mardi 20 janvier 2015

Sans droit d'entrée

Il a pris de la bouteille, comme on dit vulgairement. Il ne boit jamais ou presque une goutte. Mais la bouteille lui est venue tout de même. Il n’est pas davantage ami avec ses pairs. Il les sent toujours plus impairs d’ailleurs. Il est à leurs côtés, ou juste au bord. Il appartient mais n’entre pas.
Il n’entre pas.
Nulle part.
Il n’a pas droit d’entrée.
Ou alors par la force.
Ce n’est pas un droit.
Il doit parfois s’y résoudre. C’est parfaitement contre-nature. Il doit puiser au fond de ses racines pour violenter l’issue. Il exècre ces manières de faire. C’est pourtant ainsi qu’il ne se laisse pas distancer de trop par ses congénères (le terme le plus approprié à son sentiment).
Il est entré au monde sans un ticket valable. Seul le volatile patronyme, sans corps ni preuve, pour bagage. Il n’est pas insensé d’interroger la potentielle inexistence ou inadéquation de soi-même.
Il est de quelque part. Il est un homme de femmes. Il ne les approche pourtant pas. Il ne se sent ni des unes ni des autres. Il est l’homme de la famille, il le sait. Ne l’a jamais senti sinon dans son orgueil.
On a disparu peu à peu, pas complètement. Ila pris le dessus à l’arrachée. Le combat a duré des années. Il a été déchirant. Comme une naissance. Comme c’est convenu cette image ! Une naissance quelque peu poussiéreuse. Sans cris, sans je véritable. Il dit « je » par convention. Tout comme il n’a pas droit d’entrée. Le je est un pragmatisme, une méthode de communication. Il n’y est rien dedans. Rien ne s’y cache. Un savon noir usé et délaissé pour d’autres. Le derniers recours, peut-être, en cas de lourde pénurie. Fragile appartenance, donc.
Il a l’espoir inconscient d’un miroir-je avec l’enfant. Il le dénie, il coud ses lèvres pour effacer l’élan. Il a honte. Il a trop envie et cela n’est pas normal. L’enfant à naître est une lueur. Pour lui oui. Pour Méline aussi, la transparente Méline. peut-être que ce bébé l’emplumera du dedans. Peut-être que tous les deux auront enfin leur place.
Ils se ressemblent.
Comme deux gouttes d’eau.
Les deux petit gris
aux yeux de jais.
Les deux petits sages.
Les plus taiseux.
Ils se ressemblent.
Comme deux gouttes d’eau.
Leur jeu est vide.
Ils avanceront.
main dans la main.
Bras dessus bras dessous.
Ce sont des trébucheurs.
A deux, on s’étale moins.
Ils ne disent rien mais sans doute qu’eux deux même attendent ce bébé et des promesses. Ils se ressemblent mais à personne. Pour cet enfant, ils nous ressemblent à tous et toutes.

Advient l’enfant.
Garçon.
Ne parlons pas de la mère. Viendra son tour à son couplet.
Il regarde l’enfant, le minuscule bébé.
Il se dit qu’il aurait dû attendre avant de sortir dès maintenant. Il sent qu’il n’était pas fin prêt. Il est trop impotent. Et c’est un homme qu’il deviendra. Il en a la nausée. On revient au galop.
On ne peut pas naître aussi petit.
On refuse de croire qu’on a été cela.
On ne lèvera pas le petit doigt pour un faux être humain comme ça.
On est trahi.
On se barricadera le temps de calmer la colère.
On nous a pris au piège.
L’univers est un guet-apens.

C’est un garçon.
Il sent déjà qu’il lui vole son peu. Il lui vole la seule femme qu’il peut toucher sans brûler ni vomir, le seul être en vérité.
Il lui vole son unique douceur en ce monde.
Il lui vole son unique pouvoir en ce monde.
C’est l’enfant tyran qui tue l’homme avant même qu’il soit son père.
Alors le je devient réel de fureur. Je n’ai pas droit d’entrée, Tu n’en auras pas plus. Tu seras confiné à mon étroitesse et ma grisaille. Tu ne t’échapperas pas, oiseau de malheur !
Tu m’as volé.
Je ne suis plus un homme.
Tu seras un eunuque, tout autant que ton père, puisque c’est ce que je suis.
Et Tu me maudiras.
Et Je serai quelqu’un.

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