lundi 30 décembre 2013

Femelle (28)

Le miroir la détisse,
elle ne lui résiste pas.
Elle sait que tout son corps va s'ouvrir et s'étaler
en petites cases chirurgicales
qu'elle va compter
argumenter
discuter.
Toutes ces choses que tout le monde laisse à sa place,
tant que tout, fonctionne.
Pas même trente ans,
elle dépiaute organes et membres.
A quatre-vingts ou soixante-dix,
elle ne sera pas tentée d'hypocondrie.
Elle aura déjà tout décortiqué
des millions de fois.
Peut-être que contrairement aux autres,
elle se trouvera plus tiède dans son vieux corps.

Aujourd'hui comme toutes les fins de mois,
en toutes saisons,
en tous lieux,
elle épluchera le sexe.
On lui dit elle,
on lui dit les mots avec un e.
Et en fin de mois elle peut encore moins oublier.
Toutes ces féminités,
qu'on lui attribue,
cinglent à ses oreilles.
Elle en a mal aux tympans.
Elle doit s'isoler au miroir.
Elle doit rester debout, au moins un petit moment.
...
Pour reprendre conscience de l'ampleur du problème.
Ensuite,
les positions variées enrichissent les points de vue.
Elle ne demande que ça.
Alors,
elle recommence l'inénarrable cirque :
je suis Anna
je suis un être féminin,
elle préfère dire femelle, ça simplifie le débat.
Et elle se sent moins seule,
bête.
Je suis un être en creux.
Je tourne autour d'un trou.
C'est une crevasse qui me fonde.
Je ne peux pas m'y faire.
J'ai deux définitions : trouée, rouquine.
Ma raison d'être est un tunnel orange.
Je suis une énième fois
humiliée et trahie
par mon corps et ma race,
par Dieu et tous les hommes.

Parlons-en donc de Dieu et tous les hommes.
Dieu, je ne le plains pas.
Il est au pire invisible.
Il s'insinue partout,
dans tous les trous.
Ça voudrait dire que Dieu baise
et !
se
tape !
toutes les femelles du monde,
et !
ni vu ni connu ?
Quant à tous les autres,
J'ai des années
rêvé d'être pourvue
aussi.
Eunuque de naissance,
c'est quand même révoltant.
Remarquez que tout un chacun y trouve une norme.
Eh bien moi,
devant mon miroir nue,
pas beau pour un sou,
mais lucide,
je perds le sens.
Je me noie dans mes sous-terrains,
galeries humides et sombres.
Où peut-être Dieu s'y retrouve
à force de pratiquer.
Peut-être l'aura.
J'ai tellement chassé le membre fantôme
que je remonte,
a la surface,
par le gosier.
Absurde rond et rond petit patapon.

Elle reprend forme humaine
par politesse.
Mais ce détour hachoir par le miroir,
l'a brisée plus menue encore.

Anna n'est ni femelle ni mâle.
L'une pas assez et l'autre trop.
Elle a rempli la cave qui ne peut rester bée.
Toutes les mouches y pondraient.
Elle.
Anna.
Réversible.
Territoire vierge et neutre.
Cycle parfait.


dimanche 29 décembre 2013

Jamais les mains vides

Valise qui pèse,
sac à deux mains,
on pousse, on tire,
on ploie.
C'est que tout est prévu.
Tous les livres.
Tous les jours.
Au cas où.
Des fois que.
La moindre minute.
Le plus petit arrêt de bus.
Les lentes journées de vacances
aussi.
Destination lointaine
Supermarché du coin,
Sait-on jamais ce qui arrive ?
Si on se faisait enlever,
comme le joueur d'échecs,
on bénirait la seule richesse
qui tiendrait en vie.
La situation est extrême,
mais
on sait quand on sort,
pas si on revient.
C'est débile, tu vas juste à la Poste !
Raison de plus mon cher, je suis sûre de devoir patienter
et c'est
in
to

rable.
Ces innombrables minutes
les mains vides.
Elles torturent.
Si on omet.
On oublie les gants,
la poubelle,
mes clefs même.
Jamais le livre.
Et si un de ces exceptionnels et terribles jours,
on a omis,
toute activité cessante,
assis sur le trottoir,
au milieu du tumulte,
on cherche la cloche.
Il s'est passé quelque chose,
il faut le débusquer.
On essaye de pas noyer les pieds
dans le caniveau
à flots.
On trouvera toujours
une petite marche
sympathique,
on posera son menton
sur les genoux
dans les dents.
Inconfortable
mais !
propice à la trouvaille.
C'est comme les gens qui vous disent :
tiens ! J'ai oublié de manger aujourd'hui.
Comme si c'était drôle.
Comme si c'était pas fou.
Exactement pareil.
On en mourrait de faim
d'avoir omis.
La pause sur la petite marche,
c'est aussi pour savoir ce qu'on fait maintenant.
Va chercher ?
Journée sans ?
Librairie en route ?
On change de mode.
Concret ce jour.
Une fois n'est pas coutume.





Et le corps croule


Le corps croule.
Contraintes à la chaîne.
Criées sur tous les toits.
De midi à minuit.
Grand écart
de ci à ça,
de ô à ü,
tout en même temps,
tout savoir faire,
tout accepter,
pour pas se laisser dépasser,
passer sa chance.
La tête s'engage
et crâne,
le corps cravache,
tenir le rythme.
La tête s'emballe,
et rit bêtement,
se dope en crack.
Les bras en tombent,
jambes de coton,
le cœur mollit,
ou tonne paniqué.
La tête s'enkyste
et surchauffe,
le corps concède.
Il s'amaigrit
bientôt macrocéphale,
machinerie oubliée.
Les mécanos galopent,
les petites mains s'affairent,
ne dorment plus
mais prient
pour la loi unique,
divine ou autre,
autoritaire.
Mais une seule
voie,
sans cul de sac.
La tête s'enfume
et implose,
le corps s'affaisse.
Il avait prévenu
qu'on ne peut pas tout faire
qu'on ne sait pas tout faire,
que le Code du Travail,
qu'on doit choisir dans la vie,
et respecter chacun.
Alors la tyrannie du Tout,
ordonné par une seule,
le corps s'en balance
et part se requinquer
loin de sa tête pensante.

Une place à prendre, de JK Rowling

En lectrice pointilleuse, un peu obsessionnelle, j'ai prêté une grande attention à ne pas m'attendre à quoi que ce soit de ressemblant aux Harry Potter. Bien m'en a pris.
J'ai retrouvé avec plaisir la fluidité de la narration et le naturel des dialogues que je connaissais de JK Rowling. Rapidement, cependant, cette souplesse m'a bercée jusqu'à m'ennuyer. Non pas un ennui angoissé, existentiel comme cela peut être face à certaines lectures, ardues, qui confrontent. Un ennui tranquille dont j'aurais pu me contenter, un confort évident. Mais je suis dérangée par trop de confort en matière de lecture. Je m'impatiente prête au caprice, j'accélère le rythme pour compenser ma frustration. Le sens de mon activité se perd, se vide. Je me vide alors que j'avance les mots. Ils ne s'accrochent pas, ils ne sont pas tenaces et je ne le suis pas davantage. Pas envie, pas besoin. Le mécanisme marche sur la réserve.
Alors arrive l'instant où je m'arrête et se pose la question. Une question qui va et vient depuis que je sais lire, depuis le début, quand j'ai compris que là serait dorénavant mon refuge, ma véritable nourriture, celle qui apaiserait tous mes remous internes. 
La question est la suivante : lire est-il exclusivement plaisir ? 
Plaisir entier ? N'est-il pas aussi un labeur ? Un labeur satisfaisant et accomplissant ? Quel que soit le moment et le lieu, lire ne m'est jamais exclusivement plaisir. Comme tout humain, je contrôle tout mon être, corps et esprit, pour me concentrer sur cette tâche cérébrale. J'accepte les frustrations que cela implique inévitablement. Je vais puiser dans mes ressources profondes pour suivre les lignes et les phrases. Je sais et sens que j'ai appris à lire et que j'ai acquis une compétence qui n'était pas programmée. Chaque fois que je me mets a lire, je sens combien cet enchaînement d'actions est un effort, une victoire. Chaque fois, je me sens capable et puissante, ayant dépassé le minimum animal. Je me sens moins inutile et moins fragile. Ou plus maligne. Comme si j'avais réussi à retourner le gant en parvenant à faire de mes plus tragiques failles ma valeur. Cela ne vaut qu'à mes propres yeux et je sais que nombre de mes congénères qui en ont la possibilité n'apprécient pas la lecture. Aussi étrange que cela me paraisse, pour cette fois et cette seule fois, mes propres yeux me suffisent. Cette valeur n'a pas besoin des autres. Tout simplement parce que d'elle dépend ma survie. Non pas ma survie en tant que chair et cœur. Ma survie en tant qu'être psychique. Elle n'est pas moindre, comme chacun sait, et compte tout autant quant au risque de mort. 
Sachant tout cela, après ces méandres fort intestins, je suis désemparée devant le livre étonnement facile et sympathique. Les livres ne sont pas sympathiques. Ils sont comme les parents. Pas faits pour être des copains, nos égaux, on se dit tout. Les livres, je les aime quand ils me font violence, quand ils me mènent quelque part, qu'ils me poussent parfois malgré moi à ouvrir certaines portes et à en fermer d'autres. Je ne les aime pas davantage quand ils sont agréables et bien élevés. Je ne les aime pas d'être sans histoires. Je les aime rebelles, mesquins, brutaux, calculateurs, narcissiques, décalés, déjantés, déboussolés, désespérés, détesteurs, hargneux, ironiques, cyniques, burlesques, gargouillants, pudiques ou déballage. J'aime quand ils ne me laissent pas en paix, qu'ils me tendent ce miroir que je ne peux pas toujours moi-même gardé en main. Qu'ils reflètent, font tinter tout ce qui bouillonne en moi. Que je dois aplanir, pour être comme il faut et à peu près normale. J'aime qu'ils me fassent frissonner. J'aime leur folie. Leur absurdité. Leur imagination. Leur liberté. Ils me font sentir libre, à défaut de l'être. Et grâce à eux, j'en prends mon parti.
Alors non, je ne suis pas encline à me contenter d'un livre tranquille. Je n'ai rien à en dire, ni dans les aigus ni dans les graves. Sympathique. Et je n'ai pas bougé d'un pouce. Ou si, d'un mini pouce parce qu'il y a toujours quelque chose à soutirer de tous ces mots. Ils ne peuvent être vains. J'ai sans aucun doute passé des moments douillets, et ce n'est pas rien, je vous l'accorde. Mais ce n'est pas des livres que j'attends cela. M'apaiser et m'entraîner oui. Certainement pas me cajoler. 

      Je n'ai pas abordé l'affaire de l'esthétique. Peut être parce que je ne sais toujours pas quoi en penser. Mon avis change d'année en année sur le sujet. Et je ne sais plus à quel saint me vouer. J'ai longtemps affirmé que sans souci esthétique essentiel, un livre comptait pour presque nul. Je me suis reprise de ces élans idéaux d'adolescente. Notamment à la lecture de romans policiers. Alors, bien sûr, quand je perçois le désir esthétique au sein des pages que je tourne, je plonge et je cherche, pour apprendre et comprendre toujours plus. Pour ouvrir une énième porte, une énième lucarne que j'avais omise. Le spectacle ne varie pas, c'est la lucarne qui me déplace et me dévoile. Mais tout livre n'est pas une œuvre d'art et c'est aussi là leur richesse. Cette plasticité qui se donne à tous les goûts. 
  Une place à prendre n'est pas un livre pour moi. Je ne suis pas contre, je ne suis pas pour. Je ne le jetterai pas. Mais le garderai-je ? 

samedi 28 décembre 2013

Mère indignée (27)

Chaque jour, chaque nuit encore davantage, je revois la scène sans jamais réussir à la vivre.
Je n'y sens rien qu'un énorme coup de gong dans ma poitrine.
Et pas plus que l'incertain clair-obscur de la pièce au seuil de laquelle je me tiens.
La main sur la poignée ronde. Je m'y accroche. Je serre les doigts autour de la sphère qui fait bien de ne pas révolutionner.
Je reste froide.
Inatteignable.
Je sais dès l'instant où je perçois les protagonistes de la scène, que je dois détester ce qui se passe là, que je dois protéger mon enfant.
Mais je suis intacte.
A l'intérieur, tout s'est figé en attendant la fin du sortilège.
Je me réfrigère.
Comme toujours.
Avec les folles femmes.
Jusqu'à ce que le réel retrouve un semblant de bon sens.
Même mauvais aussi.
Je suis nez à nez avec les plaies familiales.
Anna la fille debout nue enlacée par la sœur nue enlacée à la fille à la tante.
La sœur infernale.
La sœur héritière.
La sœur immémoriale.
Intemporelle.
La sœur mythique qui joue et rejoue les tragédies du bout des temps.

Anna a échappé, elle m'a glissé des mains à peine née. Ce jour-là, elle m'a reniée moi et mon vœu de normalité. Elle a suivi les autres. Elle a choisi sa route. Avant même de parler.
Par la suite, les mots n'ont rien changé. Elle n'en use pas avec moi. Notre code est gestué.
J'ignore ce qu'elle pense.
Depuis l'orée de sa vie, Anna déjoue mes interrogations.
Elle les miroite.
Elle ne les déglutit jamais, elle les cache sous sa langue.
Comme la mère.
Comme la sœur.
Atavique.

Quand j'ai débarqué au milieu de ''embrassade, elle a prévenu tout ce que j'aurais pu questionner.
Elle m'a cloué le bec d'un regard complètement vide, froid, incompréhensible.
J'étais hébétée.
Je n'ai pas su quoi dire.
Elle m'a interdit d'intervenir.
Elle pense toujours en avance sur moi.
Comme avec les autres, je m'éberlue.
Puis je me tais.
Tortue stupide qui renfonce la tête dans sa boîte silencieuse.
Au cas où.
De peur que.
Pas sûre non plus de ce que je ressens.
Pas convaincue que ce soit fou.
Plus compétente pour faire la part des folles.
A ne pas vouloir être un automate...
A refuser le chemin rassurant de l'absolu rationnel...
Tout en sachant que je m'en mordrais les doigts, un jour.
Je ne sais plus si j'ai assisté
une fois
dix fois
mille fois
au câlin de vilain.
Je ne sais plus si je me jette sur la sœur, la mère, la fille,
vraiment
et laquelle,
si je le rêve,
chaque nuit.
Je ne sais plus si un jour la tortue qui dort en moi a griffé et défendu sa progéniture.
Je ne sais plus si j'ai hurlé comme toutes les trois heures du matin,
l'heure du cauchemar,
du cafard
intraitable.
Je ne sais plus si je me suis assise en refermant doucement la porte derrière moi pour admirer.
Je ne sais plus si je me suis jointe à la compagnie.

C'est aujourd'hui l'anniversaire de la première où je me suis introduite dans le sanctuaire.
Et il y a deux explications.
Parce que ça cloche quelque part.
Ou mon cerveau a décidé que ce jour-là était le bon et vaille que vaille, c'est l'anniversaire.
Ou ces folles sont à lier car elles enlacent à date précise.
Tous les 28 du mois.
Anna est du 28 décembre.
Cadeau d'anniversaire.
C'est tous les mois la fête.
Sans abonnement.
La chance...
La petite chanceuse.
La petite danseuse avec sa tante collées serrées.
Je vois bien la sœur dire...
Non je n'en sais rien.
Elle ne me parle que de faux.
Pour être sûre que ça ne touchera jamais nos vies,
vraies.
Ses foutus faux, folle furieuse !
La danse rituelle de fin de mois.
C'est comme un film documentaire sur les tribus antipodiques où l'on marche sur la tête.
Elle est comme ça la danse rituelle à laquelle, sans faute, j'assiste tous les mois,
tous les soirs en fermant les yeux.

Du 29 au 27, on oblitère en règle l'événement.
28, face à face avec le couple absurde.
Toujours surprise,
Le 28.
Danse rituelle de la mi-journée,
midi pétantes.
Entremêlement de peaux délirantes.
Électricité de tarées à poil.
Je voudrais ne pas en être.
En vain.
Je suis spectatrice
amnésique,
mensualisée,
monstrueuse,
menstruée,
j'en ressors.
Pour me laver.
Pour me laver entière du nouveau sang.
Pour me laver de la moiteur de leur plaisir.
Pour me laver de ma conscience.
Pour me laver de ma collaboration,
d'avoir cédé,
d'avoir admis.
Toute ma circulation se régénère et m'absout.
J'en perds la boule.
Je tombe en coma, sans alcool ni heurt, seulement l'immense choc du 28 du mois,
jamais moins brutal.
La migraine me triture la citrouille doublée de volume.
Je me réveille le 29, après des heures et des heures plombées.
Mon sang est immaculé.
On repart à zéro.
Jusqu'au 28 suivant.

Et j'oublie que ça recommencera.

lundi 23 décembre 2013

L'équation africaine de Yasmina Khadra

            L’équation africaine irrésolue, pétrie d’inconnues, comme il se doit. Peut-être que j’aurais aimé que cette arithmétique soit moins obscure, si ce n’est au début, du moins au bout de l’aventure.
            Telle une équation exaspérante de vides, d’inintelligibles, avec ses mélanges de codes à l’envers de toutes les règles instaurées, ce roman frustre. Est-ce une intention de l’auteur ? Peu importe, il en va ainsi. L’importance, je dirais même, le caractère essentiel de la frustration dans la lecture d’un roman est indéniable. Quel intérêt à poursuivre sa lecture si le désir ne dépasse pas les mots du moment ? si l’on n’imagine pas tout un éventail de possibles et d’impossibles pour ce monde et ces personnages qui s’offrent à nous ? Bien sûr, il y a l’impasse de l’absurde, que l’on n’imagine pas moins pour autant. Et puis, soyons honnêtes, on maintient l’espoir, tout au fond, tout de même, de quelque chose de plus vif que la fin du monde ou le restant de ses jours dans une poubelle. Bref, l’écrivain a toujours plusieurs coups d’avance, joueur d’échec en puissance, qui ne cache pas toujours son jeu. Mais quelle que soit sa manière de raconter, il y a quelque chose qu’il possède et qui manque au lecteur : la plume. Le lecteur est castré, les mains vides. L’auteur n’est pas forcément castrateur. Mais il joue et les conséquences de son jeu ne sont pas prévisibles. Tout un chacun en fera son miel, sa recette individuelle, secrète, inconsciente. Ce miel est l’agrégat compact de toutes les frustrations et hallucinations provoquées par la lecture.
J’ai éprouvé une certaine gêne à la lecture de L’équation africaine, assez indéfinissable, sans doute indéfinie d’ailleurs. Le désert et le mystère africains m’ont fugacement fait penser que c’était là leur marque. Mais je n’en suis pas convaincue, une fois l’ouvrage refermé. Les événements, les personnages, l’Afrique restent lointains, comme si j’avais été saisie de myopie. Et l’ophtalmo a beau s’échiner à affiner sa correction, rien n’y fait. J’y vois implacablement trouble. Je pourrais jouer de l’image de la tempête de sable qui surgit dans le roman. Et qui pourrait expliquer mes difficultés d’accommodation oculaire. Vite repoussée cette métaphore douteuse. J’ai dû m’en tenir à cet inconfort. En tant que tel, je l’aime plutôt l’inconfort. Il m’apprend plus que toutes les facilités. Mais ce n’est pas un inconfort qui conduit que j’ai éprouvé. C’est un inconfort statique et stérile. J’ai eu beau changer de cadre, de conditions de lecture, je n’ai pas trouvé la position adéquate. J’en suis ressortie, si ce n’est courbaturée, du moins fatiguée sans résultat. 
            Je ne connais pas l’Afrique et c’est peut-être là mon premier manque. J’ai l’impression d’avoir raté quelque chose mais qui n’était pas vraiment à ma portée. Comme si j’avais pu le voir, l’admirer sous toutes les coutures mais jamais le toucher. On me fait miroiter une réalité qui pourrait être sublime, on me le dit, on me le crie. Mais je ne peux rien en faire, il me manque des cartes ou alors on ne m’en a pas distribué assez.

            J’ai été bien davantage émue par, une fois encore chez Yasmina Khadra, ce couple séparé par la mort folle et insensée, pour celui qui reste. L’homme encore. La soudaineté, la sécheresse de la disparition, cruelle. Les yeux écarquillés qui même criblés de sang et de douleur ne peuvent se refermer. Le monstrueux choc, l’inanité du réel, cet amour immense qui tourne en rond dans une seule âme. Je ne sais pas ce qu’est la perte brutale d’un être autant aimé. Je l’ai imaginée maintes et maintes fois, éprouvée par procuration, elle m’a traversée de part en part, des années durant. Mais c’est la véritable mort que nous écrit Yasmina Khadra. Redoublée de l’incompréhension et du sentiment de trahison. Le monde entier meurt autour du personnage. Et lui demeure. Dépouillé mais effroyablement vivant. Et moi lectrice, je ne reste pas debout pimpante et colorée dans ces scènes d’atroce douleur. Je me plie aux règles du deuil, moi aussi. Je ne dis pas que je n’y prends pas un certain plaisir. Peut-être un peu masochiste. Je ne peux décemment pas ignorer ce qui se passe. Et pourtant, ce n’est qu’un livre, une fiction, un homme qui n’existe pas. Je doute que cette douleur soit inventée. Elle transpire des pages et frissonne l’atmosphère.
Il est sublime cet amour. De pudeur. D’émerveillement imprévu. D’insouciance enfin atteinte. On l’égorge sans vergogne en pleine face de l’amant. Ce n’est pas révoltant. Ce n’est pas déprimant. Ce n’est pas coupable. C’est sidérant.
Peut-être que l’Afrique aussi sidère, du moins certains endroits d’Afrique.

Et qu’elle sidère celui qui veut l’écrire et ne peux la transmettre.

vendredi 20 décembre 2013

Anna mue (26)

Elle s’est assise,
pas sur une pierre polie, sur une seule fesse, à demie, regardant l’eau du ruisseau tendrement.
Débiles de romantiques.
Elle s’est assise,
en tailleur sur le bitume s’agitant un peu, le regard sec, les lèvres sûres.


Sans pleine lune et cris, juchée sur la colline
enchantée, je brise le cou menton pointé
au firmament. Je reprends le rêve effronté
d’être homme, existentielle indiscipline.


Elle n’est pas remuée,
immobile sur le pavé hostile, sale et battu de Paris,
indifférent.
Débiles marches mécaniques.
Elle n’est pas remuée,
en tailleur intrépide, balançant en rythme impeccable son buste.


Jours interminables, tête qui dodeline
le long du temps qui passe en traînant, tête hantée
d’impatience aspirée, essoufflée, éreintée.
Honte et combat sans frein de l’humeur féminine.


Elle s’est déployée,
droite sur ses fines hanches, la taille flambante, les seins guerriers et attiseurs,
impavide.
Débiles femmes peureuses.
Elle s’est déployée,
ceinturée de courage, les yeux brillants d’avenir.


Enfin, la nuit s’approche et tombe et je fuis vole
vers mes hauteurs, délirante délicieuse.
Et je me mue béate en virile gracieuse.
Et au feu l’habit rose, sexiste camisole !


Elle s’est soulevée,
grandie dans son minuscule corps, moins atrophiée, moins léprosée,
pleine entière.
Débiles années d’enfant.
Elle s’est soulevée
contre cette injustice utérine et sanglante.

Je suis enfin le mâle sous-terrain, idole
de mes immenses heures femelles et vicieuses.
Il surgit mon prophète, nature audacieuse
réprimée sous froufrous lâches secrets et viols.


Elle a scintillé,
épicée pétillante, aimantant tout objet à l’approche de son atmosphère,
éclosion.
Indélébile sentiment d’être.
Elle a scintillé,
en tailleur sur le bitume, sœur d’âme, frère d’armes.

mercredi 18 décembre 2013

L'indignité humaine

On a grandi fragile, facile, pénétrable à merci.
On a sanguinolé et pleuré tout son corps de savoir qu’on était la dernière,
la faible
l’impersonnelle
l’invisible
celle dont on oublie le putain de nom.
On a décomposé l’être qui commençait
puisqu’il n’existait pas
qu’il était voué à l’humiliation.
On a tout repris à zéro
Et zéro c’était mieux, c’était moins insipide.
Pour soi, on sauvait quelque chose, l’espoir de l’âge adulte.
Pour eux, on ne valait pas un clou mais on était là.

L’indignité humaine dans laquelle on osait parader.

On nous riait au nez à la barbe droit dans les yeux
sans aucune crainte de représailles, en toute impunité,
tu n’es qu’une lâche
une coquille vide
tu dois bien y être pour quelque chose
ça ne s’invente pas
et n’accuse pas les autres, tu peux choisir
affirme-toi bon sang !
Non, elle se tait, je ne sais pas ce que ça donnera …
Propose, invente, essaye, débrouille !
Ce qu’elle est molle !
T’imagines sa vie, ça doit être d’un triste !
Parfois, je suis content d’être moi.

L’indignité humaine dont on se drapait salement. Saleté !

On a grandi à se sentir souillée, puante, infecte, fétide, contaminante.
Débrouille ou débarbouille ? On a longtemps pris l’un pour l’autre.
On a mis un point d’honneur à ne plus rien toucher, à ne surtout plus rien toucher,
ou seulement en pensée,
bien emballé,
esthéticienne envolée.
Le tiroir cérébral sauvé des mers d’égout.
On a même fini par ne plus rien approcher et là, on a connu le sidéral
sidération
le temps s’arrête
l’énorme vide quand on s’extrait aussi loin qu’on n’aurait jamais cru.
La tête devient immense, difforme, allô Elephant Man ?
Macrocéphale de foire.
Quitte à être regardée.

L’indignité humaine qui collait à sa peau de cochonne.

On nous aimait très fort par endroits et parfois.
On n’y voyait que du feu.
On n’avait pas saisi les rouages de la blague.
On nous avait sans doute pas nettement expliqué.
On en a mis un temps avant de ne plus reculer.
Lente et longue délicate réintégration hérissée de sursauts effroyables.
La tête a dégonflé, en un rien de temps.
Mais là encore, pas compris tout tout de suite.
On n’est pas terminée, on n’est pas hygiénique,
On n’a pas achevé de se sentir merdeuse.
Ca court après nos pas,
et quand ça accélère, toujours irrattrapable.
Le sale moment se passe,
et on reprend la vie tenant tête au miroir.

L’indignité humaine qui ne nous perdra pas.


mardi 17 décembre 2013

Vade Retro Altruis

Vade Retro Altruis !

J’étouffe de vous savoir ici, même en fermant les yeux.

Vous êtes trop là.

Vous êtes trop près.

Vous me touchez, vous me palpez, vous m’enferrez dans votre vie, dans votre cercle de vivants,

Votre présence ancre ses ventouses dans ma peau, elle s’insinue, elle détruit toutes les barrières que j’ai tenté d’échafauder, chaque fois d’une autre manière, plus efficace, mais pas assez. Cabane de paille, de bois, de briques, et pont-levis et douves de feu, iceberg givrés.

Vos mots et vos 37 degrés sont toujours les plus forts.

Vous parvenez à rentrer dans mon être, à m’effondrer sans heurts.


Vade Retro Altruis !

Ma carapace est molle, plastique, polie, conciliante.

L’être qu’elle renferme est colérique et avide de solitude, asthmatique de votre air, de votre souffle, en quête d’un repaire coi.

Ne plus parler, ne plus écouter, ne plus entendre, ne plus regarder, sans vous surtout, sans tous ces congénères bruyants et émouvants.

Je veux m’appartenir.

Je vous laisse ma dépouille, invariablement, vous en disposez presque autant que voulu. Je crois être hors de vous et je vous cède la place.

J’ai posé tous les pièges et les verrous du monde pour me barricader et enfin être à moi. Et je vous tends le passe et désamorce les pièges en oubliant mon vœu.

Je ne sais pas vous résister et vous barrer le passage, vous dire que là c’est non et qu’il n’y a pas de mais.


Vade Retro Altruis !

Je suis trouée

plus ou moins déchirée,

sans l’atroce douleur du paroxysme.

Je suis trouée comme une vieille chaussette trop jeune pour être vieille.

Je suis trouée comme un tout minuscule encore spongieux, trop vieille pour être aussi jeune.

Je suis trouée d’infimes piqures, ma surface est une moustiquaire qui laisse s’engouffrer toutes les effluves de tous ceux qui m’approchent.

Je suis trouée jusqu’aux viscères comme un squelette décomposant.

Les insectes grouillent dans ces multiples anfractuosités si douillettes à leurs corps vibrants ou gluants.

Je suis trouée atteinte de petite vérole jusqu’au fin fonds de l’utérus.

On m’a dit un jour qu’il y a un noyau infrangible auquel personne ne pourrait jamais accéder. J’y crois de toutes mes forces.


Vade Retro Altruis !

Tous ces trous,

tous ces vides,

toutes ces lézardes

infâmants

honteux

répugnants

révoltants

à vomir

de soi-même,

je les remplis,

je les complète
jusqu’à ras-bord

de mon plaisir

de ce qu’on ne me vole pas,

de ma satiété

de mes hauts le cœur,

de ma faim aussi.


Vade Retro Altruis !

Elle aplanit le terrain, elle écroule les reliefs. Plus de hauteurs, plus de canyon ni de crevasses. Tout est sous contrôle.

La goinfrerie remplit les trous de sa concrétude, rehausse le niveau du sous-sol, à coups de grandes et lourdes pelletées dans tous les interstices. Tout est sous contrôle. Mais bancal cette fois.

La faim c’est l’assurance, le nivellement par le moins. On ne peut pas descendre plus bas, il n’y a rien qui menace en-dessous. On est ancré au sol. Elle ne trompe pas.

Le reste, je ne m’y fie pas et pourtant j’y recours sans penser, par panique de me voir prise d’assaut et de devoir réagir tout de suite, pour ne pas gonfler de vous, m’hybrider de vos êtres, me noyer dans vos couleurs.

M’oublier.

Me trahir.


Vade Retro Altruis !

J’ingurgite, j’engloutis, j’avale avant d’être happée.

J’avale pour annuler ce que j’ai aspiré de vous.

J’avale pour occuper les trous.

Vous avalez ce que je montre, ce que je laisse immobile mais nourri.

Il me faut tout mouvoir, vous surprenant de bout en bout

et avaler pour ne pas être volée, conquise, colonisée, contaminée,

par vos univers.

Et je deviens un ogre

une gloutonne

une bonbonne.

J’ai fait fuir l’Altruis.

Mais aussi l’Egoïs.

La faim le retrouvera,

pelotonné

et humilié

dans les sphères intangibles.

La faim me sauvera.

Et le cycle infernal reprendra sa grande roue.

La vie de grandes marées.


Vade Retro Altruis

Vade Retro Altruis !
J’étouffe de vous savoir ici, même en fermant les yeux.
Vous êtes trop là.
Vous êtes trop près.
Vous me touchez, vous me palpez, vous m’enferrez dans votre vie, dans votre cercle de vivants,
Votre présence ancre ses ventouses dans ma peau, elle s’insinue, elle détruit toutes les barrières que j’ai tenté d’échafauder, chaque fois d’une autre manière, plus efficace, mais pas assez. Cabane de paille, de bois, de briques, et pont-levis et douves de feu, iceberg givrés.
Vos mots et vos 37 degrés sont toujours les plus forts.
Vous parvenez à rentrer dans mon être, à m’effondrer sans heurts.

Vade Retro Altruis !
Ma carapace est molle, plastique, polie, conciliante.
L’être qu’elle renferme est colérique et avide de solitude, asthmatique de votre air, de votre souffle, en quête d’un repaire coi.
Ne plus parler, ne plus écouter, ne plus entendre, ne plus regarder, sans vous surtout, sans tous ces congénères bruyants et émouvants.
Je veux m’appartenir.
Je vous laisse ma dépouille, invariablement, vous en disposez presque autant que voulu. Je crois être hors de vous et je vous cède la place.
J’ai posé tous les pièges et les verrous du monde pour me barricader et enfin être à moi. Et je vous tends le passe et désamorce les pièges en oubliant mon vœu.
Je ne sais pas vous résister et vous barrer le passage, vous dire que là c’est non et qu’il n’y a pas de mais.

Vade Retro Altruis !
Je suis trouée
plus ou moins déchirée,
sans l’atroce douleur du paroxysme.
Je suis trouée comme une vieille chaussette trop jeune pour être vieille.
Je suis trouée comme un tout minuscule encore spongieux, trop vieille pour être aussi jeune.
Je suis trouée d’infimes piqures, ma surface est une moustiquaire qui laisse s’engouffrer toutes les effluves de tous ceux qui m’approchent.
Je suis trouée jusqu’aux viscères comme un squelette décomposant.
Les insectes grouillent dans ces multiples anfractuosités si douillettes à leurs corps vibrants ou gluants.
Je suis trouée atteinte de petite vérole jusqu’au fin fonds de l’utérus.
On m’a dit un jour qu’il y a un noyau infrangible auquel personne ne pourrait jamais accéder. J’y crois de toutes mes forces.

Vade Retro Altruis !
Tous ces trous,
tous ces vides,
toutes ces lézardes
infâmants
honteux
répugnants
révoltants
à vomir
de soi-même,
je les remplis,
je les complètent
jusqu’à ras-bord
de mon plaisir
de ce qu’on ne me vole pas,
de ma satiété
de mes hauts le cœur,
de ma faim aussi.

Vade Retro Altruis !
Elle aplanit le terrain, elle écroule les reliefs. Plus de hauteurs, plus de canyon ni de crevasses. Tout est sous contrôle.
La goinfrerie remplit les trous de sa concrétude, rehausse le niveau du sous-sol, à coups de grandes et lourdes pelletées dans tous les interstices. Tout est sous contrôle. Mais bancal cette fois.
La faim c’est l’assurance, le nivellement par le moins. On ne peut pas descendre plus bas, il n’y a rien qui menace en-dessous. On est ancré au sol. Elle ne trompe pas.
Le reste, je ne m’y fie pas et pourtant j’y recours sans penser, par panique de me voir prise d’assaut et de devoir réagir tout de suite, pour ne pas gonfler de vous, m’hybrider de vos êtres, me noyer dans vos couleurs.
M’oublier.
Me trahir.

Vade Retro Altruis !
J’ingurgite, j’engloutis, j’avale avant d’être happée.
J’avale pour annuler ce que j’ai aspiré de vous.
J’avale pour occuper les trous.
Vous avalez ce que je montre, ce que je laisse immobile mais nourri.
Il me faut tout mouvoir, vous surprenant de bout en bout
et avaler pour ne pas être volée, conquise, colonisée, contaminée,
par vos univers.
Et je deviens un ogre
une gloutonne
une bonbonne.
J’ai fait fuir l’Altruis.
Mais aussi l’Egoïs.
La faim le retrouvera,
pelotonné
et humilié
dans les sphères intangibles.
La faim me sauvera.
Et le cycle infernale reprendra sa grande roue.
La vie de grandes marées.

lundi 16 décembre 2013

Angustia & Co

La dureté de l’air et de ses acolytes,
cohorte en armes chacun à son poste
après ces lentes et nombreuses heures de trêve.
Années de décadence
Ils se sont avinés, sont descendus là d’où on ne revient pas.
Mais l’appel du combat les a secoués d’un souffle régénérant.
Et les voilà sur pied en bottes au garde à vous de
l’ambitieuse Angustia
aux ailes repoussées
retroussées
babines baveuses
de pouvoir en promesse.
L’atmosphère toute entière lui jure fidélité,
en indécrottable girouette
opportuniste résolue et imprenable.
Le ciel est orageux et annonce le chaos
attendu, prié, désespéré par Mesdames Peur, Phobie, Stupeur,
bagarreuses de toujours
incontrôlables de fièvre rageuse.
Sous la houlette d’Angus,
elles sèment cultivent chérissent chouchoutent
les tremblements
les suées
les coups de cœur
les pieds qui puent
la calvitie
le cancer du stress.
Le terrain s’humidifie, se flétrit, se lézarde, s’effrite, s’émiette
et les deux trois quatre ou cinquante camps ennemis se reforment
instinctifs.
Les tranchées dentellent à nouveau le poitrail en feu.
Les barbelés et barricades enfoncent sans pitié leurs échardes dans les plus fines couches de chair, premières attaquées, premières abattues, c’est le jeu dit-on.
Les plus fragiles chairs à canon d’Angus la virile.

Mais pour l’instant, c’est le branle-bas de combat, sans autre perspective.
Elles espèrent toutes ces femelles fatales mais la reddition des belligérants actuels n’a pas été rendue.
Elles ont sauté sur le moment de faiblesse,
comme toujours aux aguets, alerte, chiennes de chasse furieuses.
Elles ont le sang aux yeux, le diable au corps, servantes de l’ultime Diviseur.
Elles se préparent à chaque mollesse pour capturer le sceptre et ses éclats.
Elles crèvent de rage quand elles se heurtent
presque toujours
depuis des mois consécutifs, solidaires et douillets,
au regain d’énergie du bon vivant,
du bien bâti,
la victime révolue.
Elles se cassent le nez comme des bêtes à cornes foncent dans le tas
ignorantes d’un tas de quoi.
Elles en flambent de honte, en crêpe suzette monumentale, aussi vite dit que fait.
Elles ne reviendront pas avant la saint Glinglin, celle qui rend fou, la saint Zinzin, au mois Toctoc.
La date sans existence, comme toutes les autres, imaginaire et douloureuse, en transparence derrière chaque jour,
Une impasse
toujours béante
sans laquelle,
sans elles aussi,
on s’ennuierai,
peut-être.

dimanche 15 décembre 2013

Brouiller (25)

Brouillard fendu par le seul vrombissement des moteurs sans âme et sans vergogne des carrioles modernes.
Brouillard immobile à l’air évanescent, superficielle godiche qui trompe son monde en masquant sa fermeté, sa sévérité, tranchante en arrière-scène.
Brouillard, militaire diplomate.
Brouillard piégeur sans crier gare, entourloupeur en cavale.
Brouillard fourmillant de particules invisibles en ardent travail dans ce gel vaporeux.
Brouillard termitière mystérieuse.
Brouillard qu’on voudrait emprisonner dans une éprouvette, qu’il se laisse faire et qu’on le dompte comme tous ses congénères remis aux mains de la science, empaquetés, tout bien ficelés, à la botte des hommes prétentieux.
Brouillard haineux des conquérants.
Brouillard qui s’insinue, subtil pour les uns, traître pour d’autres.
Brouillard annuleur de temps et d’espace, fédérateur des siècles, ramène les fantômes, entremêle les antipodes pragmatiques.
Brouillard qu’on voudrait dans son camp, brûlant d’inconnu, leader incontestable, il floutera l’ennemi.
Brouillard tombeur foudroyant, magicien du chaos, au pied tous les puissants ordinaires.
Brouillard déguisé en mariée virginale fulminant, résistant, révolutionnaire, contre toutes règles.
Brouillard qui ne crie pas, sans bruit, qui rebelle l’atmosphère, soulève les cœurs de la nature.
Brouillard qui apaise la Rouge, en famille, enveloppée.
Brouillard allié des indisciplinés douloureux, endormeur de souffrance, panseur d’anormaux, roi de toutes les cours des miracles.
Brouillard faux cynique, robin des bois, fou de Versailles, habile manipulateur des règles et droits.

Anna,
se dit-elle à elle-même,
n’oublie pas
que le brouillard
est maître
du regard des hommes.
Ton trouble,
poursuit-elle,
est celui
des yeux
qui te jettent
au caniveau
des égarés.
A toi,
à nous,
déroutés
traqués
d’embarbouiller
le monde,
à pas feutrés.