mercredi 15 juin 2016

Le prince des sables en boomerang

Un jour, elle sent que quelqu'un la regarde et que ce n'est pas un touriste nippon qui aime sa tête de docteur. Elle ne lève d'abord pas la tête. Elle n'a pas envie d'être dérangée. Cela l'agace même un peu. Malgré les stations qui défilent, elle sent le reagard qui persiste. Carrément énervée, elle finit par lever le nez de son livre. Elle a déjà émis un bruit d'irritation ostensible et son geste cervical a été brusque.
D'un coup, son visage se détend.
D'un coup, elle n'a plus aucun muscle dans le visage. Comme ces gens qui rient, qu'on entend rire et dont rien ne bouge sur le visage. Sa peau se colle à son squelette comme quand on a très mal. Mais elle n'a pas mal. C'est le squelette qui gonfle et gonfle de se sentir autant exister. Elle ne s'est jamais sentie autant exister.
D'un coup, elle est une énorme personne. Pas dans l'espace ; dans le temps. Une énorme personne interstellaire sidérale de l'univers sans limites.
Elle est immense.
Elle voyage à travers la galaxie en une demi-seconde.
Elle est la Tour Eiffel.
Elle est Dieu.
Elle est sa mère, sa grand-mère et toute sa descendance.
Elle est tout ce qu'elle a été.
Elle sent mille êtres fourmiller en elle, toutes ces personnes qu'elle a été face à chacune de celles qu'elle a rencontrées, dans tous les lieux de sa vie, même loin où elle ne croyait ne plus jamais aller, même là et quand elle avait le deuil de, même les plus oubliés, les plus effacés, les plus oblitérés des moments, les plus heureux, les plus malheureux ; tout à la surface.
Tout au bord des lèvres.
Vomir
Pleurer
crier
morver
suinter
exploser
Trop d'être en même temps pour ce corps ridicule. Elle se sent minuscule pour la première fis de sa vie. Non pas qu'elle se sente grande d'habitude. Elle se sent là à l'étroit, voudrait hurler comme Hulk et avoir la forme qui correspond à son immensité alors. Mais pas en vert s'il vous plaît ! Violet. Ou framboise. Ce qu'elle est en ce moment. Framboise, la vie juteuse et rose rouge pas sanguine mais pas loin, une énorme framboise, poilue mais profondément esthétique, rebondie et pourtant vide. Une énorme framboise rieuse et musclée. Forte et si vivante qu'on ne peut la contrôler.
Elle n'a jamais autant senti son thorax se soulever et aspirer l'air puis l'expirer aussi fort. Elle n'a jamais senti à quel point elle était puissante et fragile.
Colosse aux pieds d'argile.
Gros génie bleu sorti de sa petite lampe de pacotille.
Elle lève les yeux à Dieu et lui sourit avant de les reposer sur le déclencheur de ce film.
Elle en ressort toute ébouriffée. Wouh ! On dirait qu'elle vient de prendre son pied. C'est presque ça.
Elle a Abdel en face d'elle.
D'un coup, elle a 17 ans et elle retrouve qui elle était alors, son corps même change de position, pris qu'il est entre deux êtres si éloignés dans le temps. 20 ans ça fait quand même un bail. Elle ne sait plus comment s'asseoir, comment parler, comment décider. Elle ne sait plus qui elle doit être. Celle d'avant qu'il reconnaîtra, celle qu'il a tant aimée et qu'elle a aimée grâce à lui. Ou celle qui a lâché les ¾ de ses principes de jeune fille et qui ne s'en porte que mieux. Ne s'emporte que mieux aussi. Ou celle qui court. Ou celle qui se laisse insulter. Ou celle qui séduit encore et encore. Ou celle qui soigne sans relâche. Ou celle qui n'a toujours pas vraiment d'ami. Ou celle qui déteste toujours l'injustice. Ou celle qui prend l'air revêche pour faire fuir les plus couards. Ou celle qui préfère mourir plutôt que de se laisser dicter sa pensée. Ou celle qui en-dessous ne peut cacher bien longtemps sa tendresse.
Elle découvre qu'elle est celle qu'il a aimée. Elle le regarde sans aucun détour. Il fait de même. Ils se regardent comme avant. L'avidité en moins. La douceur en plus. La rage moins folle. La beauté sans appel. La joie formidablement inattendue. Ils sourient en coin tous les deux. Ils se retrouvent tout de suite. Du regard. De loin dans une rame de métro. Ils se reconnaissent en un éclair. Elle n'a plus à se demander. Elle n'a pas besoin. C'est Abdel. C'est le premier prince. C'est le premier qui a cherché et a trouvé. Elle n'a toujours rien à lui cacher. Elle se lève et ses bras pendent au bout de leurs épaules. Elle laisse tomber son livre. Elle laisse quelqu'un à côté d'elle le ramasser. Et le lui tendre. Elle remercie vite. Elle ne doit pas laisser filer ce regard, cette vivance. Elle doit sentir encore cette liberté qu'il lui procure.
Le Fameux et la Survivante.
Le prince des sables.
La mystérieuse guerrière rouge.
Ils ne bougent ni l'un ni l'autre. Il n'y a rien à faire. Se faire face. Se transpercer. Se laisser deviner jusqu'aux recoins les plus secrets. Comme tournoyants au-dessus de la foule de retour du travail. Ils ne se confondent pas. Ils ne se perdent pas. Ils sont bien plus libres que cela.
Adèle entend le nom de sa station. Cela fait 4 stations qui passent et qu'ils s'observent. S'entendent et s'écoutent. Elle descend. Il descend aussi.
A peine est-elle sortie qu'il est à côté d'elle. Il lui tend un papier où est inscrit son numéro. Il s'imprègne une dernière fois d'elle de ses yeux presque transparents. Ils ont l'air de s'être encore éclaircis avec les années. Encore plus reptiliens. Encore plus troublants. Encore plus implacables. Encore plus illisibles. Mais elle sourit parce qu'elle sait toujours les lire. Ou toujours, il lui laisse voir la pupille mouvante et sombre qui se cache derrière. Elle l'attrape à trois doigts pour ne pas la casser. Elle la fait rouler dans sa paume. Elle en inspecte toute la surface. Elle la sent rouler et toutes les bosses qu'elle a rencontrées. Pendant ce temps, cette seconde qui échappe à tous et qui s'étend pour eux dans une autre strate d'existence, le prince est borgne. Il accepte sa faiblesse, sa cécité du moment. Il l'accepte pour elle. Ils se font toujours cette confiance parfaitement sphérique. Il ne la voit qu'à moitié mais il se laisse prendre de l'intérieur, dans son âme. Il pourrait tout aussi bien lui tendre son cœur. Mais le prince des sables est de l’œil plus que du cœur. Il n'a pas changé en cela. Le cœur l’écœure, trop vite. Une fois terminée son inspection, elle lui rend le tout petit rond noir palpitant. Elle a tout vu.

samedi 11 juin 2016

Grand brûlé

Bref, Adèle touche d'abord tout doucement puis de plus en plus fermement M. W. Elle ne peut se résoudre à l'appeler Roger ni Rodge. Elle préfèrerait le 2ème quitte à choisir mais il n'a pas de prénom cet homme-là. Il a un patronyme, une initiale. Pas de prénom, commun, partagé par des millions d'autres. Non. Elle ne veut qu'un M. W. Elle suit les torsades de tout son corps, pendant de longues minutes, tout son corps, elle le déshabille de plus en plus petit à petit. Elle veut tout voir et tout sentir. C'est rugueux et doux en même temps. C'est imprévisible, les tournants vous emportent de l'autre côté du membre sans que vous l'ayez prévu le moins du monde. Et elle dessine sur le corps du vieil homme comme sur du sable ou sur une pierre dont on savoure tous les recoins et anfractuosités pleines d'histoires et de rêves. Elle se retrouve enfant accroupi tout près de la nature pour suivre les arabesques du monde. Elle ferme les yeux quand elle a atteint un point de sens. Elle les rouvre dès qu'elle repart à la découverte. Elle voit un kaléidoscope d'images défiler dans sa tête et colorer la course de ses doigts. Elle a l'impression que c'est presque magique, que M. W. recèle de vrais secrets . Non des secrets qu'on dit et qu'on écrit. Ces secrets-là sont faciles. Les secrets qui n'ont que formes et couleurs et devant lesquels on se tait. Elle a l'impression qu'elle apprend, qu'elle se nourrit d'une richesse qu'il contient derrière ce corps bavard et provocant. Elle s'arrête un moment figée par la phrase qui vient de casser la douceur : Adèle, on n'est pas dans un conte de fées ! Mais elle pousse cette raison d'un revers de main. Ce qui se passe n'est pas histoire de contes de fées et elle sait bien ce que c'est. Elle poursuit donc. Je n'ai pas expliqué correctement mais elle y va dans l'ordre, très précautionneusement, dans l'ordre du corps, du sien et de celui de W. D, dans l'ordre des corps. Les corps dans tous les sens. Peut-être un ordre qui les dépasse tous les deux mais qu'elle n'a nulle envie de discuter à ce moment-là, elle la scientifique. Un ordre accessible à l'intuition et la jouissance charnelle. C'est là ce qu'elle espère et trouve.
Elle commence par enlever sa chemise au vieil homme. (On s'imagine un vrai vieux. Mais c'est un faux. Un vieux comme il s'en fait aujourd'hui. Un vieux, beau, fort, solide. Mais vieux, c'est indéniable.) Elle l'ouvre seulement. Elle suit les lignes des brûlures sur la poitrine, presque douces, pas si creusées. Celles par lesquelles on commence. Tranquillement. Elle ne l'a pas fait exprès. Pas elle. Mais lui, l'enchanteur ?... Elle descend sur le ventre. Elle pense un peu, comme un flash à la douleur et à une blessure. Vite, elle est prise par les volutes de la peau. Elle en suit les contours alambiqués, à contre-sens, rieurs, ironiques. Elle voit les trous aussi. Les viscères vissées et dévissées. Elle vérifie d'un regard qu'elle a le droit pour ça aussi. W. est ok, sans rien dire. Il se livre, il se donne. Elle peut tout, il lui fait confiance, le baroudeur, le séducteur, l'homme d'affaires en chemise amidonnée, sûr et certain. Elle passe le plat de sa main sur les trous d'abord, effleure. Il réagit. Il lui saisit le poignet et pose sa main longuement sur les viscères vissées. Il lâche et elle sent la chaleur de ces trous, comme des cœurs de volcans prêts à cracher du feu. Elle n'y rentre pas. Elle n'en a pas envie. Mais elle observe l'intérieur. Pas profond en réalité mais effet d'optique qui fait fantasmer. Elle sourit de ce jeu du corps, de W. qui n'y est pour rien mais auquel ça n'a sûrement pas échapper. Qui a dû en jouer, sourire narquois fixé au visage. Exaspérant comme il a pu l'être pour les sages et les mal-voyants. Le ventre est une vraie tornade. On n'est plus seulement à la boulangerie en train de choisir entre un croissant tournicoté et une torsade au chocolat plus serrée dans ses tours. On est dans la tourmente. Le vent s'est levé. Elle prend son temps. Le ventre, c'est important. Le ventre, Adèle y a toujours senti une sacrée vie. Une vie sacrée plutôt. Déformation de narratrice, excusez-moi. Elle est happée par le ventre de M. W. Sens dessus dessous et elle se rappelle que tout est en place à l'intérieur. Qu'il n'est pas malade. Et si les intestins et l'estomac se bidonnaient en la voyant fascinée, de l'intérieur ? Ils se taperaient la main en signe de complicité, un check de rigolade parce que même cette doctoresse qui sait, sait sait, sent cette ultime provocation du corps. Adèle caresse les flancs. Les flancs, les plus vulnérables du vivant, les tendres flancs dans lesquels on entre comme dans du beurre et qui font s'exorbiter les yeux. Les flancs qu'on oublie de protéger, tout concentrés qu'on est sur la tête et le cœur. Les flancs, gazelles apeurées. Ils courent vite mais sont des proies. Et pour l'éternité. Elle suit leur courbe hoquetante. Les flancs sont de parfaites vallées, a priori. Ils sont de hautes montagnes pour W. Sans pitié, aigües. Il pourrait presque avoir des griffes qui sortent de là et attaquent celui qui s'approche trop près. Les flancs meurtris lui donnent les larmes aux yeux. On a broyé les plus fragiles. Et Adèle n' a jamais supporté cela. N'est-ce pas ?
Elle ôte entièrement la chemise. Elle peut toucher maintenant les épaules, elles sont costaudes, rondes, comme on s'y attend. Elles tranchent avec les autres en-dessous d'elles. Elles ne se croient pas supérieures pour autant. Elles ne sont ni hautes ni basses. Elles restent à leur place et elles montrent à tout le monde qu'on ne doit pas juger sur un détail et que le tout et sa complexité sont les règles de l'art. Elles sont habiles et réfléchies. Elles apaisent le tableau.
Les bras, Adèle les connaît bien. Mais elle n'a pas inspecté le tir d'obus. Ca n'est pas très impressionnant franchement. Surtout au vu du reste. Et puis, on sait bien ce que ça dit. Il n'y a pas de mystère. La guerre c'est la guerre. Cela rajoute une face au kaléidoscope. Le terre-à-terre pur et dur. La cicatrice est parfaite. Lisse. Creuse et parfaitement récupérée. La guerre puis la paix.
Elle se recule un peu pour une vue d'ensemble du torse. Il est déjà tellement multiple.
Est-ce que M. W dort ?
Elle doit continuer le parcours. Elle doit lui faire baisser le froc. Elle n'ose pas franchement. Même si tout l'y autorise, elle est un peu coincée là là. Elle sent qu'il l'aide. Alors, elle se lance. Et hop d'un coup c'est fait. Il faut dire qu'elle a le coup de main. Pour pleins de raisons, pleins pleins de raisons. Elle este un peu coite à ce moment-là. Le haut a vite pris la tournure d'un art oriental ou boulanger en tourbillons. Les jambes sont brisées. Il faudra chercher fort, ouvrir toutes les portes de son âme pour trouver la bonne couleur, la bonne forme pour ne pas lâcher en pleine route le kaléi.
Les jambes sont méconnaissables. Elle croit qu'elles tomberont peut-être le masque mais c'est un vœu pieux. Autrement dit idiot. Les muscles sont saillants et elle les reconnaît. Elle se récite leur nom un à un, suivant son regard. Ils sont tous là, ceux qu'on peut voir à l'oeil nu. Ils sont viriles et vivants. Ils sont comme tut le monde aussi. Leur enveloppe est indicible. Elle leur gâche sans doute la vie, ils ragent contre elle, pense Adèle. Ils ont dû faire un deuil proche de l'abnégation pour tolérer cette foutue peau. Encore une fois : cette peau foutue. Enfin, dans cette situation, foutue ne signifie pas grand-chose. Cette peau de fou oui. Cette peau qui tue oui. Donc c'est plus grave que seulement foutue. C'est une peau qui n'est plus ce qu'elle est. Pourtant elle est toujours là et même parfois trop chaude, trop froide, trop faible, laissant passer tout ce qu'elle devrait filtrer, elle est là, elle n'a pas abdiqué. Elle est courageuse comme aucun d'eux ; Alors, ils finissent par se taire les muscles. Par laisser le courage avoir la coupe et faire avec.
Adèle ne sait pas quoi faire pour avancer. Elle a nommé les muscles, elle s'est accrochée à eux. Elle aime les muscles et leur grrrrr ! Elle ne peut pas s'en contente. Elle demande de l'aide à M. W. pour la première fois. Elle n'y arrive plus toute seule. Il lui sourit et il étend ses jambes puis il se met debout. Il est malin. Il sait déjà tout ça. Ella lui a appris et il n'a jamais oublié. Adèle sent sa respiration retrouver un rythme régulier. Revoilà la forme et la couleur. Ces jambes sont de grands troncs. Elles sont absolument sylvestres. Assis, elle ne pouvait pas voir, elle était perdue. Mais debout, tout s'éclaire. Elle sent son propre visage se rouvrir. Voilà la nature qui s'insinue dans ce corps de rêves. Instinctivement, elle remonte jusqu'à la chevelure encore foisonnante qui trône sur tout cela. Feuillue oui. Elle y trouve quelque chose de la cime d'un grand arbre. Elle penche la tête sur le côté pour voir encore mieux. Pour que les cases du cerveau se détendent et laissent toute l'imagination reprendre la place. Elle en revient aux cuisses, aux genoux, aux mollets. De parfaits troncs, comme ceux qu'on enlace quand on est petit et qu'on a peur. Qu'on voudrait être aussi bien enraciné que lui, l'arbre campé sur ses positions. Elle est heureuse.
Je me permets une petite intrusion : n'est -il pas d'une ironie sans nom et qui n'est sûrement pas celle de W. mais celle de cette vie qu'il a eue que les jambes troncs sortent d'un enflammage en pleine forêt ? Comme s'il avait pris la forme du lieu du drame. Comme s'il avait commencé à se fondre dans le décor. Franchement, on en rit ou on s'exclame que la vie est une pute.
Les pieds détonnent, dans l'ensemble. Ils sont tout droits sortis du Seigneur des Anneaux : très grands, beaucoup trop grands, poilus. Des poils ? Elle ne comprend pas. En fait, les pieds sont intacts. Ils sont laids et intacts. Il lui dit : « un raté ! » et ils gloussent tous les deux. Ce si bel homme aux mains de prince a des pieds de hobbit.
Il reste le plus intime. Il descend lui-même son caleçon. Pas de slibard de vieux pour M. W. Il n'est pas de ceux-là. Enfin ! Vous imaginez bien ! J'espère qu'aucun de vous ne s'est réellement posé la question, ce serait décevant. Oui, j'ai aussi le droit d'être déçue par mes lecteurs. Parce qu'on se pavane et on élabore des formidables théories pour critiquer les livres et en souligner les moindres
erreurs mais laisse-t-on le droit à la critiquez pour le narrateur engoncé dans ses pages ? Non, jamais ! Personnellement, oui je prêche pour ma paroisse mais je trouve cela inadmissible. Tout le monde devrait avoir les mêmes droits, peu-être pas à égalité mais un minimum d'équité bordel ! Ca me met en colère, ben bien sûr ! Imaginez-vous (non mais parfois les lecteurs sont pas futés pour un sou ! C'est pas vrai ça!), vous vous échinez à raconter toute une histoire, sur des pages et des pages, vous avez bossé comme un acharné, vous avez pris du temps, en plus de la vie quotidienne, en plus de tout ce qui est nécessaire de faire tous les jours et vous voyez en face de vous, nonchalamment, des péteux qui se prennent pour les rois du monde parce qu'ils savent lire (plus aucun mérite à cela, veuillez m'excuser Messieurs les intellos de comptoir) et qu'ils savent pertinemment que le livre ne leur crachera pas à la gueule. Eh bien moi, je le fais avant même que quoi que ce soit n'arrive. Un lecteur qui pourrait à ce point du récit penser que M. W. est un homme à slibard est un con. Voilà c'est dit !
Adèle observe M. W. se mettre totalement nu. Elle se sent presque mal d'être aussi habillée. Elle a envie de le serrer fort dans ses bras, à l'étouffer tellement elle l'aime à ce moment-là. Pourtant jusqu'à présent, elle ne l'aime pas. Mais une chaleur d'amour la traverse pour ce magnifique vieux qui se met à nu, toutes ses blessures au grand jour, droit dans les yeux. Il ne bouge pas. Il n'est pas tendu pour autant. Il est ancré dans son sol. Il attend qu'elle finisse le tour du propriétaire. Elle fixe sans honte son sexe : il en manque la moitié. Elle ne s'ébahit pas. Elle le sait déjà, il lui a dit. Mais elle s'agace seule. Elle tape du pied en claquant la langue : « les enculés ! » elle ne peut pas dire autre chose. C'est révoltant. Ce n'est ni laid ni monstrueux ni fou ni répugnant. C'est exaspérant de cruauté.  
Elle se tait et caresse le pénis abîmé mais vaillant. Elle retourne doucement M. W. qui se laisse faire. Les fesses sont belles et rondes. Un petit cul d'homme comme elle les aime. On se connaît bien maintenant, on peut dire les choses avec franchise. Un peu cramé mais comme pas plus que cela. « Pour un pédé, vaut mieux non ?" 
Elle le tire vers elle. Et il la serre dans ses bras. Lui caresse les cheveux. Elle en profite pour un petit toucher de fesses.
Et puis, ils parlèrent. Adèle se déshabilla. Et ils parlèrent, tout nus sur le canapé. C'était le normal de ce moment, aussi bizarre que cela paraisse. D'abord, oui, j'ai oublié, Rodge vit la sirène se dévêtir avec volupté. Autant Adèle ne s'était pas démontée. Autant Rodge ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux bouche bée. Elle était sublime. Comme il s'y attendait dans ses utopies. Il la regarda incrédule. Elle éclata de rire. « Alors M. ? On s'en remet ? 
- Euh oui.

Il bafouillait  
- C'est juste un corps de femme W. 
- Non, ce n'est pas juste un corps de femme Adèle. Vous êtes éblouissante. 
Et il vit des larmes surgir des impitoyables yeux verts de la jeune femme.
  • C'est juste un corps de femme W.
  • Non, ce n'est pas juste un corps de femme Adèle. Vous êtes éblouissante.
    Et il vit des larmes surgir dans les yeux vert impitoyables de la jeune femme.

mercredi 8 juin 2016

Faim

Ce qui faisait d'eux des pairs, une paire, c'était aussi cette insatiabilité. Cette impossibilité à être rassasié qui les liait indubitablement. Adèle était de ceux, est encore parfois, quand elle est nerveuse ou malmenée, qui ne trouve jamais le sentiment de plein, d'être sans besoin immédiat. Adèle la brûlante, qui tentait tant bien que mal de s'apaiser en se répétant qu'elle n'avait plus besoin de rien, qu'elle devait se sentir entière et non manquante. Mais se répéter encore et encore comme une litanie que « tu n'as plus besoin, tu n'as plus envie, arrête-toi, assieds-toi et respire, tu n'as plus besoin, tu n'as plus envie, arrête-toi, assieds-toi et respire, tu n'as plus besoin, tu n'as plus envie, arrête-toi, assieds-toi et respire... » Mais qui ne sait pas que ces choses-là ne fonctionnent pas ? Qui y croit ? Les désespérés. Je ne dis pas qu'Adèle ou Roger étaient des désespérés, des dépressifs jérémiants. Loin de là. C'étaient tous les deux des guerriers. Vous le savez bien désormais. Je le répète bêtement, moi aussi mais c'est pour le rappeler, c'est tout. Non pas que je suppose que vous ne le sachiez pas mais que je me sens obligée de faire une piqûre de rappel parce que c'est le moment là. Parce que je serais extrêmement froissée qu'on interprète mal mes propos, surtout en ce sens. Donc, Adèle était une de ces femmes qui a toujours envie, qui pourrait avoir toujours le cou en avant, les jambes prêtes à suivre à toute allure, à n'importe quelle vitesse, quitte à mouliner comme une dératée, courir, suivre le cou et la tête qui ne s'arrêtent jamais, sous peine de se disloquer, tout dégommer sur son passage, pas le choix, dans une violence incontrôlée, comme un IMC comme on dit joliment et ses gestes parasites, pan dans la gueule, désolée c'était au passage, pas fait exprès, mais je suis le cou, je suis la tête, je suis la faim et je ne peux pas leur dire non, ils sont trop forts, ils sont bien plus forts que moi, ils n'ont aucun remords, peut-être qu'ils tueraient du moins sans aucun doute laisseraient mourir sur leur route, ils ne s'arrêteraient pas même pour respirer, chier ou vomir tant le désir est énorme et dégueule de leur petite boîte : ils sont petits la tête et le cou et pourtant ils peuvent faire leur loi, ils sont tyranniques, ils tirent sur la corde jusqu'au bout, jusqu'à blesser à mort, ils n'ont peur de rien, ce sont des bêtes sauvages dans ces cas-là, ça peut durer des jours, des semaines où ils se terrent face au beau monde mais rient de se sentir déjà grossir enfler comme des coqs en pâte comme des oies engraissées et dès que la solitude pointe un coin de nez, ils attaquent comme un seul homme, une armée de légionnaires, ils savent leur puissance, ils tirent sur la corde, ils dirigent par le bout du nez, ils n'ont besoin de rien, la tête et le cou, obèses de désir et d'insatisfaction hargneuse, de faim délirante, ils se libèrent , ils font crever le reste qui suit derrière comme un chien, comme un clébard désarmé, comme un corps mort un cœur sans force, automatique dans la survie mais désolé de sa débilité alors, on s'en fout que tu sois désolé lui disent les autres, bouge ton cul et lève-toi, tiens-leur tête ! mais c'est la tête, je ne peux rien contre elle, je ne peux qu'avec elle leur répond-il, les autres trépignent, ragent et crient de douleur et de colère, ils se sentent encore une fois maltraités, battus, ceinturés, lacérés, personne ne voit ça, personne ne peut leur venir en secours, personne n'est assez fort, personne n'a trouvé la clef et le cœur, ridicule sur la marche numéro de son podium a abdiqué se recroqueville et attend la fin de la tempête, attend le sommeil et le retour du beau monde pour reprendre son souffle mais rien n'est réglé et tout recommencera au prochain tournant, à la prochaine solitude, à la prochaine colère, la tête et le cou riront ensemble et continueront leur 100 coups et frapperont sans pitié tous les autres de leur faim irrésistible, les dealers, les revendeurs qui nourrissent les toxicomanes sous eux, les enculés qui parlent calculent, manipulent, jouent tout le jour au désir et quand vient le soir et la solitude paaaaaa ! Laisse tomber leur coup avec une force herculéenne, ils ne sont pas humains, ils sont d'un autre monde, ils sont fous peut-être, ils ont peur, ils sont à enfermer mais non ils disent qu'ils ne s'arrêteront jamais et que la liberté recouvrée ils se frotteront les mains et recommenceront de plus belle, les mettre à mort et tous les autres crèvent avec, ils sont atroces et vitaux, il faut trouver l'arme qui anéantira leur cruauté, qui découvrira leur faiblesse, leur fragilité et éteindra leur feu de faim, il faut chercher encore et encore, Adèle cherche encore avec le morceau de tête qui reste sain pour trouver le fin mot de l'histoire et entrer le mot de passe pas magique, mais final, qui arrêtera cette lutte contre la faim et le désir mortels.
Aussi loin qu'Adèle se souvenait, presque aussi loin, avant la boîte et le frère, elle avait été ainsi, très loin, depuis 20 ans, depuis 25 ans peut-être, une petite fille puis une adolescente déterminée et animée d'un faim de prédateur. Contrôlée, dégagée, détournée mais toujours la plus forte, toujours la grande gagnante en noir et rouge de sang. Avec Abdel, elle en avait fait fi, elle avait fait comme si elle n'existait pas, elle ne pouvait accepter même son existence et il l'avait aimée comme ça. Mais à quel prix ! Les suivants n'avaient pas vu, n'avaient pas compris la faim et le désir et au contraire ils avaient cru à une ascèse qu'ils admiraient parfois ou qui leur faisait peur ou qui ne faisait rien. Une ascèse insupportable qui volait en éclats quand ils n'étaient pas là. Qui devenait complètement psychiatrique avec Brice, au bord du gouffre l'ascèse, prête à être forfait. Brice qui avait vu lui et qui avait encore appuyé sur le champignon en voulant peut-être arrêter, par la force comme toujours sans savoir faire autrement le connard, mais le désir n'est pas un adversaire qu'on prend de front. Il nargue et se faufile et Brice ne l'attrapera jamais, il était bien trop violent pour savoir y faire avec des subtilités comme celles-là. De toutes façons, Adèle ne lui demanda jamais rien, elle laissa le désir et la faim indomptables prendre le pas et se jouer d'elle, et de lui, spectacle de l'impuissance. Adèle joua de cette dernière, pour une fois, pour torturer à son tour le briseur de rêve et de vie, l'usurpateur, en silence et sans images non plus. Il ne fut pas dupe mais ne put s'en défendre. C'est ça le 14 juillet bouquet final aussi : l'explosion à deux face à ces tortures partagées., donnée rendue coup pour coup. Parce qu'Adèle rend tous les coups. Elle les compte et les rend avec précision jusqu'au plus discret. Ni plus ni moins. La justice du combat. Sauf ceux de la tête et du cou bien sûr.
Une si une grande douleur parfois. Parfois, elle n'en pouvait plus, elle la guerrière. Elle se taisait. Elle se renfermait, se retirait tant elle était prise envahie et incapable. Un sentiment d'impuissance à se taper la tête contre les murs, à se haïr jusqu'à la fin des temps, à se punir chaque minute de la vie restante. Se dire que cela n'en finirait jamais, qu'elle est une prisonnière à vie, que c'est elle qui pourrit en prison alors que les vrais coupables courent lalalalalaaaaa. Petite maison dans la prairie et elle est en guerre dans une geôle infestée de vampires.
Un sentiment d'être une grenouille qui veut se faire bœuf mais qui voudrait ne pas vouloir et ne peut pas. Le sentiment de se regarder grossir grossir grossir près d'éclater, consciente de l'insensé de la manoeuvre et incapable d'agir sur le phénomène. Elle se regardait être une ambitieuse folle, une ambitieuse à mort. Roger et toutes ses vies, voulait lui aussi manger, dévorer le monde. Peut-être les autres aussi. Lui aussi aurait pu tuer sans le vouloir sans doute. Avait-il trouvé la clef, le décryptage ultime. Elle avait le sentiment que oui et qu'il était désormais apaisé. Mais grondait en lui cette faim, cette méchante faim déraisonnée, dissonante qu'elle entendait en murmure derrière ses mots et son sourire. Derrière son corps et ses pirouettes, ses torsades et sa clownerie. Derrière tout cela, elle entendait son langage à elle, son langage déglingué qui ne vise plus le sens mais le point et qui ne l'atteint jamais. W. le sut tout de suite, entendit les murmures résonner. Le sien presque doux et celui d'Adèle plus hoquetant mais obligé bien sûr de se cacher. Un fugitif. Un évadé. Deux fugitifs, l'un ayant pris son parti de la cavale et l'autre aspirant encore au grand jour, pas encore assez
vieux. Adèle entrevit là peut-être la solution, elle qui n'avait pas voulu partager cette guerre, en mots pour faire comprendre et pas davantage, pas à deux au front pour stopper les deux entêtés fous d'avidité. Avides comme des loqueteux, avides comme sortis de camps de concentration, avides comme 10000 Alceste, avides comme des chiens errants. Elle accepta d'ouvrir sa cage et il lui montra sa faim à lui, la douleur de l'abstinence et le repos de la guérison. Des larmes coulèrent sur son visage, elle ne savait pas. Elle découvrait l'issue rêvée. Elle découvrait qu'on peut adoucir le murmure et la course infernale. Elle demanda : « Puis-je faire cela avant d'avoir ton âge ? Il sourit et comme il ne se prenait pas pur Dieu, il se contenta de la serre dans ses bras et de lui transmettre tout ce qu'il pouvait d'énergie. Elle aurait aimé être dans un de ces films fantastiques, de super-héros encore mieux, et lire tout le déroulé jusqu'à cet instant-là, fermer les yeux et voir tous ces clichés qui lui auraient ouvert les yeux. Mais elle n'était que dans la réalité et ferma les yeux pour sentir ce qu'il avait à lui offrir d'expérience et de tendresse.

samedi 4 juin 2016

L'exact pair

Elle rentra chez elle, abasourdie par ce récit. Elle, pourtant, peu émotive, la voilà chamboulée. Elle ne sait pas ce qui se passe. Cela ressemble à Brice. Cela fait mal mais c'est vivant. Cela ressemble à la douleur mais ce n'en est pas. Cela ressemble à cet amour fou et trop. L'être s'ouvre et cesse de lutter pour se défendre ou se cacher. C'est si rare. Cela ressemble à Pépé ; à sa séduction incontrôlable et à sa dépendance, à son masque et à sa trop douce vérité cachée. Cela ressemble à Abdel, au premier amour, au premier être qui coïncide et qui se livre même nu. Cela ressemble à tous ceux qu'elle a aimés. Cela ressemble à toute sa vie. C'est cet homme qui ressemble à sa vie. Comme s'il tenait sa vie à elle, Adèle, en lui, M. W. Il est comme un enchanteur, comme Merlin qui et dans son petit sac toute sa vie, tout en vrac mais tout en même temps dans un sac mine de rien. Cela ressemble au frère aussi. A son indéfectible amour, à sa tendresse protectrice, à sa beauté, son sourire ravageur. A la boîte cachée dans les cheveux et au frère tant aimé. M. W. est un composite flamboyant de ceux qu'elle a le plus chéris. Non, ce n'est pas un personnage de roman. Arrêtez, lecteurs malveillants ! C'est une personne qu'on rencontre un jour et qui ressemble à toutes celles qu'on a profondément, douloureusement, formidablement aimées. (Pas davantage d'adverbe, je suis déjà à la limite de la gerbouille.) Il est une pierre de plage, pleine de tout ce qu'elle a trouvé sur son passage : du verre, du plastique, du bois, des algues, du poisson, de la sirène, du matelot, du requin, de la baleine peut-être même, de la bague de fiançailles jetée à la mer dans un téléfilm américain. Il est un énorme amalgame sous les traits d'un vieux bonhomme, encore musclé, au corps fripé de feu. Il n'est peut-être qu'un rêve. Adèle a peur. Peur de ses rêves. Elle préfère les chiffres et les raisons. Depuis l'enfance, depuis Brice le braqueur au visage d'ange, elle a peur de rêver et de foncer dans les murs. Elle n'a pas tort. Alors, elle se méfie. Elle se méfie même des vieux. Surtout des vieux, ils connaissent toutes les entourloupes, ils ont eu le temps d'affiner leurs stratégies. Ils n'ont plus rien à perdre ? Stupidité ! On a toujours le plus précieux à perdre du moment qu'on est vivant. Elle se méfie, elle attend de voir la vague retomber en elle et de reprendre ses esprits. Mais elle n'y parvient pas. Elle est irrésistiblement attirée vers lui car il est l'énorme témoin de ses vies à elle aussi avec ses plus grands amours. Il lui a raconté sa vie. Elle ne s'est pas réellement rendu compte sur le moment. Elle n'a pas tout suivi en elle. Mais la machine toute entière de ses 35 années s'est remise en marche et tout a roulé en elle, tout a fait le tour dans le moulin, encore et encore, brillant de toutes les couleurs, des mots, des cris en tout sens, des visages, des couleurs autant qu'elle n'en avait jamais vu. Et après cela, dès qu'elle entrait dans la chambre de M. W., elle retrouvait cette ivresse. Elle tenta de la réprimer, de se ressaisir parce que cela n'existe pas les gens qui disent toute notre vie. Même les vieux briscards. Ça n'existe pas. Adèle la secrète, la prudente aventurière, n'a pas pu se livrer ainsi même dans son sommeil. Comment la connaît-il ainsi ? Comment sait-il ? D'où tire-t-il tout son savoir ? Pourquoi la connaît-il ? Il l'a épiée depuis sa naissance ? Il l'a suivie ? Il est un grand-oncle inconnu, honte de la famille ?? Il a tout inventé parce qu'il est psychopathe et qu'il sait comment appâter comme il le dit lui-même ? Elle n'en dort plus. Elle remue dans son lit, sous son crâne, sous sa peau. Elle mue peut-être, laissant la peau finie derrière elle. Mais elle ne peut pas tout laisser ainsi derrière elle pour saisir le premier venu qui lui dit qu'elle lui plaît et qui lui sert sa vie sur u plateau. Elle a vu défiler l'existence du vieux W. Et c'était elle qui habitait ce défilé. Elle était dans sa vie, il était das la sienne. Elle devient folle. Il la rend folle. Il est fou. Elle ne doit pas devenir folle. Jusqu'alors, elle
a réussi à résister à la folie. Elle a lutté comme une déglinguée pour ne pas sombrer. Elle y est parvenue. Elle ne doit pas céder maintenant. Après 35 années de réussite ou de combat heureusement achevés plutôt. Elle a peur qu'il la prenne, qu'il l'aspire et qu'il fasse d'elle une de ses nouvelles vies. Qu'il ne respecte pas plus que la Doctoresse et que la viande tendre du dessous soit cruellement hachée. Elle ne lui fait pas confiance parce qu'il est exact. Il est exact au millimètre près. Elle n'y croit pas à cette exactitude. La vie est bien plus fausse que cela. Seules les mathématiques sont parfois, et encore ! aussi exacts. Cet homme est un faux. Elle reviendra le lendemain et il ne sera plus là. Il doit en être ainsi. Cette exactitude répond à son désir. Elle est entendue par l'univers dans une absolue exactitude. Eh Adèle ! On se calme ! Pas d'univers qui entende ! Tu es une scientifique. Elle s'emballe, elle se raisonne. Elle va et vient. Elle perd du poids. Elle décolle comme on dit. Elle s'allège et retombe et repart et retombe. Elle se rabat elle-même au sol parce que le produit complexe exact amalgame de ses amours n'existe pas. Qu'elle ne doit pas se laisser prendre au piège. Que c'est une épreuve, comme un test de maturité, elle qui est encore volante. Mais elle n'a plus la force, au bout de quelques jours. Elle n'a plus la force de lutter contre son plus grand désir, celui de tout un chacun que de rencontrer un exact pair. Sans trop ni trop peu.
Qui ne déborde pas d'une miette et qui ne joue pas d'un cran. Il ne déborde pas et elle ne fait que déborder en face de cet exact ton sur ton. Elle finit de déborder donc, à défaut d'énergie. Elle décide de faire face à ce monstre.
- Vous êtes le monstre de ma vie, celui qui a comme ramassé derrière moi toutes les beautés finies et rassemblées en vous. Vous vous montrez et vous vous pavanez devant moi comme un coq en ergots, crête rougi. Je ne vous ai rien demandé et vous vous présentez et vous l'exact réponse à ma vie jusqu'à présent. Vous êtes mon jumeau d'aujourd'hui. Et je me ronge les sangs à penser que je deviens folle, que vous n'êtes qu'un songe. Réveillez-moi ! 

- Vous êtes aussi mon monstre Adèle. Ne nous réveillons pas.

vendredi 3 juin 2016

Poussière d'or

Mais Ella...
Je ne suis pas un romantique.
Je ne suis pas un lyrique.
Je ne suis pas un Roméo.
Je ne voue aucun culte
ni à Eros ni Thanatos.
A Venus ou Mère Nature.
Mais une de mes vies,
toutes mes vies jusqu'alors
prirent fin
avec elle.
En débutèrent d'autres.
Les précédentes s'envolèrent en
poussière d'or.
Mon chemin certain et solitaire
me sauta au visage,
m'éblouit,
doré,
poussière d'or s'éloignant de mes pieds.
Je regardai
sous moi
et le vide s'ouvrait grand,
tout à gauche,
mon pied n'avait plus de terre,
plus de route,
plus de trace.
Mon pied était idiot
dans l'air,
pas blessé non,
sans plâtre
ni sang,
bien pire : inutile.
J'aurais pu ,
là,
le couper
et repartir
unijambiste
sur cette même route,
que je ne croyais qu'à moi.
J'aurais pu.
Mais j'avais déjà donné de ma personne,
mon épiderme superficiel
au moins.
Je choisi donc
de me tourner
dos au vide interstellaire
sous mon pied gauche
et de reposer côte à côte mes deux
pieds
perpendiculairement
à ma trajectoire sexagénaire.
Quart de tour
sacrément fou.
Et je repartis vers ma droite sur mes deux
pieds,
un sol plus argenté
pour me porter,
cette fois seul
sur ma route.
Elle s'était fondue
dans ma terre,
Ella.
Elle avait pénétré mon sol,
mon sous-sol,
mes racines,
mes nervures
et mes os.
Elle n'était plus seulement
à mon rythme,
à ma mesure.
Elle était devenue ma route
et mon pas.
Nous étions deux en un,
sans le savoir,
sans se perdre,
sans cruauté,
sans dévorer.
Elle était ma siamoise,
double de cœur
partie en poussière d'or.