mardi 30 mai 2017

S'asseoir en soi

Patate court après,
poursuit,
séduit
en vain.
En vain et
ne s'arrête pourtant
pas.
Elle continue de
poursuivre.
Court
court
court
après.
Mais les autres
ne se
retournent
pas.
Ils se moquent
de ce marathon.
Ils oublient même
qu'elle est là.
Patate n'existe
presque
pas
pour eux.
Mais elle est
mue
par une fore
qui
la dépasse.
Et puis,
un jour,
en un éclair,
elle stoppe.
Elle n'en peut plus.
Elle les laisse avancer
s'éloigner.
Elle a réussi
à
s'arrêter
et s'asseoir.
Et,
elle respire
enfin.
Elle prend place
en son intérieur.
Patate laisse
filer.
Et magique,
les autres
aussi
s'arrêtent
et la regardent.
Elle est un vrai
quelqu'un,
un esprit sain dans un corps sain.
Les autres engagent
le ping-pong
de l'échange.
Elle n'a
cette fois
enfin
rien demandé
pourtant.
Patate se dit
qu'elle est sauvée.
Patate se dit que l'humain
est un être de défi.
Patate se dit
qu'elle va même peut-être
pouvoir
les aimer.

dimanche 28 mai 2017

Folie de la légumescence


Plus elle avançait dans sa quête, plus elle découvrait, moins elle comprenait. Mais il y a bien mieux que comprendre. L'expérience qui résonne comme une grosse caisse, grosse, caisse, profonde, vibrante, longtemps, à la base du sternum et dans toute l'ossature. Les os, qui vibrent,
tremblent,
s'ébrouent,
de sentir un jumeau,
un pair puissant.
Tout le squelette
qui frissonne.
Car, comme elle, devant ses yeux, elle assistait au dégondage de la tête et du corps. Oui on me dira que la tête et le corps marchent sans aucune concession du même pas, qu'ils ne vont absolument pas l'un sans l'autre. Oui oui oui. Sauf qu'à 14 ans ou 15 ou même 16, les choses sont bien compliquées et la tête part parfois bien plus loin que le corps ou le corps prend les commandes sans que la tête ait l'impression d'être qui que ce soit dans ses folies. Oui oui oui vous le savez comme moi mais comme tous les adultes dignes de ce nom, vous l'avez oublié. Un adulte est un oublieux de nature. Un petit effort s'il vous plaît, juste là pour ce passage important.
Patate voit Carotte se
décomposer, se
fissurer.
Elle l'a vue,
clairement,
et la grosse caisse a
tonné
en elle.
Elle a vu son corps
nonchalant
toujours,
presque mou,
et son visage dire l'électricité
là-dessous,
dans la petite boîte
qui joue au chef.
Patate souvent,
croit-on,
est calme.
Ne s'agite pas,
ne s'énerve pas.
Son corps même se
fige, se
glace.
Elle est pourtant
exaspérée,
voudrait fracasser,
déchirer,
éclater
ses congénères.
Elle sourit bêtement.
Sa tête ordonne de se
taire, se
faire petite.
Les brasjambespoitrinemainspieds en première ligne
sont prêts
au combat corps à corps.
Mais la tête jamais
ne l'autorise.
Les membres se recroquevillent,
les poings se serrent
et la jambe tremble
d'impuissance.
Alors, Patate se sent moins seule
parce que Carotte a le corps mort
et l'esprit en ébullition
et qu'elle est coincée
entre les deux.
Elles sont coincées entre les deux.

L'autre violence

Patate ne pourra pas en rester là. Elle le sait parfaitement. Elle se connaît. Elle a ressenti une étrange excitation à assister à cette scène. Elle veut connaître la suite de l'histoire. Patate se demandait, sur le chemin du retour, si ce drame était ordinaire, s'il marquait un tournant ou s'il était bien banal. Elle imaginait cette vie où ces crises seraient quotidiennes, mais ce faisant, elle ne s'imaginait pas la vie de Carotte ; elle s'imaginait celle de la mère. Patate ne savait pas spontanément comprendre les attaquants. Elle allait par nature vers celui qui rompt. Pas celui qui écrase. Elle ne pleurait pas, elle ne se lamentait pas, elle ne plaignait pas. Elle prenait le rôle, instinctivement. Elle devenait celui qui cède et chute. Et elle fut prise d'une colère encore plus vive à l'égard de Carotte. Elle la haïssait davantage. Elle n'appréciait pas cette femme. Ca non ! Mais elle respectait sa douleur. Carotte n'avait pas exprimé une once de regret. Elle était la méchante pure, celle qu'on imagine, celle que Patate avait en tête. Elle s'attendait à une autre version de Carotte. Elle avait vu celle qu'elle connaissait déjà en bien pire. Elle n'était pas déçue. Elle était écœurée. Elle revint chez elle en un éclair. Elle ne vit pas passer le temps du trajet. Elle s'endormit encore hébétée et incrédule.
Elle décida, suite à cet épisode, de poursuivre sa quête chez Carotte. Elle resta plusieurs jours sidérée, non du fait de sa naïveté. Il n'y en avait pas chez Patate. Du fait de sa tendance fâcheuse parfois, à lisser la vie pour qu'elle ne heurte pas trop. Il lui était, cette fois, impossible de lisser. La violence l'avait fouettée en plein visage. Patate, bien sûr, à son âge, en pleine légumescence avait été confrontée à d'autres violences. Elle n'était pas sortie du couffin à 14 ans. Coucou c'est moi areuh areuh ! Non et renon ! Elle avait peu été bercée, peu été consolée, peu été protégée. On avait toujours beaucoup exigé d'elle et on l'avait poussée dans le monde sans plus d'explications. Elle avait pris le pli et en exigeait tout autant d'elle-même. C'est cette violence-là qu'elle connaissait, cette violence sans heurts apparents, sans coups ni à-coups, sans cris ni insultes. Elle avait appris à lisser cette violence-là, cette violence douce qui rend amer. Elle avalait les couleuvres, partout où elles passaient. Elle avait acquis cette capacité à tout ingurgiter quoi qu'elle ressente, quoi qu'il se dise en elle. Elle en était arrivée à ne plus entendre les voix intérieures. Elle y était bien obligée quand elles hurlaient mais c'était sacrément à contre cœur. Là encore, une violence silencieuse mais intense qui anime jours et nuits. La violence fulgurante, Patate n'en avait que très peu d'expérience et la craignait comme la peste. Elle était sûre qu'elle était bien pire que celle qu'elle connaissait. Elle était sûre de ne pas pouvoir y faire face. Mais, vous le savez comme moi, elle se trompait. Elle se représentait les choses en termes de quantité et non de qualité. C'était seulement une autre violence, violence sprinteuse. Elle, elle était marathonienne.
La naïveté était donc bien loin de cet univers-ci. Elle n'avait pas sa place. Même plus : elle était interdite. Elle était bannie et ridiculisée. Elle était rie comme une formidable boutade. Patate s'en était donc vite débarrassée quitte à faire semblant d'être au clair, de savoir, mais oui bien sûr bien sûr avec cet air assuré et entendu des gens qui ignorent mais ne peuvent l'admettre. Patate s'était plus d'une fois retrouvée en mauvaise posture à cause de cela mais tout valait mieux que d'être prise sur le fait de l'innocence.
Patate ne retourna pas tout de suite chez Carotte. Pas dès le lendemain. Ni le surlendemain. Malgré sa hâte, elle savait qu'il fallait attendre. Elle entendit, pour une fois, cette nécessité qui lui parlait de l'intérieur. Elle attendait d'être prête. Non qu'elle fût déchirée par sa virée chez Carotte. Seulement, cela donnait tant à penser qu'il fallait du temps. Elle ne réagissait pas à la violence sprinteuse comme elle l'aurait cru. Elle y trouvait aussi un certain plaisir. Elle s'était surprise à en sourire en y repensant. Voilà qui était bien plus dur que la violence : le plaisir.
Au bout de trois jours, elle se décida à reprendre son baluchon et repartir pour une séance d'observation. Elle avait l'âme d'un scientifique alors. Elle reprit le même chemin pour arriver à son poste, derrière la maison, sous la fenêtre du salon. Elle s'installa, confortablement sur son coussin moelleux. Et elle attendit. Elle n'eut pas à patienter longtemps. Visiblement, le même rituel s'opérait chaque soir de semaine. Carotte s'installait devant la télévision, affalée sur le canapé (Patate jetait des coups d'oeil furtifs par la fenêtre pour avoir une vision globale de la scène qu'elle écoutait), chaussures aux pieds, nonchalante et narquoise, à son habitude. Maman- Carotte arriva au bout de quelques minutes. Patate eut une pensée soudaine : ne venait-elle pas chercher la bagarre ? Pourquoi se sentait-elle obligée de venir dans la même pièce que sa fille si elles ne se supportaient pas ? Maso ? Carotte souffla en l'entendant entrer et lui demanda de sortir : « Laisse-moi tranquille. T'as rien à faire d'autre ?
  • Arrête Carotte, c'est bon. Je ne fais que passer.
Madame était étonnamment calme. Carotte s'en offusqua. Elle avait l'air heurtée par le ton apaisé de sa mère : « Qu'est-ce qui te prend ? T'as pris un calmant ou quoi ?
  • C'est ça oui, dit Maman-Carotte en riant.
  • Non mais sérieusement, t'es bizarre Maman.
Carotte était là réellement inquiète. Ce « Maman » dans sa bouche touchait en plein cœur. Patate sentit sa poitrine se serrer. Et là, à cet instant précis, elle entendit les larmes jamais pleurées de Carotte. A cet instant précis où la mère était mère, elle sentit l'immense douleur de Carotte qui ne comprenait plus rien, qui ne savait plus quoi danser, qui ne connaissait plus son monde.
  • Je ne suis pas bizarre. Je suis calme.
  • C'est bien ce que je dis. C'est bizarre.
  • Tant que ça ?!
  • Oui, tant que ça !
Puis, Patate sentit carotte sourire hargneusement. Elle sentit l'agressivité électriser l'air à nouveau : « Tu as vu Thierry aujourd'hui ? Hein?!
  • Oui j'ai vu Thierry et alors ?
  • Alors tout s'explique.
  • Ah bon ? Tout s'explique ?
Mais Maman-Carotte cache mal son malaise soudain.
  • Bien sûr.
  • Il t'a bien baisée.
  • CAROTTE !
  • MAMAN !
  • Tu n'es que méchanceté. Tu n'as rien de bon en toi. Tu vois le mal partout. Je me demande comment j'ai fait pour engendrer ça !
  • Il t'a bien baisée...
Et Carotte se lève. Abattue. Dégoûtée. Toujours sans larmes. Patate la regarde passer devant la fenêtre. Elle n'a même pas besoin de se cacher ; Carotte ne voit plus rien.

jeudi 25 mai 2017

Patate chez Carotte ou les fous

Le soir-même, elle n'attendit pas plus longtemps, elle prépara son sac pour sa virée exploratrice et partit. Elle pouvait de toute façon aller et venir comme elle voulait, elle était seule presque tous les soirs jusqu'à des minuit et quelque chose. Elle était libre comme l'air. Elle sortit tout doucement, comme si elle était déjà là-bas. Idiot ! Vraiment idiot ! Mais elle était déjà à l'affût, lionne prête à bondir, cachée dans les hautes herbes. Pour une Patate, cela paraît stupide. Mais tout est possible en ce bas monde. Alors, Patate-ninja, Patate-lionne-à-l'attaque, pourquoi pas ? De toute façon, on raconte une histoire, on fait bien ce qu'on veut. Elle se glissa dans la nuit et prit un malin plaisir à passer aussi inaperçue que possible, elle qui se maudissait d'être invisible la plupart du temps, là, à ce moment précis, son invisibilité lui était d'une grande utilité. Enfin... Elle marcha une petite demie-heure. Elle se retrouva devant le portail de la grande maison de Carotte. Les choses se corsait pour cette troisième entreprise : une maison et non un appartement. Facile de se cacher dans un immeuble, ses couloirs et escaliers. La maison et son grand portail ouvert à tous les regards étaient bien plus retorses. Elle ne se découragea pas et à vrai dire, Patate avait déjà pensé à tout cela. Elle se faufila le long de la haie et trouva le trou dans le feuillage qu'elle cherchait. Elle était Patate mais pas complètement demeurée. Elle savait, chez elle il en allait de même, que dans une haie de troènes, de tout autre buisson chic, il y a un trou, une désépaisseur à un endroit, pas nette mais qu'un regard aiguisé repère sans difficultés. Elle regarda cette trouée qui annonçait le début d'une longue soirée, espérait-elle. Ou du moins intense et passionnante. Elle était excitée, bon coup d'adrénaline, sourire jouissif aux lèvres. Elle se glissa dans le feuillage et ressortit dans le jardin. Elle était au bon endroit, dans un coin, pas de caméra, la maison toute proche. Elle n'avait presque pas de terrain à traverser pour atteindre un des murs. Elle enjamba rapidement la petite distance qui la séparait de l'édifice et se plaqua contre le mur. Elle longea le mur à la recherche d'un endroit réellement adéquat pour sa mission. Elle s'arrêta juste à côté d'une haute fenêtre, à l'arrière de la maison, qui donnait sur l'immense salon. La télévision était allumée. Carotte était là, affalée sur le canapé, baskets sales bien à plat sur le doux tissu beige. Insouciante, désinvolte, toujours son sourire narquois accroché à sa bouche de folle en puissance. Elle était seule pour le moment mais du monde gravitait autour d'elle. Son père, souvent absent, (existait-il d'ailleurs ? Carotte en parlait comme d'un Superman aux poches bourrées de billets verts mais cela paraissait toujours louche) n'était sans doute pas dans les parages mais son frère et sa mère devaient bien être à la maison. Patate pensait ne pas pouvoir s'installer confortablement au vu de la configuration de la maison. Elle l'avait prévu et ne s'en inquiétait pas. Elle s'accroupirait et se dégourdirait les jambes régulièrement. Elle resta donc debout appuyée au mur de derrière de la grande bâtisse. Et elle écouta :
« Maman, apporte-moi une glace !
  • Qu'est-ce qu'on dit ma chérie ?
  • Allez, arrête tes conneries de gamin là ! File-moi cette glace !
  • Un s'il te plaît ne serait pas de trop quand même ma Carottine.
  • Ne m'appelle pas comme ça ! Je te l'ai déjà dit mille fois. Tu comprends rien ou quoi ? A croire que t'es conne ?
  • Eh ma Carotte ! Calme-toi s'il te plaît !
  • Il me plaît pas. Je me calme pas. Je suis pas ta Carottine ni ta rien du tout. Et rapporte-moi cette putain de glace !
  • Tu me parles autrement ma Car..., Carotte !
  • Oui oui c'est ça. Qu'est-ce que tu vas faire ? Tu fais jamais rien. Tu menaces tu menaces et après ? Y a plus personne. Donc arrête de discuter et ramène ma glace !
  • Tu exagères ! Qu'est-ce que j'ai fait pour que tu me traites comme ça ?!
  • Allez, c'est parti pour le numéro de Calimero. T'as rien fait Maman. Justement, t'as rien fait. C'est moi qui fais. Si Papa était là...
  • Mais il n'est pas là, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué et...
  • Ta gueule ! Je sais qu'il est pas là ! Malheureusement ! Et je dois me taper une mongole comme toi !
  • Pardon ?
  • Tu as très bien entendu et je te le répète : je dois me taper une mongole comme toi ! C'est la première fois que tu l'entends ou quoi ?
Elle marmonne : « pauvre conne ! »
  • Qu'est-ce que tu as dit ?
  • Rien, allez bouge c'est bon.
  • Sûrement pas !
  • Qu'as-tu dit ?
  • PAUVRE CONNE !
  • Carotte, monte dans ta chambre !
  • Hein?!
  • Monte dans ta chambre j'ai dit !
  • Mais oui c'est ça. Je suis très bien là où je suis. Si t'es pas contente, t'as qu'à monter toi-même.
  • Non mais tu t'entends ?
  • Je suis en train de hurler donc oui je m'entends. C'est toi qui piges que dalle !
  • CALME-TOI TOUT DE SUITE OU JE TE FOUS DEHORS.
  • Pfffff, tu fais pitié Catherine.
  • Arrête de m'appeler Catherine et de me parler comme ça !
  • T'as vu, c'est chiant hein ces petits noms à la con ? !
  • Tu es une peste. Tu es un diable. Bien la fille de ton père.
  • Ah ça oui, la fille de mon père, bien plus que celle de ma mère ! J'espère bien. Être aussi conne que toi...
  • Ne recommence pas Carotte ! Ne recommence pas !
  • Ou bien ?
  • Ou bien je vais vraiment te...
  • Tu sais même pas quoi. Bref, discussion de merde. JE vais chercher ma glace.
  • Bien sûr que Tu vas chercher ta glace. Tu vas grossir encore et tu viendras te plaindre après. Je ne serai pas là pour te consoler.
  • Pas besoin de toi. J'irai me consoler avec Papa si j'ai besoin. Il sait faire ça lui.
  • Oui eh bien tu auras le temps d'être consolée depuis longtemps avant qu'il revienne.
  • Arrête de parler de lui comme ça !
  • Ah ah... Mme Carotte défend son petit papa chéri. Pauvre petit papa chéri...
  • Catherine arrête ou je... (elle serre le poing devant elle)
  • Ou tu vas me frapper ? C'est ça ? Tu vas frapper ta mère ?
  • C'est pas comme si c'était la première fois hein ?
  • Tu es folle. Folle à lier. Vous êtes tous fous dans cette famille.
  • Mais oui, mais oui. Et toi tu es saine d'esprit donc ?
  • Plus que toi, c'est pas dur.
  • BREF ! Laisse-moi passer et tais-toi.
  • Petite pute !
  • Oui c'est ça, petite pute !
Et Carotte, pas plus affectée que cela par l'insulte proférée par sa mère part dans la cuisine, sans doute chercher, enfin, son dessert.
Patate entend son frère descendre l'escalier bruyamment. Il rejoint probablement Carotte dans la cuisine. On les entend s'esclaffer et rire de bon cœur. De là où Patate se trouve, elle ne peut qu'imaginer qu'ils plaisantent au sujet de leur mère.
La scène est horrifiante. Pire que celle qui précède. La fameuse Catherine se décompose en entendant ses enfants. Elle se met alors à parler seule :  « Qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu ? Qu'est-ce qui s'est passé pour que j'en arrive là ? Il faut que ça s'arrête, il faut absolument que ça s'arrête. Je ne peux plus supporter ça. Mes enfants sont fous et je suis en trains de le devenir. Il faut que je me sauve d'ici. Il faut que je m'enfuie. Je les déteste. Je déteste mes enfants. Là maintenant je les hais. Mon Dieu ! C'est l'enfer. Les gosses c'est l'enfer. Ma famille est un enfer. Je dois en finir avec ça. »
Et Patate est saisie de pitié et de mépris pour cette femme qu'elle connaît pas mal, et qu'elle a toujours vu froide et raide. Elle ne bouge plus. Le monde tourne dans tous les sens.

mardi 23 mai 2017

Autiste

Patate ne sait ni comment ni qui être. Ne sait pas comment faire, quels outil, ou même quel outil. Un seul, elle s’en contentera. Ne sait pas comment marcher, comment courir, comment même se tenir, comment rester debout, assise, couchée. Pas de mode d’emploi, pas de règles, pas de liste, elle ignore, vide. Elle suit les mouvements, des autres, elle moutonne, elle n’a pas de choix, pas appris, personne pour la guider, pas même une pauvre conne de canne, personne n’a pensé, tout le monde a oublié, de lui dire comment. Et pourtant, jamais comme il faut ! Pourtant, il faut ceci, il faut cela. Pourtant, critiques et peut mieux faire, toujours et encore. Patate ne comprend pas. Patate est perdue, en permanence. Patate n’est pas seulement perdue, une petite seconde et zou ! C’est reparti comme en quarante. Pas du tout ! Non non non ! Vous vous plantez sur tout la ligne mes bons Messieurs Mesdames. Pas une minute non plus. Pas plusieurs. Non bordel de merde ! Vous ne pigez rien ! Perdue du début à la fin de la journée. Perdue, pauvrette, hagarde, toujours en faire semblant. Sinon, c’est la fin. Sinon, les pairs lui tombent dessus. On déteste les ignorants totaux, des  gogoles dit-on. Patate est de ceux-là. Ne peut se permettre de dévoiler sa tare. Doit porter le masque du matin au soir. Mais, pourtant, toujours quelque chose à redire. Pourtant, ce n’est jamais comme ça qu’il faut. Patate se plie mais ne rompt pas. Elle poursuit la quête. Elle tente d’apprendre. Souvent se dit que c’est trop tard. Trop tard pour apprendre ces choses-là que tout le monde sait. Désespère. Se lamente. Ça ne fait pas avancer le schmilblick. En fait, Patate ne sent pas mais elle apprend, tout petit à petit. Mais trop petits pas pour son grand appétit, elle ne voit rien, elle peste et croit toujours tout recommencer de zéro. On lui dit Pas comme ça ! Mais non ! Et surtout on rit... Elle se retourne exaspérée. Elle lance un profond regard noir. Et l’on rit aussi de cela. Elle les étranglerait. On se moque, on se moque... Ils verront bien un jour. Un jour oui, Patate se dira cela. Mais pas encore. Pas encore, elle se recroqueville de honte pour le moment. Patate pense qu’elle est autiste. La définition lui correspond. Comprend pas comment faire. Pourquoi dire bonjour ? Pourquoi ci et ça ? Les autres font ça comme si nés avec. La nature est injuste et la vie est une pute. Elle n’ose pas encore, pas encore mais viendra le moment où, n’ose pas encore insulter la vie. Elle veut disparaître. Elle veut se cacher, le plus loin possible, le plus fort possible. Ne plus rien entendre, ne plus rien essayer. Ne plus supporter tous ces Il faut Tu dois qui la piquent sans cesse, qui lui disent combien elle se rompe, combien elle ignore, combien elle est faible et creuse. Tous ces ordres, sans queue ni tête, se contredisent, courent dans tous les sens. Elle a le vertige. Elle doit choisir son camp. Elle est la balle au centre et chacun y va de son pied, de sa main, de sa pâte. Patate n’est qu'une grosse pâte informe qui pense, qui réfléchit très fort, bien trop fort, avec son infirmité. Déséquilibrée. Embryonnaire alors que depuis longtemps sortie à l’air libre. Pas finie en somme. Vraiment humaine ? Qui sait...

Patate se vide et puis explose

Patate a
parfois le ventre et
la poitrine
trop pleins.
Patate a
parfois le ventre et
la poitrine
trop creux.
Elle est grosse bébête
ou
vide squelette.
Elle voudrait
parfois
aspirer toutes ces saletés
qui la pourrissent
de l'intérieur.
Elle voudrait
parfois
se remplir de tout atome
qui lui échappe,
volette loin d'elle.
Elle oscille,
douloureusement
entre
trop-être
et
manque-à.
Elle ne sait pas
si d'une minute à l'autre,
elle sera bibendum
dégoulinant
ou sac d'os
troué vidé.

Patate ne sait pas
ce qui se passe quand elle est
l'un
ou
l'autre.
Elle ne sait pas ce
qui l'engrosse
ou l'avorte.
Elle ne sait pas où
court son être,
le sien,
le propre,
celui qu'elle devrait
préserver
dans son enveloppe.
Juste faite pour lui.
Son être se promène
par-ci
par-là.
Il resurgit d'un coup
accompagné,
rond comme une barrique
et lourd aussi comme un gros porc
fin prêt.
Elle n'est rien
et revoilà son tout,
et ses autres.
N'importe qui
s'invite.
Elle n'a aucun droit de
veto.
Elle est parfaitement
impuissante.
Elle y croit du moins.
Et toujours,
elle n'y comprend
rien.

Alors,
de loin et derrière mon stylo,
trop facile !,
mais bien sûr !,
je rêve de parler
à Patate.
De lui parler
des flux et reflux
qui l'anime elle,
et tous ses congénères,
de ces marées,
les émotions.
Ces vagues parfois,
plus rapides que la lente montée des
eaux
ou leur perte.
Ces tsunamis aussi
quand on l'âge de Patate,
si fréquents,
trop fréquents,
violents,
enivrants
ou
destructeurs,
qu'on provoque
ou
qu'on étouffe.
Je voudrais lui dire
que jamais
son être ne la quitte,
qu'elle n'est jamais rien,
que personne n'a droit d'entrée
en elle.
Que tout cela,
lui appartient.
Que les écarts fous,
les grands huit
peuvent cesser,
qu'ils cesseront,
ou qu'on se met à les aimer
si
on y plonge aussi.

Patate,
tu ne seras ni plus bête
ni plus folle
à vivre le grand huit.
Patate,
ne l'empêche pas,
il te rattrapera,
ou la mort.
Quand tu sens vide,
tu es pleine de trous noirs
et pleine quand même.
Quand tu débordes,
tu te détestes tant
que tu t'évinces,
disparais
et la fiesta pour les
malotrus sans
moindre autorisation.
Quand tu débordes,
tu restes là
toujours,
pleine de haine
vide d'amour.
Quand tu sens vide,
tu restes là
pleine d'espoir
vide d'amour.
Toujours tu es
vide d'amour
et
de confiance.
Toujours tu es
pleine de rage
et
de terreur.
Et puis,
tu videras l'un pour remplir l'autre,
sans arrêt jusqu'à ce que
l'équilibre se trouve.
Et tu diras :
Je suis pleine de
vide de ;
je suis un monde d'émotions.



jeudi 18 mai 2017

Double face

Chaque jour,
on peut
si on ouvre bien
les yeux
(pas forcément si grand que cela mais surtout bien,
la qualité Messieurs Dames,
la
qua
li
té,
pas grand mais bien),
on peut
chaque jour
voir
des génies.
Le génie,
une sorte de magie,
une fulgurance,
toujours là,
quelque part.
Alors,
on n'a qu'à
sourire
et s'émerveiller.
On n'a qu'à
se laisser
admirer,
humblement
le génie humain.
Toujours s'accorder
pour s'étonner
encore et encore.
Le génie même
des plus inattendus,
une seconde,
d'un coup d'un seul.
Il viendra de n'importe où.
Il est
partout
toujours.

Chaque jour,
aussi,
on voit
l'immense bêtise
humaine.
Un énorme imbécile.
Un idiot profond.
Un QI de moule.
Le plus stupide des
vivants.
(Façon de parler oui
mais parfois le vide neuronal
du crustacé
n'est pas loin.)
Tout ça,
on peut croire,
là,
comme ça,
que c'est une question
d'intelligence mathématique.
Mais non.
C'est l'imbécillité humaine
face à son pair.
Sa désespérante
parfois
incapacité
à comprendre
qu'il n'est pas le
centre du
monde.

L'humain est un janus,
un double face,
un stupide génie,
exaspérant
et
formidable.
Effet boomerang
assuré.
Sortez couvert !








mardi 16 mai 2017

La mort des éléphants

Un jour,
l'on n'est plus
enfant.
Plus enfant
de
personne.
L'on est libre.
L'on est seul.
Enfin.
Mais plus personne
au-dessus
de la tête.
Plus de vieux
éléphants
pour se rappeler.
L'on doit se souvenir
seul.
L'on doit être
sans éléphants
vieillis mais
inconditionnels,
souvent,
qui veillent
et qui trompettent
tous les
anniversaires.
L'on doit,
dès lors,
être autre
que l'enfant de.
Et le sens de soi
se brouille,
l'on doit redéfinir,
revoir sa copie,
on craint de fond en comble,
l'enfant est le premier.
La pierre du dessous
de la tour.
L'on ne veut pas
pencher
comme Pise.
Mais l'on doit cesser
d'être l'enfant de
surtout.
Nouveau-né
adulte
car
un jour,
l'on n'a plus
au-dessus
de la tête
les éléphants gardiens.

Fondus d'amour sans foudre

Le coup de foudre ?
Sûrement pas.
Les feux de l'amour ?
Non plus.
L'éblouissement ?
Pas davantage.
La révélation ?
Toujours pas.


Pourquoi toujours
attendre une
fulgurance ?
Pourquoi l'intensité
immédiate
et brûlante
ferait-elle
valeur ?
Pourquoi le premier coup d'oeil ?
Pourquoi au premier regard ?
Pourquoi le premier instant ?
Pourquoi évidemment ?

Nous ne sommes pas
ni l'un ni l'autre
des Zeus
foudroyants.

Nous ne sommes pas
ni l'un ni l'autre
des amoureux
d'amour.

Nous ne sommes pas
ni l'un ni l'autre
des sprinters
à l'affût.

Nous ne sommes pas
ni l'un ni l'autre
éperdus
d'émotions.

Nous avons vu venir,
doucement,
tendrement,
l'amour calme
et fidèle.
Les corps qui se fondent
et tracent la route
aux âmes.
Nos mains s'emmêlent
et nos cervelles
s'intriquent.
Nous ne sommes pas
perdus
ni l'un ni l'autre
en un seul être,
brouillon,
mi-un mi-deux.
Nous entre-
croisons
peu à peu
jour à jour
lentement
et sûrement
les fibres de nos êtres,
d'abord les plus grossières
et après des années,
jusques aux
capillaires.
Nos cellules sentiront
le parfum de l'autre,
nos atomes accueilleront
la couleur de l'aimé.
Nous serons donc teintés
des nuances infinies
de l'être que nous aimons.
Nous serons riches
de deux millions de nuances.
Deux millions
et puis quatre
et puis huit.
Toujours de deux en deux.

Nous ne sommes pas
ni l'un ni l'autre
des sprinters.
Nous sommes bien
par contre,
l'un et l'autre
de grands
coureurs de fond.

Déception légumescente : Patate veut hurler

Finalement, Patate ne tint pas beaucoup plus longtemps. Il ne se passe rien dans cette famille, chez Petite Poisse qui retienne l'attention. Tout y est désespérément normal. Elle espérait autre chose. Elle espérait beaucoup. Sans doute beaucoup trop de cette expédition-là. Elle espérait la voir souffrir la petite enflure de PP. Elle voulait assister à la vengeance qu'elle ne saurait jamais mettre en œuvre. Elle voulait voir que le monde est juste parfois. Que les choses s'expliquent. Elle y aurait trouvé un sens. Elle n'avait constaté qu'une cruelle banalité dans ce couloir. Elle était déçue comme rarement elle l'avait été jusqu'alors. Elle avait mis en branle ses aventures nocturnes avec vie et espoir. Elle avait misé sur leur force signifiante. Elle se heurtait à un vide de sens notoire.
Elle rentra chez elle, après un long détour qu'elle fit pour se calmer. Cela s'avéra parfaitement inefficace. Elle était hors d'elle. Elle voulait hurler que puisque c'était ainsi, on n'avait plus qu'à se flinguer, puisque même les plus mauvais d'entre les hommes étaient à l'abri du malheur, puisque même une Petite Poisse grande sadique dans son corps minuscule, ridicule et mesquin menteur ne payait pas pour ses forfaits. On avait donc le droit de maltraiter les autres sans être affligé d'aucune sanction. On avait donc le droit d'être répugnant de malhonnêteté et de vivre tranquillement. Franchement ? Patate l'aurait tuée après cette visite secrète. Elle l'aurait étripée de rage. Elle lui aurait arraché les yeux des orbites, histoire de lui faire expérimenter la cécité de son cœur. Elle aurait fait des tas de choses si elle en avait eu le courage. Mais Patate était une faible. Une de ceux qui se taisent malgré leur rage, leur haine et leur douleur. Qui se retiennent toujours. Et dont tout le monde ignore l'ampleur de l'ire jusqu'au jour où. Ce jour où tout bascule et où ils sont tous là, comme des bêtes, bouche bée, à regarder se métamorphoser en monstre fascinant celui ou celle qu'ils ne voyaient pas ou seulement quand ça les arrangeait. L'être-objet qui devient monstre et qui laisse ses anciens pairs pantois et apeurés. L'être-objet idiot, pris au milieu du cercle et balancés de mains en mains comme un vulgaire ballon. Cet être-là dont personne n'ose imaginer l'âme et les tourments parce que chacun sait, tout au fond de lui, aussi jeune qu'il soit, que le spectacle sera bien pimenté, et qu'il brûlera jusqu'au creux des entrailles. Alors tout le monde prend le chemin inverse de cet esprit, s'en éloigne le plus possible, lui qui aurait bien sûr davantage besoin que quiconque d'être regardé et entendu, et ce tout le monde se poste et s'enfonce bien fort face à lui ou derrière, c'est encore mieux, et l'attaque pour ne jamais s'en approcher autrement, pour ne jamais lui laisser la manœuvre, pour ne jamais risquer d'être touché et cramé jusqu'à l'os, tout le monde couard, tous découillus et indignes du genre humain. Ce tout le monde se pisse dessus en voyant sa plus fidèle victime, la plus sûre, bien à sa place qui ne bouge pas, trop habituée à son statut, se redresser et lever le bras de la vengeance. Il a peur, tout le monde, de se faire guillotiné comme il le devrait. Mais il ne sait pas que l'être-objet a l'âme fière et qu'il ne s'abaissera pas à ses coups de poignards et autres tortures à lui, tout le monde. Il n'est pas de ce pain-là, le monstre nouveau-né. Et tout le monde finit par crever, non pas de ses blessures, hémorragies et autres causes triviales. Il finit par être malade de honte. Et il en mange toutes les secondes de ses journées. Le temps de la leçon.
Mais ce jour-là, la métamorphose, était loin d'arriver encore pour Patate et elle se contenterait le lendemain, comme tous les jours de sourire et se cacher quand il sera nécessaire. Se cacher pour pleurer comme une petite fille qu'elle ne parvient pas à faire grandir, qui ne laisse pas sa colère arriver. Et qui s'en prend à elle-même de son impuissance. Impuissance apprise, imprégnée. Imbibée d'impuissance. Morte-née, née morte. L'impuissance est la mort.
En rentrant chez elle, Patate se demande à quoi tout cela sert. Elle marmonne avec hargne que rien n'a de sens et que rien ne vaut la peine. Elle laisse tomber. Elle lâche la barque. Elle n'est plus du voyage. Et elle sait pourtant qu'elle recommencera à chercher dès le lever du jour, dans quelques heures. Elle sait qu'elle ne pourra pas s'en empêcher, qu'elle devra retourner au charbon, poussée par une énergie immuable qui l'habite. Elle voudrait s'en atrophier parfois. La tuer dans l’œuf, la vomir pour cesser. Pour faire cesser les choses. Mais c'est impossible. Il y en a toujours en réserve. Les autres ont l'air de trouver ça bon signe. Elle trouve ça inquiétant. Elle est frappée de plein fouet, elle sanguinole, et la voilà qui repart en sautillant. Elle ne se sent pas normale. Elle sait qu'elle n'est pas normale.
Folle.