samedi 5 novembre 2011

La Folie Noire

   Ce soir-là, c'était un de ces terribles soirs où je me demande si même dormir m'apaisera., si mon sommeil ne sera pas un simple sas d'inconscience avant le réveil de la douleur. Je n'ai mal nulle part, je me porte bien mais je crains que mon réveil n'ouvre la porte à chaque part d'âme que contient chaque morceau de mon corps.
  Ce soir-là, je me tiens bien, comme il faut, souriante et serviable. Je leur montre ce qu'ils aiment à voir. Tout va bien. Et derrière cette jolie devanture que, j'avoue, j'apprécie autant que les autres, se terre la Folie Noire.On dirait que moi et d'autres frères et soeurs, elle nous a choisis cette Folie Noire. Quand se décide-t-elle ? Quand s'immisce-t-elle ? Comment peut-elle être plus forte qu'une mère aimante ? que des amis chaleureux et toujours compréhensifs malgré la répétition ? Heureusement que ceux qui aiment sont là, malgré la Folie Noire.

      La Folie Noire est là. Elle est toujours là, même quand le sourire est irrépressible. Elle se terre, là, derrière, au fond. Pas véritablement cachée, elle n'en a pas besoin, elle sait qu'elle sera la plus forte.
Elle est noire comme une cave où personne n'oserait s'aventurer, pas même les adultes, bien qu'ils ne l'admettent pas. Noire comme la cave de nos cauchemars les plus angoissants, humide, froide, sombre, remplie de tous les vieux objets dont on n'a jamais voulu se séparer mais qu'on n'a jamais réussi à aimer. Ces objets qui nous font peur eux aussi, comme s'ils pouvaient se venger de n'être pas chéris. Cette cave, personne n'y descend. Qui, volontairement, traverse les miasmes du passé, ces relents qui jamais ne finiront, ils l'ont promis ? Qui fait cela ? Personne, bien entendu, sauf peut-être les beaux pompiers cuirassés et protégés par leur savoir-faire et leur expérience. Même eux doivent reprendre leur souffle parfois. C'est une cave inhumaine. Les objets noirs en ont pris possession ; les pompiers savent tenir en respect les silencieux habitants de ce sous-sol. Mais ils ne les font pas disparaître. Pourtant, comme on aimerait qu'ils le fassent comme le feu et que la noirceur tombe sur le sol, abattue, s'avouant vaincue et nous laissant enfin libres. Parfois, les grands-parents, eux, ils y arrivent. Ils en ont vu des choses et nous, on ne les soupçonnait pas, eux qui s'enflamment pour 'Les Chiffres et les Lettres", capables de faire face sans cuirasse à ce qui suscite un tel frisson terrifié et inavoué chez tout un chacun. Et ils s'y engagent sans peur, regardant droit dans les yeux la Folie Noire qui sur eux n'a plus prise. Ils sont agaçants, ces vieux, ils faut tout faire pour eux, ils se plaignent, ils ne comprennent rien au monde ! Eh bien si ! ils en comprennent l'essentiel. Ce qui nous interroge déjà et les interroge encore. Et sans le dire tout haut, oui on est bouche-bée devant ce sursaut de courage et d'humanité.
La Folie Noire elle ne dit pas un mot. Mais peut-être qu'ils entendent quelque chose eux, les grands-parents, les vieux sourdingues auxquels il faut tout répéter ridiculement. Moi, je n'entends rien, je ne sais pas, je ne sais pas encore peut-être. Mais ce que je sens, c'est que la Folie Noire, elle se nourrit de mort. Elle est enfouie en moi, au creux de mes entrailles et elle attend mes pensées de mort. Parfois elle a très faim et la Faucheuse ponctue mes journées. A d'autres moments, un pompier me vient en aide et la ligote pour un temps, la mort s'éloigne alors. Mais elle se défait de ses liens et je sais parfaitement qu'elle est encore là. Le beau, le gentil pompier aussi le sait. Il accepte son impuissance et il revient, régulièrement.
La Folie Noire, elle est noire oui mais pas d'un noir franc, opaque, un noir qui s'afficherait comme tel. Elle est noire comme un étang malsain, elle se moire de teintes verdâtres répugnantes puis de gris brillants, d'anthracites profonds, de bleu-roi plein de faux-espoirs. Elle est vile et mesquine. Elle peut même se grimer de blanc et de gris argenté et lumineux vers lequel on va spontanément. Même si l'on se méfie, elle peut tromper.

     Mais là n'est certainement pas le pire. Le pire, c'est de la voir telle qu'elle est : vide, fabriquée de toutes pièces par un cerveau malade. La Folie Noire est noire de vide et de rien. C'est ce qu'elle est et qui reste inimaginable si, jamais, elle n'est parvenue à rentrer chez vous. 

La Folie Noire est noire de vide et de rien.