vendredi 31 mai 2013

Portrait x 4

Alcoolique
ascétique
grande dame érigée
critique
cynique
impassible elle trône
dogmatique
prophétique.

Atrabile
immobile
grand génie abrégé
vigile
stérile
rationnel il calcule
intactile
rétractile.

Obsédée
lézardée
fol lutin dérangée
bridée
vidée
incertaine elle suspecte
corrodée
truandée.

Constructif
directif
hardi gars rallongé
rétif
hâtif
intrépide il bâtit
réactif
créatif.

Electrique, barricadée, indélébile, compétitif.
Vers commémoratifs.

Rouge timide

Secrètement présente, à sa place légère,
Elle défie le vent de la percer à jour,
S'évanouit transparente, impalpable recours,
Abandonne la scène aux fous, clowns et mégères.

Loin des yeux loin du monde agité, l'air sévère
Elle recule dans l'ombre, fuit l'effrayant concours
Des hommes qui s'affrontent sanglants et sans détours.
Elle s'emmitoufflonne, cieux nébuleux d'éther,

S'enfonce délicieux jusqu'à la chaleur moite
De la calme langueur de sa tannière étroite
Où elle garde précieux le secours d'un refuge.

Parfois, d'aucuns l'appellent, elle joue la distraite
Mutant caméléon dans les sphères abstraites
A l'abri de sa honte et ses brûlants ravages.

jeudi 30 mai 2013

Voyage aux origines

Flux et reflux d'une comptine qu'on ronronne
attrape mes oreilles, m'aimantent habilement,
m'entourloupent m'encharment imperceptiblement,
et je glisse tout doux au coin où l'on pouponne.

Un petit bout de femme, qui s'empresse et bichonne
Minuscule bout d'homme, rougeoyant enroulé,
Maman aux airs de vierge, mots d'amour roucoulés
au creux d'un pli de cou, douce maman fredonne.

Je m'approche sans bruit, cachée m'encapuchonne
invisible fantôme échu de l'avenir
lancé à la recherche ailée du souvenir
d'un temps me devançant sur qui mon coeur questionne.

Je plonge dans les yeux de l'incroyable nonne,
ces yeux limpides et sombres, de tendresse et d'effroi
qui chantent la caresse mais que des éclairs froids
incompris et soudains, la pupille sillonnent.

Au fond de son regard, j'entends le coeur qui sonne :
"Sainte Vierge, mère ultime, écoute ma prière
mon enfant est un monstre absolu de lumière
Je l'aime et le déteste, est-ce un coup qu'on pardonne ?"

Je remonte à son âme qu'intraitable on bâillonne
qui se débat rebelle à un destin d'otage
d'une guerre civile, pur exact sabotage
d'un esprit boutonné, d'une vie qui bouillonne.

De retour ici bas, la vison m'abandonne
mais m'instruit sans détours, sans troublante fiction
me consolant douillet sur ces drôles d'affection
pour grand-mère et papa dont les douleurs résonnent.

mercredi 29 mai 2013

Un contrat sur la vie

"Arrivera ce jour, paupières clignotantes
où on fuira mes pas, ma vigueur et mon coeur,
et mon regard dardant impérieux dictateur
du désir de vous tous ! devenus mes servantes.

Arrivera l'instant, maladie délivrante
où l'on me haïra, écoeurante noirceur
et mon âme moisie, gangrénée de rancoeur
contre vous, et vous tous ! lie humaine ignorante.

Arrivera le temps de ma gloire éclatante
où l'on admirera mon aveuglante ardeur
et mon courage inouï, furieux détonateurs
enclenchés pour vous tous ! sainte engeance rampante."

Et ce jour arriva, instant d'un lourd verdict
s'abattant sur mon sort comme exigence stricte
d'un contrat sur ma vie dédiée à la vindicte.

Cet instant-ci scella l'avenir ascétique
et d'un mol escargot, je devins porc-épic
rêvant de chirurgie martyre et arsenic.

Mon âme et mes yeux noirs fusant de dynamite
je m'adonnais féroce aux pratiques illicites
de manoeuvres psychiques, célébrant mon mérite.

Et le vif porc-épic devint faible hérisson,
léthargique piteuse, famélique animal
se cramponnant coriace à ses pulsions primales ;
les glas de ma vengeance tintaient à l'unisson.

Je dus m'avouer vaincue ou gagnée, je l'ignore,
par le souffle du monde anéanti bafoué,
systématiquement interdit étouffé,
qui m'éveilla pourtant et le monstre s'endort.

Labyrinthe du désir

Plongée au vif du labyrinthe du désir,
ma volonté s'égare, se disperse et s'emmêle
entre les haies de roses, chemins intemporels,
baisse les armes, fondue et se laisse gésir.

Autour de moi ondulent voluptueux plaisirs
je suis lovée gavée du trésor éternel
de la tentation et des rêves charnels.
Tous m'enlacent lascifs, m'offrent de les saisir.

Je demeure immobile, avalée de douceur
cohabitant sans honte avec ardeur, douleur
d'aspirer, suffoquant de soif d'exaltation.

Ce dédale sinueux où Il Faut avoir peur !
me caresse élégant pénétrant de torpeur,
m'engloutissant de ses spécieuses passions.

mardi 28 mai 2013

J'ai perdu mes nuages

Et le guidon m'échappe
brusquement les soupapes
s'ouvrent sur la béance
de mon impuissance.
Cesser de pédaler
de peur d'être avalée
et crever bouche ouverte
au pied du monde inerte.

J'ai suivi les nuages, compagnons de voyage,
qui dessinaient ma route aux cieux protecteurs
contrant ma sourde oreille face à leurs détracteurs
et matins soirs pieusement leur ai rendu hommage.

Aujourd'hui je frappe
terre et ciel me happent,
chemin vide en errance
mon cher vélo balance
au coeur de la vallée
désarmé emballé
au hasard de la perte
les yeux au ciel alertes.

Je suivrai les nuages arabesques images
demain et pour toujours, ils brideront ma peur.
Rebâtissez mon toit, douces tendres vapeurs !
Que mon ennui contemple le salvateur mirage!

L'esprit-loup

Les yeux à peine ouverts, mon corps gardien prévient :
matin traînant des pieds, les yeux vissés au sol
grand déjeuner boyaux tressés et rétrécis
après-midi s'éclaire et le coeur se deserre
soirée souffle calmée souriante un peu vide.

Au premier son du monde, veine du jour me tient
dictatrice acharnée des dièses et des bémols
du chant de l'esprit-loup soumis à sa merci
qui enrage et arpente sa prison de verre,
mon âme transparente, impuissante et lucide.

La bête se lamente et hurle, je m'abstiens
de la laisser s'enfuir de prendre mon envol !
Mon âme et la bête enfiévrée s'embrassent, voici
qu'on se réchauffe en choeur dans le sein de ma terre !
tout y était aride, se mue mielleux limpide.

Peu à peu, heure à heure, esprit-loup galérien
recouvre son pouvoir et ses fantaisies folles
peut enfin dresser vers l'horizon éclairci
son regard jaune aigu, quitter ses sombres fers,
vers la vie et le rêve accourir intrépide.







lundi 27 mai 2013

Alcools

Entrée haute et altière, fracassante dorée,
brillant de mille feux de myriade d'amis
elle repart souillon à moitié vomie
zigzagant débraillée de désir dévorée.

Disparue maladie du monde timoré,
de l'enfance enchantée le retour est promis,
elle voit s'approcher le passé endormi
d'où s'élèvent radieux les êtres adorés.

Abasourdie de joie, vison époustouflante
elle succombe bientôt à l'euphorie bouffante
à coups de whisky sec de champagne fringant.

Veloutées ou diaphanes vives couleurs grisantes,
défilé d'alcools sceints de robes séduisantes
sur sa peau suintante lèvera fouet cinglant.

Folle

Elle a mal au cerveau
bringuebalant d'enfer
cogne et castagne, concert
au fond de son caveau.

On croirait bien qu'il danse
comme un clochard beurré
vieille coque amarrée
au long caniveau rance.

Elle a mal aux cheveux
brûlants, ouvrez les vannes !
sautillant sur leur crâne,
fièvre ! nerveux baveux.

On croirait qu'ils s'élancent
électrisés à point
s'étirant au lointain
délirante aberrance.

Elle a mal à sa voix
silencieuse insolente
duplice évanescente,
entre les mots louvoie.

On croirait qu'elle avance
serpente dans la jungle
fonçant au coin aveugle
ineffable démence.

dimanche 26 mai 2013

Cher Palpitant


Un sursaut matinal aigu et pointilleux
Piquant mes yeux dodo et mon cerveau ronron
Les mains les pieds s'affolent, où maman-nuit giron ?
Les neurones s'étirent, frétillent chatouilleux.

Qui a ouvert le feu sur mon corps sommeilleux ?
Pas moi, ni moi, oh non ! Jamais ! Affreux affront !
Qui brandit dans le noir le pénétrant clairon ?
C'est moi (tout fier et gai) Palpitant merveilleux.

Sans vergogne intrépide, l'organe se pavane,
Quand poumons estomac rate et foie se dédouanent,
Le bienheureux vibrant de sa propre musique.

Galopant effréné au cœur de sa savane
Chatoyant pétillant révolté mythomane
Mon Palpitant m'entraîne, voyageur fantastique.

vendredi 24 mai 2013

Les quatre Fantastiques

Je repose l'épreuve
mes racines vivantes
disposées souriantes
bien rangées comme neuves :
ce sont deux vieux grands-pères,
vieilles femmes ridées
traînant à leur côté,
rêvassant l'univers.

Je vois quatre godasses
éculées et trouées
à quelque usage vouées
puisqu'encore vivaces
mais rabougries fripées
salies et délavées ;
s'empêcher d'avaler
faire honneur au cliché !

Reflet est tromperie
et je ferme les yeux
j'appelle de mes voeux
l'humaine féérie.
Les godillots s'effacent
dans mon esprit bleu ciel
cotonneux verni miel,
les Fantastiques passent.

Qui le regard lointain
tournoyant folle amante,
Qui les pupilles confiantes
offrant tout franc ses mains
Qui l'âme débordée
par son Dieu de l'amour,
Qui les yeux noir velours
froids mais sourds lézardés.

Les quatre Fantastiques,
amnésique, alcoolique psychotique, lunatique,
pragmatique, exotique, scientifique, romantique.
Les quatre Fantastiques
fols-ancêtres pudiques

jeudi 23 mai 2013

Un enfant dans la guerre

Au tout commencement,
les auspices d'Arès
veillent l'enfantement
et président à la messe.
L'univers est aux gaz
décimeurs des tranchées
qui sans vergogne rasent
rats, hommes arrachés.

Et la guerre l'a bercée, la guerre l'abrègera.

Et puis l'enfant grandit,
ogresse coléreuse
du lundi au jeudi,
désolée et pleureuse
quand la semaine plonge.
Enragé désespoir
le mal des guerres la ronge
au fer rouge de gloire.

Et la guerre l'a bercée, la guerre l'abrègera.

La jeune fille paraît
lutin d'air incongru
dans un poisseux marais
qui barbotte en verrues.
Elle a bu le marasme,
bébé frais frétillant,
digérant le fantasme,
viril tonitruant.

Et la guerre l'a bercée, la guerre l'abrègera. 

Epouse et mère adviennent
faisant d'elle une dame
peut-être même reine
riche rêve sublime.
Son monde a rétréci
marais devenu flaque.
De tous à la merci.
Aîe ! les quenottes claquent.

Et la guerre l'a bercée, la guerre l'abrègera.

Et la vie se poursuit
agrippée dans les vagues
parfois saute et s'enfuit
elle déborde la digue
elle entend Dieu le Père
qui punit et protège,
inonde la galère,
combat le sortilège.

 Et la guerre l'a bercée, la guerre l'abrègera.






Jour enchanté

On était froid givré
et coeur fleuri subit
stoppe regards navrés
caverneuses phobies.
S'épanouit délivré
futur saoûl de lubies
papillonne chantant
virevolte exalté.
A bas geôle d'antan
vagues jours alités !
Voilà mon corps battant
chamade décalée
large rythme endiablé
me vole autour du monde
loin des fronts accablés
mène une agile fronde
dans une joie tremblée
roulant la douceur blonde.

On a bien disparu
l'escargot se déroule.
On moisit dans la rue,
moi, je, mes, me, déboulent.

mercredi 22 mai 2013

L'aïeule

Veilleuse d'enfance, vieille désabusée,
elle fredonnait les airs passés la bouche usée
et l'âme muselée piégée dans la cage
d'une vie que les non-dits saccagent.

La cage débinée de la vieille rusée
dont on sentait vibrer la liberté fuser ;
les barreaux d'interdits l'avaient prise en otage
elle les battit à mort jusqu'à la fin des âges.

L'aïeule m'a bercé de ses lois impartiales
de sanctions implacables, d'une rigueur martiale,
elle a bâti mon monde, ridicule orphelin.

L'aïeule m'a sauvé, morosité fatale
de la mère endeuillée, la douleur infernale
qui rend l'amour malin. L'aïeule et ses sept mains.

Et puis vertigineuse fut la chute mortelle
je perdis mon fanal mon âme mon repère
je m'engouffrais tout cru, la poubelle
des hommes, voué à la crasse aux vers
un déchet, une lie
sale orphelin brisé
sacrée folie
enlisée
profond
frayeur
noire.
Je me réveille
un jour
d'un rêve rond.
Elle, se cachait en moi, dans un coin de mon coeur
qui ne serait jamais enchaîné au malheur.

mardi 21 mai 2013

Renaissance

Mon coeur s'incurve en creux
dans ma poitrine gauche
J'aspire l'air nerveux
et du souffle j'ébauche
l'ondulation farouche.

J'ouvre amplement la bouche
méthodique appliqué
menton-poumons, je louche,
naturel trafiqué ;
je suis handicapé.

Naufragé rescapé
de la rigueur aride,
l'émoi m'a rattrapé
alors que j'étais vide.
J'apprends à exister.

Le froid s'est incrusté
presque jusqu'à la moelle
l'ardeur a insisté
dans la fougue infernale ;
me voilà parmi vous.

Bien humain je m'avoue
désormais animé,
à la vie je dévoue
ma raison tant aimée,
mes forces renaissantes.

lundi 20 mai 2013

À la mère disparue


La mère a disparu un jour
Sans nouvelles ni sans retour
Évanouie à jamais dans l'ombre
De la mort, et désormais libre.

Libre de tous, moi et mes frères,
Libre de vivre femme fière,
Affranchie des cruelles règles,
Les impitoyables aveugles.

Aveugles, idiots incapables !
Le paradis du sexe faible
Abrité par les lourds nuages
Des préjugés, nobles sauvages.

Sauvages brutaux et amers
Ils ont tué ma pauvre mère ;
Mais aurait-elle aimé finir,
Du monde se laisser bannir ?

Bannir de son être l'envie,
Haïr se sentir poursuivie,
Et se laisser glisser, douceur,
Dans la délicieuse torpeur.

"C'est ton heure qui l'a éteinte !
Et toi, par sa dernière étreinte
Tu as ouvert tes grands yeux noirs,
Pour ne plus jamais la revoir."

Pardonnez-moi mon Père, pardonnez-moi mes frères.






vendredi 17 mai 2013

Photo de famille

La photo immobile
Papillon volubile
Ouvre ses bras ailés
Mitraillette emballée
Attrape l'univers
Ses habitants pervers
Animaux amoureux
Téméraires peureux
Fleurs-âmes délivrées
Et cœurs-poires navrés.
 
La photo immobile
Arabesque subtile
Essences dévoilées
Carnaval ravalé
Eclaire les travers
Qui d’une fausse mère
Qui d’un visage creux
Qui d’un vieillard heureux
Une famille est narrée,
Allure bigarrée.

La photo immobile
Des intrigants habiles
Aux bienveillants mêlés
Et cerveaux déréglés
On saisit la misère
Les valeureux compères
Les tristes besogneux
Les amants vigoureux
La grand-mère délabrée
Petits enfants dorés.

La photo immobile
Trésor indélébile
Profondément grêlée
Abrite amoncelés
La vérité guerrière
Cachée juste derrière
La honte des lépreux
Et l’amour généreux
Tous hommes accaparés
Par la vie chavirés.

mercredi 15 mai 2013

La manœuvre est étroite dans ce couloir abscons
J’avance à pas comptés sur le clair horizon
Le chemin est tortueux, escarpé, excitant ;
Ce désir anormal tourbillonne irritant.

Mes entrailles déçues emmêlées, confondues,
Parfois haut frétillantes, d’autres bas morfondues,
Un jour fort enferrées, lendemain délivrance,
Télescopent l’amour, la haine et l’ignorance.

Tout mon corps s’entremêle, mon cœur en perd la tête,
Chaque coin s’affranchit et mon bon sens s’émiette,
Monticule poussif, bazar douteux bizarre,
Je brille en nuit, l’éclat est mat, ardent lézard.

Je m’en remets à Dieu, cher amour innocent,
Je lui remets mon âme, ses vertiges indécents,
Je remédie au mal : le masque de candeur
Contre le fou désir de la douceur d'un frère.

mardi 14 mai 2013


Je traverse la porte et le monde m'accueille,
La foule se range, devant moi se recueille.
Endormis, ennuyés, solitaires se réveillent,
A mon être flambant l'univers s'émerveille.

Les sourires entendus et regards langoureux
Me suivent, douce offrande de mille amoureux,
Comme les tournesols s'attachent à leur soleil,
Dans sa course folle, jusque dans son sommeil.

Chaque jour je caresse ma peau plus soyeuse,
Je me scrute, m'épie, de moi-même voyeuse,
Avide visiteuse de ce corps découvert,
Qui fait danser ma vie de sa chaude lumière.

Mais le miroir me prend dans son piège infernal
Il fomente son coup, prépare son arsenal,
Pour me prouver encor sa puissance fatale,
Brandissant contre moi l'image glacée brutale.

Mon regard se morfond, mes pupilles se vrillent
Se tournent face à moi et doucement torpillent
Mon cœur à la renverse, qui cherche, pâle aveugle,
A fuir cette trouée tordue, la vie s'étrangle.





lundi 13 mai 2013

Surgit le bourreau de ton âme
Toi force tranquille sans larmes
Qu’aucun des maux humains n’entame.
Là à tes pieds gisent tes armes,
Autour de ton cœur, de ses flammes.
Tu t’es tant ri du cerf qui brame
Qui pour sa compagne se pâme
Dans des sanglots, stupide drame.
Toi fier et haut assènes blâmes
Aux pauvres hommes qui pour leur dame
Se damnent.
Pourtant le bourreau de ton âme
Sourit, tu te perds : oui, ta femme.

dimanche 12 mai 2013

Longues et lentes années ont enfoncé l’oubli,
Je t’ai mis dans un coin loin de mon quotidien,
Sous les sombres décombres enseveli,
Annulé, nié, peut-être interdit, bien éteint.

Dans mes rêves, mes jeux et dessins, tu reviens.
Vrai, tu te glisses, tu t’immisces dans ma vie,
Tu t’installes roi du monde en son sein.
Sage serein, tendre sourire,  vieux mort ravi.

Libre de mes racines mais tu me poursuis
Tu me traques sans cesse le jour et la nuit,
Effrayée, désarmée, je prie d’être épargnée.

Ridicule méprise, c'est l'espoir que je fuis !
Je respire l’air pur, tu regardes sans bruit.
Vieux mort, esprit, peux-tu m’accompagner ?

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants de Mathias Enard


          À son habitude, c'est dans un style invitant au rêve que Mathias Enard nous narre la tranche d'une fameuse vie, celle de Michel Ange. Ces grandes figures de l'art, derrière leurs œuvres écrasantes de célébrité, dont on imagine délicieusement la vie. Mais dont on ne sait finalement rien, d'autant plus qu'elles sont si vieilles et de fait, presque mythologiques. On n'y touche pas, j'ai presque l'impression qu'on a admis qu'on n'en saurait pas davantage sur le magicien de cette œuvre, et que peut-être que cela nous arrange parce qu'on préfère qu'il demeure comme on le rêve, évanescent, fragile et solide à la fois, maladroit et génial, humain pas trop humain, méconnu qui se révèle au monde dans un éclair divin. Mathias Enard s'attelle donc a cette dure tâche : raconter ce que l'on aime à rêver. Mais le talent d'Enard réside précisément dans cette habileté à raconter un rêve sans le dénaturer, en l'asseyant en tant que tel alors même qu'il outrepasse sa qualité d'insaisissable. La concrétude du livre, des pages, de leur froissement et du poids de l'objet en deviennent presque irréels et curieux. L'écrivain manie ce dérangeant paradoxe de la matérialisation d'un monde qu'il construit sur des fondations rêvantes, volatiles par essence. Eh bien non ! Le rêve prend corps et il est loin d'être impalpable. L'art des mots laisse a chacun le soin de se forger ses images, ses couleurs si on sait lui préserver son pouvoir d'évocation. Mathias Enard donne à voir et à entendre et pourtant c'est bien en lui-même que le lecteur doit puiser pour se représenter cet univers.
           De fait, face à ce petit livre, on est confronté à la solitude du lecteur acteur et partir prenante dans la fabrique du monde qu'on lui propose et qu'il peut ne pas accepter, qui ne s'impose pas à lui parce qu'il exige de lui d'être volontaire et créatif dans ce chantier. C'est un peu comme une trame brillante de richesses et de promesses que le lecteur choisit ou non de parcourir et d'animer de conserve avec le narrateur, guide auquel il peut se fier mais non aveuglément puisqu'il n'a pas toutes les réponses. Le dessin de Michel-Ange qui nous attend dans les dernières pages du livre est déconcertant et tant attendu pourtant. Moi lecteur, je me suis vue libre d'échafauder un univers enivrant de beauté à partir des subtiles esquisses que je déchiffrais et voilà qu'on me montre ce que les mots disaient, la vérité historique de l'artiste, qui me déçoit immanquablement. Mais qui me tend comme un miroir l'énormité du fossé entre moi-je et la réalité.
   


mardi 7 mai 2013

La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, Joël Dicker



            Je commence ce livre sur le conseil d’un proche, je l’achète sans savoir de quoi il retourne. Je constate qu’il a reçu un prix et qu’il est récent. Qu’il est épais aussi. Cela me plaît. Je pressens bizarrement que je vais me lier à cet objet plus que je ne m’y attends, pendant un moment, qu’il sera mon ombre, sur le chemin du travail, dans le bus, dans mon lit avant de dormir. Je pressens bizarrement que je le traînerai partout, comme tant d’autres avant lui, mais qu’il ne restera pas fermé pour quelque vague raison autour du crayon qui marque la page.  J’ignore si c’est moi qui rentre dans ce monde ou si c’est Joël  et le monde d’Harry Quebert qui s’immiscent dans ma demeure secrète. En tout cas, il se passe quelque chose de délicieusement intrusif.
            Je me mets d’emblée à lire vite et beaucoup. Je ne peux pas me montrer raisonnable. Je pense d’abord qu’il s’agit d’un roman contemporain très agréable et très facile, dans tous les sens du terme. Je me mords les doigts de ce jugement honteusement hâtif et étroitement radical. Oui, le style de L’Affaire Harry Quebert est un style d’écriture qui ne prétend pas à la poésie et tant mieux. Je soupconne Joël d’endormir son lecteur et de jouir de le voir d’un coup se réveiller devant sa subtile construction. La charpente du texte s’avère finement ciselée. On la découvre peu à peu et non parce qu’on nous la découvre mais parce qu’on a oublié de faire attention, pris qu’on était par les personnages et leurs dialogues vivants et entraînants, et qu’on s’aperçoit tout d’un coup qu’il y a une intelligence cachée derrière tout cela. Le moment où je me rends compte que je me suis fait avoir, chapitre 21, je m’arrête un instant et je reviens en arrière. J’avais déjà des doutes mais là, je souris, bernée par la plume que je croyais tranquille et sans histoires. On ne revient en arrière que dans les lectures denses, élaborées ou ludiques. L’Affaire Harry Quebert est tout cela à la fois. Le jeu, c’est celui de l’enquête policière, qui ne manque pas d’intriguer et d’aiguiser la curiosité du lecteur, comme tout bon roman policier. Mais je ne dirais pas pourtant que c’est là un roman policier auquel on a affaire. Le lecteur suit les méandres souvent abscons d’une enquête mais lui aussi a son énigme à déchiffrer et , on ne le lui dit pas tout de suite. Il se retrouve nez à nez avec le mystère de l’écrivain derrière son oeuvre, qui tire les ficelles mais en partie seulement. La mise en abyme est parfois vertigineuse et agaçante comme tout ce qui décille. Une réflexion permanente sur l’écriture, son sens, les motivations qui la sous-tendent et la place que la littérature que prendre dans une vie se déroule. Le lecteur se doit de réfléchir à sa situation et à la position dans laquelle il se trouve, le rôle qu’il joue dans la construction de ce livre et de tous les livres.
            Il me semble difficile d’inclure définitivement La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert dans la case d’un genre littéraire, c’est sans doute la raison pour laquelle je me pose et repose cette question du genre. L’image d’une arabesque gracieuse et colorée me vient à l’esprit pour l’évoquer. Je m’en tiens là, cela me semble aujourd’hui plus fidèle qu’un mot, que je trouverai peut-être plus tard. Cette courbe virevoletante est aussi celle du temps qui danse et se met en scène pour nous lecteurs. L’élément structurant de ma lecture et du souvenir que j’en garde, c’est cette temporalité hachée et toujours mouvante qui anime L’Affaire. En elle résident bien des réponses à l’enquête du héros et à celle du lecteur. Sa richesse est longue et ardue à cerner. Estc-ce vraiment un objectif ? Pour ma part, je me contente de contempler cette complexité, assez majestueuse je dois dire, certainement émouvante dans son esthétique et dans l’acte créateur qu’on sent la porter.


dimanche 5 mai 2013

Etendue tendrement au creux d’un hôpital,
Je te revois brillante au fond de mes nuits
Tu es ma chère vieille femme à l’agonie.
Diva, noble duchesse, cesse ton récital.

Dès l’enfance, tu règnas sur la cour, princesse,
Le port altier, le regard droit et implacable,
Face à tes vils sujets, souveraine impeccable,
Les regards t’adorant, minuscule déesse.

La vie te consacra formidable prêtresse
Du temple de Vénus, infrangible cristal,
Délirante beauté, rêvée, violée, honnie.

Le temps te rattrapa, ruine inéluctable.
La douleur s’encrassa, désir mort, corps pourri.
 A toi, fière altesse, la beauté fut fatale.

vendredi 3 mai 2013

La terre est lasse
Tours de passe-passe
Toujours menacent
Et elle ressasse.
C’est cette audace
Qui la terrasse.
Humains, cette race
de vils rapaces
vifs de carcasses.
Crasse, crasse et crasse !

Le ciel est sage
face aux sauvages,
à leurs ravages.
Il se ménage
Un pur mirage,
Splendide image ;
Songe, voyage…
Et il enrage
D’être si sage,
Seul dans sa neige.

La mer est ronde
fière Féconde.
Contre les mondes
bêtes immondes,
dresse son onde
qui sourde gronde,
mène la fronde
et se démonte
mère indignée.
“Monstres de honte  !”

Le feu s’amuse
de toutes ces ruses
partout qui fusent,
Et désabusent.
La guerre est muse,
perverse diffuse,
infirme percluse.
Frères s’accusent
soeurs venimeuses,
engeance creuse.

Le papier vole
Il suit Eole,
soie douce et molle.
Il suit le Fol,
sa farandole.
Il suit l’Idole,
son auréole.
Il s’abandonne,
quitte la Terre.

mercredi 1 mai 2013

Du fond de la guerre, renaquit


Gonflée de ma pâle morbidité, obèse d’insectes moroses,
Enceinte du grand Mal de ce monde, atterrée et soumise,
Grosse de Dieu le Père, vierge a jamais souillée,
Bavant d’hébétude et d’un maigre courage.

La guerre est déclarée.


L’armure se fissure, le miroir se brise,
Le verre finit d’être poli, le ventre a implosé.
Les marbrures violacées s’assombrissent,
Le doucereux vin sacré s’épanche royalement.

La guerre et clopinant, ses mutilés.


La nuit a déclaré forfait, la révérence de Chronos,
Le crépuscule sanguinolent victorieux,
Vampire bâtard, charognard mesquin, faux, indomptable,
Le ciel sauveur a disparu.

La guerre et le monde à ses pieds.


Le corps défoncé, débilité, décérébré,
Les membres se sont déroulés, à plat, évidés,
Le ventre despote se prélasse, encore suintant, collant
Le tronc survivant est une fontaine tranquille.

La guerre a ravagé.


L’univers est une boue sans horizon, éviscéré, usagé.
Allons racheter un monde ! allons en bataillons rangés !
Sept bras onze jambes au garde à vous,
S’enlisent et disparaissent, bourbier indéfini.

Il n’y a plus de guerre.


Un frisson glacé et vivifiant, je ferme les yeux,
Le noyau brûle, le gong humain sonne et résonne,
La peau vibre et caresse jusqu’à la terre solide et tendre
La flexion des genoux, les bras bien étirés ; arrimée.

La vie peut commencer.