dimanche 12 février 2017

Patate exploratrice

Elle traverse toute la ville. Non elle ne traverse pas toute la ville, elle ne le peut pas, elle a bien trop de tentacules aux arcanes cryptés jusqu'au cou. Elle a l'impression de traverser toute la ville et elle aime ça. Elle aime à se le dire et se croire randonneuse de minuit. Elle marche, elle avance, comme si elle avançait dans la vie, comme si elle avançait ses pions aussi. Comme si elle avait un certain pouvoir. Il se passe quelque chose. Il y a un événement. Ce n'est pas souvent qu'elle sent ce quelque chose. Est-ce déjà même arrivé ? A Noël, aux anniversaires. Les dates clés. Pas davantage, pas de son propre fait. Elle ne se sent jamais l'instigatrice de ces Evénements. Là, c'est bien elle qui marche, qui avance vers les découvertes qu'elle veut faire. Elle se prend à rêver qu'elle est une grande. Une importante personne dont on se souviendra.
Elle pense bien sûr en premier lieu à Christophe Colomb. Jamais, c'est certain, Christophe n'a été patate. Même patate-ninja. Mais il s'appelle quand même Colomb. Elle s'est toujours interrogée sur cela. Le grand explorateur, le grand combattant a le nom de l'oiseau blanc de la paix. Il s'appelle comme le plus inoffensif des oiseaux du monde, il est nommé comme le plus doux et le plus insipide aussi peut-être des volatiles. Pourtant il tient sans doute davantage dans la réalité du piranha ou du serpent à sonnettes. Elle a toujours buté sur ce nom, Patate. Le Christ et la colombe. Ca donne envie de chialer de niaiserie. Alors qu'il a fait mourir des dizaines d'hommes, qu'il y a risqué sa peau, avant et après, se mettant à dos des reines et princes et tout le tralala. Elle a toujours trouvé le sort bien ironique... Sauf qu'elle, elle s'appelle bien Patate et que cela lui va bien. Elle ne sait pas encore qu'elle deviendra ninja.
Elle part,
comme le Christ colombus,
pas encore crucifié,
elle l'est déjà,
elle,
sans crever pour autant,
pute de vie,
à la recherche d'une autre vie.
Ce monde,
son univers ne lui
suffit
pas.
Pas qu'elle soit si exigeante.
Pas qu'elle soit carnassière.
Comme Christophus,
ou peut-être ignorance.
Encore.
Peut-être qu'elle n'est pas seulement
matière à purée et que ses jambes
qui marchent
qui marchent
le savent mieux
qu'elle.
Peut-être que le vieux Colombe
deviendra un égal.
Mais tout cela,
elle ne l'a pas en
tête.
Ni nul par ailleurs.
Elle avance
et pour l'instant,
elle est heureuse
de n'être pas comme il faut,
d'être seule,
libre,
vers l'inconnu.
La double vie comme là.

Après avoir marché 53 minutes, elle arrive à bon port. Le grand immeuble laid gris, comme tant d'autres de Piment. Elle a fait ses recherches avant, elle savait tout avant d'entreprendre son expédition. Patate est une maligne sous ses airs de lourdaude. Elle s'arrête en bas de la grande tour. Elle a mis un jean noir, des baskets noires, un manteau noir. Finalement pas si loin de la tenue habituelle. Elle a une capuche. Elle ne la chausse pas d'habitude mais elle adore la mettre. Elle se sent protégée. Elle sent qu'elle risque moins, beaucoup moins. Elle attend en bas de l'immeuble, elle regarde autour d'elle. Ce n'est pas comme chez elle. Elle habite un petit quartier cossu. Ici, ce n'est pas cossu. C'est triste et gris. C'est dur. Ce n'est pas la mort mais c'est la bagarre pour la vie. Cela tourne dans l'air. Elle sent qu'ici, il faut se battre pour être quelqu'un. Chez elle aussi, Patate ne se laissera jamais dire le contraire. Mais pas de la me^me manière. Chez elle, elle existe. Mal et difforme mais elle existe. Une handicapée et puis voilà. C'est une place quand même. Ici, Piment, elle le comprend d'emblée, doit lutter pour exister. Juste pour exister. Elle se sent bien ici Patate. Elle sent que cette lutte-là ne lui est pas complètement inconnue, elle y retrouve des bribes de son être. Elle s'y sent moins mal que chez Carotte où elle aimerait seulement disparaître. Elle sent qu'ici, elle a le droit d'être plus que Patate. Piment le lui a déjà prouvé. La porte de l'immeuble s'ouvre et elle en profite pour s'engouffrer dans l'immeuble. Elle sait que Piment vit au 10ème étage. Elle monte. Personne ne fait attention à elle. Elle ressemble à ce qu'on voit ici ? C'est drôle. S'il y a bien une chose à laquelle elle ne s'attendait pas, c'est bien celle-là. Elle sort de l'ascenseur au 10. Elle trouve facilement l'appartement de Piment. Elle reconnaît sa voix à travers la mince porte. Elle sourit. Elle a gagné. Elle retire son sac à dos, le pose à terre et s'assoit en le plaçant entre ses jambes. Elle s'appuie au mur. Elle ferme les yeux et elle écoute. Tout s'entend et se comprend sauf quand la mère de Piment parle la langue du bout du monde. Piment lui répond quoi qu'il arrive en français. Patate finit donc toujours par deviner ce que la maman a dit.
Elles crient toutes les deux. Pendant une heure, elles crient. Pendant une heure, elles se détestent sans une once de retenue. Patate la froussarde n'a pas peur. Elle n'est plus ce qu'elle a toujours été. Elle se remplit de cette aventure. La maman est furieuse que Piment ne soit pas en tête de classe. Elle s'est battue pour qu'elle intègre un bon collège et voilà qu'elle ne fait pas tous les efforts qu'il faut. Piment se défend en criant mais elle n'est pas la plus forte. Loin de là. Patate sourit encore. Ce qu'on croit des vérités ne sont que des rôles. Et à chaque moment son rôle. Piment n'est pas la chef de clan. Piment est la petite dernière de la grande fratrie et la grande sœur s'y met aussi et la réprimande. Elle lui dit qu'elle n'est pas digne et qu'elle devrait avoir honte de tous les sacrifice des autres qu'elle ne respecte pas. C'est à ce moment-là que Piment s'effondre et que Patate ne l'entend plus. C'est là que Patate sent un verrou voler en éclat en elle pour ne plus jamais revenir la clouer.
Piment se tait.
Piment n'est pas la plus forte.
Piment s'est fait frapper.
Piment part dans sa chambre en pleurant.
Les sanglots traversent la paroi du mur.
Patate sourit à Dieu.

3 commentaires:

  1. Qu on soit piment patate ou même carotte on à tous ses combats démons forces faiblesses et colomb n a sans doute pas échappé à ça...

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Ss doute... Drôle à imaginer !

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