lundi 29 février 2016

Adèle en corps ennemi


Mon corps est mien.
Mon corps est ma chose.
Mon corps ne doit pas
sans moi.
Il n'est qu'un bout
et moi ?
Il me devance,
il court devant.
J'ai beau sprinter,
rêver de lièvres,
je reste la tortue
qui perd.
La vraie,
pas celle qu'on fait croire aux
enfants,
les pauvres.

Mon corps est un chewing-gum.
Il s'étend,
se rétracte,
s'embullit,
se plaque aux os,
comme il le veut,
sans moi.
Où donc suis-je tombée ?
J'ai perdu les manettes
du vaisseau
qui me colle à la peau.
Il fait des va-et-vient
à sa guise,
des pirouettes,
des loopings,
ou reste satanément
épuisé
quand j’attends tout le
contraire.
Je ne suis plus
rien,
je suis une autre,
une autre m'habite
et me tire par le bout du
nez.
Je suis un ballon
qui gonfle
et
se dégonfle
dans tous les sens.
J'en perds le nord,
depuis longtemps
bien sûr.
J'en appelle au
frère en boîte.
Il ne dit rien.
Il ne fait rien.
Je suis un jouet
dans les paluches
de qui donc ?
Il ne s'est pas même
présenté.
Peut-être parce qu'il ne
parle pas encore,
que c'est de l'intérieur
d'un utérus
qu'il tient les rênes.
Qu'elle ne veut pas l'entendre
le bébé qui l'a choisie.

mardi 23 février 2016

Amours des corps

Les corps se parlèrent
sans que les lèvres ne s'ouvrent
pour des mots.

Les corps s'avancèrent
mus animés par le grand chatouilleur en chaleur,
purs animaux humains.

Les corps s'enveloppèrent
comme des escaliers
colimaçons.

Les corps s'échauffèrent
l'un l'autre collants haletants
comme des phoques.

Les corps s'accélérèrent
impatients impétueux
désormais.

Les corps se pénétrèrent
enfin
dans un silence soudain.

Les corps s'immobilisèrent
de surprise
et sourirent.

Les corps tournoyèrent
alors
sens dessus dessous.

Et ils inspirèrent
la plus grande gorgée
d'air
de leur vie
qui finit dans le chant
râlant
de la jouissance.

Et le monde recommença à zéro.

dimanche 21 février 2016

Et si l'on n'en revenait pas ?

Le monde
corné
couillu
craqué ;
Abdel
claqué-cul
catapulté
crashé
au monde.
Il ne peut
plus.
Tout est trop
loin.
Le pas de porte,
le paillasson
s'érigent
en douves
infranchissables.
Il est
seul,
tout est
loin
trop loin,
il n'en reviendra
pas.
Ne pas quitter
le foyer
sans chaleur
sans danger.
Ne pas s'éloigner
ne plus jamais
partir.
Comment revenir ?
Comment ne pas tout risquer
alors ?

Le pas de porte,
le paillasson
parlent
de départ
de voyage
de découvertes.
Il entend
la solitude,
l'inconnu,
et l'immense peur de se
perdre
à jamais.
Il n'est
plus
qui
quoi
il se savait.
Il ne peut
plus
affronter
traverser
boxer
le monde
et
ses remparts.
Il n'avait même
jamais
lu
ses remparts
auparavant.
Il est vissé
au foyer
sans chaleur
sans danger.
Il veut
les bras,
Maman les bras,
son lit,
et ses chaussons.
Il ne dit
pas
mais
c'est ça
et c'est tout.
Abdel a peur.
A peur à en
pisser,
chialer,
rouler
par terre,
la poitrine arrachée.
Il a mal au cœur
aux poumons,
toute la cage,
aux boyaux,
tout gargouille.
C'est la panique à bord.
Tout s'emmêle et
perd sa place.
Ils pourraient
oublier
comment marcher.
Il mourrait
de peur.
Parce qu'Abdel
vient
d'ouvrir la porte
folle.

Le prince des neiges

Abdel sans racines
Abdel venu du ciel
ovni.
Abdel blanc comme neige
battu à point.
Neige parfaite,
douce et scintillante
de reflets
bleus et verts
au creux
des orbites.

Abdel sans une once
d'Hashashin
dans les veines.
Abdel en hommage,
chapeau bas à
l'inconnu
tant aimé.
Abdel intrus parmi
les Pierre, Paul, Jacques
de son sang,
la coquille dans le joli texte
de la jolie
famille.

Abdel,
le fauteur de troubles,
l'enfant adoré,
l'enfant haï ;
élevé aux étoiles,
roulé aux boues ;
l'enfant de tous les désirs
et de toutes les rancunes ;
chéri comme le messie,
ignoré comme le pestiféré.
L'enfant des pôles.
L'enfant du meilleur
et du pire.

Abdel,
le prince de neige
aux yeux d'émeraude.

mercredi 10 février 2016

L'amour à l'envers

Il s'approche,
la larme à l'oeil.
Il ne pleure pas,
il ne pleure plus.
Trop trop
auparavant,
le stock est épuisé.
Mais heureusement,
il a sa jolie
poupée
câlineuse.
Il s'approche,
il serre dans ses bras
de toutes ses forces.
Il se console.
Il se berce
et il dit :
« tu te souviendras de ma tendresse
pour toi ».
Il parle de sa tendresse
pour lui,
pour son cœur écorché
et son passé maltraité.
La poupée
est bel et bien
vivante
mais
elle ne bouge pas.
Elle sait qu'elle ne
doit pas
bouger.
Il serre tellement
fort
qu'elle ne le peut pas,
alors...
Mais elle ne
doit pas
pour que son cœur
à lui
ne tombe pas
en miettes,
pour qu'il tienne
le coup,
pour qu'il ne
convulse pas,
pour qu'on ne l'
accuse pas,
elle.
Pour,
aussi,
qu'il n'en fasse pas
plus,
qu'il ne la broie
pas,
définitivement,
pour qu'il n'aille pas
au-delà.
Il est imprévisible.
Il est dans le besoin.
Il est SDF du cœur.
Elle est la poupée
qui fait cesser
la curée,
qui donne à l'homme-père
la force de
se redresser.

La petite fille,
Elle se doit de.
Elle ne bouge pas d'un.
Elle attend son tour dans.
Des siècles plus tard.

mardi 9 février 2016

La faille

Fière
Ancrée
deux pieds en terre
non enterrés
stables
souples
les bras vivants
en arabesque si nécessaires
tranquilles
les mains ouvertes
au cas où.
Fière
Ancrée
Entière
Sans trous,
Sans précipices
Aucun canyon du malheur.
Et puis,
la fissure
de l'humain
comme tout le monde.
La fissure
la cicatrice
d'une blessure
même oubliée
même juste
parce qu'on va
mourir
un jour.
Pas une mince blessure !
Abdel
fissure
Adèle
le roc
la montagne
increvable,
quand il l'a prend
pour la première
fois
dans ses bras.
Il s'avance.
Il caresse
le visage,
l'enveloppe,
ne touche
pas aux cheveux,
il a compris,
c'est sacré,
Pas touche !
Personne !
Au monde !
Il serre
doucement les épaules
après avoir
descendu
le cou.
Il l'enlace
croise ses bras
autour d'elle
s'arrondit
pour lui faire sa
coquille,
celle qu'elle n'a pas demandée,
pas pensée,
pas sentie.
Et en un éclair,
elle flotte.
Elle sait que
plus jamais
elle ne sera
entières
que dans des bras.
Des bras
beaucoup plus grands
qu'elle,
beaucoup plus doux
qu'elle.
Des bras-baumes
des bras de chat
des bras chauds
des bras qui serreront
jusqu'à se faire
toucher
toutes les molécules.

Fière
Ancrée
Désormais
Consciente
D'une condition
A la force
vivante,
elle qui avait vaincu
la faucheuse
impériale.
Consciente
de sa faille
humaine
intraitable.
Jamais sans ses bras.

dimanche 7 février 2016

Corps n'est pas âme

Sentir ses poumons
râler
souffrir
de chaque
inspiration.
Eux-mêmes,
les increvables.
Jusqu'aux cimes
du monde.
Ils peinent
comme des petits vieux,
comme de grands asthmatiques
qu'ils n'ont
jamais
été.
Mais ils demeurent
à l'intérieur.
Les bras,
les jambes
marchent
et
attrapent
comme si
de rien n'était.
Tout va bien
dans le meilleur des mondes
possibles.
Les poumons même
dans leur douleur
restent
muets.
Qui de vous,
de mon corps,
dira mon atroce douleur ?
Qui la hurlera
enfin ?
Aucun n'en a le courage ?
Aucun n'en a le pouvoir ?
Moi-même,
je ne la vois pas.
Moi-même,
je dois l'imaginer
à moins de me torturer.
Le corps reste intact
face à l'intolérable
de l'esprit
et du cœur.
Il bat,
il répond,
il ne s'écroule pas,
il ne se démantèle pas.
C'est un robot.
Encore heureux !
Diront certains,
pas tous les malheurs en même temps !
Je rêve d'un corps
qui me montre,
même en catimini,
même juste à moi
que je n'affabule pas.
Que je pourrais
m'étouffer
de mon mal.
Que lui aussi
combat.
Il semble,
pourtant,
bien tranquille.
Se réveillera-t-il
le jour après la tempête ?
Ce serait une belle
trahison
et il le paiera cher.

Mes poumons
rament
sur l'océan
dont tous les bords
ont disparu.
Mes poumons
me disent
quelque chose,
ils me parlent,
eux oui.
Mais poursuivent
la route
comme ils sont programmés.

Mon corps me trahit,
il se tait.
Autant que moi.
Il est poli,
joli,
verni.
Il cache les maux,
il est pudique,
le pauvre.
Et je suis seule
dans mes neurones
invisibles
à lutter
comme une
décharnée.


A l'attaque !

Leur crever les yeux,
les laisser sanguinoler
et chialer
comme des fillettes
eux,
les grands mâles.

Leur enserrer le cou
jusqu'au bleu violacé
et lâcher juste au moment
qu'ils croient
enfin
arrivé
du soulagement.

Frapper
cogner
comme une brute
se venger
de tous ces moments
de grande
civilité.

Insulter
des pires mots,
les pires pour chacun
différents,
ceux qu'on tourne
dans sa tête
en espérant que jamais personne
n'osera
les dire,
parce qu'ils ont
du vrai.

Faire mal,
Blesser aussi fort
que soi
et partager cette
insupportable
douleur.

Mais non.
Se taire.
Le silence
et plus jamais,
et c'est tout.
Ne rien pouvoir faire
de plus.
Ne rien pouvoir dire
ou passer pour folle.
Devenir folle
plutôt que
passer pour.
Et Dieu qui ne bouge pas.
Et Dieu qui laisse tomber
ses vivants
tout au fond,
où lui-même n'y voit
plus.


vendredi 5 février 2016

Le creux de la vague en robe turquoise

Je suis
l'immense creux
de la vague
du surfeur.
L'immense trou
avant le rouleau,
le beau
et sombre rouleau.

Je suis le creux
immense
qui touche
presque
terre,
sous les profondeurs.
Cette terre qu'on ne voit pas,
que personne ne voit.
Cette terre des drôles
d'oiseaux du
fond des océans.

Ne pas tomber jusque là.
S'évanouir avant,
comme une sirène
en voiles,
une belle robe turquoise
ondulant
à mes côtés.
Disparaître en turquoise,
au creux
de la vague.
En turquoise.
Le noir est une invention
stupide.
Le blanc du mariage
bien pire encore.

Je suis la suffocation d'avant
l'immense vague.
D'avant la nausée.
Quand le cœur s'arrête.
Quand les yeux s'exorbitent.
Celle qu'on attendait,
celle qu'on n'attendait pas,
celle qu'on n'attend jamais.
Je suis devenue toute entière
cette voûte
Pas plantaire,
sûrement pas !
Plus rien n'est ancré.
Ni d'église,
sûrement pas !
Où est Dieu ?
Voûte céleste
en pleine mer.

Maman,
Je pense à toi.
Je pense à tes mains
poignantes.
Elles ne sont pas à
portée.
Je dois
accrocher la vague
lisse
ou m'évanouir
en belle robe
turquoise
avant le fond.
Maman,
pense à la belle robe
turquoise !
Sans froufrous
mais brillante
comme la bague
de mon enfance
qui me faisait rêver
à toi et tenir
coûte de coûte
de beauté.


Je prie

Je prie
tous les dieux
toutes les natures
mortes
vivantes
futures.

Je prie
tous les êtres
les plus réels
les plus fous,
les aimés,
les plus chéris,
les fées
les elfes
et même les dinosaures.
Sait-on jamais ?

Je prie
l'espace-temps,
les petits hommes verts
les planètes,
les belles
brûlantes
congelées,
tourbillonnantes
et tous les astres.

Je prie
l'Enfer
et ses sept cercles,
le Paradis
et ses prairies.

Je prie n'importe quoi
n'importe qui
toutes les minutes
toutes sauf la nuit,
enfin la nuit.

Je prie jusqu'au sommeil
le messie,
le sauveur,
je le prie,
si,
de durer
et durer
encore
encore.
Je me réveille
pourtant,
comme tous,
les yeux joyeux
une nanoseconde,
puis l'énorme
cœur
qui pèse,
qui traîne
hors du corps,
comme un boulet
de bagnard.
On aimerait l'amputer,
lui interdire
de refaire
Ca.
Ce caprice qu'on croyait
fini,
à jamais.

Le coeur,
la tête,
tout amputer,
tout vider,
et n'être plus qu'un
corps humain
inapte,
un corps humain
à conscience de
mollusque.
Un faux humain,
un non-souffrant.


mercredi 3 février 2016

L'imposteur

Je suis l’imposteur
Imprévu
Invoulu
Inconnu.

On l’aime.
On l’admire parfois.
On approuve.
La fausse personne.

Je crie la vérité
Pourtant.
Je crie a l’injustice.
Je hurle la lucidité.
Pour qu’on ne se trompe pas.

Je suis l’imposteur
Qui n’a pas même de
Féminin.
Je suis le coucou
Voleur
Au sourire
Charmeur.

Je regarde droit dans
Les yeux.
Je ne baisse pas la tête.
Je ne voile pas la face.

Je tente le diable.
J’ôté tous les atours.
Je dénoue les belles boucles.
À bas les cache-misère.

Je crie
J’écris
Et je répète
L’imposture
Oubliée.

Je quitte le petit coin.
Je quitte le fond de la classe
Et le chaud radiateur.
Je monte nue sur l’estrade.

Je me sens enfin
Vue
Entendue
Imposteur.

Le cache-cache
A cessé.
Les livres sont
Abaissés.
On n’en est que plus
Fier.
On continue d’aimer.

Je suis imposteur
A mon Coeur.
Je n’ai que mes yeux
Noirs
Pour entendre
L’écart,
Là grand écart
Sans jambes.
Le grand écart
D’entrailles,
Tiraillés
 Ecartelées
Sous toutes les couches
Des corps
Des peaux,
Des mondes.

mardi 2 février 2016

Hors des buts

Un jour, Adèle se prit à être ce qu'elle n'avait jamais été.
Celle qui va et reva au charbon.
Celle qui pellette.
Et on la regarde sans mot dire.
Celle qui sue comme souillon.
Celle qui rame au beau milieu.
Celle qui se bat contre le courant.
L'héroïne zolienne
qui jamais n'abandonne
quand le lecteur lui-même
aurait envie de la lâcher.
La foutue conne
qui tente et retente.
Qui ne se rebelle pas.
Qui combat la vie
pourisseuse.
Compris ?
Alors Adèle ouvrit ses mains
devant elle,
regarda leurs lignes
cryptées
et leva les yeux au ciel ;
Elle souffla.
Elle recula de plusieurs grands pas.
Elle reprit sa place dans son cercle,
dans ses buts,
à sa place entière.
Elle cessa le travail,
la torture
hors ses murs.
Elle cessa de creuser
sans trésor
à l'horizon.
Personne n'avait demandé
ça.
Elle se prit à être ce qu'elle n'avait jamais été,
par amour.
Elle prit peur
quand elle comprit.
Elle se replia.
Elle retrouva la douceur
tendre
d'être soi,
elle reprit
la bulle
en marche.
Elle n'avait pas bougé
ouf ouf !
Et de nouveau on la regarda.
Elle se promit
de ne plus dépasser
les lignes d feu,
de ne plus s'envoler si loin
de ses buts.
Elle se promit.
Même par amour.
Même par tous les dieux.
Elles se promit,
en son for intérieur,
elle en douta.