pas, qu'on ne sera pas le joujou du jour. On espère et on ne fait rien. Juste on sert les fesses. Haricotte ne peut même pas desserrer les siennes, une fois arrivée chez elle. Droit à aucun répit. Couche-tôt ? Qui ne le serait à ce compte-là ! On est vendredi donc elle a eu de la chance, elle avait pu tout voir. Un autre jour, à 23h00, Haricotte aurait été couchée depuis une bonne heure. Elle le sait de l'intéressée elle-même. Vraiment, elle aime bien Haricotte. Mais qui aime les miroirs trop réalistes ? Qui a quinze ans et supporte de plonger les yeux dans ses propres plaies béantes devant lui, sur un autre corps terriblement semblables ? Qui donc ? Pitayak le pouvait désormais.