mardi 29 septembre 2015

Reves en marche

Ne pas s'endormir un jour
ou à peine,
peiner à s'apaiser,
à Respirer
Parce qu'on voudrait
immédiatement
avancer
à pas de géant.
Réaliser tous les rêves
interdits
imprudents
farfelus
mais oui bien sûr !
Tous ceux-là
dont on croyait
pour sûr
qu'ils fileraient avec le
Temps.
Ils demeurent
les filous.
Ils s'enfoncent
dans le crâne,
en Capitales,
à la pioche.
On croyait que c'était
La mégalopole de l'ado.
Soi-même on croyait
parce que
bien sûr
qu'on ne'n disait rien
de ces rêves
de gloire.
Et puis, ce soir-là,
ils cognent comme des
Sourds
au front et
au Coeur.
Les palpitations sont intenses.
Pas celles de la peur.
Pas celles de l'excitation caféine.
Celles de la puissance
ou du désir de puissance.
On ne l'a jamais expérimentée,
on ne peut donc rien en dire.
Mais c'est ce sentiment
d'une grandeur
à laquelle
On aurait
Droit,
Bordel !
Après des années
à se rapetisser,
à prendre toujours moins de place
Pour prendre davantage d'importance,
le leurre d'un corps façonné
à la serpe.
Après des années
de bêtise,
des années ce soir-là
Et depuis
senties
Perdues
à ne pas voir trop grand
et à voir les autres grandir
Pousser
sobrement
dignement,
Comme ils le souhaitaient.
Pas tous,
Il y a ceux avec lesquels on
Rit
comme des bossus
De nos déboires
De névroses
Engoncés
dans leurs complexes
détestablement
Freudiens.
On voit,
on suit de loin,
ceux qui n'ont pas renoncé à
leurs aventures
racontées jeunes
accomplies à 30 ans.

Alors,
Je ris
Toujours
de ces déboires
et des drôles d'arabesques
qu'on ne prévoyait pas
mais,
Il est vrai,
qu'on n'a pas voulu
éviter.
Mais je
Ressaisis
mes rêves,
mes voyages,
loin sur toutes les terres
les plus chaudes,
les plus arides,
mes romans
innombrables
les plus noirs,
les plus vrais,
qui changent un peu le monde,
qui font aimer les fous
et les sortir au jour,
meme nos propres fous
salauds.
Faire entendre la voix
des gouffres
de l'angoisse,
les voix des bannis,
répugnants
de deconnade.
La voix des plus laids,
des inhumains d'apparence,
es incompréhensibles,
de ceux dont on dit
Animaux
Singes
ou Gogol.
Oh regarde putain les boules !
Ces rêves-là
ressortent
du tiroir
Exigu,
bien étroit,
comme le chemin
Que je laisse à l'émotion,
écœurée.
Ces rêves-là,
Je ne les laisserai lis.
J'ai abandonné.
J'ai brisé.
Des générosités,
beaucoup,
de peur,
d'envie,
de haine,
ne l'oublions pas.
J'ai brisé
peu de chaînes
en revanche.
Il est temps.

Ceux qui les premiers
puis les uns à la suite des
autres m'ont acccordé
du credit
et entendu mes rêves,
autorisé à les
susurrer,
D.,
I.,
B.,
A.,
M.,
M.,
O.,
S.
Et les passants
que j'oublie.

Les rêves sont en marche.




vendredi 25 septembre 2015

Catlin, C...

      Catlin sans e. Catlin déjà broyée au nom. Catlin mutilée à la déclaration en mairie. Déjà par le père trop bourré pour bouger son gros cul de proxénète. Par la mère aussi, en train de clamser. Pas cap ne l'un ne l'autre de se tenir même pour une pareille occase. Des boulets, deux pauvres cons dont on a juste envie de se débarrasser à peine rencontres. Quand on parle de rencontres, moi je les ai pas souvent rencontrés. Ils m'auraient rendue encore plus folle que je ne suis. Là, je suis dans un bon jus mais venez me voir quand je raille, c'est pas la rigolade. C'est une autre histoire, je vous le dis. Il vaut mieux avoir les biscottes et la blouse blanche. Je suis pas dupe. Je sais comment ça se passe. Je sais que je pète tous mes plombs et pouf, je disparais. Il parait que la mère s'emploie et se flagelle sur son racial de mauvaise mère. Parce qu'elle a seulement fait semblant clamser. Je ne vais pas la contredire. Juste une rectification que j'aimerais apporter. Pas franchement mauvaise mère. Mère absente et inutile. Ce qui m'amène à conclure de moi-même que je suis inutile. CQFD. Coule de source. J'ai ds tonnes de détritus à vous déverser. J'ai la parole et la plume pour une fois, j'en profite. Les autres me la prennent toujours des mains, me donnent mon cachet, à peine elles voient mes yeux se voiler. J'ai le temps de rien. Non ! Elles, elles disent que mes yeux se vident. Pas tout de suite je crois mais un moment, je déraperai. Sans savoir, sans prévoir. C'est ça le principal. C'est à moitié vrai parce maintenant je peux un peu prévoir. Je sens les tremblements et la fievre. Pas la fièvre des médecins. La fièvre des Romantiques. Ma mère a trouvé aussi un sacrement profond fauteuil où plonger. Le jour, elle compte. La nuit, elle bosse pour le père. Moi aussi il m'a fait bosser, les week ends de visite. J'ai pas tout compris ce qu'il faisait tout de suite. Je ne suis pas naïve mais je ne le connaissais pas assez et j'étais jeunette encore. Je n'avais pas voulu comprendre ce qu'on m'en avait expliqué jusque là. On m'a toujours dit, à l'école, à la Police, à la DDASS : tu es une fille intelligente Catlin mais souvent, tu ne veux pas comprendre. On ne peut rien de plus pour toi. Ca, c'était avant que ca dévie en grave et que j'aille à l'hôpital plutôt qu'à la Police. Et qu'on ne prenne plus la peine de me dire que je parfois, je ne veux pas comprendre. Parce que c'est bien là le souci. Je préférerais je crois qu'on me
prenne pour une petite frappe. J'aurais préféré à l'époque.
       Je me déguisais. Tous les jours. Pour rigoler. On s'emmerdait. Je m'emmerde toujours. Sauf quand on fait un peu d'efforts. Se déguiser, ca demande seulement un peu de courage. Le reste suit tout seul. Tout le monde regarde et tout le monde parle. Le monde s'emmerde moins aussi. J'ai aimé par-dessus tout etre une héroïne de mangé. Jacqueline et Georges étaient inquiets de ma subite passion pour les mangas.  Ils trouvaient ça , comment ils diraient, envahissant voilà. Alors qu'à
l'adolescence, une passion est une passion. Et puis, j'ai toujours eu du caractère. Un satané carafon. C'est vrai qu'il fallait se le coltiner. Je sortais habillée en celle-ci ou celle-là. Les yeux agrandis par le maquillage, la jupe mini et volante. L'air niais s'il le fallait. J'ai déjà de grands yeux un peu fous. Maman l'a dit à la naissance. Avant de râler. Je crois que je lui ai fait peur. Mais attention ! Ces déguisements, c'était certainement pas pour faire la pute ! Je suis née une salope n'ai une pute. Les gens voient ce qui les excite, c'est tout. J'étais, moi, une héroïne de manga. Et pendant ces mois à l'être, je possédais des pouvoirs. En cachette. Je savais qu'ils n'étaient pas vraiment vrais. Mais mais ! Je les avais dans la tête. Et ce n'est pas rien.

        Pour ce qui est des potes, bon, j'étais sans à l'école ou de mon âge. Encore grande inquiétude de Jackie et Georgie. Mais en vrai, je m'en foutais totalement. Je rêvais avec mes pouvoirs et mes jupettes à plis.aux anges. J'entendais bien les adultes se lamenter sur mon sort. Pas moi. La vie était loin d'être laide. J'avais du mal parfois, c'est juste mais, comme tout le monde. À mon avis. Je dis "a mon avis", comme les sérieux, les Bourges. Sûrement les maquereaux et les putes. Mais ca vient tout seul. J'écris pas si mal. Je parle pas si mal non plus. Vu d'où je sors. Je suis intelligente, on (on ?) l'a toujours dit. Pas d'amis non ! Des vieux amis. Comme Jackie et Georgie. Ils sont trop vieux. Ils l'étaient déjà. Mais moi, j'aime les trop vieux, trop ridés,trop malades. Sans trop,on n'est pas assez. Voilà ce que je pense comme je vous le dis. Je ne leur ai pas dit. Il ne faut pas. Gardez ça pour vous surtout. C'est important. Ils sont les meilleurs amis que le monde m'ait offerts. Eux les premiers. Je sais pas si j'aime les vieux, trop tout, parce que j'aime aussi fort J. et G. Je sais pas. Je crois que je l'ai dans le sang cet amour des vieux. Je pourrais vous détailler les vieux que j'aime fort fort comme J. et G. Peut-être. Ou pas. En tout cas, quand on insulte ou agresse un vieux, je me contrôle plus. On peut
plus rien contre ma force. Oui oui je me bats. Je remonte mes manches. Quand j'en ai. C'est pas
toujours parce que je suis une chaude. Pas une salope, je l'ai déjà dit mais une réchauffée. Je fais craquer mes phalanges : ça fait rire l'adversaire et il baisse la garde. Ne se méfie plus assez. On néglige le pouvoir que donne le rire des autres. Qui est ce qui m'a dit ca ? Ah oui ! Le Dr Martin, mon bien-aimé psychiatre. J'étais amoureuse de lui au début. Il paraît que c'est pas si rare. Moi je trouve ça bizarre. Mais bon. Il paraît. Je suis tombée dedans aussi. Donc bon, bref, ce Dr Martin est vieux, beau comme un dieu. Les dieux sont vieux, tout le monde sait ça. Un de ces beaux vieux comme on en voit peu. Une grande tignasse blanche frisée bien ordonnée sans être style jardin à la française pour autant. Des yeux bleus comme le ciel et les oiseaux. A se pâmer. Je suis pas une pâmeuse. On peut pas dire ça de moi. Mais alors ces yeux-là. Et puis les hommes, les femmes, les gens de mon âge n'ont jamais fait mon affaire. Je ne fais pas la leur non plus. Tout le monde en est pour son argent. C'est parfait.
     Il y a eu M. Martin. J'ai cru à un moment qu'il s'appelait Martin Martin. Que ses vieux, encore plus vieux, avaient été assez cons pour l'appeler deux fois pareil. Meuh non ! Qu'on m'a répondu ! Il s'appelle Marc Martin. J'ai pas trouvé ça beaucoup mieux mais j'ai rien dit. J'ai fait un peu la folle qui comprend pas tout. Ca fonctionne bien ça. Et figurez-vous que j'ai découvert que les vieux font la même. Un sourire idiot, typique vieux, et hop là zou ! je suis débarrassé ! On se ressemble bien, en fait. Je suis vieille avant le temps. Il y en a bien qui régressent loin loin, alors qu'ils ont passé la quarantaine. Ma meilleure copine, c'est Régine. Elle est complètement allumée et très vieille. Elle ne peut plus faire grand-chose mais elle continue sa petite route encore quand même. Ca fait dix ans qu'ils la disent trop vieille. Tout le monde trouve toujours les vieux trop vieux. Ca me débecte ça. C'est pour ça, j'aurais voulu être africaine. Eux, leurs vieux ont la belle vie. On peut les aimer et les admirer plus que tout. J'aurais eu l'air moins folle. Donc, Régine, qui joue l'handicapée baveuse en caisse de supermarket, comme elle dit, pour qu'on fasse pas la queue. Elle rit rit rit à s'en étrangler devant les petits jeunots coincés du cul qui pleureraient d'avoir perdu à Questions pour un Champion. Ils la font hurler de rire. Moi, j'ai plutôt envie de me dépoiler devant eux qu'ils comprennent à quoi sert leur engin, enfin. Il faudrait pas dépoiler Régine par contre. C'est vrai que c'est pas si beau là-dessous. Et puis, c'est une eczémateuse Régine, depuis bébé. Elle est née stressée. Ca a laissé des sacrées traces. Il faut pas la regarder quand on la découche et qu'on la recouche.
Il y a aussi Francine qui continue le judo. Elle fout les collégiens à terre quand ils l'emmerdent. Il y a que l'intéressé qui fait la gueule après ça. Les autres ils ont passé un bon moment.
Il y a jean, encore jean (John, il a toujours voulu être rocker), troisième Jean, (Jane, il aurait voulu être une femme). Pas bien originaux à l'époque.
Il y en a beaucoup. Mais je m'arrête là. Ca va puer le pot pourri et la maison de retraite si je continue.
Un livre qui pue...
Il y a un jeune. Un très jeune : il est comme moi. Exactement la même année. C'est Tristan. On décompense, on pète les plombs, toujours aux mêmes moments. A croire qu'on se passe le mot. ca fait rire les infirmiers. On se retrouve à Sainte-Anne. On  a nos habitudes. On s'aime beaucoup. Moi je suis sûre de l'aimer fort fort le Tristanot. Lui, il est assez impénétrable. C'est les schizos ça. Ils vous laissent pas entrer même avec toutes les courbettes de la terre. Quand même, lui, il me parle, il me raconte. Sinon, je ne pourrais pas l'aimer. Je ne le connaîtrais pas. Moi je ne peux pas aimer quelqu'un qui en décroche pas une et avec qui je me sens bien en silence. Ca me suffit pas. C'est tout. C'est ma petite exigence. Tristan change souvent de cheveux. Comme moi de costume. Mais moi, c'était avant. J'ai arrêté. C'était l'ado. Lui, il continue de changer de cheveux : il se sent régénéré par la couleur. Ca lui tombe jusqu'aux pieds. Il dit. Et il voit la vie dans la couleur du moment. Souvent, il choisit le bleu. Et vous pensez à ... ? Oui, aux yeux du Dr Marc Martin évidemment. Le bleu c'est apaisant. Tristan se teint en bleu et il devient pas un petit bonhomme bleu hein ! Arrêtez avec ces conneries ! Un schizo c'est pas un débile. Il se sent bleu. Quand il en parle, c'est tellement beau ! Il explique bien. Il raconte toute la douceur qui se répand en lui. J'ai essayé une fois où j'étais au plus mal. Mais le coup des cheveux bleus, c'est le coup de Tristan. Chacun sa botte. Il faut trouver ce qui convient. En attendant, comme il avait été heureux de me bleuir comme il me le racontait depuis tant d'années. J'ai un peu menti sur l'effet que ça m'a fait pour pas trop le décevoir. Tristan est un ultra sensible. Comme les ultra violets. On touche et il brûle ! Il m'a crue parce que je savais quoi lui dire et qu'il attendait ça. Comme tout le monde. Schizo ou pas schizo.
Grâce à Tristan et au Dr Martin, je commence à aimer l'hôpital. Au début, j'avais peur, peur, peur. J'en avais dans de ces états. A se rouler par terre ou à ne plus tenir debout. Des loques humaines. Quel cirque ! Je voulais partir. J'étais pas autant qu'eux. Et tout le tralala habituel du malade. Les Dr ont attendu que j'ai fini ma litanie et au bout de trois quatre hospi, ils ont fini par me demander : Est-ce si détestable ici, chère Mme C..., pardon Catlin ? (Je refuse expressément qu'on m'appelle Mme C... C'est trop laid? C'est pas moi. Je ne suis que Catlin.) J'aime bien Tristan. Et je me repose ici. Plus de papiers à faire. Parce que dans ces cas-là, mon angoisse, ma pyramide insurmontable : les papiers. Déjà que Mme C... c'est impossible alors un million de papiers avec écrit dessus Mme C ceci cela. C'est un vrai supplice. Tristan, c'est Tristan qu'il n'aime pas. Il dit qu'il y a triste dedans et qu'il ne veut pas l'être. Il accepterait sans doute un prénom de schiz. Mais ça n'existe pas. On en a cherché ensemble. On a rien trouvé de propre. Il reste avec Tristan du coup. Il dit qu'au moins, ça veut dire quelque chose. Quoi que, quand il est au plus bas, il pige plus que dalle mon Tristounet. En général, il me reconnaît. Il me sourit bizarrement, avec les yeux exorbités. Pourquoi les yeux s'exorbitent quand il y a des problèmes ? C'est un mystère. On ne m'a jamais parlé des miens. Je suppose qu'il en va de même. Ou alors ils s'enfoncent ? Ce sont aussi des choses qui mystèrent à l'entrée à l'HP. On en sort les yeux en place. Tristan louche un peu. Donc, il n'a jamais vraiment les yeux en place. Il est louche, comme on dit. J'ai appris ça chez Descartes. Et visiblement, il y en a qui aime ça. Tant mieux. Tristan mérite qu'on l'aime. Il y a moi mais pas beaucoup d'autres, et d'autres pas trop fous, pas trop farfelus, c'est mieux pour l"insertion sociale". Mais le serpent se mord toujours la queue dans cette vie. Et pas dans les autres ? On verra. Tristan en tout cas est un foutu beau gosse. Le louche ne se voit presque pas. C'est parce que moi, il m'autorise à approcher. Je le regarde de près. Je me plonge dans ses yeux. Ca me calme. Je sais pas si c'est bien scientifique. C'est vérifié, je le vois. Quand on est chez Anne, tous les deux, je bois ma gorgée bleue tous les jours aux yeux de Tristan, l'ami fort. Tristan c'est l'ami le plus fort. Celui dont on peut dire "Tu es ma personne. Celle qui me convient." Il est pas question d'amour amoureux ni de sexe. C'est une âme sœur. Une famille imprévue. Et ça aide à vivre. Alors, vous comprenez bien que Saint-Anne, c'est loin d'être si dur que ça. Mais il faut connaître. C'est comme tout. Et en plus, c'est beau. C'est une belle bâtisse, des beaux murs. Des belles constructions. J'ai lu un livre sur l'architecture du monument. C'était fascinant. Et pas fou pour un sou. Tristan, avec ses yeux, plus les cheveux bleus, il peut surprendre. Il saisit. Ca prend aux tripes toute cette bleuté. On sent tout de suite que c'est l'émotion. Plus je sais pas, Tristan n'est pas du genre à tout décortiquer avec les mots.
Je reviens aux noms. Tristan, Mme C... et tout ça. Moi, je suis déjà assez emmerdée avec Catlin sans e. Le soir, tous les soirs en m'endormant, ce n'est pas le meilleur moment pour moi. Pour beaucoup, j'ai entendu. Le soir, tous les soirs, je demande si je m'appelle bien Catlin. Et pourquoi ? Je rêve à d'autres noms. Je rêve et vite Catin et Câlin me rattrapent. ces espèces d'enfoirés qui baisent et qui font un gosse, qui lui donne un nom de chiottes qui veut dire tout et son contraire. Le maquereau qui appelle sa fille comme sa mère, je l'entends tous les soirs beugler "sale catin !" il prédestine sa fille ce con-là ! Même pas puisqu'il est bourré au fond de son fauteuil et qu'il sait pas qu'il a un bébé qui chiale et tue sa mère en même temps. Quant au Câlin, c'est quand même dégueulasse de me faire ça, de me faire croire ça, que je suis en partie ça, que j'y aurais droit, que c'est un possible dans ce que je suis. c'est vraiment dégueulasse. Jackie, pour me consoler, elle m'appelait Câline. Pour me bercer. Et ça marchait et je marchais. Et elle a bien fait ma J. Mais eux, ils auraient pu dire un nom qui rime à rien, un vrai prénom qui rime à rien. Je suis pas comme Tristan qui veut que ça soit un vrai mot. Moi ça me tiraille tous les soirs dans le bide ce Catin-Câlin. Salauds. J'aurais dû m'appeler Francesca. Je suis française et c'est rigolo et voilà. Ou Noémie. Un peu original et on entend rien d'autre. Surtout pas un nom de la Bible, mon Dieu ! Catlin, non mais faudrait les faire rencontrer les imbéciles qui ont prénommé Marc Martin. Le groupe des parents aux prénoms cons. Il faudrait. Tout le monde s'en fout. C'est une erreur. Je garde ça pour moi. Tristan adore Catlin. C'est sa manière de dire qu'il m'aime je crois. Il dit que ça rebondit et que ça câline aussi. Il dit que c'est exhaustif. Tristan a de ces mots parfois.
il y a un truc qui nous fait bien rigoler tous les deux. c'est les numéros de chambre chez Anne. Lui, quand on lui parle de ses séjours là-bas, il prend un air de vampire et il dit qu'il a la chambre bleue. Il demande si les gens ont lu "L'enfant bleu" ? Il parle un peu n'importe comment. Il dit que la chambre est entièrement bleue, des pieds à la tête. Comme s'il savait pas qu'une chambre n'a ni pieds ni tête. Eux, ils se taisent devant le schiz. Il invente. Il mythonne. Il fait exprès. On tombe dans le panneau. On se tient à carreaux. C'est ça qu'ils font. Anne et les autres font pas de chambre bleue, bien sûr. Mais Tristan, il aime bien jouer au fou entier parfois. Je suis pas trop d'accord. Je trouve qu'il se plombe tout seul comme ça. Mais lui, il s'en tient les côtes de rire. Et ça marche aussi avec Régine. Moi, j'ai une autre méthode. Je dis que je tolère seulement la chambre 666 parce que je suis l'épouse de Belzébuth. J'en reste là. Et puis, les gens reculent un peu. Et puis je les rassure. Je leur dis que le plus souvent elle est prise et que j'ai la 207 ou la 106. Mais tout n'est que du flan. Il y a jamais de 666 dans un HP. Qui le sait ?

vendredi 18 septembre 2015

Korka, CROC

      Elle s'avance devant le miroir. Elle reste parfaitement immobile. Elle peut rester parfaitement immobile, plusieurs longues minutes. Elle n'est alors plus vraiment humaine. Elle est bien mieux que cela. Elle est bien solide qu'un tendre humain. Elle est de roc et de croc.
Korka relève les babines,
range les mimines,
sort les canines.
et sourit.
Finalement.
Pas trop puisque les molaires font diversion. Et elle veut que les dents pointent au bord des lèvres, tout juste à côté de la chair rose des lèvres. Elle les couperait ses lèvres si c'était possible. Si ce n'était pas le signe que tout est fini. Elle trouve les piercings et tatouages bien dérisoires. Cela semble suffire à la plupart, contenter leur âme de vampire. Vampires de pacotille. Vampires du dimanche. Elle ne rêve pas d'être un vampire, ne s'habille pas en noir à dentelle, en mini jupe et énormes Doc Martens. Elle ne met pas de rouge à lèvre violet, celui qui fait froid dans la piscine.
Korka est plus stratégique que cela. Elle aime le rose et toutes les couleurs. Elle ne se gêne pas pour les décliner. Et ça fait plaisir aux Parisiens de voir une jeune femme en couleurs. C'est avant d'avoir bien regardé les pupilles tronçonneuses. ils s'émerveillent. Parfois se retournent sur elle. Elle n'hésite pas à en faire trop. Elle s'amuse. Mais ceux qui s'attardent vraiment, qui remontent jusqu'aux yeux, ne tournent pas autour pour s'exclamer sur son énorme touffe de frisettes noires, oui, elle n'y est pour rien, ceux-là sont de rares spécimens. Des spécimens qui existèrent sans doute. Dont parfois elle aimerait davantage de preuves. elle en a par éclairs; c'est peu; Il faut s'en nourrir et attendre la prochaine fois. Peut-être que ses congénères sentent qu'il vaut mieux, pour la conservation de l'espèce, ne pas fixer cet individu-là et sourire de ses belles couleurs apparentes.
Korka, ne mange jamais de viande.
Korka, passe son temps chez le dentiste.
Korka, rit de cette ironie.
Korka a les dents blanches comme la lune dans ses plus grandes clartés.
Korka range ses canines chez le dentiste. Il ne se doute de rien. Il dit seulement qu'elle a de belles dents, bien blanches, bien redressées. Elle entend qu'il lui parle de fierté. Elle est d'accord avec lui. Elle hoche la tête. Ce sont les crocs qui font la bête.
Plus tard, beaucoup plus tard, quand elle sera vieille et pourra être piquante du menton et des mots, elle aura un dentier. Elle demandera son modèle personnel. Elle mettra de l'argent de côté pour avoir le plus beau modèle, le plus improbable peut-être, le plus pointu de l'histoire. Elle ne veut aucune courbe, aucune rondeur. Les dents sont faites pour déchirer. D'où, devant son miroir, cette question sur l'anatomie humaine qui la turlupine relativement : les dents faites pour déchirer, croquer, craquer tous les os et codes, juste derrière les douces et molles lèvres. Précisément pour contenir les ardeurs des croqueurs, des individus trop entreprenants, trop agressifs ? Précisément parce qu'on se blesse soi-même avant de blesser l'autre à croquer et qu'il faut supporter la douleur ? Tout le monde ne supporte pas la douleur. Presque personne ne supporte la vraie douleur. Rien de plus normal, me direz-vous puisque c'est l'alarme du corps. Pourtant Korka a une autre théorie sur la douleur.
Non, Korka n'est pas une sado-maso de base, qu'on trouve dans les boîtes spécialisées de la capitale. Elle pense que la douleur a des effets aussi autres que Aïe Mama mia ! Elle pense que la douleur fait penser. Qu'elle éclaire les lanternes mortes avant même la naissance. Celles que les gènes ont décidé de ne pas utiliser, faute d'énergie et de place dans le labyrinthe. Celles qui ne s'allumeront jamais d'elles-mêmes sauf sous une pression quelconque, la plus aisée à mettre en œuvre étant la douleur ou, oui peut-être aussi, l'angoisse. A mettre dans le même sac, plus ou moins, pas tout à fait. Korka est aussi pointilleuse que ses crocs. La douleur est le catalyseur de toute pensée. C'est ainsi qu'elle entend l'ascèse ou les drôles de conduites de certains.
Korka ne se scarifie pas.
Korka ne mord pas.
Korka reste sage.
Comme une image.
Korka fait dans la tête.
Peut-être un peu trop dans la tête.
Elle lit à en voir double, même avec tout l'attirail de confort. (Pas de maso débile, nous sommes d'accord). Elle lit jusqu'à en avoir la nausée. Pour être sûre d'avoir atteint la limite, le bord qui force sans aucune concession à penser ce qu'on est et pourquoi tout ça. Ce n'est pas qu'elle veut répondre à ces questions tout de suite ou qu'elle trouve cool et classe de se les poser, de se mettre en scène en sombre intellectuelle torturée. Quoique. Bref, elle veut le bord, juste avant le précipice pour s'enfoncer dans le sol, le sien et non voleter comme une pauvrette superficielle au-dessus du monde qui l'accueille.
Elle lit à en voir double.
Elle court (pas tout dans la tête tout de même, c'est une bonne chose) à s'en faire tourner les neurones.
Elle voudrait se battre, frapper de toutes ses forces. mais justement elle n'a jamais eu la force d'aller demander à se battre. Se battre pour survivre, là n'est pas la question. Tout le monde s'y colle. Se battre avec les poings et encore plus avec les pieds. Frapper de toute sa jambe dans les règles du jeu. Avoir le droit de frapper. Avoir le droit de faire mal. Accepter le retour et sourire de s'être laissée prendre. Mais c'est une rêverie que celle-là. Korka la grande croqueuse n'a jamais eu les couilles d'aller enfiler des gants et d'apprendre à cogner.

   Ce que Korka fait le mieux est moins noble mais elle s'y plaît. Elle y trouve son compte. Et la morale aux chiottes ! Korka n'a strictement aucune pitié pour les hâbleurs et autres manipulateurs. Fiers. sans complexes. Sans respect des fragilités de ses pairs. Elle les hait de toute son âme et les égorgerait si elle était une psychopathe avérée. Ce que bien heureusement pour eux, elle n'est pas.
Korka n'a pas l'air de ce qu'elle est et peut. Elle le sait et laisse s'approcher les imprudents qui ne prennent pas la précaution de vérifier les yeux. Elle sourit, doucement. Ils y croient bien sûr. Surtout les enjôleurs. Ils se disent qu'elle est déjà gagnée à leur cause. Qu'il n'y aura même aucun combat à mener; Que peut-être, ils s'ennuieront très vite avec cette jeune femme-là. Qu'elle ne se défendra sans doute pas. Ou alors en minaudant, avec le sourire alors même qu'ils la maltraitent déjà. "Ils" parce que le français y oblige. Mais "ils" c'est ils et elles, bien entendu. Aucun sexisme à opérer sur ce point. Les femmes ne sont pas plus douces ou généreuses que les hommes. Elles ont seulement appris à vivre avec l'extrême frustration d'avoir un trou à la place d'un membre. Ce ne sont pas des conneries de psychanalystes. Elle, Korka, peut jurer des heures entre ses dents, encore plus face au miroir, à penser à cette injustice que chacun trouve "naturelle". C'est la nature. Putain de conneries pour emprisonner la rage ! Donc les femmes apprennent sans en avoir le choix à contourner les problèmes. Juste une question de méthode. Certainement pas d'intention. Korka est catégorique sur ce point.
Revenons à nos moutons. Korka les laisse commencer leur tour de piste et elle est une sacrément calme spectatrice; pas un poil ne bouge. Elle est comme une poupée assise au premier rang, joliment installée. Comme il faut. Exactement comme il faut. Le numéro peut être plus ou moins long. Plus ou moins fastidieux. Certains pourraient faire rire tellement ils se ridiculisent. Mais la nausée reprend vite le dessus. Il vaut mieux ne pas bouger de son siège. Elle attend jusqu'au point final. L'artiste salue. Elle est seule bien sûr à l'admirer. Elle ne bouge toujours pas. Aucun bruit ne surgit. Rien ne se passe. Au moment où l'on espère le plus d'émotions, le silence est noir. Korka a cessé de sourire même si c'est sans doute l'instant où elle l'aimerait le plus. Elle se rattrapera ensuite. Elle se tient droite. Elle regarde l'artiste dans les yeux. Et lui, qui avait omis cet élément crucial, se décompose, pâlit, tente de garder contenance, recommence le numéro parfois, les plus pathétiques entre nous. Tout son corps et son esprit sont au fond de ses chaussures trop voyantes.
Korka se lève, déplisse sa robe, sa jupe, s'ébroue. Elle baisse la tête pour la première fois. Dans un élan de sublime compassion, elle relève son visage vers celui ou celle qui avait décidé de l'attacher. Elle lui offre un magnifique sourire aux canines acérées. Mais elle, lui, ne voient que la blancheur incandescente dans ce silence.et le dos qui disparaît par la sortie principale. Sans peur, sans honte, sans douleur. Dans la plus grande tranquillité. L'on connaît Korka et l'on pourra parler de jouissance. Mais c'est une chose qui ne se dit pas. Qu'elle ne dit pas. Qu'ils ne perçoivent pas, quoi qu'il en soit.
Pas d'applaudissements.
Pas de rires.
Aucune excitation.
La fin du monde.
Korka a assisté une fois encore à une fin du monde. Elle l'a laissé s'épanouir. C'est une toute petite fin du monde. Demain l'univers reprendra son cours. Elle ne s'en fait pas. Mais elle n'a pas cédé.
Elle,
n'a pas,
cédé.
Elle a rabattu un caquet parmi des millions.
C'est mieux que rien.
Ni le premier ni le dernier.
Elle,
n'a pas,
cédé.
Elle a un trou mais elle a des couilles. On ne doit pas dire ça ! Ooooh enfin Kor ! ce que tu peux être inélégante ! retiens-toi un peu !
elle ne fait que cela de se retenir la Kor. Sinon, un deuxième Tchernobyl. Elle trouve ça dur de toujours garder ça dans ses tripes. Elle le fait sortir par les yeux. Là où peu le soupçonne. Relativement satisfaisant. Compromis acceptable. Parfois, cela ne lui suffit plus. Alors, ou elle s'enferme à double tour, parce qu'elle a peur de toute effraction, et qu'elle doit fulminer seule le pus fort possible; elle s'agite dans tous les sens pendant tout le temps qu'il faut. Elle crie dans son oreiller. Elle injurie tous ceux qu'elle déteste ou aime trop. Elle est prête à se taper la tête contre les murs. l'oreiller pare au plus violent. Il a toujours jouer son rôle à merveille.
Korka éprouve une grande reconnaissance aux oreillers; Aux siens en particulier. Ils savent tout faire.
Quand elle ne s'enferme pas, elle sort et elle marche et court et sue, des heures dans toutes les rues, tous les quartiers, ou en rond. Ca lui est égal. Elle ne doit pas s'arrêter. Sauf pour un café, qui est bien entendu la dernière boisson conseillée dans son état. Elle veut que les idées s'embrouillent jusqu'à sentir l'existence à l'état pur. C'est angoissant. moins que de croire qu'on va mourir de rage tellement on a de merde à l'intérieur.
Dans ces cas-là, le miroir et les crocs ont beau jeu, ils ne sont d'aucune utilité. Nous en sommes à un autre niveau.

        A l'université, Korka est discrète. Pas discrète timide. Discrète laissez-moi en paix. Elle travaille vite et bien. ce qu'elle fait est le plus souvent appréciée par les enseignants. Elle en jubile sans rien en laisser voir. Elle voit qu'elle suscite même parfois leur admiration. Elle sait qu'elle est une tête. Elle sait que tout s'organise et s'écrit comme elle le veut. Tout glisse. pas toujours. Pas les jours de règles et d'angoisses. Tous les autres oui. Elle est aussi têtue. Elle cherchera jusqu'à trouver le fin mot de l'histoire. C'est sa force. Comme sa faille. Elle s'y perdra ?
Elle cherchera tout au long de sa vie. parce qu'elle sait qu'elle ne pourra se fier à aucune solution. Elle ne croira à rien, ou alors momentanément. Elle sait que c'est ainsi que vogue l'humanité. Elle avancera dans l'organisation, dans l'éclaircissement de certaines obscurités. Elle ne prétend pas se saisir des bons outils et de les appliquer à tout bout de champ. Elle pense que chaque pot a son couvercle. Et que c'est encore une frustration bien dégueulasse que fait la nature à l'homme. Peut-être le God là-haut qui joue au xylo.
Elle n'arrive pas à s'y faire. Elle fait rire, avec bienveillance, son entourage, parce qu'elle trépigne de voir toutes ces fausses solutions portées aux nues et que elle et ses comparses s'emmêlent avec leurs doutes. Elle n'arrive pas à admettre son inquiétude et celle de ses semblables, alors que d'autres pourraient se passer d'oreillers pour dormir mais pas d'œillères pour vivre, apaisés. Elle leur en veut de leur sérénité. Elle veut les faire basculer. Les faire perdre l'équilibre. les voir sentir que leur monde en une seconde s'effondre et qu'ils ne sont rien, une infime poussière qui n'a pas de sens. Elle sait que le canyon et les précipices lui appartiennent. Elle sait qu'ils peuvent s'arrondir parfois et finir par la bercer. Aussi surprenant que cela paraisse au vu de l'horreur qu'ils suscitent chez une vertigineuse. Elle continue de vouloir réveiller les yeux morts et les clowns lubriques de leur importance menteuse.

      Korka n'est pas une grande femme élancée aux boucles noires lustrées comme dans les publicités. Ce n'est pas une tigresse. Elle n'est pas fatale. Elle se colore et elle noircit des pages et les clowns stupides. Korka est comme beaucoup de gens. Elle aime des choses. Elle aime ses livres. Elle aime sa mère. Elle aime son adorable frère. Elle aime ses amis sardoniques ou silencieux. Elle aime l'art. Elle aime les oreillers.
Korka n'aime pas qu'on se foute de sa gueule.
Korka est impitoyable avec les  grandes gueules.
Korka n'hésitera pas à rugir et retrousser les babines : sa gueule est de celle qu'on ne voit qu'une fois.


 
 

mercredi 16 septembre 2015

Le monstre de nuage

Elle est assise,
sur son lit,
la tête penchée
pour la photo.
Elle a
accepté,
je ne comprends toujours pas d'où,
elle qui aurait
étranglé
tout amateur photographe.
Toujours est-il
que
elle a même
posé
pour l'occasion,
la petite salope,
la petite débile,
la pauvre fille.
Comme dans les romans
balzaciens,
zoliens,
la petite bonne
pitoyable
qui fait tout ce qu'on lui dit,
ce qui lui répugne aussi,
parce que,
sans doute,
les autres savent mieux.
Bref,
le sourire semble,
depuis toutes ces années
qu'on connaît cette
photo,
grossier.
Pourquoi n'a-t-elles sont pris l'air
bagarreur ?
Mais voyons,
parce que c'est une
faible
qui se couche avant même
le gong
de départ.
Avec sa salopette
à la Tom Sawyer,
envie de rire et
de montrer du doigt.

Je parle de cette enfant
que je ne peux
aucunement
aimer
ou respecter.
J'espère
secrètement
qu'un jour,
elle se détachera
de moi.
Je parle de cette enfant
à celui qui veut réconcilier
et qui sent ma haine.
Et je raconte
combien
elle est imbécile,
combien j'aimerais qu'elle n'ait jamais
existé.
Crevée.
Anéantie.
Comme l'avant naissance.

Puis,
soutenue,
je la mets debout,
la tête se redresse,
le cou et l'échine
restent
courbés,
les longs cheveux
se déploient.
Elle est grande,
mais elle est grasse,
joufflue,
moins naïve qu'
immobile sur le papier.

Puis,
je m'aperçois qu'elle a
peur.
Pas peur d'un contrôle
ou d'ère obligée de manger
des choux de Bruxelles.
Peur comme les fous.
C'est aujourd'hui que je me rends
compte.
Je l'avais toujours laissée
assise niaisement.
Elle se lève
et elle a peur d'être foudroyée
car
la chose se tient
derrière
elle,
couteau en main,
énorme lame sans remords,
prête à s'en-
foncer
dans
les côtes jusqu'aux poumons.
Elle ne pense pas vraiment à
mourir.
Elle pense à souffrir,
à s'étrangler,
s'étouffer,
râler,
seule.
La chose n'a pas de
visage.
Elle qui aime si peu
les histoires de fantôme,
elle pourrait dire que
c'en est un.
Je dirais que c'est un nuage
à forme humanoïde,
gros,
grand,
sans regard.
Seul se dessine
nettement
le couteau dans l'énorme
pogne.

Je ne l'avais jamais
vu.
Je l'avais ignoré.
Disant qu'elle était imbécile
de nature.
Et que j'avais dû
les vingt années suivantes
m'efforcer
à la renaturer.

Je l'aide à se retourner.
Et comme par magie,
la voilà la gogole
qui se redresse,
s'affine,
perd son sourire,
et fusille du regard
le cruel nuage.
Elle est elle,
elle est fière.
Tout a changé.
Je ne la reconnais
plus.
Elle est ce que j'aurais
voulu.
Voudrais encore.
Elle désarme la bête.
Et elle devient
enfin
la belle.

Celle que j'ai toujours
haïe,
devient mon ancêtre,
celle de qui je descends
évidemment.
Et le nœud,
cette fois,
tient dur.
Un nœud de fort marin
qui ne laissera plus
échapper
son bateau.



mercredi 9 septembre 2015

Elvire, A BASCULE

      Elvire et Lili se connaissent. Se connaissent bien. Elles sont presque sœurs. Mais, comment dire, Lili renie Elvire en son for intérieur. Lili ne veut plus être comme ça. Plus ou pas. Elle ne sait pas si, un jour, elle a réellement ressemblé à Elvire ou si elle lui ressemble encore trop, ou si Elvire est une partie d'elle-même qui patine. En tout cas, de notre point de vue, il est plus que compréhensible que Lili et Elvire se soient fréquentés et encore aujourd'hui, même moins. Voilà ! C'est ça ! Lili se sent tirée vers le bas par Elvire. Elvire la recroqueville. C'est étrange à dire mais Elvire l'empêche de se dilater. Elle se rétrécit, aux côtés d'Elvire, en forme de fœtus confortable aux yeux limpides.
      Bref, il s'agit bien d'Elvire ici. Alors parlons-en Bon Dieu ! Elvire est toujours perdue d'une manière ou d'une autre. Elle n'est pas un peu perdue, allez ça ira tu verras. D'ailleurs, personne ne lui dit ca ; tout le monde sait que c'est faux. Elle aussi pas dans des jérémiades déchirantes. Avec réalisme.Elvire est lucide. C'est pire. Donc, venons-en à cette désorientation perpétuelle. Elvire traverse la vie comme si le Nord se déplaçait sans cesse et sans stratégie intelligible. Elvire a essayé et continue de tenter de rester en place, d'attraper un repère. Elle pense souvent à la lune mais c'est idiot. Elle n'est pas plus sûre que les autres. Simplement, la lune est admise comme un peu spéciale, un peu magique. Et cela lui plait a Elvire. Elle est comme une SDF, SDF totale. Elle pourrait faire partie d'une expérience in vivo du manque total de domicile : domicile à dormir, domicile intérieur (la grotte secrète de chacun), domicile professionnelle. Mais Elvire ç 'est nulle part. N'allez pas imaginer Elvire comme une vagabonde errant de rue en rue et de ville en ville. Sans exigence. Elvire a presque l'air d'avoir une existence normale. Ce que l'on explique là d'Elvire, c'est le global, l'invisible. Elle n'est pas non lus invisible, Elvire. Sans doute moins que Lili quand elle se cache, par exemple. Parce qu'Elvire est une chercheuse. Elle renifle tout ce qui passe. Elle est recroquevillante mais pas recroquevillée. C'est de l'extérieur et surtout pour Lili qu'elle fait cet effet-là.

        Expliquons-nous mieux. Mise en situation.
Elvire est chez elle. Nous sommes le matin avant son départ au travail. Elle ouvre grand sa couette entortillée sur elle-même et la plie en bout de lit. Pour aérer, renouveler les acariens qui se multiplient dans son grand pucier. (Elvire a de l'humour. Ça fait vivre l'humour quand on n'a ni totem ni toit.) Au moment même où elle accomplit sa tâche, virage complet dans son esprit : il faut refermer le lit et le border proprement pour le retrouver accueillant, comme neuf ce soir en revenant. Eh oui ! C'est son dernier passage dans la chambre avant le départ pro. Donc elle doit l'un ou l'autre. L'un puis l'autre sont impossibles. A priori. Le deuxième geste annule le premier. Le premier a déjà été entamé. Ses mains s'arrêtent net et les bras perdus face à des injonctions contradictoires, pendouillent le long du corps d'Elvire. Cela arrive tout le temps, toute la journée.

     Autre exemple : elle travaille seule dans son bureau. Au moins, elle n'est parasitée que par elle-même. Voyant ses paralysies décuplées en présence de ses collègues, elle a fait la demande d'un bureau pour elle seule. Personne n'y a trouvé à redire, d'abord parce qu'elle est une professionnelle excellente et ensuite parce qu'on pense qu'elle a un grain et que oui oui oui le poste doit lui être adapté. Bizarrement, Elvire n'est pas bègue. Se connaissant, elle continue d'être surprise par son aisance à choisir ses mots. Le bégaiement lui aurait convenu à merveille. La nature est parfois étonnante. Lorsqu'elle écrit, il en va de même. Elle glisse sur le papier ou le clavier. Elle n'a jamais parlé de cet étonnement à personne. Mais elle sent bien que sa facilité à manier le langage surprend. L'admiration qu'elle remporte en général est d'autant plus brillante. Cela fait un bien fou ces petits moments-là.
       Donc au contraire, quand elle est là dans son bureau bien isolé, elle ferme la porte derrière elle. A clef spontanément. Et puis non parce que c'est impoli, dangereux s'il y avait urgence. Alors, elle retourne la clef dans l'autre sens dans la serrure. Puis resurgit l'inquiétude d'être surprise par un collègue trop spontané ou trop mal élevé. Elle ne ferme pas car le bruit reste dans la serrure serait suspect. Elle va s'asseoir à son bureau face à la porte. Elle lorgne la clef et la clanche. Elle n'arrête pas de lever le nez de son dossier pour vérifier.
       Vérifier : satané vocable. Vérifier, voir la vérité ? Mettre au jour la vérité ? Vérifier pour fixer la réalité ? Pouvoir s'y fier ? Flairer le danger ? Stop. Elle pourrait érailler.
Elle ne doit pas penser à vérifier.
Elle ne doit pas penser à choisir.
Pourtant, elle traverse tout le jour, parfois une partie de la nuit en vérifications à opérer et des choix à poser. Rien ne sort tout seul. Rien ne s'impose et allons-y, en avant, rapide la journée L
         L'histoire de fermer ou non le bureau à clef se finit différemment selon l'humeur et l'avenir proche. Une grande réunion, une intervention devant trois collègues, un rendez-vous avec qui que ce soit, et le bal de la clef s'allonge. Elle se relève et se rapproche de la porte. La main se tend vers la clef, ne la touche pas. Elle s'en retourne rageuse. Elle ne peut plus y toucher. Il ne fautas y toucher. Peut-être d'ailleurs qu'elle est déjà fermée cette putain de porte. Elle ne sait plus où elle en est. Il faut qu'elle en ait le cœur net. Vérifier pour une bonne raison : savoir si c'est ouvert ou fermé. Voilà une vraie bonne raison de vérifier. Elle se lève à nouveau : la porte n'est pas verrouillée. Elle prend peur. L'angoisse la prend a la gorge. Cela devient oppressant. Les sueurs roi des, les halètements, les tremblements. Elle tourne la clef et s'enferme. Elle arguera si besoin qu'elle a fermé machinalement, comme à la maison. Si on l'interroge. Qui irait lui demander des comptes ? Mais on ne sait jamais.
Jamais !
Et puis, elle fouille dans son sac pour y piocher le cachet salvateur. Parce que trembler, suer et haleter comme un bœuf devant des inconnus ou si peu croisés, il n'en est pas question. Elle respire profondément. Autant que possible. Elle en oublie la porte et la clef. Le cerveau est un foutu malin.

       Un exemple parmi d'autres. A peu près toute la vie a l'image de cette clef et la porte du bureau.  Toutes ces élucubrations demeurent internes. Pas de longs discours à quiconque. Pas même à Lili mais Lili sent ces choses-là. Et ça s'insinue. Elvire n'est pas folle et sait qu'elle sent. Elle choisit très précautionneusement ses sujets de conversation pour que rien ne puisse filtrer de ses va et vient intérieurs. D'autres n'y comprennent rien. Elle peut donc y faire référence sans filtre ou presque et ils n'y voient que du feu. Elle se sent un peu plus libre et cela élargit la palette des discussions possibles. Parce qu'Elvire s'intéresse à tout, justement, à tout... et ne veut pas passer pour une idiote. Elle est cultivée et ne demande qu'à apprendre et échanger. Les biens dans leur peau sont les meilleurs pour cela. Ils ne perçoivent rien des flux et reflux. Parce qu'elle l'avoue Elvire, elle va et vient, vire à droite arrière gauche oblique même dans la conversation. Quand il s'agit de culture, et ème gens d'une grande incompétence humaine, elle a l'air passionnée et enthousiaste. Les autres, les sensibles, la trouvent vite tatillon, indécise et fouillis. Elle les agace et ils s'en détournent. Elle a donc développé un radar à Sensibles. Pour savoir qui elle agacera et qui elle intéressera ou fera rire même. Parce qu'il y en a qui rient, sans se moquer hein ! Ils rient de sa profusion, de toutes ses directions qu'elle peut emprunter, cette immense variété qu'ils n'avaient pas forcément prévue, et qu'elle essaye, qu'elle se tienne sur le pas de chaque porte, à la croisée de tous les chemins qu'elle évoque sans radinerie. Donc, il y a bien ceux qu'elle fait tiquer et qui l'a sentent a la dérive ; pas nette. Et ceux auxquels elle ouvre des horizons. Comme quoi le handicap n'est qu'un point de vue parmi d'autres.

      Et puis, il y a le téléphone. Décrocher, qu'elle que soit le sens, qu'elle soit l'appela te ou l'appelée. Décrocher... Souvent. Très souvent. Presque toujours. A chaque fois. Elvire empoigne le combiné (il lui faut donc un engin relativement grand. Pas d'ultra moderne riquiqui. Elle en resterait pétrifiée à ne plus s'en approcher. Or, elle doit téléphoner.) Bref, vous avez bien saisi le topo. "Je décroche. Oh non ! Mais si ! Peux paaaas ! Il le faut ! Ici, travail. Pas d'états d'âme. Non, sais pas quoi diiiiire ! Sais pas qui c'eeeeest ! Non nooooon ! " Comme dirait Lili, et ça école ce, à droite, à gauche, droite, gauche, à n'en plus finir. Là, il n'y a pas d'horizon. Mais on est dans un problème du terrain. Quand le sujet s'élève et devient plus intellectuel, les hésitations peuvent élargir le spectre des possibles.

       Elvire est une belle femme. Une très belle femme. Elle voudrait être autre. Non pas qu'elle ait à s'en plaindre. Cela lui a servi, combien de fois ! Mais cela ne lui correspond absolument pas. Remarquez que c'est à l'image des injonctions contradictoires qui la tiraillent. Remarquez aussi que tout cela lui impose des exercices physiques quotidiens et fréquents. Elle a des muscles en pleine forme. Prêts à l'effort, surtout répété.
         Elvire est une belle femme, une très belle femme. Elle se sourit dans la glace quand elle s'y croise. Elle aime ce sourire trop rare. Une enveloppe extérieure d'une harmonie refaite et un intérieur bruyant, au stroboscope, boîte de nuit chaotique, camée.
          Elle ne le veut pas mais elle croit avoir compris quelque chose récemment : elle cultive son ambiguïté. Elle refuse de n'être que chaotique. Alors elle soigne l'enveloppe douce et attitré.
        Ceux qui savent les va-et-vient, flux et reflux sont parfois séduits, une seconde, pris au piège de la parfaite symétrie de son visage et de la finesse de tout son corps. Ce sont les jours de fatigue. Vraiment cela dure une seconde. Elle voit en un éclair leurs yeux s'éteindre. Ils se rappellent qu'elle est cinglée.

Elvire
change
et varie
alterne
et tangue
croit choisir
et s'être trompée.
Mais elle ne choisit
jamais
rien.
Elvire fait presque chavirer sa propre embarcation pour ne s'installer nulle part, dans aucune voie.
Ni voie ni voix.
Toutes les voies, toutes les voix.
Elle veut tout puis plus rien, qu'on lui ordonne et elle obéira. Mais non puisqu'elle sera sûre qu'une solution n'en est pas une puisqu'elle est seule et évince toutes les autres.

    Rien, absolument rien n'est sciemment révolutionnaire chez Elvire. Pourtant elle renverse tous les équilibres. Elle en pâtit la première. Mais elle comprendra un jour qu'en s'entourant des bons, elle funambule ta aussi belle qu'elle parait. Elvire porte son fardeau qu'elle saura sans doute muer en esprit brillant, visionnaire car tout est possible. Son esprit envisage tout. Toutes les couleurs, toutes les métamorphoses, tous les visages. Elle ne fait pas exprès mais les principes et usages glissent sur elle. Ce qui ancre les plus adaptés à leur environnement, langue, culture, traditions, famille et savoirs, rebondissent sur sa belle armure de femme à prendre. Sauf, le savoir, le vrai savoir, entendons-nous bien, celui qui n'existe pas encore.

       Mais tout cela, ce sont des plans sur la comète. Elvire pour l'instant chavire et se noie a chaque pas. On dirait presque qu'elle fait exprès. Elle-même le pense quand elle s'agace trop, au point de cogner les murs. Les autres bien sûr, quand ils sont pressés surtout. Tout cela donc, ce sont des plans sur la comète parce que nous savons vous et moi, avec tous ces éléments qu'Elvire réussira à apprivoiser ses doutes, qu'elle, même, réussira à les utiliser, comme nous en parlions ci-dessus. Elvire virevoltera et cessera de chavirer. Ses hésitations, ses gorges serrées auront des ailes qui vont parfois plus loin que toutes les certitudes et les confiances aveugles. Il faut le lui dire. Il faut la prévenir que ce ne sera jamais pire. Qu'elle est seulement encore trop jeune. Toi, le père ! Toi le frère ! Vous qui en savez quelque chose ! Dites-lui que vous en faites aujourd'hui votre miel. Aussi. Parce qu'elle en perd courage parfois. Souvent.
Et pleure.

     Elvire a été une belle enfant sage. Comme une image. Elle pressentait que bouger d'elle-même impliquerait de terribles épreuves. Elle n'opérait aucun mouvement inutile. Elle parlait très peu et de temps en temps goulûment. Un torrent une fois par mois. Sans raison bien valable. Cela faisait bien rire tout le monde en tout cas. Un rire de vie pleine et sautillante.
     A l'école, elle a réussi comme prévu, comme attendu aussi. Elle a vite compris qu'elle pourrait mieux s'avancer dans la vie si elle se mettait l'école dans la poche. Et a l'école, on lui a dit : "tu as raison Elvire, voilà la réponse mais celle-ci convient aussi. Et si tu avais fait comme cela, c'était également juste." Elle était moins comme une image à l'école. Avec les professeurs. Pas avec les copains, collègues, devrait-elle dire. Elle essayait, elle avait moins peur de se tromper parce qu'on disait que se tromper, c'était une manière de comprendre. Avec ses pairs, elle n'a pas su y faire. Elle a attendu parce qu'on lui a dit "Tu verras, en grandissant, tu trouveras des gens qui te ressemblent. Tu es trop mûre pour ton âge, c'est pour ça." C'est ce que les adultes aiment à penser. C'est une idée idiote, encore une fois. Elvire a beau été adulte aujourd'hui, elle pense qu'elle était très immature pour son âge et presque même handicapée. Et qu'en grandissant, les handicapés se cachent moins, ont moins honte, sont moins moqués et se retrouvent. A son avis, le monde est dirigé par des handicapés qui ont haï la cour de récréation et les sorties de classe, qui se sont tous retrouvés à Sciences Po, au MIT et autres institutions internationales. Si elle pousse le bouchon, Elvire dit que le monde est régi par des moutons noirs déguisés. Il faudrait les voir devant la glace, sous la douche ou à table en famille. Mais ce sont des choses dont on ne parle pas pour préserver peut-être le secret du Clan des moutons noirs. Les vrais gens normaux sont d'illustres inconnus. Et ce, grâce au fait qu'ils sont normaux. Après, y a-t-il une échelle a degrés du type, plus vous êtes célèbre, plus vous êtes hors norme ? Elvire ne dit pas non. Enfin, tout cela ne se débat pas en soirée. Juste entre amies, sœurs choisies, sœurs galeuses. Elvire a une chance, une formidable chance : elle a trouvé celle qui l'a suivra jusqu'à la mort. Elle sait que quoi qu'il arrive de son existence, il y aura Vera pour l'entendre et la rattraper, la relever, ou simplement pour lui dire combien elle l'aime et ce que le monde est joli parfois. Avec Vera, Elvire parle à bâtons rompus. Elle lui raconte ses pas en avant en arrière, ses danses de folle pour apaiser les Demons du doute. Vera rit et rit. Et elle aussi elle raconte ses aventures abracadabrantes, impossibles et pourtant. Et Elvire en fait des Oh et des Ah et s'en rappelle quand elle s'endort seule dans son lit et qu'elle se dit qu'un jour, elle ne pourra plus même penser qu'elle pense, plus dire je, plus sentir rien de rien, puisqu'elle ne sera plus. Le visage et la voix de Vera et ses histoires la sortent de ses brumes funestes. Elle sourit, parfois même rit, seule dans son lit qui redevient douillet. Elle l'appellera demain. Ce n'est presque pas la peine. Vera est déjà presque toujours juste à côté, toutes les heures de la vie

     Après, et encore, il y a la grande question des relations amoureuses.
Qui choisir ?
Pourquoi ?
Quand ?
Où ?
Comment ?
Garçon ?
Pourquoi pas fille ?
Plus vieux ?
Plus jeune ?
Elle ne fait jamais rien. Elle ne s'engage dans rien parce qu'elle voudrait tout essayer. Elvire, comme tous les grands douteux, est parfaitement mégalomane. Les psys diraient qu'elle n'a pas renoncé à sa tout-puissance infantile. Qui ressemblait plutôt à une parfaite impuissance. Mais donc oui, Elvire veut
tout voir,
tout sentir,
tout tenter.
Voyager partout.
Parler toutes les langues. Aimer tout.
Détester aussi.
S'en contefoutre.
Tout explorer.
Tout connaître.
Baiser avec le monde entier.
Tout jouir.
Tout souffrir.
Peut-être après tout cela, tout contrôler...

      En attendant, Elvire nage encore trop souvent dans le calvaire de la clef de la porte du bureau et le dilemme du téléphone.

lundi 7 septembre 2015

Alma, A DEUX MAINS

Alma la tendre. Elle roucoule comme elle respire. Elle s'empêche pour rester correcte mais elle en prendrait les gens dans ses bras et mains. Même des inconnus. Surtout des inconnus d'ailleurs. Souvent l'envahit cette douce envie de serrer celui-ci ou celle-là. Elle ne le fait pas. Ca ne se fait pas. Elle le comprend. Elle le déplore. Elle pourrait dire que peu importe, quitte à passer pour une attardée des années 70. Mais elle n'a pas ce cran. Elle n'a pas toute cette énergie à dépenser pour cela, aussi. Alma n'est pas une aventurière. Elle n'a pas d'âme de pirate. Elle est bien calée dans ses baskets. Et elle a l'âme tendre qui caresse.
   Elle est allée aux Etats-Unis il y a quelques années. Dans une soirée, dans un bar, une boîte, on se prend dans les bras. Et hop ! Un hug par-là, un hug par-ci ! Sa poitrine en était toute chamboulée. Elle est sensible des bronches et de tout ce qui respire, Alma. La peau, l'esprit, la langue. Tout.
     Du coup, Alma se contient. Elle ne le prend pas comme une usurpation injuste imposée par une société tyrannique. Non non . Alma reste calme. Elle exprime ses envies de câliner le monde autrement qu'en ouvrant grand les bras, les mains. Encore moins les jambes. D'ailleurs, ces deux choses-là n'ont pas nécessairement à voir. Même si on dit que gnagnagna... D'expérience, elle dit que pas nécessairement. Ça fait penser à cette jolie histoire qu'elle a vécue avec l'immense Boris.

    "Boris à l'immense voix caverneuse, chanteur d'opéra, envelopper né. Ses bras étaient tout aussi immenses que le reste. Alma l'a vu et elle a été aimantée par son double viril. Elle s'est laissée aller dans ce paradis de l'embrasser. Elle s'est lovée en lui avec volupté. Il l'a aimée de tout son cœur. Ils ont fait l'amour. Il l'a tenue et bercée, comme aucun ni aucune autre. Comme jamais personne ne pourra à nouveau. Elle a aimé ces instants-là aussi intensément qu'elle les savait uniques. Mais elle n'a pas ouvert ses bras. Elle n'a pas livré sa tendresse à l'immense Boris. La sienne à lui était trop grande. Elle passait ses bords à elle. Pourtant, elle croyait qu'elle était dans la catégorie des géants, déjà elle. Ce n'était sans doute pas une question de dimension ou de thermomètre. Elle a senti que non.  Elle a fait l'œuf. Et il a cru qu'elle éclorrait. Et puis il a compris que non. Il lui faisait l'amour. Elle jouissait. Mais elle ne faisait pas l'amour. Elle baisait. Boris le grand chanteur de Sibérie a dit qu'il se sentait encore plus seul quand il était avec elle. Que son contact finirait par le brûler vif, bien plus que son froid natal. Ses yeux bleus bridés étaient dévastés, sans amertume. Et il est parti."

      Alors, Alma oui elle sait bien que les choses sont bien plus compliquées qu'on ne le voudrait. Quand les gens l'agace trop avec leur théorie du Pas de sexe sans amour (elle s'agace fort parfois Alma, sans bruit mais ca tranche net), elle leur rétorque que son Boris etait immensément bon baliseur et câlineur, qu'elle a adoré ca, que peut-être jamais elle ne le retrouverait mais qu'elle n'avait aucun amour à lui offrir, qu'elle baisait sans aimer si c'est plus clair dit comme ça. C'est arrivé quelques rares fois qu'elle en arrive à ces mots.
   
      A défaut d'un homme, Alma a trouvé un métier à sa mesure exacte. Elle est kinésithérapeute. Elle aurait pu aussi être comptable. Elle aurait aussi adoré. Aussi étonnant que cela paraisse. Elle ne se l'explique pas. Cela n'a strictement aucune importance pour elle, d'ailleurs. Aujourd'hui, elle pense quand même, qu'au lieu d'endiguer ses désirs d'embrasser, la comptabilité l'aurait peut-être trop contrainte. Ou elle aurait trouvé une autre échappatoire. Elle n'en sait foutre rien. Elle a posément opté pour la kiné et son projet, ce qu'elle savait fait pour elles, c'étaient les nourrissons. Et les vieux. C'est sans méchanceté qu'elle les appelle comme cela. Bien au contraire. Elle aime les tout fripés, de naître ou de mourir, qui appellent les bras et mains. Qui en ont un besoin vital pour poursuivre leur route de vie. Pour peu ou beaucoup d'années. Quand toucher fait vivre un peu plus longtemps, un peu mieux. Ou beaucoup. Ses mains sont d'or. Alma porte des gants. Pour être plus polie, mieux policée. Au travail, bien sûr, elle est a mains nues. Le sens s'en perdrait sans cela.

       Alma est de ceux qui, à moins de pêcher leur solution idoine, se meurent de tendresse pour le monde. Non pas qu'ils soient naïfs. Mais c'est en eux comme d'autres ont les genoux cagneux ou le blues au crépuscule. Chacun ses rues et astuces. Alma a transformé sa tendresse, elle en a fait un soin. Un soin au sens premier du terme. Le soin qui prend l'être et le pourrit. Elle ne se targue pas de guérir qui que ce soit. Elle aide à pousser.
      Alma n'est pas illuminée. Elle est, en revanche, lucide. Elle se connaît. Elle n'a pas peur de savoir ce qu'elle sait faire. Elle est calme. Elle est tranquille dans son univers. Elle a des colères, comme tous. Comme celle de tout à l'heure sur Amour = Sexe et vice-versa. Elle a des creux de vagues comme tous. Elle s'adresse alors à ceux qui s'y prennent encore le mieux quand un humain solide et franc perd de sa superbe. Elle se tourne vers ses animaux. Elle leur parle et leur demande une embrassade. La société des animaux est celle des énormément tendres ou énormément faibles. La encore sans aucun jugement de valeur. Certains naissent, malgré le combat que représente le simple fait de naître, plus faibles, moins remplis, moins bien organisés. C'est comme ça. Les animaux savent toujours quoi faire et dire. Ils acceptent la loi de la nature. A croire que les hommes gagneraient à avoir de vraies belles moustaches aux mains, aux pieds et aux oreilles. Ca semble rendre intelligent.

    Alma est de ceux qui ne savent rien faire. Apparemment rien. Elle s'installe dans un café, de préférence en terrasse puisqu'elle n'a jamais froid. Elle commande un petit café noir, rien d'autre, sans sucre, sans lait. Il n'y en a pas besoin. Et elle regarde passer les gens, discuter, rire, pleurer. Elle joue à savoir qui est qui,

qui est celui qui volète au-dessus du sol sans jamais poser pied à terre, qui doit battre des ailes et qui ne peut donc enlacer personne ni d'ailleurs se laisser toucher. Il est très impliqué dans la société celui-ci mais le jour où rien ne va plus, il se casse les deux chevilles en tombant à terre, les bras ballants trop lourds et engourdis de toutes ces années à gigoter ;
qui est celui qui voudrait bien, qui ouvre les mains, à distance encore, puis qui les recache sous son gros manteau mais qui ne peut s'empêcher de les ressortir pour essayer encore de caresser ou de se faire caresser ;

qui est celui qui, sans savoir pourquoi, comme un bipolaire, parfois ouvre grand ses bras et ses mains, accueille et serre de toutes ses forces, puis se replie durement, glacial et les yeux sur le nombril, mains aux aisselle, indéboulonnables ;

qui est celui qui comme elle, trépigne de serrer dans ses tendres bras et ne s'y contrôle Pass, qui choisit (le choisit-il vraiment ?) d passer pour extravagant car il s'avance tout au près de ceux qui l'attirent, dont il intuitionne le besoin, et il attrape quelque chose d'eux, dans ses bras et ses mains ;

qui est celui qui voudrait et pourrait, qui y a touché mais n'a pas supporté les refus et rejets, qui n'a pas compris que c'était la fragilité de l'autre et non sa force, qui s'est recroquevillé, qui aurait bien tranché ses membres supérieurs, et qui, le lus souvent, n'a plus qu'un semblant d'ongles aux doigts tant il les ronge ;

qui est celui qui, comme elle, a appris à faire avec ce désir, un regard pour se reconnaître mais pas davantage, cela ferait des étincelles.

      Il faut parler des mains d'Alma. On en a vaguement parlé pour son travail et avec ou sans gants. Alma pense que la plupart de ses congénères négligent leurs mains. Non pas qu'ils devraient les décorer, quoi que... Certaines cultures n'oublient pas que c'est avec les mains que nous accédons au monde, en tout premier lieu. Aux autres. A absolument tout. Ce ne sont pas les mots. Alma ne le croit pas. Sans les mains, les mots ne valent rien. Pour se rende compte de l'importance des mains, Alma dit qu'il faut être prêt à fermer les yeux. Les clore hermétiquement. Voilà déjà tout un cheminement que peu engagent. Alma n'a les mains de personne d'ailleurs. Tout comme Iraz, elle ignore de qui elle descend pour et élément précis. Elle ne roule pas son géniteur. Non pas son géniteur, sa génitrice généraux. Ceux-là, elle les connaît et même, ils l'ont élevée. Toutes n'ont pas cette chance. Mais les mains ! D'où sortent-elles ces sacrées mains ? Des mains de chamane, des mains qui parlent mieux que la tête souvent. La tête est une bonne chose. Alma n'est pas contre. Elle n'est pas pour tout effacer du cerveau du XXeme siècle. Il y en a qui sont contre et qui voudraient soutenir une descente là-haut pour que l'homme moderne retrouve ses racines et tout le tralala de la nature oubliée. Elle se moque un peu c'est vrai par ce qu'elle l'aime bien le cerveau de la raison, Alma. Elle ne fait pas sans, même si elle ne fait pas toujours avec. Elle est pour un équilibre des organes. Et que la nature n'a rien à voir là-dedans. Ce n'est pas un problème de dénaturation, déliquescence de l'homme qui devient robot. Non, elle récuse ces sornettes-là. Elle aime réfléchir et sentir les neurones s'affairer. Cela ne l'empêche pas d'aimer être reptilienne parfois. Mais pas à temps plein. Et, je vous arrête tout de suite, le travail des mains d'Alma n'est pas reptilien ! Certainement pas. Les mains sont intuitives et Alma se refuse à fusionner reptilien et intuitif. Ce qu'à son sens font la plupart des gens.

     Alma ne reste pas dans son canapé à admirer ses mains pendant que la vie tourne autour d'elle. Elle sait que les mains peuvent transmettre des choses. Ce sont des messagères. Chaque parcelle de chaque main veut dire quelque chose et elle y prête une toute particulière attention. Dès qu'il se passe quelque chose, ses mains ou l'une d'entre elles le lui disent.
Cela peut être un minuscule point de douleur sur un doigt dans la paume même.
Cela peut être comme un courant électrique du bout des doigts jusqu'à la vertèbre ; un flash.
Cela peut être-là sensation d'un ongle qui se décolle.
Cela peut faire tressaillir tous les doigts.
Cela peut creuser plus profond les lignes déjà bien entaillées dans la main d'Alma.
Cela peut serrer le poing à enfoncer les ongles (courts fort heureusement) dans le cœur de la paume.

Parce que oui, c'est parfaitement ridicule à expliquer comme cela, à froid et sans image à l'appui mais Alma détient une particularité physique rarissime, même unique aux dires de certains grands professeurs : les lignes de sa main forment un cœur. Vous allez dire "histoire d'écrivain qui veut rajouter du magique à son personnage, un peu de piment et les violons qui couinent en même temps ; nous lecteurs, on ne nous aura pas avec ces attrape-nigauds gros comme une maison. Mais c'est pourtant la stricte vérité. Libre à vous, chacun en son âme et conscience d'accepter Alma telle qu'elle est réellement ou pas. Voici le travail du lecteur qui ne me concerne plus. Bien sur que je défendrai mes personnages bec et ongles. Surtout Alma.
Surtout Alma.
Alma, vous en avez une part chez vous, à n'en pas douter, et elle fait en aitre des cendres. Elle a mis au jour mon notre pouvoir de phoenix. Elle est de ces sorcières modernes, qu'elles aussi, bien que sans poireau ni nez crochu, se cachent. Ne pas s'exhiber. Ne pas s'expliquer. En ces temps scientifiques en tableaux, Alma pressent et se tait. Elle s'en fiche.
Elle s'en contrefiche.
C'est toujours mieux d'avoir à se taire que d'avoir à s'expliquer. Elle s'en fatigue rien qu'à y penser.

Cela peut aussi comme tracer toutes les rides de la peau, tous les infimes losanges et deltas de la peau. Comme si elle pouvait se craqueler et éclater comme du verre en mille millions de morceaux.

Cela peut faire sentir grossir grossir, comme la grenouille plus que le bœuf, les articulations, rien n'apparaît et Alma a l'impression d'avoir des œufs à la base des doigts et entre les phalanges,

Cela peut être la sensation d'un doigt en plus, de deux en moins.

Etc.

Les interprétations, Alma les maîtrise sur le bout des doigts. Toute la tendresse est là.

     Quand elle vous parle, c'est les yeux dans les yeux. Elle ne vous sautera au cou que si vous-même êtes un expansif. Mais elle ne retiendra pas ses yeux. Autant elle met des gants, des moufles parfois, autant elle laisse toute liberté aux yeux. Elle a un frère qui ne supporte pas ses œillades comme il les appelle. Les regards d'Alma n'ont rien d'aguicheur mais Pierre ne supporte pas qu'on le scrute. Il dit qu'elle a l'air d'une folle quand elle regarde les gens. Elle rit. Le petit frère est un peureux. Il ne faut pas qu'il se dévoile et encore moins qu'on le dévoile. Alors il craint la grande soeur ogresse mangeuse de secrets. Il est encore plus agacé quand il voit Alma sourire. Pierre sait qu'il est le plus fort des deux. Il a les mains sous la table ou derrière le dos ou dans les poches. Il se tient droit et le nez vainqueur. Allez savoir pourquoi le nez... Il y tient. On ne doit pas non plus l'interroger là-dessus. Il trouve que cela n'a pas lieu d'être.
Bien sûr que je prends parti pour Alma. Elle n'en a pas besoin, elle sait très bien se défendre seule. Mais j'ai le droit d'avoir mes préférences aussi. Pierre est comme tous ces gens gris du métro parisien qui ne bougent pas dUn poil quand. Il voit une jeune femme en train de se faire chercher par un vieux dégueulasse qui voudrait se frotter à elle.

La Maman d'Alma, c'est une femme du Sud. Elle est espagnole. C'est pour cela qu'Alma s'appelle Alma. Elle a fait ses enfants toute seule. C'est ce qu'elle dit. C'est faux. Elle aime à être une femme forte. Elle dit que ça aide les enfants à se sentir aussi forts. Pourquoi pas... Le papa, on n'en parle pas trop. Alma a trop senti ses mains sur elle. Elle ne veut plus en parler, elle veut l'entendre le moins possible. Le papa n'a pas les mains qui deviennent et qui réparent. Il a les mains baladeuses, les mains qui collent à tout ce qu'elles peuvent attraper et tenir sous leur joug. Alma tient en quelque sorte son pouvoir de lui, vous me direz. Elle vit mieux en pensant qu'un aïeul ou une lui a légué discrètement à travers les corps de plusieurs générations des bras ouverts. Le papa a les bras qui se referment comme des pinces. Pierre a choisi de ne plus jamais sortir les siennes. De peur qu'elles collent elles aussi ? Parce qu'ils ont les mêmes gènes ? Ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Peut-être oui. En tout cas, lui aussi emploie les grands moyens pour que ses mains soient dignes. La Maman espagnole, qu'en sait-elle de tout cela ? Sans doute que son père aussi collait des mains. C'est ce que pense Alma.

      Quand elle est née, Alma justement était toute fraîche, dit la Maman. Toute propre. Et elle est arrivée en plongeant : les mains les premières. Alma ne se fait pas d'illusions, elle sait que c'est une légende... Mais comme elle a envie d'y croire ! Ce nourrisson qui tend les bras avant tout, qui a tellement envie de vivre. Peut-être que la Maman et la Mémé ont inventé ça pour conjurer le sort. Pour d'emblée rendre ses mains magiques à elle la première née, si fragile encore. En danger de mains.

        Quand elle est née, Alma était légère comme une plume et belle comme l'idée qu'en avait la Maman. Elle a cru accoucher de son esprit, du bébé qu'elle avait dans sa propre tête. Comme s'il avait lu en elle. Elle s'est dit : "voilà  un être fait de mes plus belles images." Aussi, Alma a crié mais il se raconte que dans son cri, le souffle était celui d'un autre monde.
Alma en prend et en laisse. Mais elle aime cette histoire. C'est grâce à elle qu'elle tient solidement debout. Pierre n'a pas eu d'aussi belles histoires, bien au contraire. Alma fait taire la Maman qui continue de raconter la souffrance de cette deuxième naissance. Elle est obligée de la faire pleurer, de se mettre en colère, décrier. Parce que la Maman ne peut pas s'empêcher de raconter. Si elle raconte l'une, elle racontera l'autre. Et Pierre écoute avidement l'histoire d'Alma mais il gémit de douleur quand vient son tour. Il gémit comme un homme renfrogné. Toute sa grande carcasse se ferme et ses yeux tombent. Il blêmit. On dirait qu'il va disparaître. Alma ne peut pas laisser faire ça. Elle réprimande une nouvelle fois la Maman. Elle prend doucement le bras de Pierre, qui se laisse faire. Elle l'apaise. Et le soir en partant, elle le prendra dans ses bras, furtivement, pour qu'il n'y ait pas de malaise. Et il aura attendu tout le dîner pour ce pansement fraternel.
Tout cela se fait sans mots et sans regards. Seulement les bras et les mains.

En fait, même si Alma n'en parlera pas, c'est ici que se joue la comptabilité. Elle ne veut pas savoir pourquoi la compta ou pas. Elle ne cherche pas. Mais c'est parce qu'elle sait déjà. Les chiffres lui ont sauvé la mise quand les mains s'affairaient trop sur elle, en elle. Les chiffres paralysaient les mains. Elle comptait dans sa tête. Elle oubliait quand elle s'adonnait aux chiffres et à leur rectitude.
Parfois, les mains la laissaient tranquille, sans raison, quelques jours. Et, comme par enchantement, elle se mettait à lire, à rêver avec les mots. Puis revenaient les vicieuses et elle s'en retournait dans la grotte arithmétique. Elle était sérieusement douée.
Après le Bac, Alma est partie près des études et loin des mains. Mais le papa n'hésitait pas à passer ses mains de temps à autre par chez elle. Elle retombait puis reprenait pied. Puis de mieux en mieux parce qu'elle a su renverser l'arme dans son sens. Les mains hideuses et néfastes sont devenues ses meilleures alliées. Elle a appris à masser, rouler, apaiser, dévier la trajectoire, une des trajectoires indiquées par l'ascendance. C'est l'histoire et le nom qui l'ont sauvée peut-être. Elle n'ira pas chez le psy pour connaître les tenants et aboutissants exacts de sa situation. Elle a trouvé sa solution. Alma, sans vaine prétention, est fière d'avoir réussi. Elle n'aime l'expression s'en sortir. Elle n'est sortie de rien à part du genre de sa mère et de la grotte arithmétique.  Elle a joué et elle a gagné.
Jeu de mains, jeu de vilain ? Jeu de mains, je demain. Et en avant !