samedi 28 février 2015

Courte et noire

            Elle entend la porte se refermer derrière elle. La porte qu’elle connaît par cœur et qui rebondit à peine mais quand même, tout doucement sur la mousse prévue à cet effet. Ce bruit sourd et claquant à la fois.
Elle est sous le porche et elle s’apprête à.
Elle lisse sa jupe. Courte.
Elle a les poubelles tout juste à côté d’elle, à sa gauche. Elle lisse sa jupe. Courte. Elle la lisse encore plus parce que les poubelles lorgnent.
Elle a froid mais elle ne le sent presque pas.
Elle lève les yeux. La jupe est en ordre. Elle observe la rue. Les grands lampadaires. On dirait des dinosaures congelés auxquels on a coupé les pattes et les ailes.
Rien n’est impossible.
Elle pourrait être une longue métamorphose de ptérodactyle. Un immense blase pour signifier le bec. Les crocs ont disparu au fil des siècles. Elle est inoffensive.
L’immense blase qui pointe vers l’avenir. Elle a rêvé combien de fois qu’il s’avère rétractile.
Pas ce soir.
Elle a chaussé sa jupe. Courte. Noire. Elle est sur le pas de l’immeuble. Elle s’installe.
Elle sent la porte derrière elle. Elle ne bouge plus d’un fil. Elle pourrait s’y appuyer si elle voulait. Mais elle ne veut plus.
Elle a pour la première fois hors les murs la jupe. Courte et noire.
Elle a fini avec les lampadaires préhistoriques. Elle revient à elle.
Elle ne connaît pas ses jambes en collant. Elle en a mis un satiné. Un beau et doux. Peut-être pour qu’on la caresse.
Ses jambes ne lui disent rien. Ni bien ni mal. Elles tiennent la route. Elles ressemblent à ce qu’on attend d’elles.
Les chaussures méritent qu’elle s’y arrête un instant. Elle les a d’aujourd’hui. De quelques heures. Elle les a prises comme elle les a toujours voulues. Elle s’est fait aimanter dans le magasin. Elle s’est approchée d’elles. Le reste s’est déroulé en automate.
Les chaussures vernies.
Une fois rentrée, elle les a câlinés.
Elle avait déjà changé de cap.
Elle remue tranquillement les orteils dans les nouvelles chaussures. Vernies. Elles brillent même dans la nuit. Elle leur sourit. Elle relève la tête et se sourit.
Les poubelles n’ont pas bougé.
La porte est muette.
Le monde se tait.
Elle est au bord. Sur le plongeoir. Aucun vertige ne la saisit.
Elle avance d’un pas. Celui qui la dégage du porche. Il ne pleut pas.
Elle pivote et fait face à la porte. Elle lève encore les yeux. Elle observe sa fenêtre. La cuisine. Le carrelage. Le frigo. Les glouglous.
Elle vit là depuis trois cents ans.
Que le temps passe lentement !
Derrière la cuisine, elle se rappelle la chambre. Grise. Impeccable. Belle. Belle comme au magasin. La chambre où elle se glisse le soir. Dès la nuit tombée. Où elle s’enroule. Comme le renard en tanière.
Elle ferme les yeux. La tête en l’air.
Elle n’a jamais fait ça.
Ca donne envie de tourner. Comme dans les tasses volantes d’Eurodisney.
D’écarter les bras pour retrouver les ailes. Et sentir l’air. Le souffle. De la nuit. Et de la route. Les poubelles ne bougent pas.
Elle ne vole pas encore.
Le jour viendra.
Elle ne recule pas sous le porche. Elle revient habilement à sa position de départ. Juste un pas plus avant. Quelques gouttes sur sa tête. Ses boucles vont rebondir plus intrépides. Elle aura les cheveux qu’on regarde en passant.
Elle s’est lentement maquillée. Tout à l’heure.
Elle a tout fait en ralenti. Pour tout sentir. Pour ne plus rien effleurer. Pour toucher à pleines mains.
Elle a courbé ses cils. Affirmé ses sourcils trop clairs. Elle a rosi les joues. Assombri les paupières. Elle a pris tout son temps.
Elle serre les bras au corps. Les pieds l’un contre l’autre. Brillants. Elle se tient droite. Très droite. Elle claque la langue. Hausse le menton. Rit sous cape.
Elle se tourne vers les poubelles ; elle jette ses clefs dans celle qui ouvre le bec.
Elle s’avance jusqu’au trottoir. Et se met à dévaler la côte jusqu’à la ville et toutes ses fêtes. Elle va danser. Elle ne reviendra pas
Et elle ira derrière la ville aussi.

Ce matin, le père est mort. Le ventre est lisse comme une mer d’huile. Le bébé cage, le bébé fou s’en est allé.
La vie commence enfin. A toute allure.

La fille plante


Les rouages se sont tous mis en branle. La vie commence ici.
Ce que je laisse derrière moi est une immonde gestation. Et elle est révolue. Dans mon éternité.
Aujourd’hui, 23 Août, je plante la première graine, la flamboyante, d’une véritable vie. Je relève la tête, celle qui s’est toujours courbée ; ou rentrée. (Tout est question de rotation).
J’ai cessé de rouler sur moi-même. J’ai déplié le désir.
J’ai assassiné dents serrées toute bonhomie et appétit. Suis devenue une plante.
Fermement dans le sol.
Et les racines ont découvert la carte.
La carte de mon territoire. Le réseau inespéré des droits et libertés. La clandestine. L’arbre à l’envers, l’arbre en terre de toutes mes hypothèses. Mon arbre en négatif.
Moi la fille changée en plante.
Mes immenses horizons cachés dans l’arbre de terre. Je me suis tenue encore plus droite, toujours plus claire. J’ai alors chéri mon trésor. Mais ne m’en suis pas satisfaite. J’ai décidé de me hisser jusqu’au haut des racines au ciel.
L’immense résolution.
La folle. Envahir le monde. N’être presque plus rien. Mais tout pouvoir. Tout vouloir. Si ce n’est tout avoir. Une ombre. Une transparence. Toute-puissante.

Et à partir de là, tout m’a fait rire, tout m’a écœuré aussi. Presque tout. Tout est devenu inutile. Une plante ne va qu’à l’essentiel. Le tri de l’essentiel et l’annihilation du superflu.
L’immense résolution.
Tous les déchets finis. Tous les dilemmes abolis.
Je suis devenue pure. Gonflée de chlorophylle irréprochable. Impeccable. Inaccusable. Un modèle. Desexué.

Et j’ai tout arrêté.
J’ai tout effacé.
J’ai tout accouché dans mon nouvel être.
J’ai renié ma famille.
J’ai renié ceux qui m’avaient mal approchée.
Je n’ai plus eu peur de mourir.
J’ai brandi le drapeau noir.
J’ai désapé l’histoire et tout repris à blanc.
Je leur ai mis sous le nez, dans leurs gamelles de tous les jours, matin midi et soir, ma haine et ma douleur. Je leur ai donné à mangé mon vomi et la mort sur le bord du couteau. Et ils ont dû manger, mâcher et sans broncher cette infamie que je leur imposais. Je ne disais pas un mot. Ils auraient pu répondre. Je leur rendais la monnaie de leur pièce. Je n’ai plus épargné personne. J’ai voulu écraser. Et remuer toutes les plaies pour faire gicler la mienne. J’ai joui de leur recul. J’ai joui de leur surprise. J’ai joui de leur bêtise. J’avais donc bien raison.
La vraie, la belle résolution.

Je suis partie en guerre, moi la piètre sereine. La pauvre pacifiste désespérée qui, n’en pouvant plus, se tourne vers la lutte armée. Voilà la théorie des rationnels. Je suis partie en guerre pour ne mourir en embryon. Je suis partie tuer mes démons enragés. Les fous furieux alcooliques toxicos, qui ont pompé mon sang et sucé toutes mes veines pendant ces lentes années.
La gestation de quinze années pour être quelque part.

Moins je prenais de place et plus je les hantais. Plus je devenais plante, plus je poussais en eux. Mes racines s’insinuaient dans toutes leurs inquiétudes. Je les ai torturés, Ils se sont écartés. Ils ont pris leur distance. Ou alors, attirés comme des lourdes mouches à merde.
J’ai souri en cachette.
J’ai souri dans mon âme.
J’ai aimé leur froideur. Je les ai éloignés encore et encore plus, loin et plus loin encore. Mes racines ou mes tiges les atteignaient toujours.
Sans s’en apercevoir.
Même au fin fond du monde.
J’étais devenue le monde ; la plante-monde sans limites.
L’ultime résolution.

Une énorme plante à tentacules, par en-dessous et dessus.
Qui enveloppe le monde.
Qui serre aussi fort que les mains qui étouffent.
Et le monde bleuit.
Vers de plus en plus sombre.
Et il finit par rabougrir.
Il ne sert plus à rien.
Je n’ai plus rien à étouffer.
Sinon mes propres membres.

Je me suis prise dans mes filets morbides.
J’ai fait des nœuds moi-même. Malgré l’impitoyable perfection.
Et la colère s’est apaisée.
Pour un moment.
Elle n’a plus jamais été aussi rouge.
Et j’ai dû reconstruire un monde.

La vie est un boomerang qui jamais ne se pose,
qui vole de main en main
frappe et décolle.

jeudi 26 février 2015

Accident 5

Le petit matin
pointe.
Nous sommes un
lundi.
Tout en est à son
commencement.

L’angoisse de la page
blanche.
Tous les devoirs
qui nous
attendent
pour cinq jours
ouvrés.
Et le reste.
Bien sûr.

Le lundi matin
tôt
abat
son monde.
On n’est pas gai
pinson
sauf exception.
Alors,
on traîne de la
savate
qui paraît toujours plus
usée,
à ce moment-là.

Les petites routes de campagne
vides nous
ressembleraient
davantage
que la grande autoroute
dont on ne se
détourne pas
sans s’égarer
en fou.

Mais aux intenses citadins,
il est enjoint de vrombir
et accélérer
dès le tôt lundi
matin.

Le ciel est clair
comme les roses.
N’importe qui
en serait
romantique.
Presque le pire des
sadiques
aussi.
Le ciel est solidaire
de l’état d’âme
languissant.

Le monde est un traître
et artiste
implacable.
Un génie,
comme on dit.
Invivable
extraordinaire.

Les paupières en voie
inquiétante
d’alourdissement,
se redressent,
se crispent,
se figent.
Elles tirent
non sans mal
sur les yeux
qui voudraient
s’échapper
de leurs trous.
La bouche se met
au diapason.
Les narines
suiveuses.
Le cou s’étire
et entraîne
le buste.
Les seins des unes
s’écrasent
sur leur volant.
Les autres cassent les
poignets
à s’accrocher
mais reculer.

C’est une œuvre d’un
autre siècle,
un immense paysage
vivant
sans êtres pourtant.
Le ciel est un cliché
du genre.
Et sa douceur
détonne
avec le cramoisi
et acier du premier plan.
Le monde peintre
génial
a fait jurer les deux
parties.
Rose
rouge
et noir.
Et le tableau
est vampirique.
Une immense ligne
téléphonique
trace
maigrement
la différence
mais elle se fait
elle aussi
rattraper
et tacher.
Par endroits,
elle disparaît
très loin.

On ne sait plus,
en ce lundi matin
tôt
devenu vibrant
en moins de deux,
ce qui est de
terre
ou de mer.
Les bouées rouges
pullulent,
grossissent,
éclatent et puis
coulent.
Dégoulinent
salement.
L’impressionniste finira par
diluer ses jaillissements
et demain mardi,
il n’y
paraîtra
plus.
Tout sera de nouveau
propre
et
vierge.
Le monde est un
génie
sans remords.
Pour l’instant,
le tableau se poursuit.
Il se transforme.
C’est un
impressionnisme
en mouvement.

Pour équilibrer l’œuvre,
cinq points
d’attache
se distinguent.
Surtout pas cardinaux
pour la vérité animale
du tableau.
Ils se répondent
mais
ne s’égalent pas.

Cinq corps
ensanglantés
qui s’incrustent
dans les yeux
des conducteurs
ronrons
du lundi matin
tôt.
Cinq corps- bouées
flottants
poissons-volants
pour une fois
dans leur vie.
Peut-être n’en ont-ils jamais
rêvé.


Cinq
et tous ceux déjà peinturés
au sol,
ligne de terre
du tableau,
mouvante
et gluante
d’accidents
assassins.

Percussions
criantes
barbouilleuses
bariolées.

Le tableau
de Monsieur Monde
qui jamais
ne lâchera
les spectateurs
écarquillés.

mardi 24 février 2015

Accidents (4)

Deux et deux font quatre.
Personne ne dira le contraire,
même si ça fait mal au derrière.

Deux grands et deux petits
font toujours quatre,
surtout dans un Scénic
rempli à ras-bord
pour la mer.
Les deux grands passent
devant,
c’est la loi de la jungle.
Personne en queue pour
refermer
le convoi
mais cela changera-t-il
le cours
de cette douce
histoire ?
Point du tout
mon colonel !
Tout est presque
déjà écrit.
Et pourquoi donc ?
Croyez-vous que la vie
se décide comme un livre ?
Point du tout mon colonel !
C’est que vous allez
voir…
Annie et Francis restent silencieux.
Depuis 48
minutes,
ils roulent vers les vacances.
Il fait nuit
puisqu’ils ont décidé
de partir
à 22h17.
Correction intempestive :
ils avaient décidé 22h,
plus et moins 5
mais Francis est un
compliqué.
Il était prêt et
reprêt.
Il a dû vérifier les
serrures
une à une,
toutes
de la cave au grenier,
une 11ème fois.
Alors, bien entendu,
Annie a tricoté les
nerfs
pendant ce temps.
Elle a su qu’en même temps,
il passerait par
tous les robinets.
Elle était déjà assise
à la place du mort,
avec les deux petits
derrière.

Il est enfin
revenu.
Essoufflé comme un bœuf
puisqu’en plus,
il a couru
dans tous les
petits coins.
Annie le laisse s’asseoir à sa
place de chauffeur.
Il est penaud
même s’il essaye de garder
la tête haute
et froide.
Il dégouline,
en vrai.
Les enfants crient
de joie
quand le moteur
démarre.
Annie est de marbre.

Et passent les 48
minutes.

Ils sont sur l’autoroute.
Annie regarde
le paysage
filer
à toute vitesse.
Ca lui fait avaler
plus vite
la pilule.
Son mari est un boulet.
Elle ne dit rien.
Il jette un œil toutes les 2 minutes
et 35 secondes
vers elle.
Au bout des 48 minutes,
elle s’exaspère,
même si elle est moins en colère,
au fond.
- Veux tu dire quelque chose
Francis ?
-Tu es encore ronchon
mon p’tit chou ?
- A ton avis
Francis ?
- C’est le retard,
p’tit chou ?
C’est ton retard,
gros lard !
Non, elle ne le dit pas.
- A ton avis,
Francis ?
- Je suis désolé,
p’tit chou.
- Je sais,
Francis.
-Arrête de m’appeler Francis !
- Et pourquoi cela,
Francis ?
- Tu prends tes grands airs
d’offusquée.
48 minutes que tu boudes,
comme cochon.
- Va te faire soigner,
Francis. Tu as des TOC.

Francis rougit.
Les enfants dorment.
Francis a pris la mouche.
Il devient furibond.
Il est pris de sursauts.
Il vérifie le siège,
il vérifie la porte,
il vérifie le ventilo,
il vérifie les phares,
il vérifie pédales vitesse, cadrans, tous, frein à main, derrière le siège,
il est de dos,
il lâche le volant.
il tremble.
il contrôle.
Rien de tout cela
n’est sûr.
Annie a haussé le ton
depuis quelques minutes déjà.
Elle s’est même excusée.
Mais il ne s’arrête pas.
Tout ça,
c’est à cause d’elle.
Il n’aurait pas à vérifier
sans ses méchancetés.
Il vérifie,
pour finir,
que
les deux petits
respirent bien.
Annie hurle qu’elle ne
peut plus
rien faire.
Il a encore plus
envie de
l’étrangler.
Mais c’est lui
qui s’étrangle
et rote le dernier sang.
Dernier coup d’œil
et vérifie.
Tout le monde
est calme.
Il peut mourir en paix.

dimanche 22 février 2015

Entre mes doigts

Je saisis le stylo
le plus doux possible,
le plus velouté,
pour glisser,
lisser
mon cœur qui
bat
trop fort.
Il cogne.
Mais il reprend
le pas
le pli
quand la plume
est de sortie.
Il reprend
la ronde
avec
les voisins.

Le tendre feutre,
moelleux,
subtile,
et souple,
me guide
là où
je ne sais plus
quoi dire.
J'ai envie de tout
dire et
ne peux rien.
Je ne peux que
me retourner
sur moi-même
et parler
des battements
et
des heurts.

J'ai les seins
qui crament !

J'ai les bronches
qui fument !

J'ai le thorax
soufflé !

Des bouts de texte
s'amorcent...
Et tombent à l'eau.

L'irruption,
parfois,
empêche
même,
la plume.

Alors,
en boomerang,
je n'ai plus qu'à
vomir
les mots du corps
et du feu.
La faim,
ensuite,
reviendra.

Les doigts
dansent
comme des étoiles
magiques,
je les aime
plus que tous.
Les doigts
sont des fées
invisibles.
Ils attendent,
toujours aux aguets,
les flux
du cœur
et
le feu
poitrinaire.
Ils savent
toujours
quoi dire
quand tous les autres
sont en
panne.
Ils dansent
à toute heure
sous toutes les
latitudes.
Ils s'accordent,
à qui se présente
et se glisse
sous leur empreinte.

L'irruption,
jamais,
n'empêche
les doigts
et son araignée
de tisser.

Le singe hurleur

Celui qui crie,
le singe hurleur
que tous les animaux
laissent
hurler.

Celui que les félins
placides,
bien au-dessus de
Cela,
ignorent.
Ils auront bien d'autres
proies
à tuer.

Celine qui réussit,
quand même,
à effrayer
les étrangers
et les vulnérables,
comme un
pauvre
épouvantail.

Le singe hurleur
au sublime regard
noir
et triste
quand il se tait,
quand il ronronne,
quand il câline.

Il reste immobile
s'il le veut,
presque timide,
mais les prunelles
brûlantes,
noires de vie.
Il inspecte
le fond des êtres.

Et puis,
son aliéné
intérieur
repart à l'assaut.
Il découvre
les crocs
fous,
implacables.
On n'a plus qu'à
se taire
et supporter
ses cris
ahurissants.

Le singe hurleur
torture
les esprits sains.
Il doit hurler
pour exister.


J'aimerais hurler
plus fort
que lui,
plus haut,
plus perçant,
jusqu'à briser ses
os
en mille poussières.

J'aimerais étouffer
son cri
impuni
sous les miens
ravalés
des jours et des mois.
Hurler moi aussi
comme une furie,
me libérer
de tous les cris
digérés
non sans mal,
par accoups.
Un chauffard dans
le ventre.

Je hurlerais
droit dans ses yeux,
pour qu'il
avale,
lui,
à son tour,
mes déchets
fétides
et
glaçants.

Je lirais alors,
sur sa face,
le désarroi,
les orbites décuplés,
les narines palpitantes,
et,
il ressaiera son
hurlement,
qui se perdra,
cette fois,
et,
il me montrera
ses mains
vides
mais saignantes.
Le sang coulera
des oreilles,
les larmes douces
seront lourdes
et rouges,
la poitrine s'ouvrira
et ruisseau
sombre descendra
à ses pieds.
Il tendra
ses mains
vides,
gouttantes,
pour que je cesse
le cri.

Le singe hurleur
hurlera
demain
ou plus tard.
Il hurlera.
A nouveau,
je supporterai
et les félins
continueront
de ronfler.
A nouveau,
je hurlerai
un jour
et il saignera.

Beaucoup plus tard,
le singe hurleur
deviendra
éléphant,
selon les lois
de la métamorphose.
Il ne criera
que pour
protéger
sa famille.

Lèvres

Les lèvres parfaitement scellées.
Tellement tendues
qu'elles ne sont plus qu'un fil.
Pour ne surtout laisser filer
aucun sale mot
et l'huile sur le feu.

Elles disparaîtraient
si l'on ne
soulevait
jamais
le couvercle.
Les dents
seraient
au grand jour,
toujours
à cran,
en crocs,
brandies,
sans polissage
et sans pudeur.
Comme le crâne
Mort
ou le lépreux
décomposé.

Les lèvres
sont courtoises
et bienséantes.

Les dents
à nu
sont folles
et hargneuses.

La haine
ou bien
l'instinct
du prédateur,
sociopathe
naturel.
La haine
qui fait griller
les canines.

Les lèvres parfaitement scellées.
Tellement tendues
qu'elles ne sont plus qu'un fil.
Pour ne surtout laisser filer
aucun sale mot
et l'huile sur le feu.

Elles gonfleraient
comme deux gros
boudins
allergiques
enflammés
des piments
au creux
de l'oxygène
de haut en bas
dans tous les sens.
Le visage
rougi
pustuleux.

Les lèvres
cachottières
se dénudent.

Les dents
pointues
rient à crever.

La maladie
a pris le relais
des pourritures
intérieures.
La chair
s'étale
en vierge
possédée.

Les lèvres
s'ouvriront,
peut être rouleront
sur elles-mêmes
de dire
tous les sales mots
et l'huile sur le feu.
Elles rougiront.

Et puis,
tout rentrera dans l'ordre.

mardi 17 février 2015

Flop

Il aurait bien envie de penser qu’il paye ses innombrables succès et billets. Il n’est pas superstitieux donc il ne le pense pas vraiment. Il aurait honte d’une pensée aussi stupide. Il ne sera jamais ce genre d’âne. Mais ce malheur qui pèse de plus en plus sur sa maison est une malédiction. L’atmosphère se fait toujours plus lourde. Il n’a plus toujours hâte de rentrer chez lui. Il est parfois soulagé de ne croiser personne avant de partir au travail. De plus en plus souvent apparemment. Une force l’entraîne loin de chez lui.
Il ne veut pas.
Il n’est pas un lâche.
Il ne le sera jamais.
Mais cela n’est pour ainsi dire pas de son ressort.
Il doit partir de ce mouroir.
Non pas quand même.
C’est toujours le même endroit, les mêmes meubles et la même femme mais rien n’est plus pareil.
Anna, la femme chérie, s’en est allée. L’a remplacée une drôle de rombière avant l’âge. Il ne reconnaît pas cette femme-là. Plutôt, si, il la connaît. Il la reconnaît tous les jours. C’est bien celle qu’il a épousée. En putréfaction. Elle a fané puis elle a commencé à pourrir. Pur et dur. Une déliquescence inévitable. Il n’aurait jamais imaginé qu’une telle beauté se dégénère ainsi, en seulement quelques petites années. Elle avait l’air si solide. Faite pour lui. Pour durer. A sa hauteur. A son ambition. Comme dans ses rêves.
Il ignore ce qui l’a abîmée si vite. Peut-être que déjà elle contenait cette usure à venir. Peut-être que personne ne savait mais qu’en la changeant d’environnement, comme on l’aurait changée de pot, on a déclenché la décrépitude.
Lui, John, et sa famille à elle, voient clair dans ce qui se passe. Clair, disons qu’ils ne sont pas dupes des jolis sourires et des airs de dame d’Anna. Les autres, les inconnus, la trouvent merveilleuse. Parfois même parfaite. John n’en sourit plus. Il en reste fier. Il lui sait gré de maintenir les apparences. Mais aussi il lui en veut de ne jamais s’attendrir, de ne jamais être une vraie femme. Pas même dans la nuit avec lui. Et il veut coûte que coûte qu’elle demeure celle qu’on appelle la Reine quand elle entre en scène. Il veut continuer d’être le Roi. Avec elle. Ils sont faits pour être ensemble. Leurs allures s’accordent idéalement. Ils n’ont pas tant de choses à se dire. Mais il n’attend pas ça d’une femme. Il n’attend pas que leurs cerveaux s’entendent.  Pour cela, il n’a pas besoin d’elle. Il n’a jamais eu besoin d’elle. Il lui en voudrait sans doute de lutter avec lui à ce jeu-là. Ce n’est pas le lieu des femmes. Encore moins la sienne. C’est son territoire. Il n’a besoin de personne pour penser. Jamais, il n’a demandé d’aide. Jamais, il n’en demandera. Pas tant par fierté que par pragmatisme. S’accorder au rythme et aux méandres des autres est une immense perte de temps. Une énorme bévue que de penser ensemble. Parfois, deux esprits pourraient s’accorder. Il n’en a pas encore vraiment rencontré. Il suppose que cela existe. Même les plus grands esprits ont trouvé à qui parler. Il ne peut pas ne pas trouver. Mais il ne cherche pas. Cela lui tombera dessus ou pas. Il n’ira pas courir après l’interlocuteur adéquat. Il dirige les plus lents et inadéquats, précisément. Voilà l’ordre du monde.

Le pouvoir est une terrible question. Il sait qu’il a de l’or dans la tête. Il sait qu’il détient un trésor. Il sait quel pouvoir cela lui procure. Il sait qu’il ne vivra jamais sans ce pouvoir-là. Il l’exerce depuis la nuit des temps. Aussi loin qu’il s’en souvienne. Tous y ont toujours cédé. Sauf Père devant lequel il s’inclinait. Toujours quand il pense à tout cela, il se sent obligé de s’excuser auprès du père, en soulignant l’exception qu’il était, qu’il est encore, malgré la mort. Par déférence, il s’incline, plus que par respect intellectuel. Mais heureusement que quelqu’un l’avait arrêté un jour.
Le désir de pouvoir est bien pire encore que le pouvoir en lui-même. Le pouvoir ne l’amuse pas. S’il joue avec, il ne construit rien. Alors, il se sent impuissant et la magie retombe. Le ballon se dégonfle tout seul. Il craint bien davantage le désir. Il sait que cela n’a pas de limites. Qu’avec un peu d’argent, un peu plus qu’il n’en a mais cela ne devrait pas tarder, il pourra libérer son désir. Et il craint là, de devenir un animal. Ces brutes épaisses racornies de plaisirs, boursouflés et dégueulants de luxure. Il craint cette décadence. Il n'est pas de ce bois-là. Mais il a appris depuis peu que lui ni qui que ce soit n'est en mesure de connaître réellement son matériau de base, au fond des tripes.
Et puis, s'il baisse la tête ou la tient dans ses mains, il avoue que sa belle Anna est une victime du désir.
Celui-là, il l'anéantirait si ça lui permettait de retrouver son amour, sa belle.
Mais tout le monde en crèverait. Il ne parle pas ainsi, "crever" et tous ces mots, d'habitude.
Mais il est moins en colère d'habitude.
Il se met en colère. Souvent. Partout où il passe. Mais se mettre en colère ne signifie pas qu'on est en colère. Il crie, il tempête. Tout le monde se tait. On dirait qu'ils ont peur. Danny a peur, oui. Anna n'a pas peur. Elle n'a pas peur de lui. Les collègues seraient prêts à se cacher, comme Danny qui court sur son lit pleurer dans l'oreiller. Ils se recroquevillent sur eux-mêmes. Il n'en dit rien mais lui fait cela pour ne pas avoir à négocier. Les discussions des heures, encore des heures il sont beaucoup trop pénibles. Encore du temps perdu. Une journée est une succession de minutes en partie perdues. Cette seule idée m'enrage. Tout ce qu'il peut récupérer, même quelques secondes, est bon à prendre. Il s'en saisit. Et alors, la fin justifie les moyens. Il ne torture personne. Il use de sa colère. Ce n'est cependant pas que du calcul. Il se soulage aussi de ce qu'il contient, chaque jour. Il ouvre les vannes. Il est seul et aucune parole intruse n'a sa place. Tout le monde doit se taire.

Il est sa propre caricature.
Il surjoue ses défauts.
Il glisse dans ce bain de délices écœurantes.

Seule Anna continue de regarder droit dans les yeux. Elle ne prononce pas un mot mais elle lui répond autrement. Elle se plante devant lui, encore plus fermement qu'à son habitude. Elle se dresse. Elle se hérisse. Elle attaque sans ouvrir la bouche. Une amazone. Une guerrière. C'est sans doute ce qu'il a aimé chez elle et ce qui le rend fou, aussi. Il pourrait la balancer. Il voudrait. Mais il ne pourrait certainement pas. Elle lui résisterait comme une acharnée. Elle lui briserait la nuque. Elle se battrait jusqu'au bout. Aussi loin que lui. Il se voit tentant d la maîtriser, incapable de la retenir. C'est lui qui attaque et mord au sang, en enfonçant fort la tête dans les épaules. Elle ne laisse personne l'humilier. Elle se décentre. Elle sait toujours se dégager. Elle lui file entre les grandes paluches. Le ressort du cou remonte et elle reprend sa hauteur. Elle est de côté. Elle q tout le loisir de choisir son point d'attaque. Elle souffle sur sa nuque comme pour faire la place. Elle la fait ployer. Elle est d'une force purement virile. Il ne peut plus rien faire. Elle peut lui faire toucher le sol du front. Elle ne se privera pas de ce plaisir sadique. Elle abaisse lentement, tout doucement son corps à la force du sien pourtant réputé faible chez le commun des mortels. Elle pose tranquillement le milieu de son front sur le sol. Elle le maintient ainsi. Elle exerce une pression chaque instant irrésistiblement plus forte. Jusqu'à ce qu'il sente son os brûler à terre. Deux lignes de douleur entourent son crâne. Elles se rejoignent a l'occiput et forment une seule flamme qui remonte dans la bouche ou frappe la gorge d'Anna. Elle avale sans un bruit. Elle semble se délecter. Se nourrir. Il ne peut pas la voir. Il ne peut absolument pas faire tourner sa tête. Il est impuissant. Il doit attendre, immobile, le front au sol. Mais il sent qu'elle absorbe sa douleur et qu'elle en fait son miel. Il sent qu'elle sourit. Il sent qu'elle serait sur le point de relâcher l'étau. Peut être de jouir. Peut être, il l'imagine bien, la tête en arrière, suçant goulûment sa douleur, à lui. Il ne l'a jamais vue jouir. Il ne peut que l'imaginer et Dieu sait s'il l'imagine. S'il le élire. S'il l'a désiré. Peut être qu'il ne le désir plus.
Lorsqu'il redevient a lui, elle est toujours face à lui, droite et rigide, tendue, prédatrice. Elle sait qu'elle le dérange, qu'avec elle, il ne peut pas être tranquillement en colère, comme avec les autres. Elle sait qu'il aura le dernier mot. Mais seulement le mot. L'invisible lui appartient. C'est sur ce terrain-là qu'elle règne. Sans récompense. Sans reconnaissance. Elle doit se contenter de le savoir.
Elle profite du conflit qu'il lui offre sur un plateau pour mettre en marche la grande machine. Elle le regarde jusqu'au fond de l'être. Elle le voit tourner de l'œil. Elle sait qu'il Sue à grosses gouttes et qu'il se étaient de respirer comme un bœuf pour reprendre l'air qu'elle lui vole. Elle ne sait pas réellement ce qu'il voit mais il l'a craint, quelque part.

Après ces épisodes de joutes à l'œil, il s'éclipse. Il reste à distance. Elle s'en réjouit, s'en repaît. Elle se sent libre. Cela finira. Mais pour quelques jours, elle est libre comme l'air et elle peut s'asseoir en elle-même.

Elle a ce petit rictus insupportable qui lui fait comprendre qu'elle a lu certaines de ses pensées. Il n'est pas paranoïaque. Elle n'a pas vraiment lu. Mais elle est intuitive. Elle est animale, elle. Féline. Elle transperce toutes ses carapaces. Il est à sa merci. Elle ne raisonne pas. Elle est bien plus dangereuse que cela. Elle a senti son bouleversement.

Les jours qui suivent, il a envie de la haïr. Il n'atteint jamais ce stade. Il le sent poindre et l'arrêté avant qu'il ne se répande en lui. Il dit, il crie, à la prochaine occasion, très vite, qu'elle est une imbécile, qu'elle ne pense à rien. Elle ne peut alors s'empêcher de grimacer. Elle se détourne de lui. Peut être pour ne pas vomir. Pour ne pas le haïr, elle aussi. Elle a un haut le cœur. Toujours. Mais ce n'est qu'un moment parmi d'autres où il l'écœure.

Il est presque chaque matin au réveil exaspéré par il ne sait quel élément de la présence d'Anna. Il lui fait le même effet.
Ils finiront par se tuer.
À petits feux.
Avec ou sans éclaboussure.


Prier, ne pas crier

On ne va pas crier.
On ne va pas se lever
les bras en l’air
et les sourcils arqués.
On n’en a plus envie.
Le temps de la
colère
est passé.
S’approche celui de
l’amertume.
On la tient à
distance.
C’est une bête
qu’on dompte.
Elle ne bondira
pas.
Elle préviendra.

On ne va plus crier.
On n’a jamais crié.
Mais on ne criera plus
quand même
à l’intérieur.
On crie toujours de l’intérieur
sans décibels.
Les yeux hurlent
seuls.
Et souvent
cela suffit.

On ne va peut-être
plus se battre.
Peut-être qu’on a
envie
de rester très
tranquille.
Peut-être
qu’on s’apaise
en partie
en lâchant
le duel.
Les mains en l’air,
on laisse tomber
l’arme,
et on tourne
son dos
sans crainte.
Et on se réfugie
au repaire
sans se retourner.
On s’installe bien au
chaud,
contre les parois
solides.
On se cale
et
on regarde
la scène,
de loin.
Là,
on ne peut
plus
venir nous
chercher.
L’entrée
est trop étroite.
Elle est faite
pour.
Contre
toute incursion.
Sans heurts
sans rien,
sans rien du tout.

On se protège
dans son repaire,
si ça allait
pire,
on se bercerait.
Mais, non,
là,
on est simplement
immobile,
doucement,
et s’en remet au
temps.

On attendra   
qu’autre chose
se passe.
On attendra
un peu plus
loin.
On n’a plus rien
à dire,
redire.
Tout a été mastiqué
jusqu’à la
moelle.

Sauf qu’attendre
immobile,
c’est laisser avancer
l’amertume.
Alors Dieu
fait un petit
coucou
de son ciel.
Et on va prier.
On ne va pas crier.
On va prier.

On lève les yeux
là-haut
pour un espoir.
Pour ne pas
rapetisser
dans son trou.
On pourrait devenir
transparente.
C’est arrivé,
à force de ne
plus crier
ni prier
et l’amertume
a soufflé
toute la chair.

On prie
depuis la tanière,
on prie,
les yeux un peu
tristes,
c’est vrai.
On prie
bien au fond
de soi-même,
jusque très loin
là-haut.

On prie
pour que l’angoisse dise
faux,
pour que le passé
s’oublie.
On prie
sans trop de ferveur
pour ne pas tout
gâcher
à s’échapper
ainsi.

Le cœur brûle
malgré tout.