mercredi 31 janvier 2018

Pas de femme battue qui tienne !

Zoé a le cou bleui, elle a très mal. Cela lui est égal. Elle attend le SAMU. Elle s'est rallongée. Par terre. Lovée dans sa bulle de coton. Celle qui répare tout. Elle est vivante. Elle sourit. Elle comprendra. Sans aucun doute, elle comprendra.
Le SAMU arrive enfin. Le temps a semblé long. La douleur, même si elle ne semble pas voir prise, étire les minutes cruellement. Zoé n'a pas encore élucidé cette question qu'elle pratique pourtant depuis longtemps. Elle peut physiquement supporter une atroce douleur. Mais le temps se met à languir, à divaguer et se perd en chemin, rêveur, tête en l'air. Pourquoi ? Pourquoi puisque le reste tient la route ? Encore des questions pour toute une vie.
Elle attend.
Elle attend.
Elle attend encore.
Elle entend enfin.
Le pin-pon qui va secouer les heures et les remettre en état de marche. Réveiller la pendule, réactiver la montre et revoir jogger le temps est ses aiguilles.
Ils montent l'escalier. Elle dit « ils » et ce sont peut-être des « elles ». Mais ce sexisme du sauveur poursuit notre monde. Jésus n'aurait pas pu être femme. Justement, en les voyant entrer dans la chambre, elle sourit à peine mais assez pour qu'on la voie. Les deux personnes la regardent étonnées de constater qu'elle peut. Elle doit être dans un sale état si. C'est qu'il y a une femme dans le lot. Elle a encore un long combat contre les clichés à mener. Elle les entend ronronner à côté d'elle. Elle ne les écoute pas vraiment. Leurs mouvements, leurs paroles la bercent. Elle se sent s'endormir. « Madame ! Madame ! Restez avec nous ! » Elle sursaute à la voix forte de l'homme. « Madame, vous vous souvenez ? C'est le SAMU . Vous êtes avec nous ? »
Un minuscule geste de l'index dit oui. Zoé connaît la manip'. Ils lui sourient. Ils sont rassurés. Même comme ça elle se sent sympathique.
Après un temps indéfinissable, Zoé se sent mieux. Elle a moins mal, elle se détend et le temps a repris son jogg. Elle ne peut pas bouger la tête, c'est en réalité très handicapant. Elle ne connaissait pas celui-là. Elle a l'air mieux alors ils se permettent des questions pour savoir ce qui s'est passé. Ils croient déjà savoir.
  • Madame, nous pouvons vous poser quelques questions ?
  • (l'index dit oui)
  • Savez-vous qui vous a fait ça ?
  • (l'index dit oui)
  • Il s'agit de quelqu'un de votre entourage ?
  • (en vérité elle ne sait pas. De son entourage de ce jour-là oui. Mais elle n'a pas la même notion de l'entourage que les gens. Bien sûr elle ne pense pas à tout cela.)
  • C'est votre mari ? Votre compagnon ?
Elle ne fait pas un geste. Ne bouge pas d'un poil. Elle les regarde d'un air furibond. Si elle n'était pas immobilisée, ils sentent qu'elle pourrait leur sauter à la gorge. Ils s'écartent. Ses yeux les fusillent.
  • Excusez-nous, nous ne voulions pas vous heurter, reprend la femme.
  • ...(Trop tard connasse!)
  • Nous cherchons à avoir des éléments. Mais nous remettrons ça à plus tard. Nous allons vous emmener à l'hôpital.
Ils font ce qu'ils ont à faire. Zoé est hors d'elle. La colère est plus forte que toutes les douleurs. Serait-elle une image de douce femme battue par son enculé de mari depuis dix ans qu'ils vivent ensemble et que personne ne voit rien ? Est-ce qu'ils voient ça ? Ça, ce n'est pas elle. Elle les rappellera dès qu'elle pourra parler à nouveau. Dès qu'elle sera d'aplomb. Et elle leur dira qu'elle sait qui a fait ça, qu'elle le connaît, qu'elle ne dira rien et que ce n'est pas ça l'important. Qu'elle se contrefout de poursuivre le « coupable ». Qu'elle n'est pas de ce bois-là. Qu'elle n'a pas besoin de ça pour continuer à vivre. Et surtout, surtout, qu'elle en a vu de putains d'autres ! Connards ! Mais pour l'instant, elle rumine, les yeux roulants dans leurs orbites. Elle ne peut rien faire de plus. Pour le moment, elle se tait. Ce n'est pas dans ses habitudes. Se faire étrangler non plus d'ailleurs.
Elle le retrouvera et elle comprendra. Seule et forte.

mardi 30 janvier 2018

La sorcière panthère

De dos, on dirait une Asiatique exotique. De face, elle a les yeux beaucoup trop bleus et le diagnostic s'avère erroné. Il y a alors perturbation inévitable, palpable, bouche souvent bée, regard vide et pour les plus honnêtes, la tête un peu penchée. On pense à l'albinisme, à toutes les spécialités capillaires et dermiques. On cherche et on ne trouve pas. Juste qu'elle est inimitable et qu'elle ne ressemble à vraiment personne au monde. C'est une beauté qui fait dire des choses comme celles-là, des choses qu'on ne dit pas, qu'on ne dit que quand on est fou d'amour ou qu'on lit un roman tout aussi fou d'amour. C'est une beauté qui fait dire des choses niaises, naïves, puériles. En apparence. Quand l'autre ne sait pas de qui on parle. Ces beautés dont il vaut mieux ne rien dire tant les mots leur sont impuissants, des amazones que le viril langage ne peut jamais faire jouir. Qui est réduit à l'orgasme passif, soumis est encore le mieux. C'est vrai, souvent, il vaut mieux faire fermer sa grande gueule au langage qui se croit omniscient, tout pouvoir, tout devoir dire même depuis quelques décennies. Le langage qui se délecte de la transparence ambiante sur les agirs des uns et des autres mais qui ne sait pas, depuis la nuit des temps qu'il y sue, parler de ces beautés-là. Il continue d'essayer, pauvre bougre... C'est attristant. Mais on ne peut pas empêcher la poule de becquer dans le mur. Navrant ? Peut-être même oui.
Jana sait parfaitement qu'elle cloue le bec puis derrière son dos fait dire le spires banalités. Elle fait se dérouler un dialogue de roman à l'eau de rose. Elle sait parce qu'elle voit. La seule chose qu'elle puisse apprécier est ce terme qui revient parfois, sur les lèvres de celui ou celle qui a pris le temps de sentir l'animal : « féline ». Et, étonnamment, il fait toujours l'unanimité. Elle l'aime, non de s'y reconnaître. Elle l'aime parce qu'elle rêverait d'être une panthère. Elle rêverait de cette beauté fatale et non de sa condition humaine qui chaque jour pourrait la faire hurler de rire ou pleurer de rage. Ridicule. Parfois drôle à s'en pisser dessus. Parfois méprisable à l'en déchiqueter. Elle serait alors juste digne et ses yeux seraient verts. Elle n'y voit pas d'inconvénient.
Bien sûr qu'elle s'en sert ! Pourquoi s'en priverait-elle ? Elle use parfois abuse de cette arme. Elle n'en éprouve aucune honte. Les autres n'ont qu'à pas se laisser faire. Même les aveugles tombent dans le panneau. De fait,, elle l'était déjà, mais sa relation aux aveugles est d'autant plus étrange. Il y en a quand même qui lui sourient en coin, l'air de dire qu'ils ne sont pas dupes, quand ils la rencontrent pour la première fois. Plus que les sains oculaires, qui voient face à elle leur santé mentale tragiquement affectée d'un coup.
Jana a aussi des mains. Oui, comme tout le monde, elle a des mains, merci du détail. Mais la suite n'est pas aussi attendue. Jana a des mains qui, quand elles se meuvent, affectent tout autant la santé mentale du quidam ordinaire. Certains se mettent à les fixer sans pouvoir s'en détacher. Ces moments-là sont en général anthologiques. Jana, comme tout un chacun, parle et bouge en même temps. Peut-être qu'elle agite un peu plus ses mimines que la plupart des gens mais rien d'extraordinaire. Et pourtant, certains, certaines hein ! Tout cela n'a pas de genre ! Et les voilà les yeux rivés aux mains, le visage scotomisé, elle les rappelle à sa hauteur mais ils se courbent vers ses doigts comme s'ils allaient les manger. Non, ça c'est elle qui en a peur quelquefois. C'est flippant quand même ces effets-là ! On ne s'y habitue pas. Elle ne s'en plaint pas mais admettons que c'est un peu délirant. Et Avec tout le respect que Jana a pour les personnes atteintes de maladie psychiatrique, elle na aucune intention d'en faire une vocation. Faiseuse de psychoses ! Quel honneur !
Elle en a déjà vue la nommer « sorcière » aussi. Ce rang l'a fait rire et elle l'a accepté également avec entrain. Une sorcière féline. Donc le nez crochu en moins et un beau petit museau rond et tacheté à souhait de petits points de beauté à la place, chaudron en main ok, zou ! La sorcière panthère.

lundi 29 janvier 2018

Jana la belle

1

          Janusa se fait appeler Jana. Dès la première entrée en relation, elle corrige et demande instamment à ses interlocuteurs de ne l'appeler que comme cela, tant elle a perdu l'habitude d'être appelée Janusa. C'est faux. Toute sa famille, pas mal d'amis, s'entêtent à user de ce prénom insensé. Elle aime autant faire sa loi avec les nouveaux arrivants. Ils sont tout frais, aucune habitude prise, parfait. Et en effet, au travail, dans le cercle des jeunes connaissances, elle est Jana. L'autre, ses parents n'ont jamais vraiment expliqué d'où cela leur avait pris. Elle s'est contentée de vagues réponses. Heureusement d'ailleurs qu'elle n'en attendait pas davantage. Peut-être qu'elle sent au fond qu'il vaut mieux ne pas trop questionner. Surtout les géniteurs. Surtout les siens. Après quelque temps, les gens oublient le prénom officiel et adoptent Jana comme le seul et unique. Au départ, quand elle a entrepris cette opération, elle pensait que cela s’avérerait bien plus ardu. En réalité, les gens s'en fichent ou peut-être respectent cela. Étonnamment, ils respectent ce désir-là de ne pas être identifiée par un amas de sons informes qu... Ou alors eux non plus ne comprennent pas ce Janusa, tout simplement et le trouvent laid et eux aussi préfèrent dire Jana. Elle devrait un jour leur demander. Mais à vrai dire, Jana a d'autres chats à fouetter. Quand même, parfois, elle se dit que c'est drôle comme les autres peuvent de temps en temps se montrer respectueux. Pour des choses comme ça. Sans doute qui concernent un peu tout le monde. Et puis, clairement, cela n'est pas non plus la lune à comprendre !
Bref, Jana est une jeune femme qui a réussi dans la vie. Elle est infographiste. Elle est parvenu à allier ses deux amours en un seul et à en faire son activité quotidienne. Comme tous les emplois, il a ses corvées mais Jana est presque toujours volontaire pour n'importe quelle tâche tant qu'il y en a une en cours qui la fait vibrer. Elle s'émerveille souvent, toute seule. Elle n'en dit rien. On ne fait pas partie d'un monde où l'on s'émerveille. Alors elle serre les lèvres et chantonne dans sa gorge pour ne rien en dire. 
Jana sait exactement ce qu'il faut et ne faut pas dire. Experte en codes sociaux.
Et, Jana est une très belle femme. Pas une belle femme qu'on croise et qui peut-être fait se retourner mais qu'on a oublié le lendemain. Non, une très belle femme. De celles qu'on cherche à revoir. Qu'on ne laisse pas passer sans rien dire, sans rien faire, sans essayer. Qu'il s'agisse de séduction sexuée ou sociale, même combat. Jana est attirante, au sens propre. Certains se disent aimanté. Elle sait qu'elle fait cet effet-là. Elle s'en sert. Il faut jouer avec les cartes qu'on a en main. Elle n'a pas tout pour elle, elle est comme tout le monde, donc autant se faciliter la vie avec cet atout-ci.
Comment est-elle aussi splendide ? Sans folie. De taille moyenne. Les seins un peu petits, diront les amateurs de grosses loches. Mais elle s'en contre-fiche. Elle aime pouvoir faire du sport tranquillement. Elle aime voir ses pieds d'un coup d’œil sans avoir à se pencher comme au-dessus d'un balcon accroché à ses poumons. Jana a les cheveux noirs, avec des reflets presque bleutés, comme dans les dessins animés japonais. Noir corbeau. Ils sont absolument raides et sans un pli. Jana y veille. Voilà une de ses seules maniaqueries. Ils sont interminables, jusque dans le creux du dos. Mais jamais jusqu'aux fesses. Une limite qu'elle s'est fixée. Une limite évidente qu'elle n'explique pas. Ils ont beau être sans fin, ils sont épais et brillants. La gravité ne semble pas avoir poids sur eux. Ils touffent comme des courts, comme des frisés. Un peu stupéfiants. Des cheveux de chinoise en triplés. Le visage est régulier, quelques taches de rousseur sur le haut des joues et le nez. Une peau plutôt claire sans être pâle. Jana n'a jamais mauvaise mine. Allez savoir comment ! Elle rougit facilement. Cela lui est égal maintenant qu'elle a l'âge d'en faire fi. Mais surtout, Jana a des yeux de chat. Elle est proprement féline. Les yeux bleus flamboyants, le regard puissant, les yeux en amande. Presque surnaturelle. Ces yeux-là ne laissent personne indifférents. Ils ont quelque chose qui sonne une cloche, diraient nos amis anglophones. A l'intérieur, une cloche se met en branle et ne cesse de vibrer que longtemps après leur disparition. Ces yeux-là ne sont pas normaux. Pas humains.


Pas d'amour sans Histoire

Grand ami
grand amour,
celle celui ceux
qu'on connaît si bien,
qu'on se targue
de.

Grand ami
grand amour,
dont on ne connaît ni Eve ni Adam
ni aucune pomme,
ni son serpent,
ni son Dieu.

Grand ami
grand amour,
dont on se sent si !
avec le(la)quel(le) on pourrait !
si authentique, si vrai !
si intime, si même !

Grand ami,
grand amour,
qu'on connaît sur le bout des
doigts,
m'enfin on le voit tous les jours
quoi !

Grand ami
grand amour,
qu'on n'a pas besoin de questionner,
tout est limpide,
on lit en lui comme dans un livre ouvert,
pas de secret l'un pour l'autre.

Ton grand ami
ton grand amour,
qui est-il né ?
Comment a-t-il ?
Qui l'a aimée ?
comment s'est-elle nommée ?
Qui l'a fort détesté ?
comment a-t-il parlé, marché, dormi ?
Qui l'a simplement ignorée ?
comment a-t-elle appris, saisi, joué ?
Qui lui a pris la main ?
Comment a-t-il compris, pleuré, admis ?
Qui l'a serrée en bras ?
Comment a-t-elle cru ne jamais y arriver ?
Qui a relevé la tête ?
Comment a-t-il trouvé ses eaux ?
Qui a souri dans un silence ?
Comment a-t-elle dit oui ?
Qui l'a donc accueilli ?
Comment a-t-il dit non ?
Qui lui a interdit ?
Comment a-t-elle hurlé ?
Qui l'a fait jouir d'abord ?
Comment a-t-il voulu mourir ?
Qui s'est assis à côté d'elle ?
Comment a-t-elle voulu les tuer ?
Qui a forcé ses larmes ?
Comment a-t-il rêvé le monde ?
Qui a ouvert les portes ?
Comment a-t-elle attrapé joie ?
Qui pourrait témoigner ?
Comment a-t-il souffert ?
Y avait-il un qui ?

Comment est-elle devenue ?
Qui l'a conduit en vie ?
Comment est-il celui-
ci
et non
là,
ton grand ami,
ton grand amour ?
Tu n'en sais rien.
Tu ne vois qu'une
minuscule photo
de l'immense
existence.
Un flash,
un zoom,
une carte postale.
Certainement pas
le vrai,
l'intime,
ton même,
si son Histoire
t'est inconnue.
Tu ne connais qu'un ridicule
lambeau,
brillant pourquoi pas,
peut-être magnifique,
mais une déchirure de
l'énorme tissu,
qu'il elle
a bien voulu donner,
qui ne fait pas mal,
qui fait mieux vivre,
qui rend heureux,
qu'il elle a trouvé
et qui marche,
et aussi qui te plaît,
qui te convient,
qui te parle,
qui dirige ton regard,
qui parfois muselle tes questions
qui parfois les détourne
mais qui ne te donne pas l'os à moelle
sur un
plateau d'argent.

Ton grand ami,
ton grand amour,
si tu l'aimes tant et plus,
assieds-toi face à face,
avec sa permission,
apprends enfin à reconnaître,
apprends l'Histoire,
la seule qui lui fasse sa
vraie place.
Ou alors
grand ami
grand amour,
à l'arrache,
tu l'aimes comme il est,
et puis voilà !
Mais tu ne sais pas qui c'est !
Tu ne sais rien.
Tu ne sais pas même son nom.
L'amour ne rend pas aveugle.
Je suis
tu es
nous sommes
de grands aveugles aimants.
Perds tes yeux !
Perds ton ouïe !
Perds ta raison !
Et tu verras !
Tu ne cesseras d'aimer
tes grands amis
grands amours,
en amoureux archéologue de leur
roman.
Ami,
amour,
apprenti biographe.

dimanche 28 janvier 2018

Etouffe salope !

Zoé finit sa cigarette et l'écrase dans son cendrier rempli à ras-bord. Elle ne le vide que lorsqu'il est complètement plein. Sinon, elle ne peut pas. Tout simplement, cela lui est impossible. Cela lui semble tellement ridicule et vain, qu'elle n'a pas même un mouvement vers l'objet pour le libérer de ses ordures fumantes. C'est comme ça. De toute façon, dans la vie, Zoé réfléchit, elle attend que la coupe soit pleine. Avant, elle regarde le niveau de l'eau monter et ne ressent pas le sens d'une quelconque réaction. Certains en disent que c'est une impulsive. Ça lui convient. Mieux que petite femme inoffensive. Elle pose la main sur la poignet de la porte. Elle est prise d'un frisson d'excitation à l'idée d'aller voir l'homme dans son lit, juste vérifier, mais le regarder avec son visage d'ange. Les longs cils. Elle a remarqué ça tout de suite. Blonds encore. Disproportionnés. Beaucoup trop longs et beaucoup trop blonds. Elle monte jusqu'à la chambre d'ami et rentre tout doucement. Elle s'approche du lit. Il marmonne, les sourcils se froncent et se lèvent alternativement lui donnant l'air d'un guerrier sans pitié ou d'un gosse acculé. Elle s'amuse de ce spectacle sans essayer de comprendre le charabia qu'il prononce. Elle finit par se pencher sur lui et ne eut s'empêcher de lui caresser les cheveux. Leur contact duveteux et leur couleur si claire la fascinent.
Zoé n'a le temps d'être fascinée qu'une seconde. Il se lève d'un bond. Le yeux révulsés. Il la regarde avec violence. Elle n'a pas peur. Elle tente de saisir. Elle lève haut les mains en signe de paix. Mais cela n'est pas suffisant. Il se raidit et plaque ses mains sur la gorge de Zoé. Elle voit la haine dans ses yeux avant de sentir l'air cesser de lui parvenir. Il serre de toutes ses forces. Il ne fait aucun bruit. Le silence est la mort. Elle sent qu'elle va mourir. Elle le griffe et tente de libérer son cou. Elle frappe ses mains et tente d'atteindre son visage, lui plante ses ongles profondément dans les phalanges. Elle voit du sang. Elle ne peut pas crier. Elle voudrait putain pour une fois ! Elle déteste les cris mais là putain de merde, elle va crever ! Je vais crever ! Je vais crever ! Putain je suis en train de mourir ! Elle s'entend râler. Il accentue sa pression. Plus aucune molécule ne vibre dans l'air. Elle n'a plus la force. Mourir d'un coup. C'est mieux q...Elle ramollit d'un coup et...
Quand il sent la jeune femme cesser de lutter et s'attendrir entre ses doigts, il sent une douleur puissante sur sa joue. Il est comme brûlé au fer à repasser sur toute la joue gauche. Il lâche la petite femme et la laisse tomber bruyamment par terre. A ses pieds. Il souffre le martyre. Il se prend la joue dans les mains. Il souffle de douleur. Il se met à se taper la cuisse, puissamment, régulièrement. De tous ses muscles. Et la douleur commence à diminuer. Il respire au rythme de ses percussions. Il a la peau à vif. L'épiderme a été arraché. Il voit sa mâchoire. Il sait. Il frappe comme un damné, les yeux vides fixés sur le corps inerte qui gît devant lui. Il ne voit que son squelette apparent, sa peau définitivement décollée. Putain mais t'es un vrai connard mon pauvre Aksel ! Quand est-ce que tu apprendras à ne faire confiance à personne. Elle t'a défigurée.tu as baissé la garde quelques minutes et voilà où tu en es. Tout ce pour quoi tu t'es battu est perdu. Tu n'es qu'une chair à vif maintenant ! Un monstre détruit par une petite pute ! Achève-la ! Finis-la ! Qu'elle paye pour sa faute ! Toutes les mêmes ! Toutes des sorcières aux caresses de mère ! Dépouille-la ! Émonde-la ! Elle ne sera plus qu'un tas de viande crue ! Elle ne mérite que ça. La jeune femme siffle. Elle est prise de spasmes. Aksel la voit. Il hésite. Il a envie de vomir. Il l'allonge correctement et lui fait du bouche à bouche. Il la secoue. Il se tait. Les lèvres serrées. Il la regarde, débile.
Elle respire.
Elle tousse.
Longtemps.
Elle va vomir ?
Pas ça non non pas ça !
Elle soulève les paupières sur des yeux de loup-garou. Verts et rouges. Bien accordés. Elle n'a pas peur. Toujours pas. Elle lui intime du regard de ne pas bouger. Il n'en a pas l'intention quoi qu'il en soit. Elle se relève, elle en a juste la force, sur les avants-bras. Elle le fusille d'une moue de dégoût. Et lui crache au visage. Il ne cille pas. Il n'entend rien. Le silence est de plomb. Elle se traîne jusqu'au téléphone et appelle le 15. Et « Casse-toi connard ! ». Il se lève avec diligence. Comme un automate. Il sort de la chambre. Il descend l'escalier et se voit passer dans le miroir. Egal à lui-même. Peut-être un peu décoiffée. Il a un peigne dans la voiture. Il sort de la maison. Il a un haut-le-cœur à la vue du cendrier presque plein. Il descend les quelques marches extérieures. Il se dirige vers sa voiture. Il ouvre la portière. Il s’assoit au volant. Il démarre. Sans savoir.
Zoé a le cou bleui, elle a très mal. Elle attend le SAMU. Elle s'est rallongée. Par terre. Lovée dans sa bulle de coton. Celle qui répare tout. Elle est vivante. Elle sourit. Elle comprendra. Sans aucun doute, elle comprendra.

samedi 27 janvier 2018

le grand homme et l'enfant fracassé

Zoé réfléchit encore et encore. Au grand homme qui dort là-haut. Qu'elle a accueilli chez elle. Il n'avait pas l'air fragile. Il avait l'air enfant. Qu'on ne dise pas à Zoé qu'un enfant est un être fragile ! Elle en sait quelque chose. Ce sont les plus forts d'entre nous s'insurge-t-elle souvent. On ne comprend pas sa véhémence. Mais tout le monde devrait se révolter contre cette idée de la fragilité de l'enfant. Quelle énorme connerie ! Quelle putain de connerie ! L'enfant est le plus doué des êtres. Le plus vulnérable et le plus invincible. La proie qui jamais n'est vraiment prise. Sauf par la mort bien sûr. Mais enfin comme tout le monde ! C'est idiot cette remarque ! Ce que les gens peuvent être bêtes parfois ! Bref, ça, elle le garde pour elle. A ne surtout pas brailler en public, en soirée, sous peine de perdre tous ses amis ; déjà qu'il n'y en a pas pléthore. Mais bon, tous quand même, peu importe le nombre. Tout ça pour dire que le grand homme qui n'est plus drôle, a eu l'air d'un enfant. Il a pourtant bien la trentaine. Mais c'est l'autre visage qui est apparu. Celui que Zoé cherche sans relâche chez l'autre mais qui n'est souvent que fugace. Pour autant émerveillant. Elle l'appelle Le vrai visage. C'est celui auquel aucun être humain ne résiste, qu'aucun être humain ne blesse. Celui qui force l'absolu respect. de l'autre si l'on le courage de le regarder en face. Mais regarder en face n'est pas la grande fierté de l'humanité qui peut davantage se targuer de détourner les yeux. Bref et rebref, elle fume sur le pas de sa porte, enroulée dans son gros gilet les genoux contre la poitrine, assise sur une des marches du perron. Elle pense mieux quand elle est ainsi pelotonnée. Elle sait qu'elle attend trop. Elle en fait son affaire. Elle trouve quelques pépites de temps en temps et ça la recharge comme une fusée. Un vrai rail à effet retard. Elle n'a plus besoin de la poudre maintenant. Elle ferme les yeux et elle imagine le grand homme, dont elle ne sait toujours pas le nom. Il est un enfant qui regarde lui aussi. Qui se tait. Qui comprend beaucoup trop. Qui voudrait parfois être son chien plutôt que lui-même. Alors il se love contre lui, énorme et tendre Terre-Neuve, pour se sentir de sa famille. De sa nature ; de sa douceur, de sa puissance. Il rêve de n'avoir à bouger qu'une babine pour faire reculer les chasseurs. Mais il ne pense plus à rien quand il est contre l'animal tout chaud. Cet enfant est chétif. Il n'aime pas manger. Il se sauve de table dès qu'il peut. Il n'aime pas dormir non plus. Il ne dort pas d'ailleurs. C'est un tout petit dormeur qui passe des heures à mouliner ses rêves pour lutter contre le réel. Il lit sous la couverture, avec sa minuscule lampe de poche. Il vole les livres un peu partout où il les trouve. Il a le sentiment que ce n'est pas un vrai vol puisque ce sont des livres qu'il vole... C'est un vol bien intentionné. Il mange des histoires jusqu'à s'endormir au milieu de la nuit. Il se réveille en sursaut au premier pied posée sur la première marche de l'escalier. Il voit tout de suite. Il est aux aguets. Il se lève avant même que quiconque pénètre dans sa chambre. Il doit accueillir le monde debout. Déjà prêt.
Cet enfant est devenu un de ces adultes particuliers. Ceux qu'elle préfère. Ceux qui, quand ils dorment, révèlent l'enfant car il est trop vivant en eux pour se taire encore la nuit.
Ceux qui sont obligés de museler ce gosse qui donne des coups comme un bébé mais sorti.
Ceux qui froncent les sourcils du matin au soir sur un regard pénétrant et interrogateur, faussement sûr, faussement arrogant. De toute façon, l'arrogance n'est-elle pas toujours un pis-aller ? Zoé a haï les arrogants. Elle leur sourit désormais et ils l'évitent.
Ceux qui, lorsqu'on parvient à atteindre le palpitant de leurs pupilles, vous vrillent le cœur. Ils vous provoquent. Ils vous attendent dans l'arène. Ils croient susciter l'affront. Le regard est dur. Parfois froid de prime abord. Mais Zoé patiente et soutient le direct. Ils croient l'arme fatale. Ils lèvent les sourcils une seconde et là, s'engouffre l'enfant fou de douleur et de haine, tailladé, écorché, vif, tranché en petites lamelles, terrain bondé de cicatrices les unes sur les autres, il n'y a plus de place, et l'enfant court pour sortir de cet enfer car la brèche s'est entrouverte et qu'il doit hurler sa vengeance. Ce n'est qu'une seconde, interdite, et les yeux donnent tout l'être qui se cache.
Ce sont ceux qui pourraient d'un jour à l'autre tomber dans le plus profond des canyons. Ceux dont on ne ressort jamais. Soit tombé fou. Soit tombé mort. Ceux qu'on ne soupçonnerait jamais. Si l'on n'y regarde pas de plus près et voilà qui est très facile. Ils dressent la muraille de Chine en un clin d’œil entre l'autre et eux. Des constructeurs de génie. Des magiciens de la forteresse.
Ce sont ceux qui se servent du silence. Qui, au moment le plus gênant, se taisent, le visage calme et jouent l'impassibilité.
Ils pourraient tuer leurs pairs. Mais personne ne le sait. Tout le monde le sent et se garde bien de parler de sa peur ou de sa passion.
Ceux qui, fracassés comme des bêtes à abattre, chaque jour des petites années, contre le carrelage du sol, contre les pierres des parois, le crâne brisé, peuvent être nos gourous.
Ceux que la douleur ne fait pas sourciller, et même rassure.
Ceux que personne ne voit.
Qui en un éclair, lâche par méprise, par surprise, face à une petite femme menue, à l'air si juvénile, qui ne paye pas de mine hein !, dévoile l'enfant mal-aimé qui pourtant craint et déteste tant la lumière du jour, la vraie vie, et les gens.
Ce sont eux qui, quand ils vous aiment, vous blessent oui. Qui ne blesse quand il aime ? C'est ce que répond toujours Zoé quand on lui reproche de mal choisir ses compagnons de route. Mais en réalité, elle le sait. Eux davantage que les autres. Ils ne vous blessent vraiment que s'ils vous aiment. Et inversement.
Mais mais ! quand ils baissent les armes, un instant, une heure, plusieurs les jours de gloire, ils serrent dans leurs bras comme personne ne sait. Comme personne ne peut. Ils ne serrent pas fort, pas longtemps. Ce n'est pas une question aussi basique. Ils serrent exactement comme on l'attend. Ils s'emboîtent parfaitement dans l'être de l'autre. Ils sentent ce qu'il faut. Ils sentent ce qui va. Ce sont aussi des tendres de génies.
Zoé est irrésistiblement attirée par ces gens-là. Elle ne s'en défend plus. Elle s'adapte. Parce qu'ils offrent ce que tout adulte lambda a oublié. Pour son plus grand bien. La brutalité de l'impuissance, la vie en face à face.

mercredi 24 janvier 2018

La muraille se fissure

              Aksel démarre et repart sur la route. Il ne sait pas où il va mais il avance, il tourne, il bouge. S’il le pouvait, il irait courir dans une forêt sans âme. Mais il est bien trop faible pour. Aksel est à bout de forces. Il continue de respirer régulièrement parce qu’il sait combien cela peut le regonfler. Mais aujourd’hui, cela ne fonctionne pas. Il commence à s’impatienter. Il est sous contrôle et sous extrême tension aussi, la bombe peut exploser à tout instant. Et il ne peut plus se garder de rien alors. Aksel sait. Il n’est plus question de vouloir ou non. Il est question de respirer ou non et voilà tout. Le problème est très devenu très basique. Les jambes tremblent encore en appuyant sur les pédales. Aksel sent la nausée monter et la rage reprendre ses droits. Il respire bruyamment, il se force. Mais les sons de l’air entrant et sortant de son corps allume la mèche. Aksel est à point. Alors petit con, tu vois bien que tu n’aurais pas dû en rester là. Qui est-ce qui paye l’addition maintenant ? Toi ! Comme toujours. On dirait que t’aimes ça hein ! Tu sers maso en plus d’être lâche ? Le pompon ! Le mec qui ne sert à rien en somme. Celui dont personne ne veut sauf une mère aveugle qui n’aime que ses enfants, gaga débile, ça te rappelle quelque chose hein !? Te voila bien dans la merde hein ! T es au volant de ta voiture, comme un bon p’tit bourgeois coincé, et tu fais tes exercices de yoga là. Mets-toi à la méditation pendant que tu y es ! Pauvre mec ! T’es plus celui que j’ai connu. Ca t’a pas fait du bien hier soir ? Ca t’a pas soulagé ? Réponds pas, je sais déjà ce que tu vas dire. Mais y a pas de Mais qui tienne. Les Mais sont pour les faibles. Tu es encore un faible alors. Encore un gamin victime, bouc-émissaire, qui ferme sa gueule en attendant que ça passe. Rien n’a changé. Tu passes à l’action et enfin tu es libre, tous les quinze ans et le reste du temps, tu refoules, tu refoules. Et quand tu y vas, tu fais les choses bien mon pote ! T’es un artiste. Mais tu refoules, tu ravales. Freud se retournerait dans sa tombe. Putain ! Dépêche-toi de vivre ! Tu es comme ça et c’est tout ! Accepte-le et respecte ta nature putain !
Arrête avec tes Putain !
    Aksel a hurlé. Aksel n’a jamais hurlé de sa vie. Aksel n’a jamais levé le ton. Aksel ne peut pas. Son coeur se met à battre à tout rompre. Il va mourir. Sa voix lui a planté trente lances d’un coup, sorties de nulle part, fichées dans son crâne. Il pourrait peut être  encore hurler de douleur. Mais il s’évanouit avant.
Aksel ne s’est jamais évanoui. Le monde s’arrête un instant. Il ne tourne pas rond du tout.
       Zoé, au bout de trente minutes salvatrices de marche, arrive devant chez elle. Elle lâche la poussette et cherche ses clefs dans son sac aussi bien rangé qu’une poubelle. Elle a un moment de stress, elle ne les trouve pas. Et personne n’en a les doubles. Elle ne veut pas. Elle n’a pas besoin d’aide, sous son joli sourire d’ange. Elle ne se laisse pas approcher comme ça. C’en est terminé. Elle relève la tête de l’intérieur hasardeux de son sac de femme et introduit la clef dans la serrure. Axelle s’est endormie. Elle la regarde quelques secondes, étonnée comme toujours de voir son enfant vivre comme tous les autres. Elle ouvre le petit portillon et le referme derrière elle. En se retournant, elle aperçoit une voiture garée étrangement, sur le trottoir d’en face. Le pare-choc avant est appuyé à un gros arbre que Zoé affectionne particulièrement. Il l’apaise. Mais elle s’inquiète de cette configuration anormale. Elle traverse rapidement la route déserte et vérifie l’intérieur du véhicule. La buée a envahi les vitres mais elle parvient à ouvrir la porte passager. Elle reste interdite : un homme, la tête tombée contre le volant, les bras ballants, dort. Elle ne sait pas si elle doit le réveiller. Il respire doucement. Elle s’apprête à sortir et laisser les choses telles quelles quand elle reconnaît le drôle de grand homme du centre commercial. Elle reconnaît ses vêtements. Car à part ça, il est méconnaissable. Il a l’air malade. Son coeur lui dit de sauter de joie et remercie le hasard. Sa raison la sort de la voiture et lui fait doucement refermer la porte. Elle retourne sur ses pas et rentre chez elle. Comme si de rien n’était.
Mais tout est différent désormais.

mardi 23 janvier 2018

Les morts nourriciers

Où sont mes morts ?
Je les ai reniés,
Je les ai tués et retués,
Je les ai enfouis et renfouis.
Je les ai jetés aux ordures,
Nageant dans leur mare d’excréments.
Je les ai fait rejoindre
Par les haïs du passé,
Je les ai souvent regardés
Du haut de ma colline
S’embourber dans leur décharge,
Leurs déchets,
Se mélanger,
Ne plus ressembler à quiconque.
Les vieux morts
Les jeunes haïs,
Je les ai effacés,
Gommés tout simplement
Interdits de séjour dans la
Deuxième vie.

Où sont mes morts ?
Où sont mes ennemis ?
Où sont mes révoltants ?
Je les ai dégagés le plus
Loin possible,
Tir fatal,
Dans le mille
Mais le match gagné,
Ils restent pourrissants.
Pourrisseurs.
Ne meurent jamais.
Ils nourrissent ma colère,
Sans un bruit,
Pas un battement de cil,
Encore moins de coeur.
Quand je perds la rage,
Je les invoque
Inconsciemment,
Et nous nous crachons
Dessus
Et je repars,
Rechargée.

Où sont mes morts ennemis ?
En monceaux orduriers,
Moi-même insultante ordurière,
Maltraitante,
Tyrannique,
Et la rage au ventre,
Ils végètent.
Mais ils servent ma furie
Ma guerrière.
Mes morts ennemis
Sont de faux oubliés.

lundi 22 janvier 2018

A terre les œillères !

Les œillères sont tombées,
Sans tourner la tête ,
Tout s’allume au coin des yeux,
Feux d’artifice surprises.

Les œillères sont tombées,
On n’ose presque pas bouger
Mais mille chemins se découvrent
Aveuglés jusqu’alors.

Les œillères sont tombées
Et l’univers s’agrandit,
Plus de droit devant et avance
A coups de cravache.

Les œillères sont tombées
Et tous les espoirs permis,
Les ruades à tout va,
De joies tsunamiques.

Les œillères arrachées,
À dessein,
Enfin,
Courage à deux mains,
Beaucoup moins mal qu’un sparadrap dites donc !,
Pour ne plus se contenter de
La peur
Et la prudence,
Et bombarder le monde de ses rêves
Pas si fous
Pas tant toqués.
On les brandit et
Les autres qui aiment
dansent aussi.

dimanche 21 janvier 2018

Proies

Zoé repart pensive. Axelle gazouille en jouant avec son trésor imprévu. Si elle parle à sa mère, cette dernière n’en entend rien. Elle tourne et retourne ce visage dans sa tête. Il tourne et retourne, la retourne, la chamboule. Il lui colle aux yeux. Elle avance machinalement. Zoé rentre chez elle, à pied, évite le bus et le monde, ne pense plus à son dos qui la fait souffrir. Elle est indifférente à tout cela. Elle pense au grand drôle d’homme. Pas vraiment drôle d’ailleurs mais aspirant. Ses yeux bleus profonds comme ceux de... Oh non ! Pas encore ça ! Pas encore cette bêtise ! Son psy lui a bien dit de cesser de courir après son père. Zoé cesse cette lutte vaine ! Mais c’est bien plus fort qu’elle et ses années de thérapie ne l’empêchent pas de toujours vouloir cet homme-là. Merde et merde putain de merde ! Elle ne comprend toujours pas pourquoi il lui est si dur de s’en défaire. Il n’était pas extraordinaire, il n’avait rien de spécial. Apparemment du moins mais elle l’a toujours aimé comme son dieu. Sa mère reléguée loin derrière. Elle sait que c’est bizarre. Elle est prisonnière de cet amour. Elle aime ce mort, encore et encore. Quelle merde ! Fait chier ! Zoé s’emporte intérieurement. Elle est dans une colère folle. Pourquoi les choses se répètent-elles ainsi ? Pourquoi est-elle incapable de dénouer ce lien qui l’enserre et la ramène toujours à la solitude ? Les pourquoi ne servent à rien. Faux amis ! Encore des trompeurs ! Elle en devient aigrie. Parano même. Elle s’en fout. Elle doit bien trouver une issue pour évacuer. Remarque que ça ne doit pas être efficace vu les lumbagos qu’elle se cognent... Bref...

      Aksel tremble. Il n’a pas peur. Il tremble. Sent que l’air siffle dans sa gorge. Sans doute imperceptible pour les autres qui le croisent sans lui prêter attention. Mais lui sait que sa gorge a rapetissé. Étreinte. Laissant passer le strict nécessaire. Filtre sans concession. Il n’est pas vraiment gêné. En revanche, il tremble comme un 40 de fièvre. Il a très chaud. Il ne transpire rien. Il est sec comme un bout de bois mort. La fièvre sèche de la rage. Alors Aksel, mon grand, tu vois bien que tu aurais dû. Tu aurais dû planter ce putain de crayon dans la putain de gorge de cette putain de gamine ! Te voilà fait comme un rat, dans les filets dont on ne sort pas. Tu ne t’en sortiras pas ! Tu le sais. Tu ne t’en sortiras pas. Te revoilà la victime ! Te revoilà la proie ! Quand vas tu donc comprendre que tu ne dois plus jamais, plus jamais petit con !, être celui auquel on manque de respect, celui qui se laisse faire sans rien dire ? Quand vas-tu comprendre que tu n’as pas le choix bordel !? Tu es la proie ou le prédateur, ne cherche pas la fameuse troisième voie ! Elle n’existe pas. Depuis 30 ans, tu devrais le savoir quand même imbécile. Tu as toujours été comme ça, à ne pas vouloir accepter le vérité. Espèce de lâche ! Un couard ! Un ô eunuque ! Tu as perdu tes couilles des milliers de fois et tu continues. On dirait que tu aimes ça. C’est peut-être ton kiff de te faire émasculer un milliard de fois dans ton existence de victime incapable. Je commence à vraiment croire que rien n’a changé depuis tout ce temps. Tu recules ! Tu baisses la tête ! Tu...
« TA GUEEEEEULE ! », hurle Aksel comme un fou. Pas un son n’est sorti de sa bouche mais il a hurlé si fort que l’autre se tait. Il s’assied dans sa voiture à laquelle il vient d’arriver sans savoir comment. Il est épuisé. Il a l’impression qu’il ne pourra plus jamais marcher. Il s’endort.

Miroir ! dit l'enfant

           Et puis brusquement, son cocon de silence, foule neigeuse, se brise d’un hurlement. Lointain. Le malheureux qui pousse le cri... Bien heureusement il est loin...bien heureusement, les bouchons freinent les vibrations qui n’atteignent Aksel qu’enveloppées d’une gaze infirmière. Aksel sursaute tout de même. Se sens sont tous à fleur de peau. Ses poils se dressent et son crâne le fait souffrir. Malgré la distance du cri, Aksel sursaute comme un forcené et la rage remonte en lui. Se déverse comme un raz de marée impitoyable. Impitoyable pour tous. Aksel trépigne d’impatience. C’est insupportable. Il voudrait faire cesser ce cri et ses percussions. Le cri a déjà cessé, depuis plusieurs secondes. Pour les autres oui. Pas pour lui. Il vrille encore son cerveau et sa poitrine. Il voudrait s’écorcher vif, se brûler toute la surface du corps pour se consumer à l’aune de sa rage, sa répugnance et son exaspération, tout cela bien plus immenses que son corps minuscule. Ridicule corps d’humain incapable de supporter cette transe. Aksel se sent nain, aussi ridicule que ceux qui peuplent les jardins. Il se hait. Il hait l’enfant qui a hurlé. Il ne peut s’empêcher de le chercher. Il ne sait plus que cela ne devrait pas. Il se met à marcher à grandes enjambées. Il tourne dans les cercles concentriques du centre commercial. Il cherche. Il flaire.il sait où chercher. Son excitation est à son comble. Il veut punir l’enfant qui s’est  permis, qui a tranché sa cuirasse de silence. Il veut venger l’affront. Il ne s’en sortira pas comme ça. Enfant, adulte, et donc ? Tous les êtres ont leur responsabilité, il doit payer cher. Raide comme la justice, il se plante devant la poussette du coupable. Il le regarde avec la même haine qu’hier soir. Il le tétanise. L’enfant se raidit à son tour, absorbée par le regard glaçant d’Aksel. Étouffe-la cette petite conne ! Elle mérite de crever ! Elle t’a poignardé. Elle est un de ces êtes qui ne doivent pas vivre. Fais-la crever et qu’on en finisse avec cette engeance de hurleurs répugnants ! Vite ! Maintenant !!
« Monsieur, il y a un problème ? » demande la mère calmement. «Nous nous connaissons ?
-...
- Monsieur ? Tout va bien ?
Elle n’a pas peur. Elle s’approche de lui, tout près. Tout dans son corps l’interroge.
-...
-Monsieur, vous avez besoin d’aide ?
Il a envie de lui enfoncer le crayon qu’il tient dans sa poche dans sa gorge, pour qu’elle se taise, qu’elle cesse de s’approcher de lui. Comme si elle s’inquiétait pour toi ! Ne te laisse pas avoir cette fois mon grand ! Toutes des salopes ! Ne l’oublie pas. Putain mais réagis !
Il sent son corps tomber d’un coup, lourd. Il se sent plus grand que tous. Il l’est. Il pose un regard étonné sur la dame. Elle lui sourit. Elle n’a toujours pas peur. La rage s’est évanouie comme elle a surgi. La haine laisse la place à un énorme vide affolé. Mais il connaît cela et il respire. Encore. L’enfant gazouille.
-Tiens-toi tranquille Axelle ! »
Il est pris d’un spasme, il est prêt à vomir. Il ouvre ses yeux ouverts. Ses pupilles se remettent en place. Il voit la jeune femme. « Axelle... Axelle... Axelle... » L’écho tourbillonne dans son canyon.
Vous voulez que j’appelle quelqu'un ?
-... Pardon ... Non. Merci... C’est le cri.
Il désigne l’enfant.
-oh c’est très gentil à vous de vous inquiéter. Tout va bien. Elle a de la voix la gamine ! Juste un caprice sans importance. Axelle, excuse-toi d’avoir crié. Tu as fait mal aux oreilles du monsieur.
Il la regarde incrédule. Elle sait. Elle a compris. Attention Aksel, ne te laisse pas prendre par elle. Elle est sûrement psychiatre ou un autre truc du genre qui camisole les gens comme nous. Aksel, elle doit cacher sa piqueuse dans sa poche ! Aksel reveille-toi !
« oh ta gueule ! »
La femme cette fois fait un mouvement de recul.
-excusez-moi, ce n’était pas pour vous. Je suis confus.
Mais non tu n’es pas confus ! Imbécile ! Immobile-la et enfonce ton putain de crayon  à elle et à sa salope de fille !
Il doit parler, parler pour ne plus écouter.
-je suis confus, c’est un souci médical. Je ne voulais pas vous manquer de respect.
-pas de souci. Je connais ce problème. Mon père avait le même. Il nous traitait de putes et de salopes sans cesse ma mère et moi et pourtant c’était un père amoureux de sa famille." Il se tend à ces mots. C’est drôle quand même que vous soyez tombé sur moi...
-oui, en tout cas, veuillez m’excuser encore.
-Axelle, excuse-toi maintenant !
- scuz-ma monsieur.
La petite est boudeuse mais honteuse aussi.
-ne t’inquiète pas Axelle. J’ai eu très peur quand tu as crié. Mais tout va bien. Tout va bien.
Il parle à tout le monde. « Tout va bien. »
La fillette lui sourit. Aussi confiante  que sa mère. Il a envie de la serrer dans ses bras. Il sort de sa poche le crayon rouge.
« Tiens ma grande. C’est pour toi. Désolée de t’avoir fait peur. »
Elle regarde sa mère, indécise sur l’attitude à adopter.
-Vas-y ma louloute. C’est pour toi. Tu peux le prendre.
-Maciiiii
Elle s’émerveille du beau crayon rouge que le grand inconnu lui offre. Les yeux pétillent.la mère regarde son enfant, heureuse. Elle relève la tête.
-Merci à ... vous...
Mais le grand drôle d’homme est parti.
Il lui aurait bien plus celui-là. Elle l’imaginait déjà peuplant sa solitude. Elle reprend son chemin, en même temps réjouie et abattue. Il s’est passé quelque chose Zoé là. Tu réfléchiras à la maison, pendant la sieste.
Le visage du grand homme passe et repasse derrière ses yeux, logé dans son front. Comme imprimé. Il faudra que je le retrouve.

jeudi 18 janvier 2018

Le cirque des rêves

L’immense mer bleue turquoise
Le sable chaud entre les orteils
Émerveillés,
Laissés derrière,
Comme un regret.
Tant pis !
On verra plus tard.
Beaucoup plus tard.
Les grandes neiges et
Les jours blancs mystères
Non plus
D’actualité.
Pas maintenant.
Et caché dans leur dos,
Tous les autres,
A la queue leuleu.
Ouvre les yeux et regarde devant toi.
Devant toi à tes pieds,
Autorisation de deux mètres
De périmètre.
Et encore,
Pas trop de pivot,
Jette bien en face,
La technique !
N’oublie pas.

Il y a
L’’immense mer turquoise,
Les jours blancs mystères,
Et tous les autres,
Plus fous,
Farfelus,
Rigolards,
Qui marchent sur les mains,
Ou pirouettent,
Ou jonglent avec le feu.
Ils dépassent sans vergogne,
Les deux mètres
Normotypes.
Ils ne voient même pas
Le cercle sécurité
A la craie par terre
Comme une marelle,
En réalité,
Un peu pitoyable.
Quand eux,
Les circasiens
De la vie
Se pointent,
Le gentil petit arc
De cercle,
Tremplin trompeur,
Pour surtout ne pas lancer trop loin
Le javelot
Fait mourir
De rire.
Eux,
N’ont pas d’espace ni de temps.
Ils ouvrent toutes les portes.
Ils donnent les yeux d’une mouche
Pour tout oser voir.
Ils se fréquentent avec modération.
Quoi que...
Où va-t-on sans,
Dans la poche à côté du livre,
Ses rêves d’arc-en-ciel ?

mercredi 17 janvier 2018

J'ai rencontré l'ironie

La tête tourne
Sans volonté entendue,
Rien n'a battu dans les
Côtes
Ou les
Tempes.
Une porte automatique.
Métro,
On y est !
Sans conducteur.
La tête suit le
Mouvement.
Et elle se pose avec
Ses yeux
Sur la femme d'à-côté.
Pas juste là
Mais pourtant plus
Là que
N'importe qui dans cette rame.
Elle a le front et les cheveux pris dans
Un foulard fermement
Serré sous
La nuque.
On ne voit pas
L'envers.
On s'en fout.
Le face occupe tout l'esprit.

Le front parait
Immense,
Une longue et calme dune
Désertique
Qui n'en finit pas
Et qui pose toutes les
Questions,
Laisse ouvert tous les
Espaces.
Le front habillé de près
Par ce tissu moiré
Aux couleurs indéfinissables,
Dénoue les yeux
Qui grand comme des soucoupes
Peut-être de merlan frit,
Qui entrevoient
Les horizons les plus
Lointains,
Ils ont la place et
Le temps.
Son front est parfaitement lisse.
Bombé sans abrupt.

Dessous,
Les pupilles défient les normes,
Effacent les prérequis.
Elles sont franches
Sans amertume.
Elles narguent sans
Cruauté m
Mais bien
Assurément
La normopathie ambiante
Et tous ses nombreux adeptes fanatiques.
Les pupilles disent que
tout est possible
Aussi fort que le lent front
Du Sahara
Dans son foulard des Mille et Une Nuits.
Les pupilles rient
Des regards qui s’attachent
A elles
Et qui cherchent
L’erreur.
Elles crient que l’univers
Est un conflit
Qui ne doit jamais
S’arrêter,
Un rire
qui doit toujours
S’autoriser,
Même seul et sans ami.
Les pupilles
Verte et marron,
Vairon
Vaironne ?
Verte et marronne ?
Dernière provocation,
Une mèche rousse
S’échappe.
La tête se penche
Sourire en coin,
Ironique jusqu’aux
Oreilles.

mardi 16 janvier 2018

Et la foule qui berce l'enfant

Aksel se prélasse dans la foule. Il a l'impression d'être un serpent qui coule entre les gens. Un serpent parce qu'il glisse, parce qu'il n'y a aucun à-coup. Parce que là, les oreilles bouchées jusqu'au fin fond, il vogue parmi ses pairs. Il ne souffre de rien. Il souffle. L'on préfère préciser pourquoi ce serpent arrive là, parce que les gens disent bouh ! ah ! beurk ! Comme pour une araignée. Mais c'est tout sauf un prédateur dont on parle là. C'est un individu perdu au creux de la masse vivante de ses congénères. Bien avec eux. Parfaitement bien, coulant et calme, ni chaud ni froid, qu'on ne fasse pas dire ce qui n'est pas ! Il est sourd comme un serpent. Et se berce au sein de ses semblables, alors si réconfortants. Il a besoin d'eux après cette nuit en solitaire, tourné en rond dans son esprit, l'esprit précisément noué et renoué, emmêlé comme la plus fébrile des chevelures, l'esprit seulement apaisé par le ronron lointain d'abord de la voiture, un peu, pour commencer, en douceur, chaque chose en son temps, mais vraiment par le ronron des autres qui fourmillent autour de lui. C'est là, tout près et très loin qu'il peut reprendre le rythme des vivants. Non pas qu'il en soit vraiment sorti, sinon bien sûr il se serait tiré gentiment une balle en pleine tête, pas dans la bouche, ça ne marche pas toujours et on se retrouve bien fin après ça, ou un bon accident voiture contre camion, le camion gagne toujours, c'est un pari sans risques, pas de pari pascalien à la mords moi le noeud, il connaît tous les tours, il a tout lu dans ses  thrillers et il a aussi tout imaginé, dans son lit, il y a bien longtemps de ça. Mais les images demeurent et les idées se fixent, au cas où. Parce qu'une fois qu'on y a pensé, que notre enfant y a pensé, il ne le perd plus jamais de vue. Aksel ne perd jamais cela de vue. Pourtant, s'il était suicidaire, il serait depuis dix ou quinze ans passé de l'autre côté comme on dit. Mais il sait qu'il ne le fera jamais, rien que par loyauté envers cet enfant qui n'a jamais cessé la lutte. Il lui doit de vivre, maintenant adulte, les armes en main, de se battre, avec toute la facilité qu'on éprouve, malgré toutes nos récriminations, à lutter quand on n'est plus un enfant. Aksel a beau souffrir, son enfant aussi. Il le pense en coup de vent. Il a beau, c'est incomparable. Il ne peut pas faire cet affront au gosse. Il ne peut pas se permettre de mettre en balance l'aujourd'hui et l'hier. L'enfant deviendrait fou et tout sauf ça car l'enfant fou est bien plus incontrôlable que tous les autres en lui. Alors, dans cette immense foule, il apaise l'enfant dont il reste gros. Son apparence sèche masque cette gestation infinie qu'il accepte désormais. L'enfant s'est révolté à nouveau hier soir. Il n'a fait que ce qu'il pouvait. Il a perdu les pétales. Mais il n'est pas capable autrement. Est-il temps de le soigner ? D'assouvir sa faim insatiable ? Il ne parle pas. Il est muet comme un mur. Il faut l'intuitionner. Aucune autre voie.
Mais que faire s'il prenait les rênes ? Aksel veut-il rester le maître ? Réellement... Ou bien passer la main...

lundi 15 janvier 2018

La toute petite fille

A l’intérieur de soi,
Entre les côtes de la cage
Et les mous mous cachés derrière,
La petite fille en
Fauteuil roulant.
On ne voit pas ce qui
Cloche
Mais sûr,
Elle est coincée entre ses
Accoudoirs
Les jambes sans vie.
L’handicapée
Souvent bave.
On ne s’en émeut plus,
Sa condition le veut.
Sauf qu’une fois de plus,
On se plante en beauté.
Elle bave de
Rage.
Elle bave d’
Impuissance.
Elle bave de
Haine.
Mais elle sait ce qu’elle
Bave.
Pas une vulgaire limace.
Plutôt canine.
Carnassière même.
Vous riez ?
Vous vous esclaffez même ?
Nous nous esclaffons,
Comme des imbéciles.
Qui sont donc les limaces ?

D’un coup,
Brutale,
En pleine bave,
Les yeux roulants,
Elle se dresse de toute sa hauteur
De toute petite fille,
Debout ferme,
Karatéka prête à.
Elle pourrait lever un
Éléphant,
La gamine atrophiée.
Elle n’est en fauteuil que
Car condamnée à.
Son corps est musculeux,
Elle s’est réveillée
Et ne se laissera
Désormais plus
Piquouser au
Tercian.
Et l’adulte vraie
Adviendra
À ses côtés.

dimanche 14 janvier 2018

LE CRI : L'armure de silence

      Le lendemain matin, après une nuit d’errance, douce, calme, la nuit comme il l’aime plus que n’importe qui, la nuit qui l’enveloppe et le berce, dans son intime et respectueux silence,  Aksel continue sa promenade. Il a longuement roulé dans sa voiture à laquelle aussi il sait gré du confinement qu’elle lui apporte. Il se sent plus apaisé. La rage a disparu. Plus rien ne bouillonne dans le creux de son ventre ni ne bourdonne dans sa tête, les oreilles pleines, les yeux flashés, comme il y a quelques heures, les veines battantes, prêtes à éclater. Il n’est impressionné par tout ça qu’après coup. Pas fier. Pas ça. Il n’est pas fou. Mais juste objectivement impressionné par les limites atteintes et jamais dépassées par le corps en furie. Il reste vivant. Et en quelques heures, il retrouve son calme. Ceci dit, il reste à fleur de peau. Aksel n’est pas idiot. Même si sans doute un génie pourrait là aussi se tromper. Peu importe le mot. Il n’est pas idiot et il sait qu’il reste nerveux sous le calme de normalité. Il doit se protéger du jour, du bruit, des gens. Il se rappelle. Les réflexes reviennent tout seuls. Ceux qui lui construisent sa bulle, son espace vital du moment. Question de survie. Il pourrait s’en planter de mille coups de couteaux s’il ne prend pas soin de lui. Il pourrait s’arracher la peau et découvrir tous ses organes au grand jour, sans mourir, pour qu’ils voient tous ! Pour qu’ils sachent ! Pour que le monde prenne acte de cet intérieur fracassé mais en apparence tranquillement vivant.
Il se gare. Il respire. Il prend le temps. Il est assis sur le siège conducteur, confortablement mais pas affalé. Il doit pouvoir se mettre debout et marcher. Il a besoin de se dégourdir les jambes et il ne doit pas s’effondrer. Il a toujours peur, peur non, bien plus que ça, une phobie cette fois-ci oui, folle, de perdre ses jambes, d’un coup, qu’elles s’atrophient en une nanoseconde, qu’elles disparaissent, tranchées, invisibles, inaccessibles, cachées, il ne sait pas, mais lui homme-tronc brutal en pleine rue à hurler, la tête dans le cul des passants ! Pour éviter cette abomination, il respire et se force à sourire. L’esprit y croit et commence à sourire tout au fond. Il ouvre délicatement sa boîte à gants et en sort l’arme fatale : les bouchons d’oreille. Pas les boules Quies en cire qui se délitent de chaleur et fondent et les jambes pourraient aussi fondre putain de merde nooooooon ! Mais les bouchons d’oreille, ça oui. Les militaires ont bien raison, ce sont les meilleurs. La proximité de l’autre disparaît, l’on se retrouve, l’on s’appartient à nouveau et les autres n’ont qu’à rester à leur place. En réalité, Aksel n’est pas dupe de lui-même et il sait que les autres ne modifient en rien leur distance mais son épiderme à lui le croit. Il a beau le raisonner, il n’a plus prise sur lui et doit se plier à ses lubies. Il a déjà vu ses poils se dresser sur sa peau de sentir les autres s’approcher si près. Alors que rien n’était différent de l’habitude. Mais comme c’est réellement insupportable, il doit agir en conséquence et débusquer des petits trucs qui peuvent suffire à faire redescendre la pression, se ranger sagement les poils sur son corps et les vêtements reprendre leur souplesse et leur place sans cette épaisseur raide qui l’empêche de se mouvoir. Le pire, c’est le bruit. Il sent les autres crier de tous les côtés, un vacarme assourdissant et qui lui rentre de partout et circule en lui sans autorisation aucune mais sans vergogne non plus. Et alors, ils n’est plus rien, seulement une caisse de résonance, un corps vide qui se laisse envahir par ses congénères, une boîte vide. Il chausse ses bouchons d’oreilles et le sourire forcé s’adoucit et les yeux le suivent. Il est dans un cocon, une nébuleuse, cotonneuse, il n’est pas sorti du monde, il est emmitouflé parfaitement. Il sort de la voiture. Il a des gestes de yogi. Il a enfoncé sa casquette sur ses yeux et peut ne voir que l’essentiel.
Alors, il aime le monde. Il ouvre les yeux et les narines comme presque un imbécile heureux à l’affût des particules du bonheur. Il ne voit que ce qu’il veut, n’entend que l’alarmant. Il est dans le plus bel univers qui puisse, ici maintenant. Il sent qu’il jouit d’être seulement ce qu’il est, plaisir de marcher, de la mécanique du corps et rien d’autre, les poumons qui rythment le tout et l’air qui reste à disposition comme par magie.
Il est un homme affable parmi la foule qui ne le bouscule pas. Elle le contourne sans peur ni dégoût. La foule est un corps bien vivant plus intuitif que tout ce qu’on croit : elle contourne son périmètre de sécurité. Espace vital. Et il revit.

vendredi 12 janvier 2018

La bible intérieure

Bible,
immense livre,
mégalomane,
idéaliste.
A la recherche du
tout.
Rien de perdu.
Peut-être rien de trouvé.
Un pot-au-feu
de tous les autres.
Omnivore.
Omnibus.
Omnipraticien.
Mange et parle à tous les
râteliers.
Certainement pas
omni-
scient ni potent,
qu'on ne fasse pas dire ce qui
n'est pas !
La grande recette fourre-tout,
ambitieuse oui,
sans prétention,
comédie propre humaine,
la bible intestine.
Tous les livres
lus
relus
pas lus
dans la même marmite
géante.
Et tout le monde
farandole.

Se penchant sur le grand
fait-tout,
on y trouve
un vampire en pleine discussion avec
un imbécile heureux
et un vieux fou,
la fée Clochette main au menton les yeux plissés
au milieu d'une sombre scène
de crime,
noire et rouge,
curieux, détonant
point vert dans ce magma
sanguinolent.
Un policier tête brûlée
apprenant sagement
l'amour courtois aux côtés de son nouveau
poto
Godefroy.
Platon à la fête foraine,
sur la grande roue des Tuileries,
gueulant comme un gosse,
un veau aussi.
La maison close débordée
d'absinthe
jouxte les sublimes collines vert fluo
des Hobbits et des elfes ,
aussi les barricades révoltées
et la minuscule chambre du
malade agonisant.
Le blanc psychanalyste invité d'honneur de la méga-rave
du soir,
pétard aux lèvres,
le cancer n'a pas tout gagné,
mais le médecin de la reine
le suit pas à pas,
par précaution,
« Quelle belle détente cette petite sauterie ! »
tout le monde dans sa langue
et
tout le monde polyglotte,
dialogue sino-suédois,
luso-perse,
saxo-sanscrit.
Grand intello décryptant les
silences du
prématuré fracassé.
Tous les mondes
non se touchent
mais se tissent,
et se textent.


mercredi 10 janvier 2018

LE CRI : le temps s'arrete

    Les jours suivants, Sven a l’impression de marcher dans le vide. Il fait tourner la vie à son habitude mais tout semble à l’arrêt. Les rouages se sont figés. Il se demande s’ils ne sont pas même prêts à reculer. Un mouvement irrépressible est en train de le ramener vers l’arrière. Il ne le veut pas mais il n’aura pas le choix. Bien évidemment. Il n’aura pas le choix. Il garde le frein serré fermement pour l’instant mais il ne tiendra pas si longtemps qu’il le faudra pour pouvoir redémarrer vers l’avant. Il ne sera pas le plus fort dans cette lutte-là. Il l’évite depuis des années. Il ne pourra pas toujours en être ainsi.
     Sven fait bonne figure mais le peu de gens qu’il rencontre au quotidien perçoivent un malaise et s’inquiètent : « que se passe-t-il Monsieur Sven ? Vous êtes tout pâle ? Vous n’allez tout de même pas nous faire une autre folie en plein été ? »
 La dame qui vient de s’exprimer est la boulangère. Sven se nourrit presque exclusivement de pain alors c’est sans doute celle qu’il connaît le mieux. Et qui le connaît le mieux. Aujourd’hui. Elle évoque la pneumonie carabinée qui a terrassé Sven il y a trois ans au beau milieu du mois de juin. Il a commencé par une petite laryngite classique, puis extinction de voix, il a dit que ça passerait et tout est redescendu sur les bronches. C’est du moins ce qu’il croit avoir compris. Il n’est pas très au clair avec son anatomie intérieure mais en gros, il en a retenu l’essentiel : ne pas laisser traîner une petite maladie l’air de rien.
- Tout va bien Madame Pichot, pas de problèmes. Ne vous inquiétez pas pour moi.
- Ah ben si bien sûr Monsieur Sven. Sinon qui le fera ?
- Vous avez raison. Mais vraiment ne vous inquiétez pas pour moi, je suis seulement fatigué ces derniers temps.
- Eh bien reposez-vous, vous le pouvez non ? Parce que vous êtes blanc comme un linge. Déjà que vous n’êtes pas bien bronzé mais là vous allez bientôt ressemblez à un vampire.
Un frisson parcoure l’échine de Sven. La phobie des vampires. Elle ne le sait pas. Évidemment ! Personne ne le sait. Si... Son petit le savait. Il avait compris mais n’avait jamais vendu la mèche. Comment avait-il compris d’ailleurs ? Cet enfant montrait une intuition hors du commun. Il se disait qu’il deviendrait psychiatre ou menteur professionnel. Une capacité folle à entendre dans le silence de l’autre tout ce qu’il ne disait pas. Il lImaginait bien en blouse blanche, attentif et calme, comme il l’avait toujours été. A l’affût du moindre signe. Il avait cette manie de regarder le corps parler. Il traduisait absolument parfaitement tout ce que le corps des gens hurlait sans Ue personne n’y prête attention. Huit ans, neuf ans, au spectacle, dans la rue, il expliquait à son père : « le Monsieur est triste mais aussi regarde ! Très en colère, regarde ses mains, regarde Papa !ses chaussures claquent le sol comme des tarées. » Cela pouvait durer des heures. Il ne s’en lassait pas. C’était un enfant étonnant. Un peu trop fascinant d’ailleurs. Sven se disait souvent qu’il n’aurait pas dû comprendre tout cela.
- Ne vous faites pas de bile. Je vais bien. Je vais faire attention, vous avez raison.
- Oui et si vous avez besoin de quelque chose, demandez surtout. Arrêtez avec votre fierté d’ermite qui n’a peur de rien ! Ça ne vous donnera pas bonne santé.
- Oui oui...
Il sourit et sortit en la saluant.
Elle voyait juste. Il faisait toujours mine de rester détaché de tout, impavide, impassible. Elle n’y croyait pas. Qui y croyait ? Sans doute ceux qui ne regardaient pas plus loin que leur petit cercle vital.

             Depuis quelques jours, Sven avait une envie folle, pourtant longtemps endormie, d’appeler quelqu’un et de parler. Il avait envie d’appeler son grand. Il avait envie d’entendre sa voix grave et sûre. Les enfants finissent par rassurer les parents, quoi qu’on en dise. Mais Max n’était pas disposé.
Cependant, un jour, le téléphone inexorablement muet, se mit à sonner. Sven écarquilla les yeux en les fixant sur l’objet concerné. Il ne bougez pas puis se lève pour décrocher. « Allô ??? »