mercredi 29 janvier 2014

Fatals zéros (37)

Tout le monde le dit, ce que c'est dur les fins de mois ! Apparemment, c'est une histoire d'argent. Je me joins à leur chœur pour cette fois. Je n'explique rien, on est d'accord sur la forme. C'est suffisant. 
Ce soir, il n'est même pas 17h mais je veux qu'on soit déjà le soir. Il fait nuit, c'est tout comme. Satanés mois d'hiver ! Ce soir, je disais, je dois me préparer.
A la nuit.
A demain.
Au surlendemain.
Au fucking trente et un. 
A l'immonde lenteur du dernier soir jusqu'au premier 00h01. 
Avant 00h01, je n'y crois pas. 00h00, on dit généralement que ça commence là. Ça ne me convient pas. Et je me fous de la science bon Dieu !  Ils en font un et ces foins ! Je ne vois pas pourquoi ce serait une meilleure raison que les autres. 
Salope de science ! 
Vulgaire ce soir ma petite ! Tu flambes, prends tes gougouttes ! 
Allez, 1...2...3...4...5 et gloups. C'est vraiment dégueugueu. 
Parce que 00h00, ça n'existe pas, excusez-moi mais c'est un fait, il n'y a que de la nullité. Moi je me sens à poil avec tous ces 0. Et j'attends la minute suivante pour respirer. C'est une fausse heure. 00h00 c’est l’heure des fantômes, des moins que rien, des rien du tout. Je veux être une quelque chose. Alors tous les jours, je me presse pour m’endormir avant cette purée d’heure de 00h00. Je ne veux pas être consciente pendant cette heure où je meurs. Dodo et hop là ni vue ni connue. Mais pour peu qu’on approche de la fin de vingtaine, je ne dors plus aussi bien. Et c’est decrescendo. La vie est mal faite parfois. Alors ce soir, d’hiver, vingt-huit, je vais veiller. Ou plutôt je le sais bien, je vais m’endormir à 20h et me réveiller juste pour le passage à blanc à 00h00. J’ai beau essayer de m’empêcher de dormir, c’est impossible. Comme si mon corps se préparait à la veille de mi-nuit.
Donc, pour atténuer le schmilblick, je vais opérer mes 3h, une fois n’est pas coutume, d’exercices. Ce n’est pas du temps perdu. Je suis plus vite sur pied après. Bon, il faut que je me fasse violence pour ne pas m’arrêter à 2 ou continuer vers 4. Le 3 est un terrible chiffre. J’aimerais l’anéantir lui aussi. L’année des 13 ans a été satanique…les 23 se sont un peu mieux  digérés. Les 30, comme sur des roulettes. Les 33 vont piquer. Ca me démange déjà.
Donc, le planning de ce soir est le suivant : lecture et relecture de la Loi, avant après chaque tâche. C’est l’armature. Ce que ça soulage, rien que d’en parler. Et puis dans l’ordre d’arrivée dans l’appartement :
1-     Ranger toutes les chaussures de fond en comble, les nettoyer de l’intérieur. Dommage qu’on ne puisse pas les retourner les godasses. C’est toujours un dilemme, essaye essaye pas dessus dessous ?
2-     Manteaux par ordre alphabétique dans la penderie. Heureusement que j’ai une bonne mémoire et que je me rappelle de toutes les références. Je suis gâtée pour ça. Parfois aussi, la nature est bien faite.
3-     Démonter le radiateur et le laisser reposer en paix dans la couloir. Nettoyer son arrière-train.
4-     Aspirateur dans la penderie et le couloir et sur le radiateur. Ca le rafraîchit.

Première étape achevée.

5-     Refermer la porte du couloir d’entrée et ne plus la rouvrir avant demain matin. Sous aucun prétexte.
6-     Se tourner vers la grande salle et en avant toute. Prendre son courage en main.
7-     Commencer par la gauche et tourner le long des murs pour ranger, jeter, limpide, horizon libre. Meuble après meuble, coin après coin.
8-     De retour à la porte communicante, respirer bien profondément et sentir le bien-être pointer son nez.
9-     Eventuellement, réciter la Loi une fois de plus à ce moment-là.
10-  Aspirateur sur toute la surface sans aucune exception, le lit est relevé contre son mur.

Deuxième étape achevée

11-  Ne plus toucher à rien et investir la cuisine. Grand et rude labeur.
12-  Faire un tour des opérations à mener. S’organiser très rigoureusement.
13- Tourner de gauche à droite toujours le long des parois de la pièce. Récurer sans aucune pitié.
14-  La cuisine est un lieu de perdition pour la ménagère, qui plus est en fin de course. C’est mon cas en ce vingt-huit. Ne pas perdre espoir. Tout peut reluire un jour. Frotter, astiquer, abraser jusqu’à atteindre son objectif. Ne jamais abandonner ou c’est la chute.
15-  Une fois toute tache et goutte éliminées, vérifier. La cuisine est un tonneau des Danaïdes.

Troisième étape achevée.

Loi haut et fort.

Délicatement s’allonger sur le lit et évacuer toutes les mauvaises poussières stomacales et vésicales.
Il est 20h et voilà le moment fatidique où il ne faut pas s’endormir. Aujourd’hui, sois prudente Anna, tu dois prêter très attention à ce qui se passe. C’est l’anniversaire mensuel et annuel. C’est le lourd anniversaire. Il ankylose. Je suis une grosse mémère à hauteur d’enfant.

mardi 28 janvier 2014

Lignée AAAAA (36)

Il se passe quelque chose en fin de mois dans cette famille. C’est impalpable. J’ai beau questionner les filles et petite, jamais de réponse valable. Je n’ai pas besoin d’elles pour savoir qu’il se trame quelque chose. Je voudrais savoir quoi précisément et les détails. Ma hauteur ne les impressionne pas. On ne me dit rien. De plus que ce qui est évident, j’entends. Car je sens la folie qui plane. Non pas qu’elles soient nettes toutes ces descendantes mais l’air est tout infesté de magie noire ces temps-là. Je suis loin, je ne les rencontre pas nécessairement mais… Remarquez si ! j’y pense, je croise toujours par hasard la furieuse les vingt-neuf du mois et coup de téléphone silencieux anonyme les vingt-huit/ Mes filles vocalisent jusqu’au premier à minuit. Après, je peux enfin dormir à nouveau. Elles s‘invitent dans mes jours et s’imposent dans mes rêves. Je le sais. Elles se mettent à diriger ma vie pour quelques soleils. Elles en cachent même ce gros-là d’ailleurs.
C’est incroyable que dans le monde personne ne se soit rendu compte de ses éclipses mensuelles. Menstruelles. On se dit peut-être que le monde à ses règles, ronchon dans son coin,  donc le monde est une femme. Ce qui n’est plus à prouver. Ou alors, ils ne la sauraient vraiment pas ? Envisageable. Mes pairs sont parfois surprenants. Ils occultent le plus éclatant. C’est proprement fascinant. Ils ont beau m’accuser d’être vieille folle, je ne suis pas dupe, je le sais, je ne démords pas. Je garde la proie en bouche, quitte à grogner si on me tire dessus. Ils trouvent ça indécent. Je ris de cet emporte-pièce. Comme s’ils étaient corrects avec leurs yeux fermés de bébé. Ca n’a pas l’air malin un handicapé. Ca tâtonne, ça trébuche. Moi au moins j’y vois clair, je le sais.
Bref, malgré grand âge, pas compris la magie noire tout bien. Les filles auraient compris ? Mais bien entendu voyons ! Les As hein ! pas Fanny ; elle est trop attachée à sa terre ferme. Mais les deux autres, elles sont expertes. Moi aussi j’ai été, mais aujourd’hui je ne suis plus bien. Je suis aussi en A mais plus du même lot. Elles ont tourné le dos à la vieille d’école pour se délocaliser. Ou non ! Anna elle voudrait bien me joindre. Elle ne dit pas non, elle sent qu’on est de la même couleur. Mais l’autre fait écran. Alors, je suis brouillée comme Canal + pour cette petite. Elle est coincée par la sale tante. Je le sais.
Du jour au lendemain, elle m’a reniée cette sagouine. Elle avait trouvé la chair fraîche
Adéquate
Adorée
Adulée
Addictée…
Arrête ça ma vieille ! tu deviens ta progéniture avec ses listes interminables. Vieille toquée ! Elle est contagieuse cette folle-là. Je l’ai aimée tout de même. N’était pas encore rabougri l’organe. Elle m’a eue aussi. Dès la naissance. Maintenant je ne me laisse plus faire. Elle m’a lâchée, moi sa tendre mère…
et elle ets partie avec Anna dans les yeux et les oreilles. C’est vrai qu’elle est sublime cette petite dingue. Je suis fière d’elle. C’est mon trophée sans les bras. Elle le sait. Pas besoin d’expliquer. On se regarde, on détourne l’autre la tante fille. Elle s’interpose. Mais sens unique ! Moi j’y vois clair quand je regarde Anna. C’est elle qui voit crypté. C’est une sacrée sorcière que j’ai accouchée quand même. Ca ne me plaît pas bien sûr cette situation. Mais elle est solide cette tarée-là. Elle est peut-être plus douée que moi. Elle ose jusqu’au bout en folle moderne. Moi, j’ai des principes. Elle les explose. Respect des générations etc. elle les balance ? Jamais je n’ai été prête à cela. Elle y a gagné un enfant. Fanny nous dit volé. Mais je crois moi aussi qu’elle appartient à notre lignée, Anna., lignée des AAAAA depuis le début. Fanny n’y comprend rien. Elle refuse cet héritage. Elle en fait partie pourtant. Sauf qu’elle est ennuyeuse et conventionnelle comme personne ! J’ai bien essayé de lui démontrer pas A+B. Rien n’y fait. Elle ne comprend pas ce que B fait dans l’histoire. Elle n’est pas d’accord.
En vrai, Anna est des nôtres. Nous sommes sa famille à nous deux, sa tante et moi. Fanny n’était que mère-porteuse. Mais plus royaliste que le roi, elle veut que ce soit son enfant. Alors, elle pleure et je la console quand même. Parce qu’elle n’est pas méchante Fanny. Elle est juste différente.

lundi 27 janvier 2014

Merveille du grand huit infini (35)

On est fin de mois,
C’est l’heure le temps de ma chérie,
Mon ange trésor bijou doudou ronron roudoudou rondondon,
Mon dindon, dindonneau,
ma diva mon divan mon divin enfant,
Ma raison de vivre ma saison,
mon doux vison mon velours mon divan velours,
divan avide
je suis absorbée par ton dossier,
allongée dans ta béance amoureuse.
Tu m’enveloppes ma beauté ma sainteté.
Sublime naine orangée.
Tu es un coucher de soleil qui se lève me lève comme une pâte,
Mon bâton ma têtée  tétradynamique hydre ondulante
Pieuvre divine
Qui m’enroule sans ses bras d’enfant tout-puissant.
Moi, la mère,
L’originelle,
Congénitale,
L’initiale pure, A comme Anna,
A comme moi.
Alliance attirance attraction traction détraction détartrer déterger.
Tu es la pure qui sauve, la prophétesse attendue,
Des millénaires par mes incarnations passées,
La Christa Ultima.

Je l’ai su au premier contact, dès que je suis entrée dans la pièce où tu te trouvais dans l’abdomen de l’usurpatrice. La reine-mère qui croit en son bon droit, s’octroie toutes les naissances. Vole embryon dans le sommeil de la pauvre génitrice flouée. On se réveille comme si de rien. Et puis plus rien.
Et c’est méchant, moche et menteur. On est manchotte amputée sans prévenir.
Emasculée
Eunuque.
En un tournemain.
Salope de reine
Mère
Sœur
Sans A.
c’est pour ça.

En tout cas, fin de mois, le vingt-huit et me voilà en harmonie. A s’en étouffer. Apoplexie du bonheur. Coup de téléphone obligé à l’enfant prodigue.
Silencieux.
Délicieux.
Sans un mot
Immensité intuitive.
C’est ça les mères et filles, vraies mères vraies filles.
Sans un mot.
Jouissance
Partagée.
Le bonheur entremêlé.
Entretiré.
Entortillé.
Entricoté.
Entripaté.
Embrigadé.
Tu es là.
Ta chevelure flambée me prend en otage.
Me soumet.
Pourrait me torturer m’aplatir m’apprêter pour la sortie en laisse.
Fifille promène maman.
Et le monde bascule je suis toute à toi, dispose de ta mère véritable je suis ta victime adorée ta bête sacrificielle.
Fais couler notre sang.
Singulier.
Je suis ton sanglier
En rut à tes pieds. Fais de moi ce qu’il te plaît. Ne pense pas aux dépenses.
Anniversaire douze par an, vingt-huit et vingt-huit et vingt-huit et vingt-huit. Heureusement pas plus tard pour février qui termine juste.

Ce jour est béni. L’après-midi toujours chômée. Je promène mon enfant dans la ville dans ma tête. Jamais seule ou accompagnée. Personne ne sait sauf elle. Elle communie. Je la sens à l’autre bout de la cité mystique, nos esprits se rejoignent sur la coupole du grand Paris.

Merveille du grand huit infini.

dimanche 26 janvier 2014

C'est juste en face Madame.

Glisser
la pente juste tout droit en face et simple,
la bleue toujours aimée.
Pour une fois,
pas contorsionnée.

Glaner
alors les grands plaisirs du quotidien
du matin au soir.
Pour une fois,
plus qu'une demie heure engoncée
étriquée
écrabouillée,
haletante,
entre tous les VIP des tâches de la journée.

Flâner
le long des grands virages
apparemment inefficaces.
Pour une fois,
confiance en leurs méandres secrets ;
parfois, incompréhensible mais plus directs
que la ligne droite évidente.

Flatter
les désirs assommés, pliés dans la vieille boîte
à chaussures.
Pour une fois,
les laisser s'étirer de tout leur long
comme des chats tout rouillés.

Flotter
sans objectif autre que celui d'y comprendre
un petit rien.
Pour une fois,
ne pas s'agripper à la moindre aspérité
au moindre relief invisible
à toutes,les prises offertes
et choisir sans les mains.

Crotter
tous les jolis habits sages et tout comme il faut
et l'esprit propret.
Pour une fois,
danser douillettement,
en pyjama ailé.

Trotter
en petite fille sautilleuse qui compte les pas sur les dalles noires
et seulement si !
Pour une fois,
ne pas tenir le haut du pavé,
tournebouler dans le caniveau
joyeuse.

Trôner
sur son monde et admirer son œuvre,
les yeux dans le ciel.
Pour une fois,
oublier l'obligée humilité et envelopper dans ses bras forts
l'univers rond,
en mégalomaniaque occasionnelle.

Traîner
sa longue et brillante nudité jusqu'au bas de la bleue glissée
suavement.
Pour une fois,
n'être rien de plus.

Trahir
sans scrupules tous les efforts de babouins au bal Champagne.
Pour une fois,
n'être q'une primate désireuse,
acharnée à sa satisfaction.

Et attraper
la volage aubaine de faire l'étoile de mer
au milieu du salon.
Pour une fois,
et encore,
et encore,
débrider la bête
et arracher le mors
quitté à baver en malpolie.

Et courir
juste droit en face et simple.


vendredi 24 janvier 2014

Voleur de temps

La tête fourmille
d'idées
désirs
progrès.

La jambe sautille
d'excitation
d'impatience
d'énergie.

Le pied frétille
prêt à claquer
rocker
swinguer.

Les yeux pétillent
aspiration
inspiration
sans expulsion.

Les doigts tortillent
nerveux
trop pleins
d'attente.

Le monde torpille
en contraintes
devoirs
horaires.

Et le temps se gaspille :
service obligatoire
la vie est une armée
Soumission sans appel.

La fugue me chatouille
s'évader
s'évaporer
savon glissé.

Le quotidien en bafouille
déboussolé
bousculé
bourlingué.

La langue s'en mâchouille
s'entripatouille
touille et retouille
les rêves,
fouille farfouille
pour passer le temps
à dire ce qu'il faut.
Et la vraie vie pendouille
en guenilles
au bout d'une laisse,
bredouille.
Rageant
ce temps volé
par tous ces brigands
aux airs de règlement.
On grouille
de l'occiput jusqu'aux orteils.
On recroqueville
la friture pétillante.

Sales fripouilles
détrousseurs !

Cochons pilleurs
de temps !

Gueusards canaille
inconscients !

Voleur de temps,
voleur d'amant
voleur de cran.
Finis chiffe molle.
Ah non jamais !
A bas la trouille !
Briller !
Veiller !
Vriller !
Jusqu'à plus soif.





mercredi 22 janvier 2014

Premier contact (34)

Je me suis lancé, j’ai hélé la gosse. Doucement hein, je suis pas un macho. Et puis, le dragon dort. Je me suis approché. Je lui ai demandé. « Ca va Mademoiselle ? Vous n’avez pas l’air en forme. » Elle m’a regardé d’un air ahuri. J’étais comme un alien. Elle était aussi surprise que si j’étais pas sensé exister. Elle m’a fixé sur place tellement je devais être bizarre pour elle. J’ai plus bougé et j’ai attendu la réponse. Elle est jamais arrivée. J’ai été patient. J’ai bien vu qu’elle était mal en point. Bien sûr que j’avais déjà vu qu’elle était mal en point. Mais de près, les yeux dans les yeux, c’était encore plus clair. Je me suis tout de suite dit que j’avais fichtrement bien fait de venir lui dire deux mots. Et je me suis aussi dit que je savais franchement pas comment j’allais me dépatouiller de ce merdier. Parce que j’ai plongé dedans dès mes premiers mots. C’est une fille à problèmes, ils disent les gars. Il y a pas mal de bonhommes qui parlent comme ça. Moi, j’ai jamais bien compris ce que ça voulait dire. On est tous des problèmes. Plus ou moins. Souvent plus que moins, qu’on soit bonhomme ou bonne femme. Je vois pas le fossé entre les deux. Ca a l’air sacrément différent pour les autres. Moi je trouve qu’on est tous archi compliqués. Pour le reste, j’en dis pas plus. Je trouve qu’on peut pas savoir. A part peut-être être un grand savant et ce genre de choses. Mais pas moi avec ma bétonneuse sur mon chantier parisien. J’en sais rien ce qui se tricote dans les têtes des gens moi ! et je veux pas dire que j’ai tout compris. Ca m’énerve ça. Et puis, c’est les sales cons qui disent ça. « J’ai tout compris, pas la peine de se casser la tête. » Ca me met en boule ces blaireaux-là. Mon père c’était bien un de ceux-là. Eh ben, il fait pas bon vivre avec, je peux vous l’assurer. La gosse en revient pas que je sois là devant elle à lui demander si elle tient le coup. Parce qu’elle a l’air d’avoir bien capté que c’est ça que je lui demande, pas moins que ça. Ou alors, elle comprend même pas que quelqu’un lui ouvre son bec. Je sais pas décider ce qui se passe dans sa caboche. Elle pourrait se mettre à fumer bientôt j’  ai l’impression. Je répète ma question, histoire de l’assurer. « Ca va Mademoiselle ? Vous n’avez pas l’air en forme. » Cette fois, elle réagit. Elle sursaute et elle essaye de retenir sa tête qui tangue vers l’épaule gauche, comme ce matin. Elle peut rien faire contre. Et 1,2,3 petits coups de tête sur l’épaule qui vient à sa rencontre. Elle a l’air mieux après ça. Elle répond pas quand même. Elle hoche la tête et murmure « Mmmmh. 
-          Ok. Ca veut dire que ça va aller alors ?
-          Mmmmh.
-          Bon, si vous avez besoin, je peux vous appeler un médecin, hein.
-          Jamais de médecin Monsieur.
-           
Elle sourit mystérieusement. J’y comprends pas grand-chose.

-          Ok ; Bin je vous force pas mais faudrait peut-être mieux que vous en voyez un quand même. Vous êtes très pâlotte. Vous allez pas vous évanouir chez vous quand même ? Et personne s’en rendrait compte, vous imaginez ?
-          Je ne m’évanouis pas. Ca n’est jamais arrivé. Ca n’arrivera jamais. Il en va ainsi.
-           
Elle parle comme un livre la gosse. C’est pas que ça me surprend d’elle mais ça surprend toujours d’un jeune comme ça. Elle est pas avec sa canne et ses vieux bouquins mietteux.
Je sais pas pourquoi je me suis mis à autant lui parler. C’est sorti tout seul. Je voulais pas être indiscret mais je veux pas me réveiller demain et apprendre des choses pas jolies. Je me connais en plus, si j’ai pas fait tout ce que je pouvais, je me retrouve à me tourner et retourner dans mon pieu du soir au matin. Et ça, non merci. Je préfère prendre le risque que la gosse pète un plomb. Au moins, j’aurais tout essayé.

-          Je veux pas m’immiscer Mademoiselle. C’est juste que j’ai l’habitude de vous voir passer le matin et le soir. Et c’est toujours la même heure, depuis des mois que je suis là. Sauf aujourd’hui. Alors, vous comprenez bien, je m’inquiète. Et je vous l’ai déjà dit, vous avez vraiment la tête à l’envers.
-          Vous êtes un dragueur hors pari Monsieur. Où avez-vous appris cette technique-là ? Je vous préviens, ce n’est pas vraiment le bon moyen.
-          Oh non ! c’était pas du tout ce que je voulais ! vous vous trompez Mademoiselle. C’est juste que je m’intéresse aux gens et…
-          Oui oui, je plaisante. J’essayais de faire comme les autres femmes font quand un homme les aborde dans la rue. Je me doute que vous n’êtes pas là pour me courtiser. Ca ne m’arrive pas. Ca ne m’arrive jamais.
-         
-          Eh bien, mon vieux, ne faites pas cette tête. Vous avez l’air d’un bœuf. Je pensais que vous étiez un mec ouvert, pour avoir pris l’initiative de venir me parler comme ça, pour prendre de mes nouvelles. Pas fraîches entre nous.
-         
-          Je me sens très mal en effet aujourd’hui. C’est la fin du mois. Ca ne me réussit pas. Ca ne me réussit jamais.
-          Mais je ne vous ai jamais vue aussi patraque.
-          Oh oui, vous avez raison, la fin du mois au mois de mars, ça m’abat.
-          Ah bon.
-          Bien oui.
-           
Elle chancelle et tremblotte. Coups de tête.

-          Vous ne voulez pas que je vous raccompagne jusque chez vous ?
-          Oh sûrement pas. Pour qui me prenez-vous ? Je ne suis pas une infirme. Vous avez cru que j’étais une handicapée ?
-          Euh… non pas du tout mais…
-          Continuez vos travaux, vous êtes bien plus utile par là. Au fait, si je tombe avant le coin, vous me ramasserez n’est-ce pas ?
-         
-          Vous n’êtes pas un peu siphonné vous ?
-          Sûrement un peu oui.
Nous sourions tous les deux. Sans doute pas de la même chose.


lundi 20 janvier 2014

Ma jeunesse fut un excentrique manège

Elle s'oublie, elle se perd la toute minus. J'en parle comme d'une martyre qui aurait survécu par miracle. J'en parle avec mes mots d'adulte qui d'années en années la déforment toujours plus. L'adolescente a su trouver certains des mots. Parcimonieux et évanouis, dorénavant. 

Douleur d'enfant
Joie de petite
Souvenir éléphant !
Qui laisse muette.

Au fil des hauts et bas tonitruants de la jeunesse, j'ai pleuré, haï, dorloté l'enfant qui m'échappait. J'ai creusé les fosses, ma tombe et tous les trous qui m'attiraient. En croyant déterrer l'emmurée précoce, j'ai bâillonné les vrais cris et leur stridence cruelle et jusqu'à aujourd'hui.

Douleur d'enfant
Joie de petite
Souvenir éléphant !
Qui laisse muette.

Voulu et veux encore, toujours et pour des décennies, courber en mots ces toutes petites et ineffables souffrances. Petites car silencieuses dans un corps de lutin. Petites en scientifique, énormes en empirique. Insoutenables moments que, quart de siècle passé, je n'accepterai plus. 

Douleur d'enfant
Joie de petite
Souvenir éléphant !
Qui laisse muette.

Je dois admettre que mon crayon magique et tous les mots leur tournent autour, les effleurent presque, les arabesquent délicatement. Mais jamais ne retrouvent la dureté et l'étroitesse ou la pulsion d'aimer et de sourire de l'enfant, sans innocence et sans pureté. Enfance aride et raide. 

Douleur d'enfant
Joie de petite
Souvenir éléphant !
Qui laisse muette.

Ma jeunesse fut un excentrique manège. Par monts et par vaux jour et nuit. Sans queue ni tête même après les larmes. Absurde pièce, rythmée d'accoups de montre molles, navette spatiale en perdition. Les jolies phrases sont impuissantes. Vagues surréalistes, les plus fidèles. 

Douleur d'enfant
Joie de petite
Souvenir éléphant !
Qui laisse muette.

Dalí Beckett et tous les fous juste sauvés reflètent l'indicible du tout petit, lilliputien chez Gargantua. Effroyable univers où l'on vous mange quand on vous aime. Où l'on doit obéir mais explorer (les grands explorateurs sont tous de mauvais garnements) et conquérir. 

Douleur d'enfant
Joie de petite
Souvenir éléphant !
Qui laisse muette.

A défaut d'esquisser les lignes de cette folie, j'en mesure l'impalpable. Je reviens au noyau enveloppé de normes, d'appris et de compris. J'essaye courageusement de le dépouiller, après tous mes efforts pour l'ensevelir. J'essayerai ce soir de battre le cœur de la minuscule mioche.

Douleur d'enfant
Joie de petite
Souvenir éléphant !
Qui laisse muette.

Et je ne m'enfuirai pas hurlant à l'injustice. J'accepterai les nausées, bonds et brusqueries du noyau vif au fond du ventre. Celui qui saigne quand j'ai trop peur, qui cogne quand j'éprouve trop. Celui qui ne peut m'atteindre qu'en douleurs symboliques, jusqu'à mon lent réveil. 

Stylo christ et œsophage

L’œsophage serre les fesses, se réduit à un filet vital. On le connaît tous ce signal. Rien de prévu à l’avance. Je me fais surprendre. Sans pour autant tomber des nues. Je tiens pour acquis qu’elle arrive n’importe où n’importe quand.
L’œsophage sonne la messe.  Mais la vessie avait déjà cloché. Se remplissant inhabituellement vite. Je suis passée dessus, optimiste. Et pas fâchée de l’être. Optimiste jusqu’à l’instant œsophagien. Pas de panique avant. J’ai tout usé en la matière. J’en ai abusé au dernier gramme. La cuve est vide. Et c’est tant mieux. La panique attendra le post-œsoph.  Dorénavant.
Selon le niveau de fuel, la flamme brûle le long de la colonne et atteint le crâne. Et ça chauffe chauffe. Eh oui ! Vaut mieux être épuisé. Malade. En même temps, ces jours-là, l’isolation laisse à désirer. Tout un programme.
Alors, on fouille son sac ou celui de la voisine, en quête d’un stylo christ. Qui va muer en encre le flux en voie de flammes. Le liquide bouillant presque brûlant va se mettre à chanter en noir et blanc. Et pourtant, plus le bouillonnement éclabousse, plus les phrases sont rectilignes et régulières, sérieuses. Plus le flux menace, plus les mots se rangent. Consciencieusement. Elèves comme des images.
Et rien que le rythme retrouvé ancre à nouveau. Percussion qui arrime. Repoussent d'un coup les racines, orteils surnuméraires  et nécessaires en tout point du pied. J'ai beau pausé l'écriture, la germination et floraison souterraines se poursuivent. Fluidiques. Assumées. Verticales. Étendues. Plus armée qu'avant.
Stylo christ est un parfait soldat.
Menu léger mais costaud.
Subtil et fort.
Comme le café parfois.

dimanche 19 janvier 2014

Derrière, des mots


     Un mot plus ferme que les autres se hausse en tête de troupe. C'est un leader. C'est le leader du jour. Demain, les premiers seront les derniers. Tout sera recommencé. Et chacun le sait. Aujourd'hui Débonnaire prend le pas. Demain Emulsion sera reine. 
Nul ne trouve cela injuste. Chacun son tour. Et si l'un d'eux prend goût au pouvoir, on lui fait croire qu'il est très fort et lui-même finalement se lasse d'être tout seul vrombissant en tête. Il se retrouve bien loin des autres. Et aucun mot n'aime ça. Aucun n'appréciera jamais la solitude. Elle les achève en un tournemain. Ils sont lucides, ils le savent depuis toujours. Depuis le début de leur immense vie. Ce sont des animaux sociaux. La plupart l'admettent. Il y a des rébellions. De la part es plus jeunes et des vieux bougons qu'on a relégués en arrière plan. Ils sont passés de mode, le monde va trop vite pour eux. Ils ne peuvent plus suivre. Et ils ne s'accordent plus avec aucun. On ne les jette pas, loin de la ! Et puis, il y a toujours de drôles d'humains pour s'y intéresser. Ils sont entre vieux barbus érudits. Ils s'en vont promener autour du lac, bras dessus bras dessous. 
Vous vous demandez sans doute, mais qu'en est-il de l'opinion des mots sur leurs compères les hommes ? Voilà une bien vaste question. Chien et chat, je t'aime je te hais. Tout le monde le sait et en tient compte. On a tendance à faire tout un foin de nos relations. C'est la famille, en somme. Rien de plus compliqué. Il n'y a rien de plus compliqué, je vous l'accorde. Bref, je ne veux pas m'emmêler les pinceaux. Qui je suis moi ? Le porte-parole bien sûr ! Enfin, ce n'est pas bien sorcier tout de même ! Qu'on ne comprenne pas qui sont les hommes tout de suite, c'est bien leur jeu. Mais nous les mots, il n'y a qu'à nous lire. On ne se cache pas chez nous. Nous nous présentons tels quels sans fard. Ou alors c'est très louche et il faut sévir. Alors je m'en charge, je siffle mon homologue humain et roulez jeunesse ! Vous ne le connaissez pas ce négociateur en mots ? Vous êtes bien ignorant mon cher ! Vous êtes amusants les hommes. Vous ne vous ne connaissez pas entre vous. Ce serait impensable ici. Enfin, vous imaginez bien. La différence entre vous et nous réside surtout dans votre capacité à croire et faire comme si vous pouviez vivre sans vos congénères. De notre point de vue, c'est plutôt risible. Jusqu'au moment où apparaissent les oiseaux de mauvais augure. Je ne les nommerai pas, nous ne les nommons jamais. Plus ils sont dits, plus ils existent. Et nous nous efforçons de les isoler. Leurs seuls alliés un peu pervers, je vous l'avoue, sont Ne et Pas. Bien sûr, ils peuvent s'acoquiner avec eux, leur pouvoir est énorme. Ils ne se laisseront jamais dominer. Je vous l'ai déjà dit, un mot ne survivrait pas seul, aucun mot, pas même le pire des salauds. Et même celui-là ne l'ignore pas. 
Je vous parlais de mon statut de porte-parole. Je suis l'ambassadeur, comme vous diriez chez vous. L'art de la négociation n'a pas de secret pour moi. Il y en a des corsés ! Moi, ceux que je déteste le plus sont les obsédés des jolis mots. Ça ne veut plus rien dire et nous avons l'air stupide. Ils nous prennent pour de vulgaires objets sans âme. C'est dégradant. Bien entendu, je ne parle pas des vrais artistes. Eux, ils s'adressent aux mots justes et ils nous respectent, même s'ils attendent de nous d'être beaux. Ce n'est pas désagréable de se parer de temps en temps. Pas tous les jours mais ponctuellement, une petite virée à l'opéra, je ne dis pas non. Moi, je n y suis pas convié en général mais j'en profite aussi, comme nous tous. Il y a toujours un chemin par lequel nous nous trouvons relié à celui ou ceux qui jouissent du spectacle. Ça nous vibre presque en même temps. Il y a un petit temps de décalage, comme lorsqu'on téléphone à l'autre bout du monde. 
Voilà, que dire de plus...? Pardon ? Est-ce que je voudrais que les choses changent ? Eh bien, c'est une question intéressante et qui nous divisent vous et nous. Nous n'avons pas le mme couleur d'un bout à l'autre du jour. Nous nous transformons à vue d'œil et sans cesse. Alors, je ne voudrais pas que les choses changent plus. Et encore, le rythme s'accélère depuis quelques décennies. Ce n'est pas sans nous déplaire. C'est assez excitant. Et puis, nous sentons que nous avons de la valeur, que nous sommes l'intérêt d'un vrai débat. Nous le sommes toujours plus ou moins. Cela ne nous rend pas prétentieux pour autant. Nous sommes comme les petits génies qui aimeraient mieux être comme les autres. L'existence n'est pas simple. Mais nous sommes importants et cela aide à tenir. Il y a toujours des gens que nous indifférons. Et tant mieux, sinon nous ne pourrions pas dormir. Mais, dans l'ensemble, on s'occupe beaucoup de nous. On nous use, parce qu'on nous aime, parce qu'on est très pratique, parce qu'on est nécessaire, parce qu'on est robuste. On nous répète, nous tourneboulons parfois pendant des heures. Mais c'est une passe, il fait prendre son mal en patience, cela passe toujours et assez vite finalement. Et oui, si vraiment un de nous est à bout, un autre prend le relais. Nous nous arrangeons. Vous avez l'habitude n'est-ce pas ? On nous chouchoute aussi, à l'université. On nous habille, décoré, explore. Il faut accepter de poser nu. Mais il y a un contrat bien précis pour cela donc tout se passe bien. Et puis, ces gens de l'université, ils touchent avec les yeux. Ils sont très corrects. Et non, pas bien marrants. Mais on ne peut pas tout exiger. Si on s'ennuie, on sait où se rendre, n'est-ce pas ? Non ? Eh bien, mon vieux ! Les cours d'école enfin. Là, ça détonne. Ça fait du bien de temps à autre. Un petit coup de jeune. Même les vieux se prennent au jeu parfois. Et ils s'en sortent aussi bien que d'autres. C'est ça notre univers. Un équilibre en mouvement.

Émotion

Émotion remonte sur scène
pour un instant.
Elle habituée,
années années
à de longs longs one man shows
que personne n'arrêterait.
Artiste échevelée
incasable
immensément fragile
et incassable,
adulée pour son originalité,
exclue pour non respect des clous.

Traumatophile
incurable.
Énergumène
increvable.
Fausse innocente
adorable.
Qui vous pète dans les mains
si vous vous y risquez.
Et vous vous y risquez
malgré toutes les leçons de
l'histoire.
Pas parce que vous êtes un imbécile
inconscient.
Parce que sans cette hystérique
incontrôlable,
vous êtes morts.
Et puis, on dit et on ressasse
que Mon Dieu,
ce que c'est beau !
l'émotion...
Permettez-moi une objection,
Mesdames Messieurs les Jurés,
c'est aussi une salope.
Vous vous taisez,
choqués, parce que c'est ça qu'il faut
mais en intimité d'âme,
vous ne pouvez qu'en convenir.
Elle vous malmène,
vous trimballe
de volcan en canyon
à une vitesse vertigineuse.
Vous avez déjà eu la nausée d'émotions,
envie de toutes les interdire.
Vous vous êtes déjà refroidis
pour l'empêcher
puisqu'elle ne vit qu'en tropicale.
Et puis,
tout un chacun se lasse
du congelé.
Et la vie est une alternance
parfaite
d'êtres glaciaires et de réchauffements.
Je me sens une proximité foncière
avec cette Terre qui subit ces va-et-vient
tragiques.
Cela ne devrait être que le lot de
l'humain,
d'après nos ancêtres les Grecs.
Mais vous et moi voyons bien
que Notre-Dame la Terre est animée comme nous
de remous
cahoteux.
Elle est secrète cette reine sombre.
Parfois, elle explose
de haine
de douleur
de trop plein.
Je me sens une affection sincère
pour cette Terre mouvementée,
autant que mes viscères.
L'absolu pouvoir est celui d'une femelle,
qu'on éradique
ou revendique,
au gré du vent qui tourne avec les
siècles.
Émotion est l'authentique folle du logis ;
le véritable fou du roi.
Qui échappe à toutes les règles,
renverse les ordres,
abat le museau
même du plus grand
dans son trou et ses fèces.





samedi 18 janvier 2014

La science des rêves

Méchant rêve !
Pas beau, va t'en !
T'es pas juste
Et tu fais mal à mon aimée !

A pieds joints à écraser le méchant rêve.
Il me regarde sobrement.
Patient.
Il a l'air fou et insensé.
C'est ce que tout le monde dit.
C'est qu'un rêve, ça veut rien dire de toute façon. Wharf warf en chœur. C'est claiiiiirrrr !
Ils ont l'habitude les rêves de se faire insulter.
Alors ils rêvent d'eux-mêmes et au-dessus d'eux.
Il y a des milliers de couches interstellaires derrière et derrière.
Les petits humains que nous sommes, eux, se cachent le même premier texte qu'on leur offre.
Mais les rêves, cette ingratitude leur glisse dessous,
agglutinée au
concret,
rationnel,
rassurant.
Ils brûlent au contact du sol
d'une terre.
Ce méchant rêve, je voudrais le renvoyer dans les limbes.
Je lui en veux.
Ses images brutes et lucides.
Elles font gonguer et
gigoter
les déchets en Corbeille,
coin droit de l'écran.
Ça gratte, ça démange.
Parce que oui, bien entendu, c'est une partie sensible.
Même bien isolée Corbeille, son contenu frémit,
jamais endormi.
Je ne le jette jamais définitivement non plus.
Par superstition.
Par conscience d'un mystère élucidé depuis longtemps mais
tu.
Hermétique la plupart des jours à la sciences des rêves.
D'ailleurs oui, on dit
La Science des Rêves.
C'est bien leur science à eux, leur compétence.
La femme et l'homme brandissent leur Sigismond pour s'approprier
la science
des rêves.
Mais c'est une pure et simple extorsion de biens.
Comme s'ils étaient de vulgaires choses.
La science infuse du rêve.
Nous autres, on ne fait qu'en profiter en s'arrogeant la gloire.
C'est toujours le même stratagème :
le fabuleux avantage de la parole sur l'image et autres.
Le règne du plus fort.
Le rêve comme ses pairs compte avec la retenue.
Scientifique qualitatif.
C'est un piètre comptable en réalité.
Assumé.
Comme tous les grands génies, il ne fait pas de bruit, ne danse pas sur les tables.
Écrémage en douceur.
Il prend le temps. Il attendra et régentera sa chance
jusqu'au fin bout.
Chercheur trouver explorateur.
Sûr,
lent,
immense.




vendredi 17 janvier 2014

Les vieilles tantes cicatriques


Je m’imagine toujours une réserve à douleurs, bien rangées et domptées. Et la plupart du temps, l’illusion fait effet.
Toute illusion n’est pas à jeter. Je les cultive, les illusions vitales. Elles se partagent équitablement ma solidité avec les rationnelles. Sans illusion je serai morte. Illusions variées et colorées qui font swinguer l’existence. De la rêverie au désir le plus improbable. Qui n’existera jusqu’à la fin que pour ne jamais devenir. Un horizon régulier, sûr, un reflet de soi. On le perd de vue parfois, même longtemps. Et au détour d’une lente métamorphose, il reparaît. Sans illumination et sans triomphe. Il est confiant. Je ne le repère pas dans le paysage changeant des jours successifs, mais il est là quelque part. Coincé derrière l’armoire, sous le bureau près de la poubelle, dans le viseur du radar… C’est un increvable.
Cette réserve à douleurs, c’est un outil. C’est mécanique, comme tout le raisonnable. 1+1 =2 et roule ma poule ! Les bonnes périodes l’intègrent absolument dans leurs rouages scientifiques. Les mauvais trips se rebellent et l’explosent en plein vol. Les douleurs se répartissent comme elles l’ont toujours fait, d’un bout à l’autre du corps massacré par les années. Je me suis dit que j’étais bien poissarde. Raturée de partout. Balafrée en croix sur le torse. Interdit de respirer, à moins de ptites bouffées nourrissonnes. Et puis, j’ai relevé le nez un peu plus loin que son bout. Les autres ne sont rien mieux lotis. Et je suis comme tout le monde, on double les épaisseurs quand les traces regonflent et se montrent à nouveau.
La peau rassérénée se tortille en torsades rougeaudes. Elle s’entortille dans ses propres couches. Ca fait des bosses. Ce n’est pas tant le contact avec l’extérieur qui fait mal. C’est en interne que ça chocotte. Le sang qui vrille et fonce, qui brûle à chaque passage, avec son impulsivité habituelle, les organes qui ronchonnent et s’agitent, opprimant la blessure, et tous les autres en ébullition. Douleurs impénétrables, impalpables. Le soulagement de pouvoir frotter, appuyer une douleur et la sentir s’évanouir quelques instants. Mais ici, hormis m’ouvrir chaque membre et chaque morceau comme le boucher découpe, je ne vois pas de soulagement. Je sais maintenant que là, cette idée fausse est illusoire et c’est un bien que de la voir surgir à l’acmé du mal. Elle décharge, elle vomit la souffrance. Elle prend le mal à l’origine. Elle n’essaye pas des stratégies alambiquées et inutiles. Elle doit rester secrète. Elle perd tout son pouvoir à l’air libre. Entre humains. Je la savoure, avec un arrière goût sadomasochiste pas détestable. Ça révolte, ça fait crier ses grands dieux le SM, mais qui peut affirmer qu'il n'est pas animé de fantasmes de cet ordre, pas nécessairement sexuels d'ailleurs ? Mes congénères haïssent quand je dis ça. Une petite pointe de sadisme de ma part à répéter tout calmement cette "vérité psychique". Bien sûr que j'enfonce encore un peu le clou avec ma "vérité", et ce n'est pas sans séduire ma douleur. Pendant ces quelques instants, je n'ai plus rien senti. J'étais tournée vers mes interlocuteurs et je me suis oubliée. Quel pied ! Du coup, c'est vrai, je dois me retenir de ne pas profiter de ceux qui croisent mon chemin pour un moment fluide.
Mais ce que je ne dis pas, encore moins plutôt, c'est que je ne déteste pas les retours à ce corps lacéré. J'ai beau avoir rugi, bêlé, bubullé, contre cette malédiction, c'est avec lui que j'ai grandi et à défaut de jolies courbes pleines de santé, j'ai fait mon allié d'un tout pourri. Je ne m'en suis pas rendu compte. Il a fallu que ça s'arrête, que ça se calme. Pour que je sache que mon ennemi désigné, de toujours, avait soutenu ma vie.
Alors toutes ces déchirures, les miennes et uniques, je les dorlote autant que possible dorénavant. Je ne les trouve pas moins douloureuses. Si je me penche vraiment sur la question, en fermant les yeux consciencieusement, les plaies rouvertes sifflent toujours aussi fort. Elles n'ont pas davantage de sens qu'auparavant. C'est juste moche et pénible. Faut se l'avouer ! Mais mais mais ! elles servent à quelque chose. Elles se postent à l'autre bout de mon stylo et elles dictent la mine. Ce sont les seules qui la font glisser aussi doucement. Les seules qui donnent autant l'impression d'avoir gagné sa journée quand elles ont pris forme. Elles ne sont pas jolies. Des laiderons à vie. C'est comme ça. Elles acceptent pourtant de se laisser rafistoler, sans se trahir, mais maquillées et combinées et enveloppées par le crayon magique. Elles n'étaient pas comme ça avant. Elles étaient raides et cinglantes. Il ne fallait pas dire un mot plus haut que l'autre et ne surtout proposer aucun changement au statu quo subtil qu'elles avaient établi. Elles étaient vieilles filles en ceinture de chasteté, vieilles tantes incorruptibles.
Et j'ai rencontré de bonnes personnes, qui ne les ont pas rejetées, qui leur ont laissé la place qu'elles exigeaient. En arguant du fait que tout le monde en même temps, cohabitation pacifique, était possible, vraiment pourquoi pas ? Elles en sont restées comme deux ronds de flanc. Et elles ont signé l'armistice. Alors, pas tout de suite. Il a fallu leur expliquer de a à z, avec bienveillance. Moi parfois, j'ai perdu patience. Mais on m'a retenue et on m'apaise encore quand les vieilles cicatrices m'irritent.

Prochaine étape : permis en circulation libre en période zen. Pas de craintes de tapages nocturnes ou troubles à l'ordre public.
Un peu de confiance en ses démons en somme.

jeudi 16 janvier 2014

L'indifférence

Le sentiment pierreux d’indifférence,
uniforme,
imperturbable
avait pris le pas. Il marchait fiérot en tête du cortège des émotions,
soumises.
Les yeux à terre.
presque mortes
en misère,
en haillons,
bâillonnés par
le sentiment vitreux d’indifférence.

Et rond et rond petit patapon
immuablement
circulaire.
On essaye d’égayer l’inlassable ritournelle. On invente des histoires,
fabuleuses.
Les yeux au ciel,
presque clairs,
en sursis,
en partance,
mais rattrapés par
Et rond et rond petit patapon.

Le sentiment venimeux d’indifférence,
négligent
maltraitant
avait posé sa loi. Il commandait sans vergogne à ses esclaves des ordres
absurdes.
Les yeux embués,
presque en larmes
d’orgueil,
de pouvoir
englués dans
le sentiment vénéneux d’indifférence.

Concentriques, concentrés, consternés,
implacable
tracé.
On continue de questionner malgré le bagne en rayures ordonnées. On libère
l’esprit.
Les yeux dans les yeux
presque secs
de colère
énergique
révoltée contre
les concentrique, concentré, consterné.

Et barbelés, barricades, miradors explosent et voltigent. Nuée grise et poussiéreuse de triangles équilatéraux. Obsessionnels, symétriques, sans âme et sans couleurs. Et même dans leur ultime malheur, les voilà respectueux, policés, réglementés. Jusqu’à la mort, corrects et sous contrôle. Saleté d’indifférence dans les clous, sur la ligne, droits et irréprochables. Raie sur le coté, cheveux gominés, dominés, dominateurs. Et rien ne dépassera, rien ne clochera, dinguera, réjouira.
L’indifférence est un vieux comptable sorti de son grenier, en costume sale et élégant (il n’en a qu’un), métronome en main, qui compte les pavés d’un endroit à un autre. Aussi inutile et déprimante qu’un pigeon parisien.
L’indifférence est une balance.
L’indifférence régit.
L’indifférence calcule.
Elle ennuie et elle tue.
Alors, après ce piteux feu d’artifice, voilà le vrai spectacle, tonitruant, peut-être même trop, et c’est comme ça ! Les bouts de couleurs dans tous les sens, n’importe quoi,
effervescents
exubérants
illimités.
excessifs
gloutons
bagarreurs.
Les émotions sont de retour.




Fantôme Big Bide


Le bide joue les rois, se pavane, en souverain, en tête de corps. Il hausse les épaules, sort le cou, le menton fier. Devant le miroir, quelle que soit la position des membres serviles, le bide s’abyme dans son orgueil.
Inanité répugnante d’un parvenu.
Il est parti de rien, un avorton,
Amas d’amibes dévorants,
dominateurs
Auxquels il se soumettait sans broncher.
Il en menait pas large Big Bide
Y a encore pas longtemps.
Un riquiqui vide,
Vidé d’angoisse
Videur d’émotions
Dévideur
Dévissé
Survivant
Bidonnant
Débiné
Déboulonné
Un moins que rien.
Une étendue plate,
Aride,
Avide
Impotent
Cycle vicieux de son désir
Vieilli avant l’âge,
Strié de rides
Haleine acide
Invalide.
Métamorphose
Et le voilà, Big Bide, en roi du monde,
En amour de soi-même,
Ridicule sublime
Hybride absurde
Il se tortille
Enorme pépère qui mime la midinette
Aux lèvres humides
Entrouvertes
accueillante.
Monumentale envie de rire de ce malotru en tutu.
Pas fou,
Seulement immensément vaniteux,
Comme celui qui
Sec
Inerte
Apatride
S’imbibe de son importance insipide illégale imprévue pour lui et les autres qui se retrouvent dans un jeu de forces inconnues. D’un patron altier, capitaine digne, respecté, héréditaire, transgression et plongeon vertigineux à Big Bide stupide.
Un gros plein de soupe
Libidineux,
Nœuds de lipides
Flasques
Et sordides.
Le reste de la troupe a perdu toute sa gnaque, mollets en grenouilles livides, veines apparentes, seins ramollis lovés à l’estomac, les doigts collés en moufle. Clivage définitif, révolution en marche, fratricide ?
Non ! désespoir qui intimide.
Tout le monde se cache derrière la honte de ce guide
Désastreux.
Sauf peut-être le jeunot
Intrépide
Qui grandit tout là-haut, au fin fond de l’hypophyse riche et secrète.
Le gamin, il est prêt à la mission suicide, tout pour sauver du tyran fétide. Prêt à affronter toutes les odeurs, tous les nuages, tous les gaz, les remous, les janissaires putrides d’un abdomen obèse.

Allez ! en psychothérapie tout le monde !
Et la chasse aux fantômes, aux démons perfides.
Lucide !

mercredi 15 janvier 2014

Sans queue ni tête

N’imagine rien de plus.
L’avenir est tout tracé.
Tu finiras dans une poubelle.
Lis Beckett,
ça te donnera des idées.
Remarque les idées tu les as déjà,
c’est pas le problème.
Tu verras que tu n’es pas la seule.
C’est toujours ça de gagné.

Un tas
Un rat
Un vomi
Ramassis
Rassi
Passé
Poussé
Tiré
Déchirée
Déchet
Chiée
Et rechiée
Consensuellement
Conchiée
Conspuée
Contrite
Dans son coin
Convertie
A toutes les cloches
Malléable
Assaisonnable
A merci
Fade
Vide
Eviscérée
A la naissance
Atrophiée
Périnatale
Grandi
De guingois
Déglinguée
Dégrisés les vieux qui se réjouissaient d’une fille.
Récolté
L’handicapée
Echappée
Des nuages
Mal lunée
Malaimée
Des déesses
Destituée
De l’humanité
Attachée
Impotente
Achetée
Impayée
Endettée
Jusqu’au cou
Jusqu’au bout
Acharnée
Rescapée
Du charnier
Primordial

Un bloc brutal
Sans queue ni tête.