dimanche 29 mai 2016

Adèle fendue

Adèle dans son sable mouvant agonise.
Elle n'a plus de route,
ses pas ne servent à rien,
debout ne sert à rien,
ramper peut-être.
Davantage ver de terre
qu'humanoïde.
S'ériger pour quoi faire ?
S'ériger sur quelle terre ?
Elle n'en a plus.
Elle ne tient plus sur ni à rien.
Elle ne sait plus comment.
Elle ne sait plus où.
Elle se tourne en tous sens.
Elle perd la boule.
En haut en bas,
tout ramollit
fond
ou s'émiette
et disparaît.
Elle sent qu'elle existe,
elle ne sait plus qui elle est.
Elle se regarde dans son putain de bas-côté.
Elle est deux, trois, mille.
Je suis Adèle
Je suis Adèle
Je suis Adèle.
Indéfiniment elle pourrait.
Mais le jeu n'a plus de règles.
Elle est le dindon de la farce.
Elle sent mais ne peut.
Elle veut mais ne peut.
Et l'on n'est pas sur un bulletin trimestriel !
Tout cela est bien sérieux.
L'HP la guette.
Elle est déjà coupée
en tranches,
ou fendue
de travers
tout le long du corps.
Elle n'est plus une.
Se pincer n'y fera rien.
Remballe ton idée mon pote !
Elle doit agir
quand elle sent comme l'alarme
que
les poumons s'engluent
et le cœur s'éparpille.

Double de coeur

    C'est un double.
    Un des sept doubles qu'on peut rencontrer dans son existence.
    Ceux qui nous suivent jusqu'au bout,
    même si perdus de vue.
    Ceux dont on rêve,
    même après des années de silence.
    Ceux qui nous habitent tous les jours.
    Ceux qu'on aime 
      même dans les ères glaciaires.
      Ils ne sortent pas de nous,
      ils sont siamois.
      On les aime malgré tout.
      On les aime en pleine guerre.
      On ne sait plus pourquoi.
      On ne cherche plus pourquoi.
      Même les plus pointilleux.
      Même les grands scientifiques.
      Ils calment la faim
      et la colère.
      Ils apaisent les rancoeurs
      ils nous prouvent qu'on a du bon,
      quand on l'oublie.
      On s'en veut
      de les avoir laissé filer.
      Mais on s'aime soi-même d'avoir su les reconnaître,
      même pas pour toute la vie.
      On a vu leur cœur se superposer au nôtre,
      au moins sur un endroit,
      parfaitement,
      au moindre détail près.
      La forme exacte du nôtre
      chez l'autre.
      Notre double cœur,
      la même artère
      ou le même ventricule,
l'oreillette,
l'atrium.
Notre double d'oreille,
notre double de ventre,
ne comptent pas.
Ils ne sont pas plus que des clones
calculs.
L'univers a fait une blague.
Tenons-nous-en là.
Le double de cul,
voilà qui interpelle.
N'est-ce pas Messieurs Dames ?
Mesdames aussi,
bien sûr,
qui ne dites rien mais observez aussi
attentivement les culs,
de ces messieurs
ou de ces dames,
pas de sexisme
dans ces lignes
surout pas !
Oh mon Dieu ! Non non non !
Mais double de cœur
ne se voit pas.
Il s'entend.
Ecoutez-le.
Taisez-vous d'abor.d
Tai-
sez-
vous.
On ne se tait pas assez de nos jours.
Moi la première qui piaille dans tous les sens à vous raconter mes histoires.
Silence.
Dans cette assemblée,
un double
se cache
peut-être.
Cachez-vous à votre tour,
dans les hautes herbes de la savane, en lionne
(Messieurs aussi en lionne, ne vous vexez pas comme des
poux imbéciles ! C'est elle qui a les couilles, c'est elle qui chasse !
Pas vrai ! Faut tout leur dire à eux!)
et si vous sentez votre proie,
avancez griffes rétractées,
coussinets en action,
gonflés à bloc,
le pas de loup.
(Oui, même si vous êtes en lionne, on fait le loup. Entraînez-vous et vous verrez bien!)
La cheville souple,
presque désarticulée,
pour appuyez talon pointe
en parfaite douceur.
N'omettez pas les griffes.
Vous cherchez votre double de cœur.
Ne l'abîmez-pas.
Il est un de vos sept trésors.
Plus besoin de merveilles du monde.
Les officielles, j'entends.
Pacotilles comparées aux doubles de cœur.
Pas de blasphème ici.
Juste une philosophie.
Un peu de tenue Messieurs Mesdames,
on ne murmure pas que c'est shocking.
On en reparlera quand vous aurez saisi,
qu'on vous aura saisi,
en double de cœur.
On en reparlera.
     

samedi 21 mai 2016

L'amie bridée

Mon amie,
Ma douce,
Ma belle,
Si petite et si grand Coeur.
Tu pétilles,
Tu sautilles,
Tu ris
Et tes yeux se brident
A l’exotique.
Tu ris
Et tu nous emmènes
Loin loin
Où on ne s’y attend pas.

Mon amie,
Ma douce,
Ma belle,
Tu dis que ton cœur
Est trop grand
Pour toi,
Qu’il aurait dû être
Plus raisonnable,
Que Dieu a mal compté,
Que l’équation était faussée
Et que la vie n’a pas aidé.

Ma douce amie
Aux yeux bridés
Laisse ton énorme cœur
Se brider aussi drôlement.
Ce n’est pas comme tout le monde.
Pas comme il faut.
Et donc ?
Où est ton cœur bridé à toi ?
On ne le sait pas encore.
Ne confonds plus,
Ma douce amie,
Bridé n’est pas brisé.

Ton corps,
Ton âme,
Se brisent parfois.
Jusqu’à se balancer
Dans le gouffre.
Et tu balances,
Des jours entiers.
Tu hais
Ton corps
Ton âme
Brisés.
Bridés !
ma douce amie,
Ma tendre et belle amie.
Bride !
et le gouffre
Se remplira.
Ton corps
Ton âme
Sont des exceptionnels,
Des farfelus,
Des tout fous,
Rigolos,
Fascinants,
Atrocement douloureux
Aussi.

J’entends
Ton corps
Ton âme
Brimés
Hurler
Pendus dans le vide
Juste les yeux raccrochant
A la terre.
Je ne lâcherai pas
Tes yeux,
Jamais,
Et leur sublime bridure.

Ma douce amie,
Ma belle,
Laisse-toi être aussi bridée
Qu’au fin fond de l’Orient
Inconnu
Mystérieux.
Que tous ceux qui t’approchent
Désormais
Entendent
Ce corps et cette âme
Bariolés,
Qu’ils les respectent
Dans leur plus grand secret
Dans leur plus grande folie
De n’être pas recta
Mais bridés
Insolents.

Ma douce amie,
La tendre insolente.
Cavale aussi fort que tu le peux
Crie tes blessures,
Puis ton corps et ton âme
À toute allure
Riront,
Ne s’arrêteront
Que pour celui et celle
Qui parlent leur langue
Brillée.




mardi 10 mai 2016

La petite grosse

Je tombe.
Relève-toi !
Je casse.
Répare vite !
Je me trompe.
Recommence !
Je brise.
Réessaye !
Je m'exécute.
La vie reprend son cours.

Je tombe et me relève
et pourtant,
une partie de moi
reste à
terre.
Mon fantôme se relève
ou se morfond,
je ne sais pas
lequel
du fantôme
ou
du vivant
se trouve
où.
Je me sépare.
Je tombe et je casse.
Je me trompe et je me brise.
Je me regarde.
Je m'observe,
debout,
au sol.
Je dis
« Pardon pardon
Désolée désolée
Oh la conne
Oh la merde
Oh non
Mais si
Excuse-moi
J'y arrive pas mais
Je vais
Attendez-moiiiiii ! »

Je tombe et me relève,
comme toujours,
en automate.
L'éducation.
La fierté.
La rage.
Toute la rage de toute la vie.
J'aime retrouver le contact du sol
sous mes pieds
et non sous la tête.
J'enfonce le sol.
Pas de cadeau.
Tu vas rester là où tu es.
Je déteste celle qui chiale
à mes pieds.
Je ne voudrais que l'autre.

Je tombe et me relève.
Je ne rougis plus.
Je n'ai plus l'âge.
Ou presque.
J'ai honte
à
crever.
Je suis la grosse
petite fille,
l'obèse gamine
baveuse
et bête
sale et
débraillée,
rieuse
et moquée,
obscène
que ma cervelle
a construite de toutes pièces
depuis le tout début
et qui survit
à tous les tsunamis
de l'existence.
Je suis à nouveau
elle,
ridicule en puissance,
inaimable,
qui peut juste espérer
l'humanité
au plus bas de l'échelle.
Je suis cette idiote
aux bras lourds
ballants comme un gros singe,
aux jambes inamovibles
grasses
et désobéissantes.
Je suis cette poupée soufflée,
laide
et illégitime.
Je voudrais disparaître.
Comme autrefois,
je compte les minutes,
les secondes
jusqu'à la solitude
libératrice.

Puis c'est fini.
Je regrandis.
Je gère la vie
avec mes armes rôdées d'adulte.
Je n'oublie pas
la petite grosse imbécile
qui végète
entre estomac et utérus.




mardi 3 mai 2016

Le peuple aux mille visages

Je vous l'ai déjà dit, écrit plutôt, Adèle est de ceux qui scrutent les visages. Je n'ai peut-être pas bien expliqué cela. Il est temps car j'ai dû parler des yeux, du regard. On en parle, cela n'a rien d'extraordinaire. Beaucoup de gens observent profondément. Mais Adèle, elle, scrute les visages. Elle en connaît peu à peu tous les détails. Elle en connaît les moindres mouvements, les moindres subtilités car elle est détective du cœur. Et le cœur se dit dans toutes les rides. Il s'y écrit lui aussi. Dans toutes les minuscules gestuelles des narines et du coin des lèvres. A moi, elle me raconte ce qu'elle voit parce que j'ai fini de rire de cette bizarrerie d'Adèle. Tout le monde rit, sans moquerie nécessairement, mais parce que ça ne parle à personne. Qui s'y retrouve ? Qui ? Elle est dans un autre monde sur ce point. Qui aime les autres mondes, ses sent une âme d'astronaute en herbe, me suive dans ce qui suit. Adèle est un guide parfait.
Voici son histoire… Et puis comme si elle allait se marier et avoir beaucoup d'enfants. Ridicule ! Bon, je m'égare. Et puis, cela fait longtemps que je l'ai commencée son histoire.
Adèle, parfois, me parle de ses patients, de ses amis, de sa famille. Souvent dans cet ordre-là d'ailleurs. Un ordre que je n'ai jamais questionné mais qui, je n'en doute pas, a un sens qu'elle connaît. Peu de hasard dans les mots d'Adèle. Si peu de hasard… Elle parle de ce cousin qu'elle connaît depuis toujours. Un beau cousin, le cousin préféré que l'on a toutes. Celui qu'on n'a pas le droit d'aimer plus que cela. Il est beau à se pâmer, elle qui est si exigeante. Il est triste. Il souffre, il a souffert. On ne sait pas, il ne parle pas. Mais quand il lève ses yeux bleus en amande sur elle, Adèle se fige. Il est plus âgé qu'elle et elle a gardé ce réflexe de petite fille qui admire le grand jeune homme au doux regard. Petite, elle croyait qu'il était doux, simplement. Un gentil grand. Et puis, elle a compris qu'il était triste et que c'est pour cela qu'elle l'aimait tant et qu'il la respectait, elle la petite. Il n'y a que les gens tristes qui laissent vraiment les enfants libres d'être. Ce cousin, quand il la voyait arriver souriait toujours avec la franchise de ceux qui sourient peu et jamais sans raison, par politesse donc, entendons-nous. Et se révélait alors un autre visage. Un autre homme. Tout l'équilibre se métamorphosait. Les joues creuses revivaient, les yeux tristes s'enflammaient, mêlant adroitement joie et douleur, les lèvres s'ouvraient avec des rides par trois au bout du sourire, les dents, incisives un peu en retrait se dévoilaient sans fard, sans aucun artifice et le nez avait l'air de se tendre vers l'autre, presque en trompette. Comme pour lui en dire encore plus. Comme pour l'assurer de son désir d'être ensemble. Le visage plutôt bas ou plutôt parfaitement rectiligne d'habitude s'élève et s'ouvre. Il n'a pas besoin de mots. Il a déjà tout dit. Elle a déjà envie de lui dire qu'elle l'aime parce qu'il lui a dit lui. C'est ça qu'il a dit avec ce sourire magique. Elle essaye toujours de le faire rire, le plus possible, pour voir encore et encore s'ouvrir cette boîte-là, entortillée sur ses nœuds, tordue et jamais dépliée.
Il y a aussi celle qu'elle connaît un peu pétasse, un peu bêtasse aussi, qu'on a coutume de mépriser doucement. Peut-on mépriser doucement ? C'est une question tout de même. Je n'accorde au mépris que de la violence et une violence sans nom, souvent méconnue ou tue. Ne méprisons pas ! Jamais ! Après ces belles paroles, je reviens à mes moutons. La fille qui ne parle pas de ce qu'elle pense et qui se cache derrière tous ses artifices, elle, Ou derrière une vulgarité bien opulente, qui lui permet de taire le vrai. Comme derrière un paravent. Et alors, sans crier gare, parce qu'on a eu un moment de flottement dans son mépris, parce qu'aussi Adèle ne joue pas ce jeu-là. Autant qu'elle le peut. Cela n'a pas toujours été le cas mais elle essaye. Elle sourit et elle parle de ce qui lui plaît, de vraies choses. Elle est vraie. Elle baisse les masques. Et l'autre, la pétasse bêtasse, cesse de sourire, de rire ou de s'écrier. Cesse de faire du bruit. Clôt ses lèvres et baisse les yeux. Elle les relève et les pose sur le meuble derrière Adèle. Elle est intelligente et réfléchie. Elle est calme et comme démaquillée. Elle explique ce qu'elle en pense, elle, de ce que vient de dire Adèle. Qu'elle n'est pas d'accord et qu'elle y a souvent pensé. Que ce ne sont pas des choses qu'elle prend à la légère parce qu'elle pense que même les plus petits détails comptent. Elle est absolument là. Le visage est dense, les sourcils pas sévères mais sérieux, concentrés et musclés. Les yeux presque durs. Les narines frémissent un peu, ouvertes. La bouche est refermée, les lèvres posées l'une sur l'autre sans autre fonction que de sceller les mots qui viennent d'être dits. Elle est celle qu'on ne voit jamais. Et puis, elle regarde Adèle et elle sourit, tout doucement. D'un sourire d'amie, sans demande, sans excuse, sans charme. Adèle tombe sous ce charme.
Et puis, il y a encore le gentil gars. Celui qui connaît tout le monde, celui que personne ne note dans sa liste noire. Le gars simple et sympa, mûr et qui ne cherche pas à prouver ni à meurtrir. Il est drôle ou pas. Il rit quand il le faut. Celui-là, un jour, peu importe quand et où, est pris de colère. Mais sa colère à lui, l'apaisé, est une colère de démon. Et Adèle, ce jour-là, m'a raconté qu'elle était passée à côté. Qu'elle avait complètement omis sa colère. Qu'elle n'avait rien vu. Elle s'en voulait et elle était en même temps émerveillée. La colère du bon gars. Les yeux mauvais et la haine qui se plaque sur tous ses traits, qui le blanchit. Il est pâle comme la mort et les yeux s'exorbitent. Le nez est droit et aigu. Il ne bouge pas. La bouche serrée, les mâchoires qui travaillent pour ne pas mordre. Elles glissent l'une sur l'autre, menaçantes. Il fait peur. Il n'a plus peur de rien. Il est dangereux. Il sera sans pitié. Il parvient à dire quelques mots cinglants et quitte le groupe sans doute pour ne pas sortir les poings et saigner le premier venu. Il n'a plus la forme de celui à qui l'on s'adresse. Il n'aime plus personne et plus personne ne l'aime. On attend. Adèle a envie de lui sauter au coup. Toi aussi donc tu rages et tu pourrais égorger tes ennemis quand tu les croises trop net ! Nous sommes tous du peuple aux multiples visages.

Mon corps, réveille-moi !


Quand elle court pour oublier, quand elle reprend cette berceuse quotidienne, c'est qu'Adèle se perd. Ou même, s'est perdue et a beau chercher, ne se retrouve plus. Elle se voit, se sait vivante puisqu'on continue de la regarder et de lui parler. Lui sourire. C'est tout. Elle n'en a pas d'autres preuves. Surtout pas dans sa tête à elle. Elle est vide. Elle est quelque chose, elle sent le cœur battre mais comme dans une énorme boîte vide. C'est elle la boîte. Elle n'est plus qu'une boîte. Adèle, dans l'existence voit les choses en boîte, c'est indéniable. Tout peut rendre la forme d'une boîte et une boîte a toutes les formes possibles et imaginables. D'où cela lui vient ? Voilà un mystère. C'est une femme à boîtes. Restons-en là point. Quand elle n'est plus qu'une boîte, vide, elle n'a plus de sens, plus de mots. Elle sait maintenant qu'elle est plus expérimentée dans cette vie, que c'est une impression et que ses émotions la font marcher. Que son cœur se laisse mener par le bout du nez et que même ses pensées ne sont pas capables d'y résister. Ses sirènes à elle, sa faiblesse.
Alors, elle n'a plus que ses jambes pour courir. Elle ne les sent pas plus que le reste. Tout le corps s'anime normalement comme si rien ne se passait. Les bras s'agitent quand elle parle et les mains tiennent stylo et tasse à café très correctement. Même la gauche ne laisse rien paraître. La tête reste en place, malgré son poids. Le bassin pivote si besoin et les jambes se croisent quand on s'assoit. Les pieds font avancer comme de coutume. Un corps absolument identique et insoupçonnable. Il sait tout masquer, tout ou presque. Sauf quand ce n'est pas le vide mais le trop plein et que l'être implose. Adèle reste toujours stupéfaite de ce corps indifférent et routinier. Elle ne le comprend plus. C'est là que commencent les grands problèmes. Elle n'est plus avec lui, elle n'est plus dans sa boîte.
Alors elle se remet à courir, pour remplir ses membres et son tronc puis son crâne, sans savoir par quel miracle il en bénéficie lui aussi. Sinon que le vide appelle le vide et le plein le plein. Comme le sucre et les cacahuètes. Elle court dans les forêts. Toujours dans les forêts. Pour l'odeur et les craquements des brindilles sous son poids. Elle se sent lourde de quelque chose. C'est un premier pas. L'odeur de la terre, de l'humidité, du vent qui charrie tout et tout le monde. Elle ferme les yeux en pleine course sur une ligne droite parfois. Elle hume et se remplit les poumons. Et sans s'en apercevoir, déjà, sont réapparus les poumons. Et des souvenirs. Pas ce qu'elle est aujourd'hui, ça, elle l'ignore encore mais ce qu'elle a été revient par morceaux. Parce que dans ces cas-là, elle l'oublie réellement, quoi qu'on lui dise.
Et peu à peu, tout se reconstitue. Elle retrouve ses organes et son intérieur. Elle retrouve son corps et s'y meut comme dans sa propre boîte. Elle sent que tout lui fait mal. Elle sent la brûlure des muscles poussés au bout. Les muscles la sauvent. Les poumons bien entendu, elle les a déjà ouverts et elle les entend travailler. Elle les entend s'accorder au coeur et former cette triade de l'effort. Les muscles sont le luxe. Le vrai plaisir qui revient. Le plaisir d'être. Le plaisir d'avoir chaud, de brûler, de ne pas les lâcher, de les soutenir jusqu'à ce qu'ils tremblent et claquent ou s'écroulent. Sans gravité. Sans douleur. Juste la limite. Elle les accompagne. Ils l'accompagnent tout autant d'ailleurs jusqu'à leurs limites. Au départ, elle croit qu'ils n'ont pas les mêmes. Puis, elle se laisse entraîner par leur alliance et les suit jusqu'à la leur. Elle trouve en elle des espoirs d'aller encore plus loin qu'elle ne se connaissait plus. Elle ne se connaissait plus quoi qu'il en soit.
Et puis, une fois qu'elle existe à nouveau. Que son corps lui dit qu'elle existe et qu'elle existe fort. Pas plus légèrement que les autres, pas en fantôme ni en hologramme. Qu'elle n'est pas sur le point de s'envoler ou de s'enterrer, elle retrouve l'émotion.
Elle retrouve les battements et les rythmes. Toutes les percussions oubliées.
Elle a enfoui. Adèle est un as de l'enfouissement. Ni vue ni connue, elle enfouit mois après mois, parfois durant des années les chansons et leurs rythmes. Toutes les chansons, toutes. Et elle finit par ne plus ressentir que son cœur machine qui ne s'arrête jamais. Celui sur qui on compte coûte que coûte et qui sauve la mise. Une ou deux fois, il a haussé le ton ou s'est tu un peu trop longtemps. Elle a eu tellement peur, elle la téméraire, qu'elle n'a plus jamais recommencé cette provocation. Elle l'avait cherché. Mais quand il est bien là et qu'il poursuit son travail, aussi imperturbable que l'instinct de vivre, elle peut, Adèle se retrouver complètement seule avec son martèlement. Lui aussi trouve cela un peu trop sobre. J'irais jusqu'à dire que c'est carrément déprimant. Boum boum… Boum boum… A crever d'ennui ! Mais quand on ne peut pas faire autrement, on ne peut pas. Et là, toutes les notes et toutes les chansons ont foutu le camp. Adèle ne ressent plus que l'ennui et la lenteur de la vie. Elle ironise du matin au soir. Elle est toujours en recul, admirable pour son esprit affûté, dit-on. Désespérée en réalité sans le savoir, sans que personne ne sache, sans plus une once d'émotions à revendre ou à savourer.
Mais le corps est un monstrueux batailleur. Elle le brandit comme arme pour sa quête. Elle veut retrouver ses chansons. Elle le fait travailler, brûler, s'étirer, se transformer, se sculpter. Elle donne, lui aussi. Ils font équipe. Et un jour, elle finit par s'émouvoir, de leur travail d'amis, de partenaires solidaires. De leur équipe et de leur loyauté l'un envers l'autre. Elle sait que c'est un peu fou de penser cela. Mais elle aime penser son corps en-dehors d'elle et le remercier, l'aimer comme son plus beau cadeau. Parfois, elle le hait et voudrait l'abandonner sur un coin de la route, comme une peau de mue inutile et tout changer. Mais elle s'y accroche toujours par un tout petit bord.
Et finalement, après la renaissance matérielle, elle rattrape ses chansons. Tout le répertoire se rouvre peu à peu. Elle sait que cela prend du temps et qu'elle doit se montrer patiente, que les chansons ne sont pas toutes des filles faciles. Qu'il y en a des sacrément corsées, farouches. Elle n'y est pas pour rien. Elle ne les accueille pas toujours avec sympathie. Elle est ronchon et les rejette. Elle leur dit que cette mélodie est bien trop mièvre pour elle, qu'elle ne mange pas de ce pain-là, qu'elle est une dure et que les slows cucul ne l'intéressent pas. Alors, ces chansons-là sont méfiantes maintenant et ne reviennent pas si aisément. Elles se cachent. On leur a bien mis la honte. Elles ne s'y frottent plus que si on les y invite chaleureusement et à plusieurs reprises. En somme, elles se font prier. Elles se protègent aussi. Adèle peut être un vrai bourreau avec elles.
Mais quand elle a entrepris la course, elle va jusqu'à son terme. Elle ne revient pas sur sa décision. Elle rouvre tout. Parfois, elle ne sait pas qu'elle va rouvrir de nouvelles portes et entendre de nouveaux sons. Ca fait pleurer les nouvelles chansons. D'abord, ça interloque et puis ça fait pleurer. Et souvent, on ne comprend pas tout de suite. Cela vient du fin fond des cavernes. C'est à admettre. C'est dur. Ca brûle aussi fort que les muscles au bout de leurs forces. Ca brûle la poitrine tellement fort que les larmes coulent toutes seules. Pas de douleur. D'émotion absolue. Ca ne veut rien dire ! S'est rebellée Adèle les premières fois. Et puis, la jeunesse passant, elle s'est mise à aimer les choses qui ne veulent rien dire et qu'on ne comprend que quand on y est prêt et quon nous y aide. C'est une énorme chanson qui prend toute la place de la boîte et qui fait déborder le contenu retrouvé.
Adèle, alors, est la toute petite fille qu'elle fut, qui se taisait et qui sentait que le monde ne tournait pas rond. Revient comme un haut-le-cœur la détresse de l'enfant parfaitement impuissant qui voudrait boxer tous ces grands incapables.
Elle est cette moins petite fille qui se tait toujours et qui regarde avec de grands yeux « intelligents » en dit-on. En réalité, de grands yeux sombres et surpris de la bêtise des adultes qui lui apprennent la vie. Elle aimerait leur hurler en les secouant comme des pruniers qu'elle a compris tout ce qu'ils ne veulent pas voir, faute de courage. Vous êtes des lâches et m'ordonnez d'être courageuse parce que personne ici ne l'est et ne veut l'être. On prend la plus petite et lui jette la merde ! Elle est douée, elle saura s'en débrouiller. Tout cela en croyant protéger une enfant.
Elle est à nouveau toute cette colère contre cette injustice de devoir se taire et obéir à des fous idiots dont les sens sont handicapés. Obéir et ravaler ses mots et ses pensées. Se taire et pleurer dans sa chambre de rage et de tristesse devant ces dix années à attendre encore avant d'être écoutée. Parce qu'à seize ans, elle sera quelqu'un.
Elle pourrait baver de rage, se briser tous les os à se jeter sur ses ennemis du passé. Parce qu'on ne répare pas l'injustice. Surtout l'injustice de l'enfance, l'impuissance du petit qui porte bien davantage que son poids.
Elle est grande enfant, presque pubère, qui sent que le roussi arrive, qui a encore peur. Elle sent l'immense angoisse monter et la saisir dans ses griffes. Elle ne la lâchera pas et la donnera à manger à ses petits. La furie que rien n'arrête. Elle est jeune, personne ne lui a appris à lutter contre ça. Elle déteste ces grands qui ne lui ont rien appris sinon à ne pas mettre les coudes sur la table et à faire croire que la politesse elle y croit dur comme fer. Elle sent commencer à naître en elle cette folle, pas la même qu'eux, la folle de colère qui un jour explosera à leurs visages, en pleine face et ils y verront la fin du monde et leur inanité. Elle a peur et frappe le sol et les murs de rage contre son impuissance et sa faiblesse. Elle sait qu'elle va être piétinée, mise à terre et que personne ne la relèvera.
Elle est aussi cette adolescente qui essaye, qui y met du sien, malgré tout, et qu'elle voudrait claquer à y laisser les marques de doigt. Comme les grands d'avant le faisaient si bien sans jamais expliquer leurs gestes. Parce qu'ils avaient honte ces imbéciles. Et qu'ils croient qu'un enfant ne peut pas entendre ça, qu'il ne connaît pas ça, qu'il est un benêt qui attend les ordres. Cette adolescente à réveiller, qui se recroqueville et qu'Adèle voudrait enflammer pour que tout ce qui suit n'arrive pas. Pour qu'elle ne se laisse pas émietter comme un vulgaire trognon de pain rassi.
Elle redevient cette grande adolescente qui a dépassé les limites. Qui a enfreint les lois. Non les lois de notre belle société « de droits ». Qui a enfreint les lois implicites, les lois humaines. Qui a défié les siens, tous les siens, pour ne pas mourir elle-même. Qui a prononcé comme une éternelle promesse à elle-même : « Ils vont enfin voir qui je suis. » Parce que personne n'avait jamais vu.
Elle est avec ses muscles en feu toute cette colère qui ne s'éteindra jamais. Aussi parce peut-être elle la fait vivre mieux.

Et puis, après, bien après, les douces arrivent.
Et elle redevient l'enfant prise dans des bras tendres , des mains qui caressent les cheveux et les embrassent en serrant fort le petit corps secoué de sanglots.
Elle redevient l'enfant que la tante regarde de ses grands yeux bleus de vieille et qui voit ce que les autres ne voient pas encore. Elle sent son sourire bienveillant et rieur parce qu'elle sait que les autres, ceux qui elle aussi l'ont jugé et exclue, vont entendre les vraies cloches griller leurs tympans.
Elle est à nouveau cette enfant qui se fait aimer de tout coeur par certains que rien n'y oblige. Cette enfant qui comprend la chaleur qu'elle pourra détenir quand elle aura les armes. Quand elle aura bien attendu.
Elle est sautillante parce qu'elle va à la mer et qu'elle sent la douceur de l'eau sur sa peau. Sautillante parce qu'elle a réussi à comprendre cette règle de trois qui lui échappait sans cesse et qu'elle sent que le cerveau est son premier allié. Sautillante de découvrir qu'elle détient cette arme-là, ça y est et qu'elle pourra en faire de merveilleuses choses.
Elle est comme toujours émue, sans larmes, toujours sans larmes d'habitude, de voir se dévoiler le plus méfiant de ses proches, de le voir lui faire la plus grande confiance qui soit et d'y découvrir ce qu'il a de plus cher.
Mais la colère est la plus forte. Elle revient par vagues entre les beautés passées et à venir. Plus jamais Adèle ne tolérera l'impuissance et la violence sans réplique. Plus jamais elle ne baissera la tête et s'accroupira dans un coin laissant les autres rire comme des clowns sans neurones et se détourner finalement pour faire la ronde ensemble et s'en contenter. Elle se battra jusqu'à mourir mais il ne faut pas mourir pour se battre. Alors elle laisse pleurer son corps et son âme avec ses muscles en fin de course. Elle s'adosse à un vieil arbre pourri et pleins d'odeurs.
Toutes les mélodies sont là ou presque.










dimanche 1 mai 2016

Moi et mon coeur

Mais après l'amour fou à mort, aime-t-on encore ? Adèle se promit la solitude. Elle se promit de ne plus jamais recommencer cela, de courir, frapper, soigner et manger dormir, en humain normal. Elle fit le serment la main sur son livre le plus cher de ne plus jamais y tomber. Elle ne prit pas la Bible, tout le monde le sait. Personne n'a de remarques à faire ? Je peux continuer ? … Bien, je poursuis donc. Comme pour Abdel, je pourrais expliquer qui est Brice, d'où sort cette violence , d'où sort cette folie. Je pourrais. Je n'en ai pas envie. J'ai le pouvoir de choisir ce qui me plaît à écrire ? Eh bien je m'en saisis et j'en jouis avec tyrannie. Vous ne saurez pas d'où part la folie bricienne. C'est finalement une histoire comme les autres. Aussi triste, aussi répétitive que les autres. Elle aurait pu être vue de près. Mais non. Elle ne le sera pas. Bref, sans vous narguer, je m'arrête là. N'empêche qu'après un tel ouragan, le cœur est tout raplapla et qu'il lui faut quelques semaines d'hospitalisation en cage thoracique. Il se love dans sa cage à lui, celle qui lui est autorisée et qui lui correspond. Celle qui ne lui fera jamais de mal. Ni bien ni mal. L'idoine, absolument faite pour lui. Sans aucune aventure et sans aucun risque. Il s'est retourné dans la cage dos au monde, précisément, face au dos d'Adèle, en cercle clos. Circuit fermé, personne n'y met aucune patte ni pâte d'ailleurs. En automatique. Il en a sa claque ce cœur. Adèle l'a souvent mis à rude épreuve. Elle en a fait un combattant. Un sportif de haut niveau. Un marathoniene. Ils ont cru plus d'une fois tous les deux, les yeux dans les yeux, qu'ils allaient en crever, que lui s'arrêterait et qu'elle le suivrait de près. Ils se sont dits sans mots « On n'y arrivera pas. C'était sympa. » Il a accéléré comme un fou parfois. Accéléré et paniqué, fou de vitesse et de peur. Il était sur un grand huit toute la journée, sans pouvoir rien stopper, sans pouvoir rien dire, sans le droit ni les moyens. Prisonnier de sa nature. Une machine d'émotions.
Aussi, il a ralenti, ralenti, ralenti pour ne plus être que l'ombre de lui-même. Il ne se sentait même plus exister. Comme s'il n'était qu'une machine comme une autre. Pas vivante. Un aspirateur, une voiture. Aussi trivial que cela.
Et puis, peu à peu, tous deux ont appris qu'ils résisteraient à un ouragan, qu'il étaient forts comme des rocs. Qu'ils avaient la chance ou la malchance de tout entendre, de tout sentir, d'éponger après le passage parfois tonitruant des autres. Qu'ils en apprenaient tous les jours ou presque oui mais qu'ils en payaient cher le prix. Et puis, ils ont trouver leurs petites stratégies. Leurs bons coups. Et l'un comme l'autre se sont mis à danser plus souvent. Fini d'être matins et soirs à terre à la serpillière, à nettoyer les fuites et les inondations. Ils trouvèrent enfin le temps de danser. Et ils apprirent alors toutes les danses qu'ils avaient toujours voulu connaître.
Moi, je ne connais pas le cœur d'Adèle. Mais je sais seulement qu'aujourd'hui, c'est un danseur hors pair. Il continue d'éponger avec elle quand il le faut. Il ne ménage jamais sa peine. Après Perrignon, il a juré de ne plus jamais ménagé sa peine, quoi qu'il en coûte. Parce qu'il vaut mieux en donner trop que pas assez et se sentir noir. Il refuse d'être un cœur noir. Adèle non plus n'en veut pas d'un cœur noir. Elle l'a dit dès le début. Elle a flanché après Abdel, avec Pépé. Elle l'a laissé se promener dans les ombres. Ils se sont séparés. Ils en avaient besoin. Ils ne voulaient plus l'un de l'autre. Elle lui prêtait sa cage et ils vivaient en bonne intelligence, colocation indifférente.
Encore une sacrée histoire.