samedi 24 octobre 2015

Fuyons !

La fuyeuse,
Fumeuse
Évaporée,
Dans les nuages
a essayé
réessayé
le monde.

Essayer
Comme un habit
Comme un ami
Colle à la peau
Même ok pour le
Maillot de corps.

La fuyeuse
Trop échaudée,
Brûlée presque à
Crever
Ne voulait plus y
Toucher.
Protectionnisme
Tranquillité.
On la comprend.

Et puis,
La fuyeuse
s’est sentie prête à
Repartir,
Plonger,
Avancer
bien dans l’eau,
Au milieu du bassin.
C’est sans danger,
elle sait nager.

Elle a joui
de sa prouesse,
la vraie vie,
celle qui engage,
celle qui rapproche des
rêves.
Elle a été
sacrément
Fière.
Elle n’est jamais
fière.
Elle s’est sentie
devenir.

L’univers s’écroule.
Tous les Wall Trade Centers
s’effondrent.
On a en a tous tellement
à l’intérieur.

Alors,
Elle a pensé à
« Prends tes responsabilités »
« Forcément, tu n’as pas de responsabilités t»
« Tu verras quand ! »
Et la fuyeuse reprend
d’autant plus ardemment
la Fuite,
Le Coeur brisé.


dimanche 18 octobre 2015

Metamorphoses

Elle est une toute petite, bâtarde hybride parmi les grands. Une ridicule souris parmi les rats. Elle tremble de trouille comme un chihuahua tout le jour. Aussi loin qu'elle se souvienne. Sa mère et ses amis l'encouragent : "T'es une super souris ! File ! Trouve ton troutunnel bordel !" Elle sourit à dents pointues et rougit. Ils n'ont pas compris.
Elle survit quelques années mais il lui faut trouver une arme ou elle crèvera. Macha et Sara mordent sans remords. Petites salopes ! Pour la vie. Elle, elle aime lire et puis ?
Elle finit par succomber, se recroqueviller sous l'angoisse. Elle sourit grâce aux amies, Viga, Dora, Isa qui sont belles et vivantes. Elle brûle et sa vie de minable gerboise entortillée sur ses douleurs de boyaux doit cesser. Quel qu'en soit le prix.
Elle ne sera plus jamais la plus tordue, la plus petite, la plus insignifiante. Elle fonce les pupilles, jusqu'au grand noir. S'amorce le nouveau régime : elle dévore les livres. Elle s'en nourrit. Enfin son arme est entre ses mains. Et elle sait que personne ne pourra jamais l'en défaire. Elle tuera s'il le faut.
Écraser ses pairs à coups de livres, massues masquées.
Anéantir leur présence même. Métro, trottoir en lisant.
Éventrer le monde cruel, à coups de culture et d'histoires.
Gagner une place en brandissant les livres qui font vivre les hommes ingrats.
Gras d'ignorance.
Grisés de vin.
Gris, inertes.
Elle se grise de lettres, pages, volumes dans chaque sac, dans chaque main.
Le livre devient une drogue, un bouclier, anesthésiant toutes les douleurs. Le livre sauve et enfonce loin des autres. Mais les autres ne peuvent plus rien pour elle. Il y a Baba et Aba qui tiennent le coup et la raccrochent à coups d'humour et de tendresse lointaine. Nécessairement lointaine. Difficile d'attraper la minus gerboise. Et, de toute façon, tout vaut moins que les mots. Même eux. Le monde est devenu une dictature. On arrache les cœurs à la naissance.

Pas de coup d'Etat.
Mais quelque chose devra reprendre, sous peine de mort, et les livres aussi fort que le corps assureront la ligne de vie. Ils feront céder la folie. Et Je.

À moi de les écrire, en hommage, pour survivre, pour toutes leurs couleurs, aujourd'hui.
Baba et Aba auront un jour juste leur livre et je les nommerai, les canoniserai. Sans Bible.
Pourtant, sans bibles, je ne serai rien.

mercredi 14 octobre 2015

L'échelle du grand canyon

On remonte
l'échelle de
l'espoir.
Du fond
du grand canyon.
Un monstrueux
nuage
se dégage.
Le jour
est jour.

Monstrueux
le poids
de l'espoir,
le vertige
de la première marche,
première et minus-
cule.
Je suis encore
nue.
On ne sort pas
nue
au grand jour.
Pourtant,
cette nudité
trouvée enfin,
le ventre dégonflé
les harnais décrochés.
Les cicatrisation
et digestion
pointent leur
nez.
Depuis des années,
le vertige
brouille
mon ambition
ma confiance
mes colères,
les tait,
les étouffe
pour ne pas tomber.
Et pourquoi pas tomber
et se retrouver nue ?
M'y voilà oui,
mais l'échelle
me tend les bras,
sans masque,
et je lui ouvre
mes mains.

Maman avait dit
"Les premières fois sont dures pour tous.
Tombe et relève-toi sans honte."
La première marche
nue
me fait pleurer
de peur.
Je retrouve
mes prières
d'enfant
d'adolescente
au milieu d'une foule
huante
hurlante
désopilée
par ma nudité
au milieu d'eux
les bien-vêtus.

Pour quelques jours,
je tâte la première marche,
nue
dans mon âme,
dans mes rêves,
les cauchemars d'antan,
qui deviennent
mes espoirs.
Nue et entière.

Dans quelques jours,
serais-je accoutumée
à cette
authentique
entièreté ?
Mon esprit
travaille
et je pense à
Maman,
sans honte,
là aussi.
Ses tendres mots
et les bras enveloppants
l'adulte
et l'enfant en même temps,
puisque c'est elle qui sait
rebercer,
jusqu'à ce que les larmes
finissent
ou sortent enfin,
selon l'âge
que j'ai eu.
"Ça ira mieux la prochaine fois.
Ça ira mieux, n'en doute pas."

Dans quelques semaines
peut-être,
je sortirai
de mon canyon de
malheurs
sans exigences,
pas même de survie.
Je monterai
marche
par
marche.
Selon mes vagues.
Le vertige
se retournera
pour devenir
mes ailes.
Je le laisserai
m'emporter,
et chaque jour,
la peur
muera.
Il n'y a peur
que s'il y a désir ?
Je ris d'abord.
Puis pourquoi pas ?

Je monterai
marche après marche
l'échelle du grand canyon.
Nue et nouvelle.

lundi 12 octobre 2015

Poum plouf

Le palpitant ne
palpite
plus
particulièrement.
Le palpitant ne
peut se mettre au
pas
pour autant.
Il est le
palpitant qui toujours
papillonne.

Le palpitant a été un
putain de cogneur,
parfait connard,
poussif tantôt
percutant
parfois.

Le palpitant aujourd'hui est
plutôt
plat.
Les entrailles
payent toujours
cher.

Et donc le palpitant n'est
plus un
explosif.
Il a fini.
Il est un
parent sage,
allié du quotidien.

Sont apparues les
marées, sans
percussion.
Les marées
montantes
mousseuses
nauséeuses
maltraiteuses.

Les marées ne
martèlent
rien. Elles
malmènent, des
montagnes jusqu'au
noyau du
monde.

Elles
minent le terrain,
mimant la vie
trépidante.

Je
finis au
fond
de l'océan.
Nue,
enfin,
nue et sans
fard.

D'un mal
un bien.
La vie
est à
recommencer.


samedi 10 octobre 2015

L'Aventure du mort

      La plupart du temps, je suis dehors, je me promène. Je rencontre des gens, je parle avec eux. C'est bien cela que je préfère. Rencontrer des gens différents et découvrir d'autres mondes. Il faut qu'ils me racontent leur vie. Pas leurs états d'âme dont je me contrefiche. Plus tard, je voyager. Je ne cesserai jamais de voyager, je serai journaliste, reporter dans le monde entier et surtout en Afrique. Si je le peux, j'aimerais vivre en Afrique. Je ferai tout pour que cela fonctionne. La France et les Francais m'ennuient, tout ici est gris et trop connu. Je veux changer d'air, partir, aussi loin de tous ceux que je côtoie depuis toujours. J'étouffe à rester ici. J'ai beau m'enfuir tous les jours dans la campagne ou la forêt, toujours plus loin, toujours plus tard, j'étouffe. Je n'apprends rien que j'aime apprendre. Maman essaye de faire rentrer dans mon crâne têtu toutes ces choses qu'un enfant de quinze ans doit savoir. Elle s'en arrache les cheveux. Je ne peux pas me concentrer, je ne le veux pas non plus. Cela ne m'intéresse pas et je ne compte pas changer. Cela ne m'intéressera jamais. Ce n'est pas cela etre cultivée ! C'est voyager qui m'apprendra tout ce que je saurai, rien d'autre. Maman me regarde de haut en me traitant d'ignorance et de naïve mais je sais que je mènerai à bien mon projet et je le donnerai tort. Pour l'instant, je dois accepter la vie ici. J'engage de devoir me soumettre à cette existence sans buts et étriquée. Parfois, je n'en peux plus, je suis en colère,en haine contre tout et tout le monde. Je dois sortir et courir longtemps dans la campagne puis la forêt. Je déteste cette famille idiote et trop tranquille. Je le crie, je le hurle sur tous les arbres que je croise, n'insulte les plantes, n'injurie le Ciel et je frappe, j'arrache, je détruis tout ce que je peux sur mon passage. Je veux que la forêt souffre, je déteste cette vie, je suffoque ! Arrêtez ça ! Transportez-moi, un autre temps, un autre lieu ! Autre part, d'autres gens ! Je vais tous les étriper avant demain. J'ai du mal à me retenir, ils sont tous stupides, autant qu'ils sont. Meme Papa est devenu gâteux. Comment ai-je pu autant l'aimer ?  Comment ? J'étais aveugle ou écervelée. Je ne pensais pas à grand-chose et j'aimais tout le monde de toute façon, sans différence. Tout a changé aujourd'hui. Quand je repense à certains épisodes de mon enfance, j'ai franchement honte. J 'étais absolument stupide. Et mes sœurs l'étaient aussi et je ne m'en apercevais pas. Je me prenais pour une princesse. Maintenant, la princesse gueule dans la forêt contre
la nature qui ne l'entend pas et se fait courtiser par de vieux paysans libidineux, assoiffés qui se
raidissent rien qu'à sa vue. Ils sont tous répugnants. Je les insulte eux aussi mais cela recommence toujours, c'est plus fort qu'eux. Je rêve de leur couper la queue et de faire cuire leurs boules et de les leur faire manger. Ils en seraient capables ces lourdauds, ces animaux, devrais-je dire. Papa et Maman ne m'ont pas préparée à cela. C'est peut-être pour cette raison qu'ils ont toujours été réticents à ce que je m'éloigne de la maison. Le vrai problème était peut être celui-là et non de fréquenter des gens d'une autre classe. Mais ils auraient pu s'expliquer au lieu de maintenir un mystère absurde. Nous devons nous échiner à deviner le pourquoi et le comment de ce qu'on nous inculque. C'est fatigant. Cette hypocrisie me pourtant, comment Maman, si énervée, aurait-elle pu m'expliquer ces saletés ? Quant à Papa, ce ne sont pas ses affaires, il est un homme. J'ai compris cela maintenant, il y a quelques années. Il s'est éloigné de moi, subrepticement, sans me donner de raison et tout le monde a jugé cela parfait. J'avais l'impression d'être la seule à ne rien comprendre. Je ne voulais pas me soumettre comme un gentil chineur fait ce que Maman lui dit. C'est apparemment ce qu'on attendait de moi. On me laisse grandir comme une princesse dans la nature, je me sens comme une sorte de déesse Diane réincarnée et on me demande d'admettre de me taire (mes interventions ne font plus rire personne avec leur franc-parler, ce sont les petites qui y ont droit, plus moi.), de voir Papa que j'aimais plus même que Maman s'éloigner doucement vers les sœurs inoffensives, d'être regardée comme une fille de mauvaise vie par les hommes alentour car je ne baisse pas les yeux quand on me fixe ? Cela n'est pas possible, pas humain. Et surtout, qu'ont-ils tous fait de Yann ? Ils le laissent croupir sous terre sans même honorer sa mémoire une fois par semaine ! Je m'y rends seule puisque personne ne veut s'y rendre, que tout le monde est si lâché. Là encore, plutôt là d'abord, rien n'a été expliqué. Rien. Rien. Rien. On cache la mort, oui je comprends. Et peut-on expliquer le minimum à sa meilleure amie ? Son âme sœur ? Sa compagne de tous les jours pendant onze années ? Même pas, parce qu'elle aussi est encore une enfant. Alors on se tait. Tous comme des tombes. J'ai l'habitude, c'est le monde qui est comme cela. Mais là, je ne saisis pas. Ne pas dire ce qui est laid, je souscris. Le masquer. Mais laisser la mort avoir le dernier mot, quelle couardise !
Vous êtes tous des imbéciles.
Cruels !
Je vous ai demandé, harcelés, suppliés. Maman, tu m'as fait rougir en te détournant de moi mis en me
 tendant un miroir pour me montrer ma face rougeaude et mon profil échevelé. Tu m'as dit que je n'avais pas de dignité. Et toi, tous ces soirs où tu l'aurais comme un nourrisson dans ton lit, probablement en train de téter un bout de serviette à l'odeur de Yann ? Qui manque de dignité ? La mère incapable de consoler sa fille ou la fille implorant de comprendre le drame de sa vie ? Qui est donc avilie ? Certainement pas moi.
Maman, tu m'as abandonnée, tu n'es un digne d'être ma mère. Tu n'es plus la mère d'un enfant mort que tu n'honore sur même pas correctement. Papa, toi, je ne te connais plus puisqu'il ne faut plus que l'on rie ensemble, que l'on soit complices. À toi aussi, j'ai demandé, toi aussi tu as tristement échoué. Je ne suis pas tombée des nues. Tu m'avais déjà laissée tomber. J'étais préparée à ta réponse vague et ton regard fuyant. Je n'ai malheureusement pas été étonnée. Fidèle à ce que tu es devenu ! Toi, tu n'as pas pleuré. Tu ne pleures toujours pas. Tu es un homme, je comprends ça. Mais je me demande où tu as posé ta peine. Je n'en ai pas vu une trace. Tu es resté exactement le même. C'est triste, plus triste encore que la mort de Yann.
       Alors, j'ai dû m'arranger seule pour essayer de saisir et qui se passait. J'ai surtout observé. Je sais que Yann avait une maladie très grave. La première fois que je m'en suis aperçue, c'est un jour où Yann n'a pas pu se lever le matin. Il était lève-tôt, comme moi. Et ce jour-là, je suis venue le réveiller comme d'habitude dans sa chambre et il a à peine pu ouvrir les yeux. Il a essayé de s'asseoir sur son lit mais il s'est écroulé. Il m'a rassurée en me disant que c'était juste une grosse fièvre, il le sentait bien. Je l'ai cru,on ne s'était jamais raconté d'histoires tous les deux, on avait toujours été francs l'un envers l'autre. Ca faisait partie du code. Nous l'avions toujours respecté. Meme pour les choses les plus dures à dire, même quand nous avions honte, meme pour avouer que nous avions eu peur, même quand nôus craignions de nôus fâcher pour la vie. Alors, j'avais totalement confiance. Et je l'ai laissé se reposer en l'embrassant sur le front, comme nous faisions lorsque nous étions malades. Il m'a souri et il s'est aussitôt rendormi dans un frisson. Je suis sortie me promener et j'ai oublié. J'ai pensé à tout enregistrer pour pouvoir le raconter à Yann en revenant, comme n'importe quel jour. Je n'ai pas pu. Interdiction de rentrer dans sa chambre. Le lendemain, Yann allait déjà mieux même s'il n'était pas encore capable de sortir, il pouvait à nouveau s'asseoir sur le bord de son lit et j'en profitai pour lu expliquer ce que j'avais découvert la veille. Je restai plus longtemps à l'intérieur ce jour-là, pour être avec Yann. J'avais besoin de sa présence. Il m'avait manqué, même un seul jour.
        Puis les semaines passèrent. Yann et Papa et Maman allèrent chez le médecin parce qu'après cette fièvre, Yann avait mis du temps à se remettre. Il était fatigué, dormait trop (alors qu'il avait toujours dormi peu, même enfant), ne sortait plus ou peu. Je trouvais cela bizarre mais je n'y prêtais pas grande attention. Je comprenais qu'on pouvait être malade et que cela dure un bon moment. J'avais déjà vu cela. Et puis, Papa s'est inquiété. Il en a parlé à un ami en ville qui lui a conseillé un autre ami médecin. Il pas sont partis trois jours plus tard. Maman ne voulait pas y aller mais une nuit, Yann a vomi, vomi, vomi, sans arrêt pendant des heures. Elle s'est alarmée et à acceptée d'aller consulter. La journée est passée normalement ou presque. J'étais soucieuse sans m'en rendre vraiment compte. C'est après-coup que j'ai compris que j'avais compris. Je me promenais, je m'étais sauvée après la classe, comme d'habitude. Mais j'ai eu des flashs, des images qui se mettaient devant mes yeux, malgré moi, des images sinistres de Yann. Je les chassais tout de suite de ma vie. Mais elles sont revenues toute la journée. Le son du hoquet de Yann pris par les vomissements me hantait. J'avais eu beau plaquer mes mains aussi fort que possible sur mes oreilles, j'entends parfaitement ses râles. En plus, il avait l'air de s'étouffer. Jackie ne s'était pas réveillée. Elle avait pleuré le lendemain matin de ne pas avoir entendu et d'avoir continué de dormir. Elle est toujours très sensible comme cela Jackie. Nelly elle était la première debout. Elle avait le sommeil léger, toujours que le qui-vive. Je n'en avais pas conscience mais elle prenait soin de nous, en tant qu' aînée. Ce rôle était déjà important pour elle. Le soir, nous avons dîné sans eux. Ils avaient fait prévenir que peut être, ils devraient s'absenter plusieurs jours. Jackie s'est encore mise à pleurer en voyant qu'ils n'arrivaient pas. Nelly l'a bercée et je l'ai fait rire. La bonne, Marie, s'est occupée de nous, comme tous les jours. Et puis, Grand-Mère n'était pas loin, les voisins connus et bienveillants. Nous n'étions pas perdues. Je n'avais pas peur mais une fois dans mon lit, je m'interrogeais sur la situation. Je me demandai si ce retard était mauvais signe ou s'il était inutile de s'inquiéter. Je ne pouvais pas m'empêcher de m'imaginer des choses et d'avoir peur, malgré tout. Mais heureusement à l'époque, j'avais autorité sur mes craintes. Je pouvais par magie les rendre ridiculement petites et insignifiantes. Jusqu'à ce que ce que... Je vais trop vite. Je m'endormais donc tranquillement. Le lendemain matin fut fête pour nous puisque nous pouvions ne pas obéir au strict ordre maternel du matin. Maman était toujours très soucieuse de notre préparation. Elle prenait cela très à coeur. Cela a changé par la suite et nous l'avons regrette, contrairement à tout ce que nous avions pu imaginer jusqu'alors. Ce jour-là, nous avons pris un malin plaisir à être aussi lentes que des tortues séniles, aussi éparpillées que des bébés singes en liberté. Marie nous a regardées avec amusement, elle savait que nous finirions par nous y mettre et par être prêtes. Surtout les autres. Me concernant, elle paraissait moins sûre et à juste titre. Elle me savait têtue et désordonnée, sciemment, volontairement. Elle se montra tres fine puisqu'elle ne m'obligea pas et je fais ce qu'il fallait faire.
    La journée se passa dans le bruit et les rires. Les cris des petites. Nous nous sentions complètement libérées. Mais pas complètement à l'aise. Nous répétions finalement l'organisation habituelle, à peu de choses près. Même moi. Je ne sais toujours pas pourquoi. Peut-être un pressentiment, l'intuition d'une menace. Je ne sais vraiment pas.
      Ils sont rentrés pendant le dîner. Nôus n'avons pas vu Maman. Elle n'est pas passée par la salle à manger, elle a tout de suite pris l'escalier pour monter dans sa chambre. Papa et Yann sont venus nous rejoindre. papa, égal à lui-même, et Yann comme  un peu étonné mais souriant et malicieux. Ils nous ont rassurées par leur calme.
         Des jours ont passé, la vie a repris son cours, tout à fait normal. Quelque chose d'imperceptible sur le moment avait tout de même modifié l'alchimie générale qui n'était plus la même. Mais j'étais aveugle. Je ne voulais rien savoir. J'ai seulement remarqué au fil des jours que le regard de Yann avait pris une autre teinte, plus foncée, plus profonde, comme les nouveau-nés, avant d'avoir leur couleur d'yeux définitive. Je me disais que c'était l'âge qui voulait cela, moi je voyais ma poitrine se former et s'alourdir. Yann, en tant que garçon, etait sans doute soumis à la même fatalité et cela attaquait ses yeux et non son torse. J'avoue qu'une ou deux fois, j'ai bien eu un flash en m'endormant : l'image de deux Yann côte à côte, celui d'un an auparavant et le présent d'alors. La première fois, j'en avais été bouleversée et alors que j'étais au bord du sommeil, je m'étais rassise dans mon lit, dans le noir, respirant bruyamment et tout à fait éveillée d'un coup. C'était le début d'un reve et c'est ce que je me répétais pour me calmer. Cette image, c'était celle de la décadence, de la chute définitive. (Une plante pourrie à sa place m'aurait fait le même effet.) J'en avais conclu dans mon for intérieur et gardé bien secret, que j'avais peur. Non que j'avais compris.

      Mais ce jour-là, je vis en face ce qui nous attendait pour les deux mois à venir. Yann ne s'était pas levé et nous l'attendions dans la salle à manger pour commencer le petit déjeuner. Maman l'avait appelé. Papa avait frappé à sa porte et jeté un coup d'œil. Il n'était apparemment plus dans son lit. En réalité, il s'était trompé. Yann était bien dans son lit mais caché sous les draps, il grelottait. A force de voir tout le monde reculer devant le problème, je le prenais à bras le corps. Je montai les marchés quatre à quatre. J'entrai en trombe dans la chambre tout en parlant très fort : "Eh bien alors ! Que fais-tu ? Que se passe-t-il ? " Au premier regard, je ne vis rien n'ai personne, moi non plus. J'attendis et Yann se hissa hors des draps. Il était livide, aussi blanc que tout le tissu qui l'entourait. Il avait les yeux agrandis et cernés par la fièvre. Ils brillaient comme s'il pleurait. Il savait combien il était mal en point et son regard se posa sur moi, navré de m'imposer ce spectacle. J'étais pétrifiée, je reconnaissais mal les traits de mon frère adoré, il était véritablement transformé. Il referma les yeux. Je repris mes esprits. Je viens m'agenouiller près de sa tete. J'étais désespérée. Mais surtout, à le régler, j'en éprouvais une réelle douleur physique. Je me sentis faible et fébrile d'un coup. Sans avoir la force de rouvrir les yeux, Yann me tendit la main maladroitement et je la serrai très fort dans mes mains à moi. Que faire ? que dire ? Je me contentai de retenir mes larmes et d'attendre qu'Yann n'ait plus besoin de moi. "Tu enteras là jusqu'à la fin, n'est-ce pas ?" L'horreur eut se lire sur mon visage. Quelle fin ? C'était donc la mort qui etait en cours dans ma maison. Yann etait tout simplement en train de mourir. Doucement mais sûrement. Il répéta sa question devant mon silence hébété : "tu seras là jusqu'à la fin, n'est-ce pas ?"
"Oui, Yann, je serai avec toi."

      Heureusement, je ne savais pas à quoi je m'engageais. Si j'avais su, jamais je ne lui aurais fait ce serment. Mais nous étions deux enfants et aucun de nous n'avait encore vu la mort de près.
J'ai tenu ma promesse. À quel prix...
Je ne recommencerai pas. Je n'aurai peut-être pas dû.

      À partir de ce jour, l'état de Yann se détériora. Il y avait de meilleurs jours et puis le lendemain, c'était pire. À chaque fois, j'espérais qu'il revivais et je déchantais ensuite. Ces vagues sur lesquelles je chavirais tous les trois jours me donnaient des nausées. J'en étais moi-même malade. Pendant ce temps, Maman se morfondait, abattue, si facilement vaincue... Papa demeurait souriant et guilleret, comme si rien n'était en train d'atrocement arriver. Les petites trouvaient refuge auprès de lui, à défaut de pouvoir compter sur leur mère, si tonitruante jusqu'à présent. Jackie etait prise de crises de larmes, inopinées, sans qu'aucun de nous n'ait pu détecter et signes avant-coureurs. Olivia se pelotonnait dans les bras de Papale soir avant le souper des grands. Elle n'avait jamais été une enfant tres caline mais l'était devenue du jour au lendemain. Elles tait maintenant dans les pattes des adultes, elle qui avait une tenace tendance à s'enfuir, aussi loin que moi. Nelly etait impassible, plus froide et sûre que jamais. Raisonneuse et droite. Elle s'était muée en une espèce de robot insipide insupportable qui me faisait regretter la haine d'avant. Je priais pour qu'elle redevienne ce qu'elle était.

     Tous les jours, je me levais aux aurores. Non seulement, j'étais incapable de me rendormir après mon réveil de cinq heures. Qui plus est, je savais que ces heures du petit matin étaient les pires pour Yann. C'était là qu'il souffrait le plus. Il m'avait expliqué qu'il avait mal dans tout le corps comme si son squelette était en feu et que le sang qui y circulait attisait les flammes. Le Coeur n'était alors plus qu'un tambour métallique qui cognait comme un sourd. La tete, une pompe qui se remplissait à la limite de l'éclatement et se vidait jusqu'à la mort toutes les trente secondes. Cette description m'avait proprement effrayée et je n'avais pas pu m'en cacher. Yann m'avait dit qu'il regrettait de m'avoir expliqué tout cela mais qu'il ne pouvait s'en confier qu'à moi. Pour la confiance qu'il me faisait et la peine qu'il ne voulait pas causer à nos parents. J'en tirais toute la fierté et l'honneur de celui qui donne le meilleur de lui-même. Ce que je faisais etait bien et je savais pourquoi je le faisais.
Je ne me leurrais pas. La mort approchait à grands pas et il était temps de faire preuve de courage. Tout le monde n'en était visiblement pas pourvu...
        Après les heures matinales où la respiration se faisait lourde, haletante pendant de longues minutes et où le corps était secoué en tout sens par la folie de la maladie, venaient les plus doux moments du jour. Yann était calme. Il souriait parfois, essayait toujours en tout cas. Pour moi. Pour me remercier. Je le dans ses yeux. Les jours où il avait trop souffert entre cinq et huit heures, il me regardait sans plus et je comprenais combien il m'aimait. J'en rageais, tout bas, cette impudeur qui me frappait de plein fouet pour m'annoncer la mort.
          Le déjeuner était parfois calme et fortifiant. Parfois terriblement long et fastidieux. Minuscules bouchées qui s'achevaient inévitablement par un gros vomissement. Tout ce rail pour rien. C'était après le déjeuner que je prenais une pause pour aller courir à l'air libre et fers, seule et tranquille. On ne me posait plus de questions, on me laissait faire. Maman avait bien essayé un jour de me retenir en me sommant maladroitement de profiter de ce temps pour travailler. Je l'avais regardée dans le fond des yeux incrédule. Elle avait tourné les talons et avait abandonné cette bataille perdue d'avance. Je sortais et me dirigeais tous les jours vers la forêt où je pouvais me perdre tout en ne ''égarant jamais. J'avais besoin de cet endroit et de son immuabilité, de son immensité aussi et de ses dimensions à la mesure de ma douleur. Quelquefois, je hurlais et j'en revenais exténuée. Au bout de deux ou trois heures, je rentrais à la maison et retournais directement dans la chambre de mon frère. Il était plus pâle, plus maigre, à chaque fois que je ne m'y attendais pas. Je lui racontais ma promenade. Je l'enjolivais le plus souvent. Il le savait, ses yeux devenaient rieurs et il se délectait de mes affabulations. Il s'endormait finalement et je prenais un livre, bien malgré moi, pour pouvoir rester à ses côtés. Yann possédait une vieille édition des Fables de La Fontaine. Il adorait ces poèmes. Je n'ai jamais compris pourquoi. Mais en les piochant dans la bibliothèque et en les transformant en véritables rituels, elles m'étaient devenues chères.
Puis, Yann se réveillait à nouveau pour une heure pendant laquelle il fallait encore essayer de le nourrir. Je cédais ma place en général. Et je revenais pour une dernière parole avant la nuit tourmentée qui l'attendait.

        Le dernier soir, Yann n'était pas si souffrant et amorphe que d'autres fois. Bien au contraire. Il avait les yeux d'avant, leur même couleur était revenue. Je me réjouis. Quelques instants seulement car il s'exprima comme seul un mourant le fait : "Anna, merci pour tout. Tu es la plus chouette sœur du monde. Ne l'oublie jamais. Et ne le dis pas aux autres surtout !" Je baissais les yeux et rougit sans répondre à cette déclaration d'amour, la première de ma vie. Yann était lui, tout à fait à l'aise. Il me sourit un peu narquois.
Ce soir-là, je reviens l'embrasser avant d'aller moi-même me coucher. Ses traits étaient crispés, il était translucide, verdâtre par endroits, comme pourri, les veines saillantes, gonflées comme si elles étaient en crue, les seules à pavaner dans cette mort imminente.
Je fuis ce spectacle et me glissai dans mon lit. Le lendemain, il ne serait plus là, nous n'aurions plus de frère. Nous ne serions plus que des filles. Au grand désespoir de tous.
      L'aube me réveilla et je me dirigeais lentement, à reculons disons-le, vers la chambre de Yann. L'odeur envahit mes narines. Avant même tout le reste, je sus. J'aurais voulus tuer mes sens. J'ouvrais la porte. Il était là, immobile et mort. Je m'allongeai doucement à côté de lui, contre le mur. Avant que la maison ne le tue definitivement. Il était encore tiède. Mais il était devenu une chose. A ce moment précis, je compris pourquoi il fallait croire en Dieu. Il me fut d'un extrême secours. Yann avait dû s'eteindre peu de temps auparavant. Je savais cela grâce à Papa et à la chasse. Il m'avait expliqué comment les bêtes mouraient. Je sentais combien la situation y ressemblait.

      Et puis, tout s'enchaîna.
Et plus grand-chose à raconter.

     La vie reprit son cours et chacun reprit son rôle, sans Yann, croyant que c'était possible.

     Je pris la place du garçon perdu.

lundi 5 octobre 2015

Le volcan et la panthere

Les volcans éteins
ne le sont jamais vraiment.
Un volcan reste un volcan
comme un fauve un fauve.
Ils ne s'apprivoisent pas.
Ils n'obéissent à rien.

A chacun son volcan,
son tigre ou sa panthère.
Tout au fond ou ras bord.
A chacun sa nature
et ses griffes
et son feu.

J'ai toujours étouffé
la montagne cracheuse
et l'animal crochu.
J'ai étouffé les meurtriers
pour mieux protéger
mes prochains.
Auto-mutilation.

Aujourd'hui,
la carnassière
se fait jour,
la lave coule hors du trou.
Les pincettes et les gants
à la benne.
Voilà les crocs et
les poussières flambantes,
les vérités et
émotions
que j'ai moi-même
effacées.
Pour être douce
et muette.

Attention !
Le volcan se réveille.
La panthère sort chasser.


samedi 3 octobre 2015

Son frère, mon.

Fulgurant,
resurgit le frère.
Une conversation,
longue,
à mi-mots
ou au contraire,
les mots pleins.
Les deux
élisent
leurs mots.
Les deux
se lisent
si aisément.
Ce frère
est une bénédiction.
Elle n'en parle
pas.
Par pudeur
et habitude.
La mollesse
émotionnelle.
Elle la hait.

Je la hais.

Détonnant
resurgit le frère.
Bien sûr,
il n'avait pas
vraiment
disparu.
Il est toujours là,
au cas où.
Il est l'un des
outils de sauvetage.
Les plus aimés
oui.
Aussi,
les plus fiables.
Le regard
et quelques mots
pour arriver
au but.
Le frère
comme amour de
jeunesse.
Elle l'adore.

Je l'adore.

Découvrant,
resurgit le frère.
Il désherbe le
coeur.
Il rouvre
le grand imperméable
de l'incognito
il faut
y a qu'à.
Il ramène l'arc-en-ciel
et
les racines en tête.
Elle retrouve l'histoire
et les personnages
vivants.

Je retrouve l'histoire
vivante.

Aventures d'enfant


           Je n’avais pas le droit d’aller dans la ferme voisine, tout le disait et le répétait : « ne t’aventure pas là-bas ! Ca peut être dangereux ! » Personne ne consentait à m’expliquer en quoi cela était si dangereux. J’ai décidé de m’y rendre. Je verrai par moi-même s’il y avait quelque chose à craindre ou si c’était une de ces précautions « Au cas où » des adultes couards et ennuyeux. Surtout j’ai été intriguée car j’ai aperçu un enfant. Je n’étais pas sûre mais j’ai voulu absolument savoir. Les punitions peuvent être dures, je le sais. Mais cela m’est égal. Si je pense aux punitions, je ne fais rien. Il y a toujours des punitions à attendre d’autant que j’ai systématiquement envie de faire ce qui est interdit. Je ne sais pas pourquoi. Ils le disent tous. Papa en riant. Sous cape. Il est de mon côté. Maman désespérée, Grand-Mère en colère, exaspérée même. Mais tous intrigués ! Ils sont tellement amusants tous à m’attendre dans le salon, tout sérieux sur leur chaise, l’air grave, comme si quelqu’un était mort. Voilà c’est ça ! Comme si quelqu’un était mort ! Et j’arrive dans cette ambiance sordide. Moi je suis joyeuse, j’ai joui de ma liberté, j’ai passé un merveilleux moment dans la nature ou cachée dans un arbre. Je me fiche de la punition. C’était tellement bien. Et même, je joue à pleurer le moins possible, je ne crie jamais bien sûr. Mais j’essaye de ne pas pleurer non plus, même si j’ai mal. Nous faisons un concours avec Yann. A qui tiendra le plus longtemps sans larmes ! Du coup, il s’arrange pour resqter dans le coin pendant ma punition, disant qu’il veut y assister pour ne pas être tenté d’enfreindre les règles. Encore plus roublard que moi ! Cela fonctionne parfois. Quand Maman est vraiment en colère. Toujours avec Grand-Mère qui soutient l’éducation par l’exemple. Jamais avec Papa qui a compris le subterfuge et refuse en plus l’idée d’humilier un enfant aussi désobéissant qu’il soit. Hihi ! Je sais que j’ai de la chance d’avoir ce papa-là. Je vois que les autres peuvent être vraiment cruels. Les cousins Mathilde et Jean nous racontent des choses affreuses. Ils me supplient de ne pas en parler à Papa. Je leur promets mais c’est difficile. Ils savent que Papa ne manquerait pas de faire une remarque à ce sujet lors de la prochaine réunion de famille. Sans être direct, sans faire de raffut. Mais cela ferait un scandale silencieux. Moi, cela m’est égal. Papa a raison. On ne traite pas même des enfants méchants comme ça. Et puis, Mathilde et Jean font toujours tout ce qu’on leur dit ou presque. Alors, c’est sûrement injuste. J’adore quand Papa montre qu’il n’est pas comme les autres, qu’il est moderne et qu’il ne veut pas agir comme un maître avec ses esclaves. Il choque tous les adultes présents. Les vieilles personnes de la famille sont outrées. Tante I. devient rouge comme si elle allait s'étouffer et elle fait mine d’avoir besoin de sortir de la pièce. C’est toujours la même scène. Yann et moi les observons de derrière un chambranle de porte. C’est dur de ne pas rire.  Mais cela dure souvent un bon moment. Et nous voulons assister à la scène jusqu’au bout. Nous en rions pendant des jours entiers après. Mais Maman a demandé à Papa d’arrêter de faire ça alors c’est moins souvent maintenant. Papa et Maman sont tellement différents ! Maman suit les règles de la famille. A la lettre. Papa n’aime pas les règles, sauf celles de la chasse, mais il est bien obligé de faire avec faire un peu comme les autres mais parfois on sent que c’est plus fort que lui, il doit dire quelque chose qui ne convient pas mais qu’il pense trop. Il ne peut plus se contenir dans ces cas-là. J’aimerais être une adulte comme lui plus tard. Yann dit la même chose.
            En fait, Yann et moi, nous sommes les préférés de Papa. C’est nous qu’il aime le plus. C’est comme ça. Je crois que c’est parce que nous aimons rire et désobéir. Il ne nous le dit pas mais je crois que c’est ça la raison. Il nous fait des clins d’œil par moments, un peu complices, surtout quand la tante Thérèse est là. Elle est terrible. Il la déteste. Et nous aussi. Quand je suis en colère, Papa vient toujours me voir et me parler. Il s’asseoit sur la chaise de notre chambre à Nelly et à moi. Il fait sortir Nelly et il me pose des questions. Je suis tournée vers le mur et d’abord, je refuse de lui répondre. Il a l’habitude, je fais cela depuis que je sais parler. Il prend son mal en patience et garde un ton de voix très doux. Cela ne me calme pas mais je ne peux pas lui résister, vraiment. Et il y a bien un moment où il me dit que je suis jolie, la plus jolie, sa princesse et ça, je n’y résiste vraiment pas. Finalement, je m’assois sur le bord du lit face à lui et je parle sans m’arrêter pendant des longues minutes. Je crie, je tape du pied, je brandis mon poing, haut devant moi. Il attend que j’en ai terminé. Je finis bien par pleurer tout de même et il me prend dans ses bras, pas longtemps, nous n’aimons pas que ça dure, ni l’un ni l’autre.
            Il est arrivé que Maman rentre dans la chambre à ce moment-là, surtout si elle ne sait pas pourquoi je suis si furieuse. Immanquablement, elle noue jette un regard assassin, elle claque la porte et s’en va bruyamment. Je sais qu’elle ne peut pas désavouer Papa devant moi. Mais c’est évident, elle en meurt d’envie. Le soir, toujours il y a une dispute entre eux ces jours-là. Maman est beaucoup plus stricte que Papa. C’est elle qui fait la Loi à la maison. On ne doit pas le dire mais on le sait tous. Elle ne nous console pas si nous avons un chagrin, elle n’aime pas nous prendre dans ses bras. Le soir avant de dormir, elle nous embrasse sur le front et nous ne devons rien lui rendre en retour. Elle dit que les filles doivent être fortes pour se battre, que la vie est très dure pour elles et que les mièvreries les amollissent. Avec Yann, c’est tout autre chose. Elle n’est pas plus caressante mais elle ne le réprimande pas souvent.  Et il peut lui répondre et discuter les problèmes avec elle. Nous avons l’habitude et puis, c’est vrai, un seul garçon, il faut le chouchouter. Moi, je préfère faire des concours de trucs de garçon avec lui, pas lui dire qu’il est formidable et que puisqu’il est le seul garçon, moi aussi je le chouchoute. En plus, je suis aussi formidable que lui. Je le lis dans les yeux de Papa et je crois maintenant aussi dans ceux de maman. Elle est fière de moi. Je suis comme elle veut que sa fille soit : aventurière, forte, sèche, grande et mince. Maman est très à cheval sur tous les détails et elle exige de nous tout cela. Nelly a abandonné la bataille. Elle dit que cela ne l’intéresse pas. Je pense plutôt qu’elle sait qu’elle est perdante : elle est petite et grasse et aime lire au coin du feu.
 
 Je suis donc finalement allée à la ferme. Pas peur non ! Ces aventures-là, je les entreprends seule. Je ne veux pas qu’on me dérange, qu’on me ralentisse. Et là, il y avait bien un garçon un peu plus vieux que moi et lui aussi il m’avait déjà vue dans la campagne. Je suis partie à l’aube comme toujours, à pas de loup. Je n’ai prévenu personne. C’est plus prudent. J’aurais pu le dire à Yann mais de toute façon il s’en doute. Nous nous sommes d’abord dévisagés le garçon et moi, évaluant l’adversaire. Et puis il m’a fait un geste pour me dire de le suivre dans la ferme. Il m’a montré tous les animaux qu’ils ont. Nous aussi, nous avons des poules mais de vaches, pas de chevaux. Loïc, le garçon de la ferme, m’a proposé de monter dessus. Il est immense alors j’ai dit oui tout de suite, pour relever le défi. C’est un mâle. Loïc m’a tout expliqué. Il a tenu la longe et nous nous sommes promenés, lui à pied, moi à cheval. J’ai eu envie de faire partir le cheval au galop, j’ai eu très envie mais je me suis retenue parce que cela aurait pu faire des ennuis à Loïc. Et je n’aurais pas pu revenir. Une autre fois seule, je le ferai.
Loïc est très gentil, c’est un paysan mais cela me va. Il est gai et drôle. Il me fait rire. Chez moi, les gens ne sont pas très drôles, c’est moi qui les fait rire, surtout Yann et Papa. Les filles, ça ne doit pas rire trop fort. Je m’en fiche, moi. Je ris si je veux. Loïc lui il ne pense pas que les filles doivent être sérieuses. Au contraire, il me l’a dit. Normalement, moi je ne devrais pas aller chez les paysans, il me l’a redit aussi pour être sûre que je le savais. Je le sais bien sûr. Mais je me sens plus forte si je ne fais pas ce qu’il faut. Les règles, toujours les règles. Et il paraît que ce n’en est pas fini ! Ca m’ennuie et souvent ça ne sert à rien. Ne pas aller à la ferme pour ne pas se salir. Je peux y aller nue s’ils préfèrent. Et puis, il ne faut pas se mélanger aux paysans, ils sont ignorants et pauvres. Comme si nous roulions sur l’or ! comme si Loïc ne m’avait pas appris des tas de choses ! Bref, des règles idiotes dont j’attends encore de comprendre à qui elles servent.
Je retourne voir Loïc tous les matins, je retourne le voir et j’apprends à monter à cheval à la barbe de mes parents. Et de Nelly, Yann et les autres. Ce sera décidément moi la meilleure, moi la plus maligne, et derrière ses réprimandes, je verrai que Maman est heureuse de me voir ainsi. Je me demande pourquoi Maman n’a pas fait tout cela elle-même. Elle n’est pas plus bête qu’une autre. C’est vrai que Grand-Mère est sans pitié. Je dis que Maman est sévère, parfois dure. Grand-Mère est une vraie sorcière quand elle se met en colère. Tout le monde se tait, même Papa et tout le monde a peur, je crois bien. J’avoue que moi aussi. Comme Mama, elle a les yeux qui brûlent. Ca fait toujours pleurer Jackie. Elle est encore petite oui, mais moi à son âge je ne pleurais pas. Jackie est comme ça, elle a peur. De son ombre aussi. Ca me donne encore plus de courage et encore moins peur. C’est plus facile s’il y a quelqu’un qui s’effondre. Après, je console Jackie quand même. Elle a vraiment de la peine. Et elle sanglote longtemps même quand c’est fini. Et puis Maman ne vient pas lui dire un mot, surtout si elle est avec Grand-Mère. Elle devient implacable. Je me dis qu’elle en fait trop mais cela m’est aussi un peu égal. Elle fait comme ça et puis c’est tout. On sait que cela recommencera et on n’y peut rien, c’est ça les parents.
 
Tous les quatre, Nelly, Yann, Jackie et moi avons vraiment des caractères très différents. Je ne parle pas des autres, elles sont trop petites. Et Maman est encore enceinte. Je le sens. Ca n’en finit pas. Elle se couche avec les poules et elle laisse Papa gérer certaines choses, ses chasses gardées habituellement. Ce n’est Maman ça ! nous sommes donc souvent tous les quatre. A l’intérieur du groupe, il y en a deux autres groupes. Yann et moi d’un côté, Nelly et Jackie de l’autre. Yann et moi, je dirais que nous sommes amusants et un peu bizarres. Nelly et Jackie sont sages et timides. Nous aimons gambader dans la nature, elles aiment lire tranquillement pendant des heures. Ce que cela peut m’ennuyer moi de lire ! J’ai bien essayé de les faire venir avec nous en forêt. Je pensais qu’elles ne pouvaient pas aimer vraiment lire, qu’elles avaient peur de sortir ou de désobéir. Mais elles ne se sont pas laissées convaincre et même, Jackie s’est fâchée, comme elle le fait six jours sur sept, rouge comme une tomate. Nelly l’a calmée et a parlé pour elles deux. Laisse-nous Anna. Nous aimons rester ici, à lire. Je ne voulais pas la croire. Mais elle n’était pas du tout énervée. Alors, peut-être qu’elle disait la vérité. Pour Jackie, je ne sais pas. Je doute encore. Je crois vraiment qu’elle a eu peur de Maman. Comme dit Yann, c’est mieux comme ça. Nous sommes libres, tous les deux. Nous avons un code tous les deux pour si jamais ça tournait mal. Nous nous retrouvons ensuite à la maison. Nous arrivons chacun de notre côté, l’air de rien. Plusieurs fois, un de nous deux a été épargné grâce à cette méthode. Les autres, les filles,  ne nous posent pas e questions. Elles haussent les épaules et murmurent leur colère. « C’est pas juste ou quelque chose comme ça ». Je suis sûre qu’elles sont jalouses.
 
Un jour, je suis partie loin avec Yann, loin dans la campagne. On était presque à la mer. Et j’ai voulu monter à un arbre. Enorme ! Il était énorme ! J’avais envie alors je l’ai fait. Comme d’habitude. Yann m’a demandé si j’étais sûre de vouloir monter si haut. Evidemment, j’en étais sûre. Si j’ai décidé, c’est comme ça. Je ne reviens pas en arrière. Comme les chevaux. C’est Loïc qui m’a expliqué ça : les chevaux ne supportent pas de reculer, il paraît. Et donc, j’ai grimpé encore et encore. Yann m’a crié de descendre. Il n’est jamais peureux mais là… Il n’était pas rassuré. Je ne l’ai pas écouté. Je suis arrivée au sommet. C’était magnifique. La vue sur la campagne et la mer. Je suis restée un peu là-haut et je suis redescendue. Enfin, j’ai voulu redescendre. C’est là que je me suis blessée. J’ai senti un éclair me traverser la jambe. Je n’ai pas crié. Yann m’aurait dit : »je t’avais dit ! » J’ai gémi doucement, il ne pouvait pas entendre. Vu que je ne bougeais plus, il s’est demandé ce qui se passait. Il s’inquiétait en bas. Je lui ai répondu que je m’étais fait mal et qu’il fallait qu’il suive notre code, qu’il retourne seul à la maison. Il n’a pas voulu. Il ne voulait pas me laisser seule, ce jour-là. On était si loin de la maison ! mais j’ai décidé pour lui et il est parti, malgré lui. Après, c’est vrai, j’étais dans le pétrin. Seule, blessée, à mi-hauteur d’un arbre gigantesque. Mais le jeu en valait la chandelle. Même à ce moment-là, je n’ai pas regretté.

jeudi 1 octobre 2015

Jane, HIMALAYA

    Elle est celle qu'on regarde d'en bas de la montagne ou du bord. Celle qui n'est plus qu'un petit point noir qui fait peur et excite les esprits en même temps. On dit qu'elle n'est pas prudente et qu'elle n'a vraiment rien d'autre à faire de sa vie que de prendre tous ces risques, qu'elle ne pense qu'à elle, et sa famille alors ? Sa pauvre mère doit être dans de ses états ! Meuh non ! Les gens pensent à la place de ceux qu'ils croient pouvoir connaître, ils les croient comme eux. La mère est fière, bien au contraire. Sa fille accomplit ce qu'elle n'a jamais osé. Elle affiche l'angoisse de rigueur dans toutes ces situations mais inconsciemment elle l'a construite comme ça sa descendance féminine. Beaucoup moins la virile. Allez comprendre. Jane est une aventurière, vous l'aurez compris sans moi. Je suis bien obligée de le dire. Sinon on a envie de mettre le mot mais on se dit que si celui qui écrit ne l'a pas dit c'est qu'il avait une bonne raison et alors ln se questionne, on s'en arrache les cheveux pour voir quelle hypothèse colle le mieux avec cette béance. Sans se dire que peut être, d'abord on s'en fout, ensuite, il a simplement oublié. Une omission oh non grand Dieu ! Pas d'omission dans ce cercle fermissime des littérateurs. Bref, encore faut-il être lu. Pas une mince affaire d'emblée.
Jane descend et monte, pire qu'une télé cabine, plus raide, plus intense, plus émotive surtout. Encore heureux. Elle serait un phénomène des plus terrifiants sans cela. Elle n'a d'ailleurs jamais affirmé auprès de quiconque qu'elle n'avait pas peur. Elle se décrit comme une peureuse. Sa mère aussi. Une enfant qui a toujours été créative et casse-coup. Comme quoi, encore une enfilade de déductions sans nécessité ! Plus on a peur et plus on est courageux. Rien de bien neuf là dedans. Mais peut-être même que plus on a peur, plus on a envie de vaincre sa fragilité. J'y crois. Jane le sait. Comme vous le constatez par vous-même, c'est une jeune femme sans détours, non sans peurs.
      Jane a fait le tour du monde. Elle a fini le lycée à 17 ans. Elle a toujours réussi vite et bien. Elle a entendu dire qu'elle ne travaillait pas assez, qu'elle n'était pas bien courageuse. Question de temps passé à la rédaction des dissertations ou de nombre de fois de récitations de leçons. Des questions d'enseignants sans idée, sans aucune idée de son fonctionnement à elle, adolescente éclair. Elle s'en fiche, elle y arrive. C'est bien le seul domaine où elle n'a jamais eu peur, où elle s'est montrée radicalement aventurière, ne respectant pas les consignes quand elle savait que le résultat en bénéficierait. Elle l'a parfois payé. Pas si cher. Elle y était prête en tout cas. Il n'était pas question de ces effondrements jusqu'aux orteils repliés dans les chaussures trop petites, poupée de chiffon qui ne veut plus que crever. Ces appréhensions à la hauteur des montagnes et des déserts les plus cruels. Elle était de ceux qui maîtrisent là au lycée, le terrain. Une gradée. Pas socialement. Juste à l'école, en classe, un stylo en main. La cour gâte déjà le plaisir où elle replonge dans les affres de l'énorme bataillon sans distinction voire au trou, au coin, sous les arcades, derrière le poteau. L'écart est vertigineux. Et elle en a gardé un certain goût amer mais vivant. Le vivant à son revers de médaille et elle l'utilise aujourd'hui dans ses escalades et ses plongées multiples et variées. L'écart a parfois donné des nausées inextinguibles. A en fermer la bouche à double tour des heures entières. L'appétit revenant pour le goûter, le meilleur des repas. Encore aujourd'hui, de loin, le meilleur. Elle craint, comme tant d'autres choses donc, les jours sans goûter. Les jours de Grands, d'adultes. Elle fait semblant et elle se trouve toujours de quoi remplacer ce moment précieux : un cappuccino, un chocolat, un café crème bien sucré. Rien rien n'est pas envisagé. Elle deviendrait folle avant les 19h. On ne s'en doute pas. Elle cache bien son jeu. Elle affronte les plus grandes natures, les plus grands défis. Mais sans goûter, pas de survie. Bien sûr, elle n'est jamais allée sur la Lune et elle n'en a pas le projet parce que dans le noir, on ne saurait plus tellement où se trouve le 4h. Sans doute qu'il y aurait d'autres paramètres plus handicapants à prendre en compte. Mais elle, un peu bêtement, elle pense à ça.
      Le père est furax. Elle aurait dû faire de hautes études suivies d'une belle carrière. Une fille belle et intelligente comme elle... Elle a fait les hautes études : à l'université publique. Pas assez bien pour elle ? Il faut croire. Elle ne comprend pas, toujours pas cela. Elle n'y prête que peu d'attention. Elle le prend comme une génération gap comme elle a appris au collège que disaient les anglophones. Elle sait qu'il ne la comprend pas, qu'il croit la comprendre et qu'elle ne le comprend pas et n'essaye plus.
L'énergie est comptée en ce monde, elle la garde pour des débats et épreuves qui l'animent réellement. Ce ne serait pas la même chose si elle était restée sur les satanées contes et qu'elles avaient pris le contrôle d'elle-même. Elle pense à Lili, à Elvire. À tous leurs tours sur elles-mêmes ou dans les murs, à toutes leurs hésitations qui les dirigent. Qui les emmènent loin de la nature, de leur corps, de leurs pairs, de leur monde même. Non pas qu'elles n'aient pas de monde. Bien entendu, tout le monde a un monde. Mais on parle là du monde qui les entoure et qu'elles ne peuvent pas même toucher. Elles se contentent de regarder, de parler et d'écrire pour Lili, de chasser un pas puis l'autre pour Elvire. Jane se fout de l'élégance et des jolies fresques. Elle préfère ce que d'aucuns nomment ses frasques. Elle n'éprouve pas toutes ces frustrations et ces colères que d'autres doivent juguler à longueur de journée et qui finissent par leur arranger des cancers fourrés partout aux coins du corps. Ils se mettent où ils veulent. Une fois qu'ils sont là, allez-y pour les en déloger. Jane n'aura pas de cancer. Elle n'aura jamais de maladie grave. Elle n'a pas de maladie chronique. Tout est en place. Elle ne prend qu'au pire du Doliprane. Elle n'en veut pas plus. Elle n'en a pas besoin. Elle n'a besoin de rien de plus que celle qu'elle peut elle-même s'apporter. Non qu'elle n'aime personne ou puisse vivre seule. Elle n'est pas un loup solitaire. Elle accomplit ce qu'elle doit accomplir seule oui. Sa vie, elle, ne se passe pas seule, bien au contraire. Elle est très entourée et prend soin de ceux qui lui sont chers. Elle n'est pas asociale comme ceux de certains reportages qui disent préférer la compagnie des animaux à celle des hommes. Et des femmes  a-t-elle toujours envie de rajouter, mais elle se retient, ce coup-là, car cette lutte est menée durement par d'autres et qu'elle ne peut pas tout faire. Elle ne peut pas tout faire. Ce deuil de toutes les expériences. Elle est encore dans le tiraillement de ses désirs et ce deuil. Ses proches rient de la voir vouloir tout faire. Mais elle entend souvent qu'il n'aura pas assez d'une vie pour faire tout ce qu'elle projette. Une fois emballée dans ses imaginations d'aventures à venir, on ne l'arrête plus et elle sent grossir son cœur, elle la dure au mal. Elle s'emplit d'envies et d'amour pour ce monde et ses richesses. C'est plus que digne d'une comédie sentimentale américaine, dit ainsi. C'est pourtant comme cela qu'elle le vit et qu'elle l'exprime. Les autres la voient se rapprocher d'eux alors, elle l'indéfectible et ils lui en sont gré. Sans un mot.
Sa mère raconte que dès qu'elle a su agripper quelque chose, dès ses quelques premiers mois de vie, Jane s'est emparé de ce qui était à sa portée. Il fallait tout cacher, les lunettes, les bijoux, les miettes, tout ce qui était atteignable par un si jeune enfant. Comment ne pas comprendre que cela ne fit que s'accentuer par la suite et que Jane, une fois debout sur ses cannes à 9 mois et demi a commencé à foutre un sacré merdier. Madame C. qui n'avait jamais envisagé d'arrêter son travail, en bonne femme forte qui a des choses à prouver des années 70, s'est interrogée un moment. Jane n'était pas désagréable ni colérique, ni malade. Elle était éreintante d'énergie et les plus éprouvés des nounous n'ont pas tenus bien longtemps. On a du mal à y croire comme cela. C'était un enfant en parfaite santé, sur tous les plans. Le médecin avait du mal à entendre la plainte de Madame. Monsieur ne se rendait pas à ces rendez-vous mais en pensait encore davantage. Jane va bien. Elle apprend, elle se développe et évolue très vite. Que demander de plus, n'est-ce pas Françoise ? Elle baissait les yeux. Un peu de calme avait-elle tellement envie de répondre. C'est une tornade, une calamité. Mais elle se taisait et elle se félicitait de sa persévérance au final. Elle n'avait pas cédé et n'avait pas quitté son emploi. Elle avait trouvé le nounou idéal. Un jeune baba cool qui adorait les enfants et à qui elle prit le risque de faire confiance, avec succès. Il devint un grand psychiatre par la suite. Ils s'étaient entendu d'emblée comme cul et chemise. Françoise avait enfin soufflé et Jane avait pu continuer de toucher à tout et tout comprendre. Freddy lui expliquait absolument tout, dans les détails les plus techniques. Il lui montrait des vidéos de sport extrême. Elle ouvrait alors grand la bouche et souriait comme une imbécile. Françoise y avait assisté parce que même Freddy ne s'attendait pas à cela. Ce trait de caractère n'avait jamais cessé d'être et cela avait donné naissance à une adulte qui dormait 5h par nuit, courait un peu partout sans fatigue ni avoir l'air de se presser vraiment. Allez comprendre cette fable ! Courir sans avoir l'air rapide. Jane n'est pas ordinaire, vous l'aurez compris.
On se demande immanquablement ce que l'adolescence a bien pu bouleverser dans tout cette dynamique. L'école d'abord ! Apaisement, la nourriture était là, tout le temps disponible, buffet à volonté. Puis, l'adolescence. Françoise s'était dit à ce moment-là que Jane était un peu ado ses 6 mois. Sur certains aspects bien sûr. La mauvaise humeur n'en faisait pas partie. Pour le fait de prendre des risques, de se mettre en danger, Françoise avait pour le coup arrêté de se battre. Jane était toujours égratigné ou fracturée de quelque part sans que jamais cela ne représente un drame pour elle, l'enfant. Françoise voyant cette sérénité chez son enfant l'avait suivie sur ce chemin et s'était fait un souci de moins. Elle n'avait pas eu le choix à moins de se perdre définitivement. Françoise comme tous ses ascendants et descendants avaient un instinct de survie certain. Elle l'avait utilisé à bon escient cette fois-ci puisqu'elle avait cessé d'en vouloir à sa fille et de ne plus dormir, elle avait cessé de regretter cette enfant, disons-le franchement. Et rien depuis lors, depuis 18 ans qu'elle avait pris cette décision n'était arrivé. Non sans risque mais sans mort et sans catastrophe. Pierre était resté de marbre depuis le début. Arguant de la responsabilité de sa fille elle-même. Dès son plus jeune âge. pas de discussion stérile à avoir face à cet argument absurde. Françoise continue aujourd'hui de lever les yeux quand il invoque cette idée stupide. Elle l'aime son mari. Mais elle ne l'aime pas comme père. Elle l'aime de tout son cœur comme conjoint. Elle aurait préféré un autre homme comme père de ses enfants. Tant pis, on ne peut pas tout avoir. Déjà bien d'aimer et être aimé. Ils se taisaient tous les deux concernant Jane notamment. Jonathan étant beaucoup plus placide et sans danger immédiat et visible.


      Jane savait qu'elle avait mis à mal la famille, qu'elle avait toujours bousculé tout ce qui commençait à s'installer. Pas par goût de la révolte. Pas par agressivité intentionnelle. Colère rentrée et incomprise peut-être mais elle n'en savait rien. Surtout par besoin vital de changement, de mouvement. L'immobile est mort. Jane a toujours eu en elle ce sentiment morbide de l'inertie. Ce frère aussi serein et apaisé, elle lui en faisait voir de toutes les couleurs. Pour le faire rougir, verdir, jaunir, fleurir. Sans succès. Elle ne l'avait jamais admis mais tout le monde le savait maintenant qu'ils étaient tous deux adultes, elle en avait beaucoup appris de lui. Elle n'a jamais appris la douceur et la zen attitude. Mais elle a appris à admettre ces gens-là, si autres. Elle l'aime de tout son cœur son Jojo. Elle l'appelle toujours comme ça. Absolument toujours. Il n'a jamais renâclé. On ne rejette pas la seule marque d'affection d'une femme comme Jane. Sans doute que la rivalité s'est fait sentir à certains moments. Le père s'est alors manifesté. Jane a ouvert grand les yeux. Une des rares occasions où elle s'est laisse prendre de vitesse.
Mais attention ! soyons clair ! Jane est, en situation d'une fantastique tendresse. Tendresse et douceur n'ont, à son sens, rien en commun. Et ce n'est pas parce qu'elle saute en deltaplane de la Tour Eiffel de nuit qu'elle ne se sent pas à l'aise sous sa couette dans le creux d'un homme bien plus fort qu'elle. Elle a sur ce point-là une exigence extrême. Elle doit se sentir petite et même minuscule au creux d'un homme qu'elle choisit ou qui la choisit. Ces choses-là varient. Cela ne veut pas dire qu'il lui faut un rugbyman de 2m de haut et de 140kg. Cela veut dire qu'il faut un homme plus grand qu'elle et qui se fasse sentir plus grand. Ce à quoi les simplistes concluront : elle aime les machos sans cervelle. Idiotie phénoménale des théories de l'amour. ce que les gens les plus subtils peuvent alors se montrer bêtes ! Prenons un exemple : un homme de carrure normale, normale comme les autres de son âge, dans la moyenne (Jane ne sait jamais comment faire avec "normal", c'est une drôle de notion qu'elle comprend, elle n'est pas malade, qu'elle ne comprend pas, elle aime toutes les nuances de tout), donc d'1m75 et qui lui plaît plus que tous les gros bras de la salle. Pourquoi ? Parce qu'il sait pas prendre une meuf. La fourrer. Il sait prendre dans ses bras. Il sait enrouler. Il sait être le grand ours qui a rétracter ses griffes et qui même en fait des coussinets. Elle aime les ours à pattes milka. Elle ne les garde jamais longtemps. Ils ne se gardent jamais longtemps, devraient-elle dire. Le lien se détend toujours, sans heurts. Et personne ne souffre. Personne n'en a l'air du moins. Elle aime le corps à corps. C'est cela qu'elle aime le plus. Sentir la chaleur animale d'un être vivant. La chaleur et la peau. La peau, l'organe le plus grand du corps. L'organe le plus vivant de l'humain. Et il ne faut pas être un idiot pour savoir faire cela. Il faut être un finaud.


     Jane sait qu'elle mourra sans doute brutalement. C'est mieux. Cela lui correspond. Elle ne sera affiliée à aucune maladie, comme à rien d'autre. Oui à la famille et à ceux qu'elle aime. Elle accepte cette affiliation-là. Aucune autre. Tous les autres groupes sont honnis. Elle est contre les fraternités ou sororités, encore pire. Elle n'a pas de sœur d'ailleurs. Elle ne sait pas en quoi cela consiste. Cela ne l'intéresse pas. Elle ne s'affilie pas parce qu'elle serait prisonnière. Elle ne sera pas prisonnière. S'il arrivait qu'elle s'y sente, elle sautera du haut du sommet du monde. Elle n'hésitera pas. Ce ne sera pas vraiment un suicide. Jane est vivante. Elle le prend comme ça. Si elle ne peut plus faire avec, elle mourra. S'il lui manquait ses deux jambes, suite à un terrible accident et tout le tralala, si elle était enfermée sur les bancs de l'école militaire, elle mourrait oui. Sans liberté, elle n'est rien. Ce n'est pas un slogan de vieux soixante-huitard. C'est une intime sensation de dévivance sans liberté. Jojo qui n'a rien à voir avec ça, et encore, sous sa carapace de skatter, la laisse faire et même la respecte profondément. Elle aime ce respect qu'il lui voue. Un beau respect, sans soumission, sans peur. un respect fraternel. Ils sont vraiment frère et sœur tous les deux. Elle se demande parfois s'il lui en a voulu de tout réussir, d'être parfaite. A vrai dire, elle n'a jamais pu savoir e quoi il en retournait. Il est devenu pénible entre la 5ème et la 3ème et puis le lycée l'a calmé, comme tout le monde à peu près. Rien de plus normal. Rien de parfait non plus. Mais y a-t-il aspiré un jour ? Elle aime à imaginer que non et qu'ils se complètent, qu'ils s'emboîtent. Encore peut-être une perfection de trop.
Cette perfection c'est une perfection d'aujourd'hui et elle, Jane, n'a jamais pensé une seconde à être parfaite. C'est le miroir déformant qu'on lui renvoie. Il y a quelques siècles, elle aurait été traitée en sorcière. Elle ne l'oublie jamais. La relativité de tout ce qu'elle entreprend qui laisse les autres baba. mais qui pourrait en blesser plus d'un parmi les croyants. L'Hérétique...
De plus, elle n'aura pas d'enfants.


    Jane a basé son existence sur sa peur, sur ses antiques et énormes craintes. Elle les a fait tourbillonnées pour se faire une championne. Le monde la reconnaît en tant que telle. Elle en tire les bénéfices mais elle se satisfait davantage de l'idée de vaincre ses peurs et d'être chaque jour plus en terre sur cette planète. Elle fait peur sans plaisir ? pas sûr... Elle se fait peur avec plaisir ? bien sûr. Les choses sont si complexes. Elle ne les démêlent pas plus que cela. même si cela lui prend parfois surtout dans les grandes solitudes.
      Elle se trouvait un jour au haut d'un de ces sommets que l'on a vus à la télé et qui font rire tant ils paraissent faux. Elle avait demandé à être seule un instant, sans ses précieux acolytes. Elle avait observé intensément la neige, la pure, la blanche, la princesse. Jane est une femme de neige. Elle l'a caressée, à mains nues, doucement cette fois, oui. Doucement. Seulement avec la neige. Elle a dit à voix haute que Jojo avait bien raison dans un sens. Elle a fermé les yeux. Jamais elle ne ferme les yeux bleus perçants qui attrape l'univers. Sauf pour les besoins du corps, h par nuit. Rationalité obligatoire. Elle a continué de caresser la neige. Sans froid. Il y en avait à perte de vue, en vallons, en formes de femme. Là, elle a pensé qu'elle aimerait faire l'amour à cette femme-là. Elle a eu la présence d'esprit de se remplir jusqu'à la fin de ses jours, calcul animal là encore, de cette neige. Elle a senti son cœur gonfler, mais de beauté cette fois et son ventre s'ouvrir. Ce ventre aux abdominaux de chocolat. Son ventre a desserré ses mâchoires et elle a laissé entrer la neige. Jusqu'à l'utérus et la moelle. Elle n'est pas redescendue tout à fait la même.
      En bas, deux semaines plus tard, Jojo l'a observée. Il a souri et il a dit "Ma sœur en neige." Il l'a prise dans ses bras pour la première fois. Il a fait l'ours aux pattes milka. En moonboots. En pleine rue. Pas dans un lit.