vendredi 30 mai 2014

Stabilo maléfique

Toujours un pas en arrière.
Toujours un œil de côté.
Toujours à l’affut.
Toujours aux aguets.
Cette plane impression
de pouvoir.
Sans omettre la fragile
nature humaine.
Mais tellement agréable
cette assurance.
Une main mise
sur la réalité
et ses prévisibles conséquences.
Surgit la profonde
inquiétude
sans miroir
sans jeu
les yeux plein de boue
et de sang qui afflue
du satané cœur
en folie.
On a beau vouloir penser clair,
tout se brouille
et se dilue
dans les sursauts du palpitant.
Les états se succèdent,
on oublie même le sens
qu’on prenait le matin même.
D’une heure à l’autre,
on est presque une autre vie.
On est une succession
de couleurs fluo
sans queue ni tête.
On pleurerait dans le giron
de maman.
On palme,
on fouette les éléments.
Et puis,
il vaut mieux
laisser tout se déballer
parce qu’on n’y arrivera pas.
Plus on se débat,
moins on y voit.
C’est comme les toiles d’araignée.
On a perdu toute sa morgue
fierté
placidité affichée
d’intelligent qui a compris.
On n’a même plus envie de comprendre.
Juste envie d’oublier.
Disparaître.
Blanc.
Insipide.
Zéro.
En attendant.
De pouvoir à nouveau.
Les bras ballent.
Les mains pourraient être coupées.
Les pieds aussi.
On ne tient rien.
On n’avance pas.
Un tronc planté,
pas bouger !
Il n’y a plus rien à bouger,
tout est déjà
en éruption,
les bouillons débordent
par tous les trous.
De toutes les couleurs.
Bain de mauvais goût
Eurodisney.
La nausée surgit
bien sûr
à un moment.
C’est le signal pour
Haut les mains.
Vraiment,
on ne sait pas trop à qui,
mais on se montre
vulnérable.
Au maître coloriste
qui nous tire
par le bout du nez.
Au palpitant
en délire
sur toutes les tables.
On est vaincu.
On a juste peur,
les nœuds se forment
et les éclats se figent.

Dans quelques heures,
plus rien ne sera comme maintenant.

mardi 27 mai 2014

Coeur élastique

Cœur gros cœur sec

Cœur gros inattendu qui gonfle toutes les vies,
Les ailes et les cheveux, dégriffe crochets et serres.
Cœur gros qui éberlue éjecte les sévères,
Les rides et cris amers incrustés dans les plis.

Cœur sec arithmétique qui s’était installé
Enfoncé dans la cage,  conquérant méthodique.
Cœur sec qui astiquait aspérités et pics,
Etouffés, étirés, unifiés, empalés.

Cœur gros cœur sec guerre civile des viscères,
L’aventurier rieur sauteur à l’élastique
Contre l’exact pivert toc toc toc mécanique.

Cœur gros cœur sec inconciliables caractères,
Basculent tour à tour au pouvoir, et paniquent
Le gros bourdon en chef qui vire cacophonique.

Cœur gros cœur sec

lundi 26 mai 2014

Décoration magistrale

Décorer tous les pores
de chaque matière
attrapée
vivante ou moins
ou morte,
qui s’animera.
Décorer même l’hiver
le malheureux
grincheux
crotteux
parce que le palpitant
danse sur les tables
et qu’il ne laissera rien
ni personne
se ni le morfondre.
Décorer les plus sombres
et s’apaiser
de leur puissance
échouée,
celle pourtant si lourde
parfois.

Décorer
Clignoter
Allumer
Déterrer
Déplier
Et
Bringuer
Chanter
Tout lâcher
Ou
Même
Tout doucement
Sourire
Parce qu’on n’a plus besoin
de plus.
Parce que l’intérieur
est battant
et douillet.

jeudi 22 mai 2014

Femme de joie

Le jour tourne autour de son ventre.
Il est le roi du jour.
Il papillonne et court en tout sens.
Sans souci de quelque autre
Qui pourrait défaillir.
Rien ni personne ne doit le détrôner
En ce jour de fête.
Il se tord et rapetisse jour et nuit,
si possible.
En ce jour, il se déchaîne et tambourine.

Le bidon tourneboule.
Et même abracadabra, le bidon
Disparaît.
Mais enfin, ce n’est plus un bidon !
L’habitude d’être une enfant qui pleure ses intestins
capricieux.
C’est un flanc offert
qui bouillonne de désir et d’attentes.
Il s’étire et s’étend comme jamais
il ne s’en donne le droit.
En ce jour, il se délivre et bat le plein.

Elle n’en dit rien
motus et bouche cousue
Môsieur le ventre.
Qui est plutôt une grande dame aujourd’hui.
Pourquoi serait-il toujours masculin ?
Il a du caractère et c’est un conquérant.
Cela n’empêchera pas d’en faire une femme.
Femme maîtresse
En ce jour de liesse.
Il tape du poing et joue Tarzan
En ce jour, il délie toutes ses langues de toutes les vies.

Elle se tait.
Elle laisse se répandre son être
comme un soleil
au creux des côtes.
Il conquiert tout le territoire
tout en chaleur
brûlant mais de très loin
très profond.
Le soleil n’a pas de laisse.
se déchaîne et tambourine
il se délivre et bat le plein
il délie toutes ses langues de toutes les vies.
Elle en devient elle-même le grand soleil
Elle éclabousse tout sur son passage.
Et on dirait que c’est interdit
Qu’elle est une roulure
Qu’elle est une femme de rien
Une femme de rue.
Et elle,
elle se sent douce comme un soleil.
Elle se dit qu’il y a un maillon qui manque
entre elle et les autres.
Elle se sent ressuscitée
et on la bannirait d’humanité.

Le soleil est un incompris.
Et elle prend son parti.
Moins risqué que l’ennui
De la vie de bonne femme

mardi 20 mai 2014

Les étreintes essentielles

Se haïr ou s’admirer.
Elle balance.

Se punir ou se caresser.
Elle oscille.

Se vomir ou se déguster.
Elle chancèle.

Elle doit fidélité,
promis juré
pas craché
devant Dieu.

Elle doit fidélité,
moralité,
sobriété,
devant Dieu.

Elle doit fidélité
à sa parole
à personne d’autre
à lui peut-être.

Elle sait qu’elle doit.
Elle a signé.
Promis.
Juré.

Elle sait qu’elle doit.
C’est un combat
contre son corps
et ses esprits.

Elle sait qu’elle doit.
Mais ce soir demain,
s’abandonnera
à d’autres bras.

Il faut survivre
et c’est sa voie,
impudeur
et chaleur.

Il faut survivre.
C’est un devoir
aussi.
Pas sans étreintes
multipliées
variées
ouvrant un nouveau point de soi
du monde
toutes les étreintes possibles
et leurs jouissances .
Un nouveau corps
serré si fort
révélé,
tant regardé habillé,
enfin nu,
enfin chaud,
enfin tout contre
qu’on n’ose pas
puis qu’on agrippe
qu’on imprègne en soi
de tous ses bras.
Un nouveau corps,
un nouveau rythme,
de nouvelles mains
et leur magie,
leur frisson propre,
à aucun autre
comparable.
Un nouveau corps
et ses mouvements
inattendus,
après ces heures d’observation
en société
costume cravate.
Un nouveau corps
et le désir de jours entiers
nourris,
finalement
libéré.
Toucher et s’envelopper.

Il faut survivre
Elle en mourrait
de renoncer
à toutes ses danses.

lundi 19 mai 2014

Traîne maudite

Elle se tasse dans ses draps.
Elle voudrait être cotonneuse et se dissoudre en eux.
Et tout s’adoucirait.
Tout se désagrègerait.
Et tout s’apaiserait.
Elle rêve d’une nébuleuse
Et sans mauvaise surprise.
Pas celle qui vous fait croire que vous savez voler et qui vous jette sur le bitume au premier coup de vent qui fait peur.
Une nébuleuse à racines. 
Une douceur sans illusions.

Elle se tasse dans ses draps.
Elle repense aux jours derniers.
Envolée au fond du Mexique la promesse de toujours sourire aux enfants.
Le besoin de sourire des tout-petits.
Le besoin de toucher.
Le besoin de sauver sa maman adorée.
Et malgré toute sa volonté,
la vapeur se renverse.
Les petits bercent la grande.
Ses larmes disent sa rage.
Elle se détestera pour ça,
jusqu’à la fin des temps.

Elle se tasse dans ses draps.
Elle a essayé d’être là plus longtemps.
Elle a gagné une bonne semaine, entre deux hôpitaux.
La nouvelle performance dans le monde extérieur.
L’abattoir.
L’arène.
Hostile.
Elle est faite pour ne pas vivre avec les autres.
Tous les autres.
Le mari.
Les enfants.
Son fantôme.

Elle se tasse dans ses draps.
Enfin un brin douillette.
Elle rejoue l’éternelle dysphonie des cercles de l’enfer :
L’angoisse des jungles lointaines, qui pourraient s’approcher, à pas de loup.
Bientôt, cinq mois, le voyage d’été en famille, en terre d’enfance et de folie.
La banlieue qui grandit, qui mangera Paris même un jour, de son vivant ?
Catimini de la boulangère qui l’insulte « la salope ! »
Le mari qui se met à la regarder de travers et à pousser les crocs.
Les enfants qui l’attendent et l’étouffent sans bouger.
L’angoisse de la voix d’Augustine qui cingle et humilie.
Le cycle diabolique se forme et se reforme.
Elle le trace et le retrace dans les sillons profonds de son cerveau déjà labouré.

Elle se tasse dans ses draps.
Et elle disparaîtra un jour.
Ignorante ?
Auront-ils eu raison de ses efforts ?
Tous les anneaux du mal.
Le Haut Mal ?
Même pas.
L’innommable.
Le mal sans nom.
Le Mal Amen.
La sorcellerie.
Malédiction traînée.

dimanche 18 mai 2014

Le couillu et la bonne mère

En père,
Il aimera ses enfants de loin.
Il leur inculquera les règles.
Il enfoncera le clou.
Il ne cédera point.
Il n'acceptera point.
Il sera intraitable.
Interdire pour le bien.
Il bannira l'envie.
Il en fera des forts.
Sa descendance sera un roc.
Il pourra être fier.
Et il pourra mourir.
Il faut qu'il en soit fier.
Il faut qu'il meure
en paix.
Il conjurera le sort.
Il brisera la ligne.
Il durera jusqu'à la réussite.
Il attendra le temps qu'il faut.
Ils seront respectables.
Dans la plus stricte précision
correction
tradition
convention.

Et leur mère les choiera
les bercera
les consolera
les aimera.
Avec son triste sort,
les mollira,
les gâchera.
Il ne faut pas la laisser faire.
Mais c'est la femme qui aime.
Il ne saura pas ça.
Il ne voudra pas ça.
Elle deviendra la bonne mère.
Il lui appendra comme l'aïeule.
Il la mettra debout.
Il en fera la bonne mère.
Il le faudra ainsi.
Elle sera la bonne mère.
Il sera l'homme et chef.
Il sera le couillu.
Il devra faire ses preuves.
On lui obéira.
Et ils réussiront.
Il devra être digne.
Ne jamais en démordre.
Il devra rattraper
tous les hommes morts
derrière lui.
Il devra rester là.
Il devra résister
à toutes les bourrasques.
Il sera le couillu.
Elle sera la bonne
mère.

Et là, le voilà seul déjà, son mariage à deux ans. C'est encore un bébé.
Il est seul devant son trognon.
Elle a été emmenée
pour être bien soignée,
pour être calfeutrée,
pour être isolée.
Il n'a pas encore bien compris ce qu'elle recèle, cette nouvelle épouse. Mais il pressent, il sait déjà. lui qui n'a pas d'intuition, que ce sera le fardeau de sa vie. Mais il s'est engagé.
A défaut d'être beau.
À défaut d'être tendre.
A défaut de séduire.
À défaut de comprendre.
Il sera responsable.
Il conduira la barque.
Seul la plupart du temps.
Il n'a pas d'intuition. Il l'a déjà saisi.
Il a donné son oui.
Il est homme de parole.
A défaut d'être un cœur.
Il sera le pilier.
Même avec ses petites pattes.
Pas besoin d'être haut.
L'important est l'ancrage.
Il sera responsable.
Il sera admirable.
Il conduira la barque.
Seul la plupart du temps.

Pour oublier cette tare, il répète inlassable, les règles des enfants.
Il pense qu'elle sera une bonne mère.
Entre deux psychiatries.

Il sera le couillu.
Elle sera une bonne mère.



mardi 6 mai 2014

La nausée des commencements

Se hisser dans la case voisine
Se glisser dans la peau suivante.
S’immiscer dans un nouveau groupe
S’initier à de nouvelles règles.
Et tout recommencer.

Défaire le rythme
Dénouer les attaches
Dévisser les doubles
Déplacer son ombre.
Et tout recommencer.

Ca te fera prendre l’air
Du sang neuf, c’est toujours bon,
Tu vas découvrir plein de choses
Tu en sortiras plus riche
Tu ne peux qu’y gagner
Sans risques on n’avance pas dans la vie.

Comment ne pas répondre
Béni oui-oui à tout cela ?
Le cœur du mal
C’est
Se hisser
Se glisser
S’immiscer
S’initier
Défaire
Dénouer
Dévisser
Déplacer
Se tromper
Se trahir
Stresser
Saturer
Exploser
Sangloter
Et reculer.
Le cœur du mal
C’’est
La première marche
Ce moment de suspens avant de retrouver
Un sol
Marchable
Le premier pas
Dont on ne s’émerveille que pour les tout-petits
Et qui ne coûterait pas tout autant
Parfois ?
Le premier froid
Le coup d’envoi
Après avoir prolongé
Etiré sans limites
Les préliminaires ;
Rêve du coït interrompu
Mais le réel rattrape
Et pousse au cul,
Le sable du bord du précipice
S’évanouit un jour
Sous la pression des semaines
Brutalement
Aspiré par l’angoisse.
Je veux pas !
Je veux pas !
Et je saute
Et plus jamais je ne recule
Plus jamais je ne passe mon tour
L’autre rive
Est là juste
Et c’est sans surprise
Que je l’éprouve
A nouveau.
Je me tais
Serre les lèvres
Enfin en dignité
Pas plus confiante
Pas pour un sou
En ruades
Regards fuyants
Et silences annuleurs.
L’échéance est un monstre
Que j’érige seule
Sur son trône.
Je sais pouvoir,
L’avoir déjà fait,
Déjà prouvé,
Rien n’y fait ;

Tout est à recommencer.
C’est la nausée des commencements.

lundi 5 mai 2014

Attendre d'entendre

L’impasse absolue ou son image pour mieux dire. Car j’aime à croire que concernant l’humain et d’autant plus le jeune humain, l’impasse définitive n’existe pas. Je ne sais pas si je le crois ou si je le sais. Je me sens bien trop jeune pour savoir ce genre de choses. Sait-on jamais ce genre de choses d’ailleurs ? N’y a-t-il pas que des cas particuliers ? En tout cas, je travaille avec à l’esprit que le blocage peut ne pas être arrêté et ancré pour de bon et qu’il faille abandonner la lutte. Il n’en reste pas moins l’image de l’impasse absolue.
            Nous parlons ensemble d’un jeune qui refuse ou rompt les liens qu’on lui propose, qui n’accepte aucune aide, qui exprime sa violence ouvertement et qui ne dit pas un mot de ce qui l’anime. Il nous cloue le bec, il nous exaspère, il nous désespère, et nous ne savons rien de ce qui se passe derrière ce masque de rage.

            Je sens surgir l’envie en moi de le secouer physiquement, dans l’attente utopique d’une réorganisation neuronale plus efficiente. Lui secouer les puces et lui remettre les idées en place en somme. Ces expressions prennent une forme très concrète dans mon esprit, comme si je n’avais plus d’autres solutions que de le tenir et de le serrer pour qu’il ne s’envole pas dans son univers cloisonné. Nous n’avons plus prise sur lui. Il a un contre-argument à toutes les injonctions et toutes les attentions. Il peut argumenter et moquer toutes les sphères de la vie. Sinon, il se tait.
            Alors que je suis tentée de m’enfoncer davantage encore vers ce mur qui se dresse et de le marteler, de le trouer, de l’écrouler, je prends sur moi pour reculer d’un pas, le premier est le plus difficile. Je ne sais pas comment m’y prendre, reculer face au mur ou me retourner et effacer cette image, m’y remettre à l’entrée du chemin. Je ne suis pas capable de couper la route et je ne sais pas ce que vaut cette démarche. Je balance entre briser un moment la confrontation avec ce mur et maintenir coûte que coûte la connexion. Je me trompe d’interlocuteur. Ce n’est pas le jeune qui se dresse devant moi mais mon sentiment, notre sentiment de groupe face à un individu qui nous interroge dans notre colère et rébellion intimes. Malgré tout, je peine à tourner le dos à l’ennemi. Ce que je considère spontanément et impulsivement comme un ennemi. Alors que peut-être ce mur me protège aussi d’un acharnement vain. Peut-être que ce mur m’interdit, et me protège comme tout interdit digne de ce nom, du précipice où je pourrais me fourvoyer en allant plus loin. J’éprouve un désir presque instinctif d’avancer et d’aller jusqu’au bout, mais je sais que derrière ce mur, il y a ma violence et qu’elle ne doit pas avoir cours. Du moins pas avec ce jeune et pas comme ça.
            De fait, je recule dos au chemin, doucement mais déjà l’étau se desserre. Je dois être raisonnable. Les philosophes de la raison me reviennent en mémoire, ils me cadrent et me contraignent, je dois bien l’avouer. Il m’est pénible de devoir être calme et tempérée. J’aurais envie d’avoir le droit aussi d’exploser. Et puis je sais que c’est parce que je n’y suis pas autorisée que j’en ai envie, parce que je n’ai pas en face de moi ce jeune et ses yeux qui se plantent dans les miens ou me fuient. On m’a appris à ne pas lâcher prise et je suis là pour ça en tant que psychologue. Tous ceux qui voudraient prouver que rien ne vaut la peine et que tout le monde leur en veut, je ne rentre pas dans leur danse. Pourtant j’en ai envie, comme tout un chacun. J’identifie ce désir et je le réprime.
S’il n’en reste qu’un, je serai le dernier.
C’est pour cette raison que je fais mon travail. Je sais que cela comporte un peu de naïveté ou du moins d’immaturité. Mais je ne peux pas aller plus vite que ma musique et je dois en passer par là avant de passer à l’étape suivante. Elle est déjà dans ma tête cette étape à venir mais mon désir n’est pas prêt et je respecte son rythme.
            Je respecte le rythme de mon désir et j’écoute le plus attentivement possible celui de l’autre. J’ai toujours prêté un grand intérêt au souffle des autres et j’ai longtemps fait en sorte de m’adapter sans écouter dans ma propre poitrine. Le plus dur, ce n’est certainement pas d’entendre et comprendre le rythme et la voie de l’autre. C’est d’accepter le désaccord perpétuel entre les siens et les miens. Ne pas s’écouter ni même s’entendre parfois et suivre, se fondre dans le sillon de l’autre souffrant, c’est pratique et l’assurance d’une reconnaissance. Une reconnaissance ni pour soi ni de son vrai soi mais une reconnaissance qui fait exister. Tout cela, c’est facile. Vient ensuite le jour où l’on commence à prendre en compte son intérieur et c’est le choc. Le choc au sens propre. Ca fait sauter le cœur. On ne peut plus admettre de se tortiller au gré des méandres de son voisin. Il ne reste alors qu’une solution, une douloureuse solution : reculer et observer. On croyait avoir du recul, tout le recul possible et imaginable. On l’avait sur les autres et, sur soi, forcément puisqu’on n’était qu’un cerveau pour son cœur. Un recul d’être gelé dans l’expression de ses désirs.  Un recul, un vrai oui mais aisé puisque sans émotion.
            Aujourd’hui, je me vois confrontée à la reculade. Je ne peux pas avancer dans les profondeurs de l’âme comme je l’ai fait jusqu’à présent, ou cru faire. Je transporte mon désir avec moi, je ne suis plus seule et sèche.  Je dois admettre de ravaler et reculer, et attendre.
Je ne sais pas quoi attendre, c’est là la grande discipline de cette profession de psychologue. Je sais que je ne sais pas ce qui adviendra, que je ne sais pas pourquoi tout cela arrive à ce jeune, que je ne sais pas si je pourrai l’aider. Je sais seulement pertinemment que je dois décoller du mur, ne pas me lamenter ni m’écorcher et lui avec. Je me tais à mon tour et j’accepte d’être coite, pour un moment jusqu’à ce qu’il me fasse entendre son rythme et sa voie.